07/02/2013
L'inverse de la posture.
Ce n’est pas une nouvelle intervention nocturne de mon voisin bukowskien – dans la troisième heure d’une nuit de six – ni même la crevaison à laquelle j’ai dû confronter mon impéritie mécanique (Chavassieux, lui, sait changer un pneu, je l’ai vu faire) qui va troubler l’émerveillement que Stephan Eicher, hier, a créé chez moi. Stephan Eicher, la marque la plus ancienne de ma temporalité musicale puisqu’en fermant les yeux, je me revois le 21 juin 1986, aux Eclanova de Villeurbanne, où, chanteur inconnu seul avec ses guitares et ses machines, il gratifia le public d’une minute de bruit en l’honneur de Coluche tout juste disparu. C’était l’époque des chansons dont il ne maîtrisait guère les rares mots employés, c’était juste après Grauzone, c’était « Two People in a room », « I tell this night » etc. C’était avant la rencontre avec Djian, avant, également – puisqu’un couple qui dure ne s’est rien épargné – la starification de la période Carcassonne et la tentation du chanteur pour midinettes. Dont certaines ont vieilli et sont restées dans le public. Mais le chanteur suisse et gitan s’est repris, mène une barque musicale dont le dernier opus, « l’Envolée », frise la perfection, si tant est qu’il la cherche. Parce qu’Eicher, c’est d’abord la quête perpétuelle d’une relation musicale avec des camarades qui changent à chaque tournée et dont on se demande où il peut bien aller les dénicher, tant leur complicité est épatante et, surtout, non feinte. Un décor recherché de vieilles enceintes, des instruments vintage, une belle harmonie entre cuivres, violon, piano, guitares, basse et contrebasse, un batteur qui joue fin et droit, des effets pour chacun des musiciens qui n’en rajoutent pas, mais donnent juste le tournis à celui qui sait écouter. Hier, au Fil de Saint-Etienne, dans une salle qui ressemble enfin à ce à quoi ressemblaient les salles de concert quand il y en avait encore, Eicher & Co ont démarré par « la Relève », ironiquement, mais n’en ont pas eu besoin, et ne se sont jamais arrêtés. En nous offrant en plus, à sa demande, le cadeau extraordinaire d’un concert sans l’arbre de Noël des Smartphones (à quelques exceptions près, certains décérébrés s’imaginant toujours que leur propre intérêt prévaut sur celui des autres). Un festival de titres nouveaux et classiques, une approche amusée et respectueuse du public, un zeste de fausse modestie au piano et toujours ce rapport poétique à la conjugaison française, les ingrédients sont là pour le bon concert, les retrouvailles et elles s’avèrent explosives : un enchaînement « Rivière »/ « Donne-moi une seconde », qui peut se permettre ça sans avoir l’air d’y toucher ? Je prends le temps de la respiration quand le groupe joue les standards qu’il faut jouer, mais qui ne m’émeuvent pas plus que ça : « Pas d’ami comme toi », « Déjeuner en paix », pour moi, n’ont pour seule fonction que de me rappeler que, plus jeune, je voulais écrire des romans et écrire des chansons pour un chanteur qui vaudrait le coup, humainement. C’est sans doute pour ça que j’aime Eicher : parce qu’il me rappelle en le voyant régulièrement qu’on a peut-être un peu grossi mais qu’on ne s’est pas menti. Enfin pas tout le temps. Et puis Eicher, depuis 1991, c’est quand même l’interprète de la plus belle chanson du monde, qu’on appréhende même de le voir la chanter, tant elle provoque chez les belles personnes des réactions qu’on ne peut pas contrôler : tant elle renvoie les uns à ce qu’ils ont vécu et perdu, les autres à ce qu’ils continuent de chercher. Tant elle renvoie, aussi, à des conversations nocturnes, des histoires qui ne se sont pas faites, d’autres qui se feront. Peut-être. « Tu ne me dois rien », continue-t-il de chanter, inlassablement. Sans doute, mais de fait, pour ça, on lui doit tout. Surtout quand il l’orchestre comme ça, d’abord en solo, ensuite avec le groupe qui vient la sublimer, si c’était encore possible. Grande soirée, hier, avec un sourire, en plus, pour ceux qui avaient vécu la même la veille et ceux qui la vivront ce soir. Ils ont de la chance : on vit mieux avec Eicher. En Eldorado.
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06/02/2013
Cognitif et Tondu.
Scène d’une rue à chaque jour un petit peu plus violente, à laquelle j’assiste de l’habitacle de ma voiture : un homme bien mis refuse l’aumône à un SDF, ajoute du geste un agacement sans doute plus maladroit qu’autre chose, mais ressenti comme du mépris par l’autre, qui éructe et le poursuit de ses insultes. Je n’entends rien, je devine juste, je vois le visage du malheureux déformé par la colère (une marque d’humanité, déjà !) et surtout, surtout - comme dans le dénouement du « Prisonnier », quand on pense savoir, enfin, qui est le numéro 1 – mon cerveau ne me montre plus de ces deux hommes qu’un seul et même visage.
14:51 Publié dans Blog | Lien permanent
05/02/2013
Ethos.
A la croisée des chemins - nonobstant la nuance entre droit chemin et juste conduite - il vaut mieux désormais avoir sur soi une application Iphone délimitant le champ des possibles qu’une version, fût-elle d’origine, du Discours de la méthode.
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04/02/2013
Humeurs.
J’éprouve un jour sur deux la sensation d’être transparent. Ce qui me laisse le loisir d’être opaque le lendemain.
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03/02/2013
Mon attachement à mon art.
Un des dessins de Jean-Louis Pujol qui illustrera « Valse, Claudel », dans sa parution aux Editions du Réalgar, en mai prochain. Un de ceux que ni Daniel ni moi n’aurions choisi de prime abord, mais qui est du genre qui gagne, comme on dit dans Rohmer. Le petit objet de bibliophilie devrait être magnifique, et cette perspective me comble de joie, d’autant que les premiers acquéreurs pourront également doubler leur trouvaille du sublime morceau que Jean-Jacques Coulon a composé pour moi sur lequel Stéphane Pétrier, rien que ça, a posé la voix. Une telle agrégation de talents et ma maigre contribution là-dessus, ça ne devrait pas faire de mal, a priori, ni aux oreilles ni aux yeux. Sortie mondiale le 25 mai au Réalgar, à Saint-Etienne. D’ici là, les plus impatients auront lu la nouvelle seule : elle entre dans la désormais fameuse « Troisième Jouissance du Gros Robert ».
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02/02/2013
Et ta soeur?
Mais qu’est-ce qui lui a bien pris, à cet homme-là, de nous aborder, mon ami et moi, dans les rues d’une ville qui en plus n’est pas la mienne, ce matin, pour nous glisser, sur le ton de la confidence, qu’une manifestation contre le mariage pour tous avait lieu dans l’après-midi et qu’il fallait s’y trouver nombreux ? Quelle force immanente l’a autorisé à le faire, plus encore, à décréter comme ça que nous n’étions, mon ami et moi, pas homosexuels ? Je l’ai dit mille fois, le seul engagement lié à ce blog est esthétique et philosophique, mais justement, enfin, une bonne fois pour toutes, qui peut intelligemment être contre un même droit pour tous? Soyons contre, alors, mais comme Sacha Guitry contre les femmes : tout contre. Parce que sinon, ce n’est pas seulement une question d’opinion (« chacun est libre de penser ce qu’il veut », a-t-il ajouté, se rendant compte de son peu de crédit auprès de nous), c’est une question d’égalité. Et l’antiphrase est palpable : quand on dit chacun est libre, c’est que personne ne l’est vraiment, tant qu’un des deux refuse que l’autre le soit. On dit bien chacun ses goûts quand on veut clore une discussion sur l’Art, à court d’arguments. Et de culture.
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01/02/2013
Appolino-apollinien.
Un accès de curiosité malsaine m’a poussé, tout à l’heure, à faire une recherche Internet à propos d’un vieil ami disparu de la circulation depuis bien longtemps. Non que je sois – euphémisme - amateur des sites de retrouvailles entre copains d’avant (j’ai été il y a bien longtemps invité aux 30 ans de l’ancienne plus belle fille de l’école, je lui ai offert « tendre comme le souvenir » d’Apollinaire dédicacé, je me souviens quant à moi que ça avait été moyennement apprécié par son mari…) mais parce que son nom m’est revenu, comme ça, subitement. Ironie du sort : je ne saurai pas s’il est toujours vivant ou pas, s’il a fait quelque chose des vingt ans qu’il a choisi de laisser entre lui et moi, mais ce que je sais, c’est que son presqu’homonyme, à une composante de prénom près, est une star de la télé-réalité, élu récemment acteur le plus sexy du monde par Mediamass (sic), dont le labrador Spinee vient d’être opéré avec succès, ce qui lui laisse le temps, désormais, de préparer son mariage à venir. De mon ancien ami, rien, pas une trace : peut-être une des revanches du temps.
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31/01/2013
Leibnizanerie.
On n’a jamais besoin que de ce qu’on a déjà. Rapporté à toute une vie, ça fait un sacré nombre de recherches inutiles, au bout du compte. Ce qui ne nous empêche pas de nous dire qu’un meilleur ailleurs est toujours possible, de la même façon qu’on se convainc facilement que l’on a, à peine !, la moitié de l’âge que l’on a déjà, qu’il nous reste, au moins !, le double à vivre de ce que l’on vivra vraiment et, last but not least, que notre être perdurera par ce qu’il a laissé quand, déjà, le misérable petit tas de secrets qui le compose se délite doucement.
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