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29/07/2014

La boîte à rien.

Sans doute ce qui leur était arrivé là était trop beau : l’ascension d’Anton dans l’usine, son amitié avec Nicolaï. Celle qu’elle avait nouée avec Varvara, malgré ses absences. Le plus souvent, quand les choses vont bien, elles se payent d’une dure contrepartie. Celle qui s’annonçait serait irréversible, il fallait agir, n’en dégager aucune acrimonie. Expliquer ça à Igor, qu’il sache qu’on doit pouvoir, à tout instant, emballer quatre objets et tout quitter. La boîte à rien, qu’il lui avait faite à six ans, elle la glisserait dans son sac : le rire dans lequel il était parti en la lui offrant valait pour elle tous les colliers de la Terre. Elle pourrait y glisser les médicaments qui lui restait en cas de fièvre pour Aurélia. La statuette en bronze des Valseurs, elle l’enterrerait dans le jardin, elle préférait ça à l’idée de la laisser sur la cheminée, à portée du premier pilleur venu. Elle l’aurait bien donnée à la fille de son voisin, qui venait d’acheter ses premières ballerines, mais ça aurait éveillé des soupçons. Il fallait que tout reste en place, dans l’attente du retour des maîtres de maison, qui ne reviendraient pas. Jamais.

17:00 Publié dans Blog | Lien permanent

28/07/2014

Essémestique.

Au début, c’est comme un jeu, un interdit, un message anodin, précautionneux, faussement naïf, juste un comment ça va, ou un truc du genre, je travaille, et toi, mais en fait, on le sait que c’est plus, que ça signifie je rentre en contact avec toi parce que maintenant j’ai ton 06 et que je voudrais que tu sois là mais je ne sais pas comment te le dire. Alors ça minaude, ça badine, ça antiphrase, mais elle est bien là, l’accroche, la vibration qui se double de celle du cœur, le sursaut qu’on n’a plus éprouvé depuis longtemps et qu’on culpabilise un peu de ressentir maintenant, parce que ce n’est pas le moment, parce qu’on n’a pas programmé que la vie change. Même si on sait qu’elle change quand elle veut, la vie, qu’elle est tout entière dans ces mots qui se multiplient, dont on analyse la moindre portée, la première marque d’intimité, le bisou qui se transforme en je t’embrasse puis en baisers, le je pense à toi qu’on ose un soir et qui fait tout basculer, le moi aussi qui suit dans le millième de seconde, le décor, chez nous, qu’on regarde différemment, le choix cornélien dont on nous parlait à l’école, le ah, si on s’était rencontrés avant qui tombe, le mode silencieux qu’on a oublié de mettre. On essaie bien, quand on se voit, dans la journée, de se raisonner, parce qu’on a nos vies, nos collègues de bureau, que ça pourrait jaser si on n’y prenait pas garde, mais juste après, on attend la passion, le j’ai envie de toi, le je t’aime et puis, si ça tient, le je veux vivre avec toi qui signifie qu’on ne vivra plus avec celui ou celle à qui on n’écrit plus depuis longtemps. Qui fait qu’on se demande quand même s’il n’y aura pas, un jour, là aussi, de silence essémestique, de fréquence qui se calme, d’un je vais pas pouvoir venir ce soir, suivi d’un je t’expliquerai, qui n’expliquera rien. Ça calme les ardeurs, jusqu’au je veux te sentir en moi de minuit moins le quart. Et, même si on a tout bien fait, le petit flash lumineux qui réveille et le conjoint et sa méfiance. Rendors-toi, on lui dit, mais on rêve de répondre Et si on quittait tout ? même si on n’en fera rien. Alors on fait semblant de dormir, et d’aimer, pour oublier qu’on aime vraiment, mais ailleurs, et qu’on ne sait plus comment aimer, ici. Et dès le matin, on guette le bonjour, mon amour de l’autre, sur l’écran tactile. Jusqu’à la panne de batterie. Le dernier coup de palpitant.

 

refrain

18:11 Publié dans Blog | Lien permanent

27/07/2014

Mademoiselle rêve.

JM Flahaut (Stockholm).jpgAvouons-le d'office, j'ai d'abord un peu pesté quand je suis allé chercher mon "Stockholm", de Jean-Marc Flahaut chez mon libraire : non que le livre soit cher, mais ramené au nombre de pages, on n'est pas loin du prix du safran au kilo. Pour autant, le safran n'a pas beaucoup de goût, mais c'est quand même lui qui détermine la paella. Et l'édition, très réussie, la qualité du papier, ses rabats, le titre qui sonne, d'entrée, comme un spectre allant du syndrome du même nom à la ville du Nobel, ou, au vu de la jeune femme à la mitrailleuse illustrant la couverture (rouge), à une tuerie genre Columbine ou Utøya, dans le pays voisin, tout cela apaisa mon courroux, coucou!

Et puis on lit, on se prend une petite demi-heure de lecture et on est d'entrée saisi par l'équilibre du style,  la construction du récit, par petites touches, par anaphores (visuelles en D, p.20) et l'histoire de cette jeune fille enlevée puis convertie à la révolution de ses ravisseurs. Ce sera donc le syndrome, mais de quelle idéologie, on ne le saura jamais exactement: l'auteur procède par ellipses, ses insertions sont phatiques, on y met le sens et le contexte qu'on veut. Dans nos images mentales, on pense à Florence Rey, à Nathalie Ménigon, mais on raisonne trop français: l'Armée du peuple en question est tenue par un Noir, renverse les codes, mi-Black Power, mi-Sandinistas, ou Barbudos. Ou romantiques, simplement, vu leur façon d'aimer. C'est la réussite de ce petit livre (en taille): ne rien résoudre, ne rien divulguer, laisser le lecteur se construire le mécanisme psychologique de l'enfermement, du dilemme sur le Bien et le Mal, la justesse de la cause, l'intensité de l'action, du sentiment. À ce titre, ce que la jeune fille espère de sa mère, la façon dont elle le formule - Oh Maman si tu savais comme j'aimerais t'entendre me dire cela! -  composent un passage fort du récit. Qui interroge le spectacle de nos vies régulières (mea culpa télévisé inclus), condamnées à juger comme déviantes les existences qu'elles ne comprendront jamais.

Ed. Les Etats Civils, mars 2014, 12,50€

18:22 Publié dans Blog | Lien permanent

26/07/2014

Hit the road.

Hier, comme aux plus grandes heures de "la Route", à l'époque où je regardais encore la télévision, j'ai passé cinq heures dans une automobile à converser avec deux inconnus, au départ, dont presque une à échanger sur un phénomène psycho-somatique auquel le conducteur a été confronté, dans sa vie, via sa fille. Le même qui frappe le personnage d'Aurélia, à son arrivée à Vienne : drôle de coïncidence, et promesse de lecture, plus tard, une fois le roman achevé, édité et offert à cette petite que je ne connais pas mais qui m'a paru, l'espace d'un instant, tellement proche. 

17:02 Publié dans Blog | Lien permanent

25/07/2014

Bernie.

Ce merdeux, dans le TER, je le soulèverais bien par le col, histoire qu'il comprenne, au bout de deux-trois allers-retours de gifles, qu'on ne met pas plus les pieds sur les sièges qu'on ne le fait chez soi. L'autre, qui "écoute" une "musique" saturée comme si ses écouteurs n'existaient pas et comme si l'évidence était qu'on puisse la supporter, je lui mettrais bien la lame acérée d'une pelle de jardin sur la carotide jusqu'à ce qu'il ait fini d'ingurgiter son MP3. Elle, dont l'indigente conversation résonne dans tout le wagon, je l'attacherais bien toute la nuit à un pylône SFR, la forçant, les yeux ouverts en mode "Orange mécanique", à regarder l'intégrale Rohmer. Le problème des transports en commun, c'est le transport des communs.

14:44 Publié dans Blog | Lien permanent

24/07/2014

Recordaras.

image.jpgLes plazas de Toro, dans toutes les villes de tradition, accueilleront chacune, un jour, des festivals de musique latine, dont la seule mise à mort sera celle du dernier fût de mojito. À condition qu'on continue d'élever les toros bravos dans les grandes plaines d'Andalousie, qu'on n'abandonne pas ces terres sublimes aux promoteurs, on pourra dire qu'ici, au moins, l'homme aura progressé.

17:35 Publié dans Blog | Lien permanent

23/07/2014

Revanche.

Une lectrice, frustrée, selon ses dires, par la fin de "la partie de cache-cache", me demande si j'envisage une suite: curieuse réflexion, sans doute générée par la prédominance des séries télévisées, ou, mieux, la fréquentation des sagas littéraires, fresques naturalistes ou chroniques (de San Francisco ou d'ailleurs.) Une seule journée dans la vie de mes personnages, c'est trop peu, selon elle. Le plus drôle, c'est que j'y ai pensé, un jour, comme je l'ai fait pour Aurélia, que je pourrais filer sur dix volumes, si je le voulais. Sans doute ne sait-elle pas, cette lectrice, qu'une fin alternative existe, mais l'effet s'est produit: comment Émilie grandira-t-elle, dans l'absence de Jeannot? Comment Grégoire assumera-t-il une vie fondée sur le sacrifice de l'autre? Les romans n'échappent pas à la phénoménologie, au "Ou bien ou bien". Mais je n'aime pas les résolutions trop marquées, dans mes lectures: j'aime que la fin appartienne au lecteur, pas à l'écrivain.

17:29 Publié dans Blog | Lien permanent

22/07/2014

Gascon.

image.jpgPas un seul voisin à la ronde, des vallons, des champs de blé fraîchement moissonnés, une vieille bastide du XIème siècle, la placidité conviviale des gens du Gers, leur rythme propre... Descendre m'incliner chaque année devant la statue de D'Artagnan devient un repère obligé. Ne pas avoir de connexion digne de ce nom m'empêche un peu d'avancer sur la version finale d'Aurélia, mais me rappelle à la lenteur: c'est sans doute ça, la vacance de l'esprit.

19:59 Publié dans Blog | Lien permanent