20/03/2015
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19/03/2015
Automne & Printemps (aperçu).
C’est bien à ce moment-là qu’on s’en rend compte, que « être ou ne pas être » n’est pas la vraie question. Que les choses reviennent, via cette feuille qu’on voit se débattre avec l’énergie du désespoir pour ne pas que le vent – froid, dehors – l’arrache à sa branche, qu’elle quitte l’arbre qui, bon an mal an, lui a donné toutes les satisfactions de sa vie de feuille, sans jamais lui citer Walt Whitman, par élégance. Tout est question de racines et de branches nues, au bout du compte, se dit-elle à cet instant, sa main posée sur la vitre laissant une trace de givre s’effaçant comme s’effaçaient, quand elle était enfant, les mots laissés sur le sable, quand il fallait quitter la plage, l’été. Avoir été, l’été, pas une de ses copines de saison, ni l’automne malade, ni le printemps tape-à-l’œil.
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18/03/2015
Ma banquière (quinquies).
Il m’a semblé qu’elle savourait l’instant, ma banquière, quand elle m’a dit que pour notre prochain rendez-vous, il faudrait compter deux heures, au moins. Rajoutant, immédiatement, qu’elle savait à quel point ça me coûtait, sans rien savoir, bien sûr, des transports dans lesquels elles me mettaient, elle et son allure altière. Cette symbiose entre nous, depuis que je suis devenu quelqu’un d’intéressant, client à l’emprunt, bon payeur et fonctionnaire d’Etat. Mes revenus annexes l’auraient intéressée, s’ils avaient été pérennes, mais les droits d’auteur ou les cachets d’intervention ne rentrent que rarement dans cette catégorie. Mes spectacles sur tabouret haut et musiciens de rêve non plus. Dommage. Mais elle induit un nous, ma banquière, un avenir possible entre nous, quand elle me dit d’un air complice que nous sommes larges, par rapport à l’échéance, à l’offensive programmée du notaire. Elle sait déjà tout de l’endroit où je vais vivre, en sait moins que moi sur Paul Valéry, mais ça ne fait rien : dans les couples, chacun doit apprendre de l’autre, hein ? Elle en sait plus que moi, a contrario, sur tous les documents qu’il faut pour prétendre à la propriété. J’en étais resté à Rousseau, moi, le terrain enclos, l’appropriation, les gens simples pour le croire. Mais non, il va falloir que j’embauche un spéléologue pour retrouver les papiers afférents dans mon système de rangement. Mais elle en sourit, ma banquière : sans doute parce que nous sommes larges. Ou parce que les deux heures que nous allons passer ensemble, dans un mois, deux, je ne sais pas encore, compteront double, sans sa carrière et dans sa vie. En attendant, j’ai gagné 0,05% par rapport à ma dernière visite : j’ai proposé de revenir demain.
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17/03/2015
Et ainsi de suite.
Sur vingt-deux personnes interrogées, vingt-et-une se foutaient allégrement de ce que l’autre pouvait bien penser d’elles.
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16/03/2015
L'instant d'après.
Bon, je suis le premier à penser que tout filmer et tout enregistrer ne satisfait finalement que son petit égo, mais il s'avère que cette rencontre-là a permis aux personnes présentes (j'étais déjà averti!) de connaître Christian Chavassieux sous un jour différent de l'excellent écrivain qu'il est : en exégète méthodique, pugnace, batailleur. Le travail qu'il a fourni sur mon oeuvre est remarquable, même si, parfois, la question ne tombe pas assez vite ou si le lien n'est pas évident. Pour lui, le temps passé à nous écouter se devait d'être proportionnel à celui qu'il a passé à me relire. Oui, relire. Pour cela, aussi, les spectateurs de cette belle journée de samedi doivent savoir (et ils le savent) qu'ils ont vécu quelque chose de rare. C'est son enregistrement, fourni par Christian, que je propose à ceux qui ont raté ça.
Chavassieux décortique Cachard (part.2) by Cachardl on Mixcloud
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15/03/2015
Bouquet Fleury.
Nous avons dû décliner l’invitation à rester dormir et profiter du charme du Brionnais, le lendemain : la salle des fêtes de Fleury-la-Montagne n’avait pas envisagé qu’un violoncelle hors de prix (dans tous les sens du terme) et quelques dizaines de milliers d’euros (cumulés) de matériel ne souffrirait pas le moindre risque couru. Et que leurs propriétaires n’en accepteraient même pas l’idée. C’est un concept qu’on vient d’inventer, râlait encore Gérard Védèche, le matin, quand on préparait deux pleines voitures de matériel « pour cinq chansons ». Les cinq morceaux que le combo joue au complet, qui terminent le crescendo scénarisé conduisant d’un bout de théâtre en solo (le temps d’entendre les premiers rires sur « Pôle Emploi », et qu’est-ce que ça fait du bien !), de trois chansons interprétées par Eric Hostettler seul avec ses pédales (« Faire l’hélicoptère », « le Café des Ecoles » et « Pas loin de la cinquantaine », cette chanson qu’il m’a offerte pour mon anniversaire, l’année dernière), d’une arrivée de Clara sur le « Alone » de Solima, qui nous installe, d’entrée, à un très haut niveau. A Fleury, la salle est garnie, il y a un peu moins de monde que l’après-midi, quand Christian Chavassieux m’a longuement soumis à la question : l’homme est érudit, pugnace et fidèle en amitié, pendant trois semaines, me soufflera sa douce au repas, le soir, il a mangé du Cachard, relu mes livres, cherché quelles en étaient les récurrences, les marques thématiques et stylistiques. Son analyse est raffinée, pertinentes, parfois, je me demande ce que je fais à ses côtés tant il suffisait de l’entendre parler de mon travail. J’ai un peu d’inquiétude sur le timing, mais il balaie ça d’un revers de la main, annonce aux gens présents que ça prendra du temps mais qu’on ira jusqu’au bout. Ce qui, après plus de deux heures trente passées dans la bibliothèque sans que personne ne s’en aille ni ne manifeste d’impatience, ne s’avèrera pas : Clara nous interrompt pour une question pratique, et l’on se rend compte qu’on n’aura pas le temps pour la troisième partie, celle de la condition et du travail de l’écrivain. De ses doutes, de ses asséchements, puisque je lui avais proposé d’aller jusqu’au bout, sans fausse pudeur. Curieusement, après plus de sept heures passées là-bas, à aucun moment le nom d’Aurélia Kreit ne sera prononcé… Signe prémonitoire que rien ne doit plus être dit sur elle avant que le livre existe. En attendant, il est temps, puisqu’on en a terminé, de passer dans la salle des fêtes juste en face, d’investir une belle scène que mes camarades de jeu ont installée, trois heures durant : fonds de scène, light-show, grands rideaux noirs, on est dans un décor sublime, théâtral, pour la première fois, nous allons jouer surélevés, ce qui confère une obligation, directe, de spectacle. On a commencé, donc, « Bonsoir, Fleury-la-Montagne », il fallait l’oser, on l’a fait, Eric, Clara, puis Gérard, qui s’installe, le Dobro scintillant. Le set, le nôtre, commence, les extraits s’enchaînent avec les chansons, « Au-dessus des eaux & des plaines » est toujours la plus belle du monde, la symbiose opère entre nous, c’est généralement le signe qu’elle fonctionne en contrebas, je profite de chaque instant – l’occurrence de tous les extraits que j’ai lus – parce que je suis un privilégié et que je le sais. L’expression éculée après ça je peux mourir, je la ressens à chaque fois que je suis installé sur mon tabouret haut, au milieu de mes musiciens. « Quantifier l’amour », « Ton Egide », « les perdants magnifiques », fou-rire inclus puisque Hostet’ nous gratifie d’un sample qui n’a rien à faire là. Il y a des pains, diront les musiciens, après, des approximations, mais ça tourne magnifiquement et l’on sait, nous, que, de toute manière, « l’Embuscade » va tout emporter : ce morceau adapté de « Tébessa » est d’une beauté sans faille dans sa construction, lente jusqu’à apocalyptique, et la voix, systématiquement, est rendue à celui qui l’a perdue il y a si longtemps. Ma maman, sa sœur, sont dans la salle, je sais qu’elles vont pleurer, comme à chaque fois, mais je sais aussi que ce sont des larmes de gratitude. Puisque le récital est rodé et qu’on en a fini avec le Beau, les impromptus commencent, celui de « Camille » avec Clara, qui me court après et rajoute des suites à la suite de Bach, puis le joyeux désordre, avec le « Petit oiseau » de Trénet que je chante avec Eric, enchaîné avec un bout de la « Supplique pour être enterré » de là où j’écrirai les prochaines chroniques, bientôt. J’adore ces moments où le talent et la fraternité se mêlent, ces petits bouts d’existence qui valident les directions que j’ai fait prendre à la mienne. Ces endroits reculés où les gens savent accueillir, loin de l’entre-soi des grandes villes, ça fait maintenant six ans que je les fréquente, sans me lasser. Il ne tient qu’à moi d’y revenir, avec de nouveaux projets, avec le même enthousiasme. De refaire le chemin, comme on peut le faire le lendemain, pour partager les moments dont on pensait s’être privé. La vie est là, simple et tranquille. Ah ça, effectivement, on peut dire qu’on aura vécu (sans guillemets, même à l’écrit, c’est insupportable) : private joke.
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14/03/2015
Rare Eicher.
En d’autres temps, on l’aurait sans doute cloué au pilori, mais les anathèmes ayant trouvé d’autres terrains de jeu, on a laissé Stephan Eicher jouer les apprentis-sorciers le temps d’une tournée avec des musiciens conciliants et peu frondeurs, puisqu’automatisés. Lui, le Suisse que la France et moi avons découvert en 1986, bidouillant, déjà, des ordinateurs pour créer des boucles et y ajouter sa guitare et ses paroles aléatoires. Près de trente ans après, devant un parterre garni qui semble l’avoir suivi, également, depuis ses débuts, Eicher, à peine sorti d’une sublime tournée défendant « l’Envolée », reprend la scène, seul, en Docteur Folamour de la musique, recréeant une ambiance mi-laboratoire mi-coin du feu, commençant par jouer un ou deux morceaux à la guitare, ou au piano, qu’il dit découvrir, comme à chaque tournée. Ses musiques étant exclusivement concentrées, d’après lui, sur les touches du milieu, il ne voit pas l’utilité d’un si grand clavier, mais il en joue, et doublement. Cette tournée sera expérimentale, et il s’essaie au jeu de théâtre, scénarise ses prises de parole, va jusqu’à descendre dans la salle pour chercher de l’énergie ou du réconfort. Eicher, qui n’aura été star que le temps d’un malentendu qu’il a lui-même réglé, c’est le copain qu’on a, pétri de talent, et toujours en mouvement. Tellement en avance sur les autres qu’on ne sait jamais vraiment là où il est : ça tombe bien, lui non plus. Ce qu’il a cherché, c’est à jouer des machines avant qu’elles se jouent de lui. Piano droit, tuyaux d’orgue lumineux, percussions, glockenspiel, les instruments, personnifiés par les touches de lumière qui s’agitent quand ils sont en action, apparaissent au public sous des formes humanoïdes, programmées, mises en action en crescendo, comme de vrais musiciens, dont ils épousent les grilles et, dans le lightshow, les ombres, parfois. Le batteur fait juste six ou huit mètres de haut, les baguettes fixées sur, séparément, la caisse claire, les cymbales, le tambour… Tout s’agite, et la magie opère, sans le Noël qui va avec. Stephan, en suisse-allemand, ramène ses souvenirs d’enfance à la surface, le quatre-pistes que son père lui a offert, les heures qu’il a passées à empiler les idées. Jusqu’à ce que sa mère lui dise de venir manger, ou de ranger sa chambre : ce sera le leitmotiv de la soirée, de la tournée, aussi. En ravivant ses machines, Eicher enclenche le premier « pot-pourri » de sa carrière, avant même qu’il le joue en rappel. Cette configuration, c’est pour lui la possibilité de ressortir les vieilles chansons, celles de 86 ou d’avant (« les filles du Limatquai » en tête), des chansons aux paroles simplistes, écrites en français par quelqu’un qui ne le parlait pas. Il le parle mieux qu’il ne le dit, maintenant, s’amuse – décidément – des identités suisse et française, demande au public s’il le veut sérieux, méthodique et « un peu chiant », donc Suisse, ou passionné, fougueux et très désordonné, genre Français. Je vous laisse deviner le choix de la salle, évidemment. Les paroles de Djian rappellent à ceux qui l’écoutent qu’un auteur comme lui, c’est une aubaine pour la chanson française, et qu’on peut donc dire des choses profondes et bien écrites dans un art mineur. Merci. « Rivière » revient, un bout de « Silence » me procure une émotion intense, j’ai trente ans de moins, et c’est beaucoup, sur quarante-six. « Eldorado », ma préférée, retrouve le chaos musical qu’il avait construit avec deux batteurs et une programmation en final. Tous les standards sont repris, avec une mention spéciale pour « Déjeuner en paix », qu’on finit par ne plus aimer parce qu’on l’a trop entendue, mais qu’il réorchestre en ballade, avant de laisser ses C3PO finir le boulot. Il a maîtrisé la foudre, via les ondes lumineuses, sonores et électriques de Nikolas Tesla, a fait en sorte que le rayon ne le transperce pas lui, mais soulève le public, enfin. Seul, il réussit le tour de force d’être multiple, démultiplié. De démontrer qu’un musicien accompli peut jouer de et avec n’importe quoi. C’est jubilatoire et émouvant, tant l’homme est simple, suranné dans sa joie et son plaisir. Assumant son côté passéiste quand il parle de l’époque, qu’il préférait à l’actuelle, où on lisait des journaux parce que des journalistes y avaient produit de la pensée. C’était avant BFMTV, dit-il. Il n’y avait pas de portables non plus. Déjà, à Saint-Etienne l’année dernière, il avait interdit qu’on le filme, habilement, en demandant au public de ne sortir les portables qu’au dernier morceau, qu’il soit diffusé par tous. Là, hier (déjà), il est venu en dernier lieu chanter l’intemporel « Tu ne me dois rien » en demandant aux spectateurs de régler leur réveil trois minutes après le début de la chanson. Je ne l’ai pas fait : je pars avec ses dernières notes. Il paraît qu’il est de retour en octobre. On ne sait pas de quelle année : 86 ou 2016. Peu importe : j’y serai. Et je pars à Fleury chaud patate: quand j'étais petit, je voulais faire comme Philippe Djian, écrire des romans et des chansons.
PS: le photographe n'est pas référencé, sur le site de "Figaro". Je remplacerai le cliché par un de ceux de Stéphane Thabouret, revu hier avec plaisir.
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13/03/2015
Paroles & Musique (7/7).
Je m’étais persuadé que je terminerais, que je ne pourrais que terminer cette liste-là par Barbara, qui m’a tellement accompagné dans ma vie de jeune homme, mais elle mériterait un classement à elle-seule, qui changerait tous les jours, de « la solitude » à « Pierre » en passant par « Marienbad », que j’ai chanté à Delphine Seyrig, sur sa tombe, en face de celle de Baudelaire. Barbara, l’incroyable ligne de contrebasse de « l’Aigle noir », les concerts millimétrés, les rituels, les transes… Mais non. Puisqu’il y a arbitraire, autant qu’il la touche elle, parce que de toute manière, elle me suivra jusqu’à la fin. Alors, pour terminer, qui ? Bashung, entre « Happe » et « la nuit, je mens » ? Gainsbourg, entre « l’Anamour » et « je suis venu te dire que je m’en vais » ? Eicher, que je vais voir ce soir pour la dixième ou quinzième fois, je ne sais plus, vingt-neuf ans après l’avoir découvert ? Puisqu’il faut choisir, je m’arrêterai sur cet homme dont les concerts sont des sommes de générosité et de mise à nu. Sur un texte qui rend sublime le fait de puer des pieds, du niveau du livre du même nom, d'Albert Cohen. Sur un moment de télé qui voit deux pitbulls ricaneurs se liquéfier devant tant d’émotion. Arno, c’est un monstre de tendresse et ce texte-là, issu d’un album comme il en sort un tous les vingt ans (« Arno à la française », avec un « Comme à Ostende » dantesque), qui donne à la belgitude tous les honneurs de sa culture. Celle qu’on s’approprie quand ça nous arrange.
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