28/11/2014
La haine des absents.
Comment est-ce qu’on vit avec les absents, ceux dont on nous a annoncé brutalement, en une seconde, qu’on ne les verrait plus jamais et qu’il faudrait se contenter, pour le restant de nos jours à nous, de ce qu’ils nous ont laissé comme souvenirs, comme traces, comme marques de permanence ? Déjà, toutes nos vies nous ont habitué à ça, en moins pire : les deuils amoureux, les amitiés qui se perdent, sans explications, les portes qu’on ferme sur des moments qui nous avaient semblé indélébiles. Comment est-ce qu’on fait ça quand, en plus, celui qui est parti a pris soin d’ancrer des mots qu’on lui a confiés dans une forme d’éternité, revendiquée à l’aune de nos post-adolescences d’alors ? Comment est-ce qu’on peut s’accommoder de ces « Ouessant » à partir desquels on a accumulé les années, sans toujours leur trouver du sens, quand lui les a inscrits dans une mythologie qu’on consulte avec mélancolie ? Je vis avec cet homme depuis douze ans, après les deux petites années qu’on a passées ensemble. Même si je n’ai pas tenu tous mes engagements, auprès des siens, par crainte, par paresse, par peur de l’effet-miroir, même si j’ai gagné en fatalité sur ce qu’on a fait, si j’ai accepté qu’on ne puisse pas, techniquement, remplacer son aléatoire jeu de guitare, son très mauvais harmoniciste, même s’il m’arrive, souvent, de penser qu’il vaut mieux être vivant que mort, quelles que soient les difficultés de la vie, je vis avec lui, et n’oublie pas que son dernier 28 novembre, il l’a passé dans les studios d’Eloise, pour une première, pour la première session de ce morceau de 16’40, qui ne colle pas beaucoup avec les formats radios, cette histoire d’un homme de trente ans qui va passer une nuit à Ouessant pour se convaincre qu’un cap n’est jamais infranchissable, et que l’important, ce n’est pas d’y avoir été, mais d’y être allé. Un sentiment que j’ai encore éprouvé en Ukraine, il y a peu. Ce 28.11 là, nous avions le monde pour lui, nous étions heureux, à l’avance, de le conquérir. Il aura passé sans nous, avec un peu plus, quand même, de moi que de lui. Mais il est en exergue de Tébessa, avec ce « Nocturne » qui m’étourdit à chaque écoute, il est dans mon présent puisque je n’ai jamais accepté qu’il fasse mon passé. J’ai beaucoup écrit sur lui, aussi, il me l’aurait reproché, ce sentimentalisme, l’aurait évacué d’un rire sonore et d’une vanne bien sentie. Ou d’une de ses formules, que je n’ai pas oubliée (litote) : Ce fut, et ce fut bien. C’est fini, c’est très bien (antiphrase).
Ouessant (Laurent Cachard/Fred Vanneyre) - NADA... par cachardl
12:11 Publié dans Blog | Lien permanent
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