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15/05/2012

Au Colophon des routes (1/4).

522918_2145892304183_1752541804_1011111_804540861_n.jpgDix éditions des Rencontres du IIème titre, c'est mieux qu’afficher deux rencontres de la dixième édition, plus aléatoire. Même si Tatiana Arfel, tout à l'heure, a sollicité Romain Gary - pour qui, citation apocryphe, on ne devient écrivain que quand on a rempli une étagère de sa bibliothèque avec ses livres - pour renchérir sur Dan Simmons* . Je repense à cette femme qui m'avait dit d'un ton péremptoire qu'on n'accédait au rang qu'au bout de dix éditions. C'était facile, pour elle qui n'écrivait pas et moi qui ne le disais pas, de croire que c'était vrai. Moins maintenant de tenir un décompte sensé: déjà que je viens pour un 2ème roman que j'ai écrit après le 3ème, lui-même 3ème à compter du 1er qui n'est 1er que parce qu'on l'a décrété pour nous. Quid de ce que qu'on a dit de moi, il y a une heure, alors, de ces autoéditions, ces plaquettes faites main, des manuscrits restés dans les tiroirs? De ces nouvelles, pas éditées encore? Que faire, dans le décompte, de ces Confidences Indistinctes, jamais référencées, seize pages in quarto découpées à la main, huit confidences amoureuses devant se dire, chacune, en vingt secondes exactement. Douze ans après - alors même que la R2T n'existait pas encore - ces Confidences restent mon plus beau souvenir d'édition et pourtant, elles tiennent dans la poche d'une chemise. Comme quoi. Carole Martinez, Isabelle Kauffmann, n'en sont pas non plus à leur deuxième essai, mais puisque l'appellation est belle et cooptée, on va jouer le jeu. Dans la Cour d'honneur de chez Colophon, plus belle encore que celle du Palais des Papes. Plus chaleureuse que le Château qui surplombe, celui de la Marquise tutélaire, ici, à Grignan. Que je ne visiterai plus que guidé par Philippe et sa contre-histoire, la lamentable (c'est lui qui revendique le terme!), pas l'officielle. Celle qui ne dit pas qu'elle a échoué ici parce qu'elle a refusé d'assister au lever du Roi-Soleil, priapique matinal et malodorant. Philippe, c'est le dernier typographe vivant : dans son atelier, empreint des odeurs d'encre, d'huile et de papier, il explique avec passion ce qu'Orsenna a mis en mots dans  le 3ème volet de son traité de mondialisation sauf que lui, Philippe (paronomase ou chleuasme?) lui a consacré toute sa vie. Il explique, démontre, cabotine, nous apprend que l'italique, c'est l'écriture de Pétrarque reproduite, que Gutenberg a ceci de commun avec le Président de la République fraîchement débarqué qu'il doit son nom public à celui à rallonges qu'il a su raccourcir. Les poinçons, la matrice, en une seconde, il "monte" Colophon, le mot, et le passe à la presse. Le fond dans l'étain et nous le donne à toucher, tout chaud. On l'écouterait des heures et à cet instant, c'est rare, toute la chaîne du livre est réunie: les auteurs, le typographe et, en face de l'atelier, de l'autre côté de la cour aux acacias, le libraire. La libraire, les deux libraires, Chantal et Peggy. Militantes, engagées, indépendantes. Dans la boutique, dès qu'on entre, nous voilà prévenus : "Ici, on se la pète pas." Ça tombe bien, c'est mon credo : prendre la littérature très au sérieux, pas l'écrivain. Invité, qui plus est, par un groupe, une association éponyme, qui l'a élu, sélectionné. Dans les quatre, puisque c'est le nombre choisi. Dans les quarante, donc, puisque ça fait dix ans. Grignan, une libraire de mes connaissances m'en avait parlé, un an plus tôt, conseillant à mon éditeur de tenter le coup. Ce qu'il a fait. Après, j'ai oublié, la libraire - douloureusement - et la sélection. Me disant qu'elles n'étaient pas pour moi. Qu'il y avait plus prestigieux que moi et ma "partie de cache- cache" à choisir. Je me trompais, sur tous les plans: d'abord parce que j'ai reçu, alors que je pensais la sélection passée, mon invitation à ces rencontres. Puis un appel, quelques mois après, de Denis Bruyant, président (j'imagine) de l'association, pour me dire qu'après d'âpres délibérations, menées par Laurence Tardieu, c'est mon livre qui recevrait le prix distinctif. Prix du 2ème roman. Devant "Du Domaine des murmures", devancé de deux voix pour le Goncourt... Difficile de le croire, mais facile de l'accepter : Grignan, l'ai-je dit à Denis, c'est déjà agréable d'y aller, alors y être invité, et en plus primé, il faudrait être retors pour faire la fine bouche. Je me trompais d'autant plus qu'on peut avoir reçu toutes les récompenses de l'année, avoir été conviée partout et venir quand même avec le sourire et l'humilité d'un novice, comme l'a fait Carole Martinez. Qui me dira en aparté dès le premier jour que j'aurai sans doute le prix, au vu de ce qu'elle avait perçu des personnes présentes dans le public. C'était gentil de sa part, déjà : à ce moment- là, les deux auteurs qui discutent sont séparés de quelques centaines de milliers de ventes, mais réunis dans le même instant, sans hiérarchie ni mythologie. Je n'aurai de cesse de dire, sur ces deux jours, que je tiens son roman pour un de ceux qui comptent dans une vie et, à son corps défendant, dans l'histoire de la littérature. Quand Denis mène la première des tables rondes sur le passage du premier roman au deuxième et, plus généralement, sur notre rapport à l'écriture, nous n'étions pourtant pas sur la même longueur d'ondes. J'ai répondu contrainte là où elle disait plaisir, douleur là où elle pensait rêverie. Nous ne sommes néanmoins pas loin l'un de l'autre quand elle confie que, dans son imaginaire d'enfant, elle montait les marches de l'escalier le plus vite possible pour arriver avant que la lumière s’éteigne : dans ces cas-là, pensait-elle, elle aurait une bonne note à sa rédaction, déjà rendue. Quand moi, je marchais vers l'école en me prenant pour « l'Etalon noir », de Walter Farley. On embraye sur l'arrière- cuisine, les plans, les méthodes d'écriture. Isabelle Kaufmann, avec qui j'ai fait le voyage, est oto-rhino-laryngologiste, chirurgien, compositrice et romancière, elle ne nous dira pas qu'elle ne s'organise pas. D'autant qu'il faut qu'elle intègre, dans son "Grand Huit", des fragments d'histoire de la physique que tout le monde doit comprendre. Tatiana Arfel a fait huit pages de plan pour "Des Clous", réquisitoire acide contre le libéralisme sauvage et déshumanisant de l'entreprise. Carole et moi ne faisons pas de plan. Ou alors qu’on perd, ou qu’on ne suit pas. « Du Domaine des Murmures », dira-t-elle plus tard, devait initialement faire le portrait de six femmes contemporaines pour n’en garder, au bout du compte, qu’une seule – enfin, une principale – et l’inscrire dans une époque, le Moyen-âge, qu’elle dit avoir toujours détestée, jusqu’à ce qu’elle y travaille réellement. Parce que l’essentiel est là, dans les rencontres avec les lecteurs : il ne s’agit pas seulement qu’ils nous voient, il s’agit qu’ils comprennent, puisqu’ils le demandent, à quel point chaque exercice d’écriture est une démarche, un chemin. Une épreuve, parfois. Que le sujet s’impose à nous, souvent, mais qu’il nous malmène, parfois. On échange des expériences, on parle de centaines de pages auxquelles on renonce, de personnages qui interviennent alors qu’on ne les attendait pas et qui, ponctuellement, décident d’une issue. Ces fins qu’on ne connaît pas toujours mais dont on sait celles dont on ne veut pas. Le public n’est justement pas au spectacle, c’est là l’avantage des groupes de lecteurs : ils en savent quasiment autant que nous sur le roman dont on parle, je sens bien qu’une fois le quart d’heure de courtoisie passé, il va falloir aller plus loin. Dans le nerf de l’écriture, le sel de chacun des quatre romans. Le lieu, les personnalités qui encadrent l’événement, tout cela détermine un rapport à la lecture et à l’analyse de la lecture : ce sont des oraux, une fois la table ronde terminée, que l’on va passer. Dans la lettre d’accueil, il est écrit, amicalement, que nous serons soumis à la question. Evidemment, il n’y a pas d’enjeu ni d’angoisse liée à la personne : Isabelle Kaufmann, le soir, me dira à quel point il est pénible, parce que d’une telle vanité, de dire je, je en permanence, lors des entretiens. Non, l’enjeu est lié au roman, à ce qu’on va en dire. Quand on est en face de personnes qui ne l’ont pas lu, il faut leur donner envie. Quand, comme à Grignan, on est majoritairement en face de personnes qui en ont déjà débattu, parfois durement, il s’agit de ne pas décevoir l’image qu’elles en ont. C’est sans doute pour cela que Christelle Guy-Breton, qui devra attendre le dimanche après-midi pour m’interroger, me regarde évoluer d’un air inquiet puis tente timidement de m’aborder, à tâtons. Je la rassure d’un côté, l’effraie de l’autre. Parfait : on y sera pleinement, dans la partie de cache-cache.

Photo Bernard Burgher©

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14/05/2012

État second.

Je sais ce que je vais faire pour ne pas que ces belles journées de Grignan s'inscrivent trop vite dans le passé.  Je veux dire plus qu'une note pour raconter tout ça, puisqu'elle n'en dirait pas le millième. Je ne lâcherai rien, là, de suite, mais je le sais. Les sujets s'imposent le plus souvent à l'écrivain, c'est à lui de ne pas passer à côté, c'est sa responsabilité. Je prends date, alors.

19:29 Publié dans Blog | Lien permanent

13/05/2012

Prix du Deuxième roman, Grignan 2012.

50881544.jpgCher Laurent Cachard,

Comme je n'ai pas pu venir aujourd'hui pour la remise du prix, j'ai eu envie de vous adresser ces quelques mots.

Merci pour ce beau et singulier roman que vous nous avez offert. J'ai aimé la grande clarté et précision de votre langue pour exprimer toute la gravité de l'enfance. Est-on d'ailleurs encore dans l'enfance? Cela a été un des débats lors de la délibération. J'ai aimé cheminer avec vos personnages, éprouver avec eux combien la faiblesse, les fragilités, les failles du monde des adultes depuis longtemps pesaient sur eux, et les façonnaient.

Il m'a semblé, en lisant votre livre, qu'à la fois vous étiez dans une grande maîtrise (limpidité de la langue, pas d'effets, monologues secs et ciselés), mais qu'à la fois tout ceci, finalement, vous échappait. C'est ce qui m'a, à moi, beaucoup plu. Ecrire, n'est-ce pas aller là vers ce qu'on ignorait, et que seule l'écriture nous révèle?

Votre livre m'a laissé une empreinte forte, étrange, durable. De cela aussi, je vous remercie.

Je vous souhaite de continuer avec joie votre route d'écriture. Soyez tenace et perdez-vous un peu, sans trop vous égarer. J'espère que des fées, de temps à autre, se pencheront sur votre route, pour vous donner du courage, vous dire que vos mots ne sont pas vains, qu'ils nous emportent.

Laurence Tardieu

Cette lettre, lue publiquement lors de la remise du prix du Second roman, tout à l'heure, à Grignan. Au risque de décevoir, je n'en dirai pas plus, pas ce soir. Il faut que je digère l'émotion, réelle. Celle d'avoir été lu, écouté et - j'ose - apprécié. Grignan, tel que je l'imaginais, m'aura validé dans ma démarche. Là aussi, avec pugnacité, je reviendrai: la littérature, l'écriture, sont des sports de combat, bon sang de bonsoir! 

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Grisant Grignan.

Belle première journée, ici, à Grignan, pour ces rencontres du IIème titre qui commencent, comme souvent, par quelques sourires intimidés et se terminent par une franche  et réelle complicité. La première table ronde pour ouvrir ces rencontres porte sur le thème, local, du deuxième roman. Chacun des auteurs présents explique ce qui l'a fait passer d'un premier récit à la volonté d'en écrire un deuxième. Volonté ou nécessité, chacun y va de son credo. Denis Bruyant, qui anime la rencontre, interroge chacun des auteurs sur son rapport à l'écriture, ose la question de l'apport  de chacun à LA littérature. Personne évidemment n'ose répondre. Chacun ici, quel que soit son rapport à la notoriété, suit son bonhomme de chemin,  écrit et continue d'écrire. Les troisièmes romans sont en cours, le mien est déjà sorti mais personne ne le sait. On parle du corps de l'écriture, lié au plaisir pour les uns, à la contrainte pour les autres. De l'état de l'écrivain, de la culpabilité, parfois, qu'il éprouve à faire ce qu'il fait. Le vent se lève un peu, déjà, dans la cour du bailli et le pollen des acacias commence à irriter les gorges. Mais Denis Bruyant tient à nous interroger sur la cuisine interne: sur les plans que l'on a faits en amont, ou pas, sur les auteurs qui nous inspirent. Chacun exprime un pan de sa personnalité, toutes sont différentes, c'est le sel d'une sélection. Je lâche Céline, sans savoir que nous en reparlerons une bonne partie de la nuit... Isabelle Kaufmann, dont le père se récitait, dans les camps de concentration, des pans entiers de poésie, a des raisons de lui en vouloir. Mais l'essentiel, à Grignan, est plus léger et surtout ailleurs. Dans la lecture d'extraits des œuvres, et ce bout de Cache- cache qui fait taire, encore. Dans les deux premières tables rondes qui donnent plus envie, si c'est possible, de lire les auteurs, de les connaître davantage. J'ai lu les œuvres, j'hésite puis participe. J'entre dans le débat, je voudrais avoir assisté aux délibérations du jury, à ces empoignades et à cette élection, dévoilée demain. C'est Grignan, c'est majestueux et intime à la fois. Mes pensées s'évadent, souvent, et je me dis que, plus que jamais, je me dois à l'écriture. Au moins autant que mes camarades. Tatiana Arfel me dit qu'elle a des plans pour moi. Carole Martinez qu'elle sort de 200 rencontres depuis la parution du "Domaine des murmures". Je suis dedans et dehors à la fois. Mais pas hors champ. Écrivain en résidence, chez la Marquise. On fait pire, dans une vie.

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11/05/2012

Grignan 2012

Image 1.png« La partie de cache-cache » est un roman que mon éditeur n’a pas aimé. Et qu’il n’aime sans doute toujours pas : trop de douleur, trop de non-dits, la transition, pour lui comme pour d’autres, a été rude avec « Tébessa ». Ce roman qui, à moi, m’a coûté un temps, celui du quiproquo, quand les lecteurs de Lettres Frontière, enthousiastes, finirent par confondre le personnage de Gérard et l’auteur du livre, qui pensait qu’ils allaient être surpris avec ses trois psychopathes à suivre… Claude Raisky, qui n’édite que ce qui lui plaît (c’est son credo) a pourtant accepté de travailler le roman et, au bout d’un long cheminement, de l’éditer. C’était – la parenthèse « Dom Juan » mise à part – mon 2ème roman édité, celui dont, demain, des lecteurs vont me reparler. Il faudra que je dépasse la sensation d’imposture, puisque, si c’est bel et bien mon 2ème roman édité, ce n’est évidemment ni le 2ème écrit, ni même le 2ème dans mon ordre intime, puisque j’ai écrit « le Poignet d’Alain Larrouquis » après avoir décidé d’arrêter de me faire du mal avec cette « partie de cache-cache ». c’est donc le 3ème qui a fait le 2ème, j’espère juste que, dans un an, on m’appellera, ici ou ailleurs, pour parler du PAL. Parce qu’il y a pire que d’être invité à Grignan pour y être récompensé : il y a le lendemain, quand tout est terminé et que les lecteurs, naturellement, passent à autre chose. Pour des auteurs connus, le risque est moindre : quand ils reviennent, on s’en souvient. Je ne demande ni la célébrité ni le privilège : je tiens juste, quitte à user de la damnation cache-cachardienne, à ce que je n’y aille pas pour rien. Je ne sais pas ce que j’y dirai, par contre, ni, comme à mon habitude, comme chez « Jules & Jim » le 26 novembre de 2011, j’y lirai un extrait du livre à suivre. Ou de Camille. Je ne sais pas. C’est sans doute pour ça qu’on m’invite.

NB: je tiendrai bien sûr, comme en 2009, la chronique en direct - et tard dans la nuit - de ce week-end chargé.

 

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10/05/2012

Dumping & vide-ordures social.

des clous.jpgTatiana Arfel n’est évidemment pas la première à s’attaquer à la logique destructrice et autodestructrice de l’entreprise. François Emmanuel, entre autres, dans « la question humaine » faisait déjà l’analogie, perçue par un psychologue d’entreprise, entre les mécanismes nazis et les « team buildings » censés souder des êtres entre eux en les soumettant à concurrence. Dans « Que les gros salaires lèvent le doigt », il y a trente ans, Granier-Deferre nous faisait grincer les dents sur les nouvelles méthodes de management, direct from the States. Anglicismes souhaités. Comme dans « Des clous », trois-cents pages d’un passionnant roman choral, qui met en scène un procès stalinien qui ne dit pas son nom : six employés de la firme HT (contraction de Hautfort, son créateur et maître) se voient sommés de suivre un séminaire de remotivation dont la finalité est déjà décidée : licencier ces improductifs  sans indemnités. Pour faute grave. Sauf que dans ce cas précis, l’opération - diligentée par Sabine, DRH et animée par Denis, un comédien raté qui a falsifié son CV pour prétendre au rang plus rémunérateur de coach d’entreprise – vise à faire en sorte que les déjà-condamnés dénoncent eux-mêmes leurs manquements à la norme. Une norme ultra-procédurière, totalitaire : chez HT, par cercles concentriques, mais aussi par électrodes et tests de personnalités, on demande aux employés de rationnaliser leurs pensées (« Vous êtes trop pleins de vous-mêmes »), leur corps,  leur vocabulaire. De dissocier le temps donné à l’entreprise de celui qu’on lui prend : plus de contact humains, une hiérarchisation de tous les instants et une condamnation immédiate de toute faiblesse. Plus de vie privée, non plus. Toutes les références sont évoquées dans le roman, à travers les pensées des protagonistes. Quand on pense « 1984 » - la novlangue ou le Ministère de la Pensée – elle le dit, via un de ses personnages, Sonia, linguiste de formation et confrontée, entre autres, aux affres du Protocole de Vocabulaire purifié. Auquel, par jeu, on confronte les plus beaux textes littéraires, par souci d’efficacité. L’efficacité, maître mot de l’entreprise : chez HT, les yuppies se nourrissent de la reconnaissance de leur chiffre. Par ceux qui la leur contesteront juste après. Les enthymèmes énoncés sont ceux des Sonderkommandos : dénoncer avant de l’être, survivre à celui qu’on abat. 84, donc, mais aussi « Le Meilleur des Mondes », « Les Temps modernes ». "Huis-Clos" et les pupilles d'Estelle. Jusqu’à l’ironie d’un Bertrand Cantat dénonçant les hommes pressés. Le roman se construit par cercles, on suit les évolutions des « non-conformes » et des « conformes », comme annoncé en page de garde. Comme dans les tragédies. On suit l’évolution, d’abord sur plusieurs années (98/2004) des personnages suivant leur ordre d’entrée dans l’entreprise. Le rang compte peu dans cette histoire : on condamne aussi bien en cuisine qu’en RH, au motif bien connu qu’il faut se séparer de ses collaborateurs avant qu’ils ne conspirent. Ça a marché à Athènes, à Rome, à Berlin, à Moscou, ça marche à Paris, aussi. Cette capitale d’une France que Hautfort déteste pour cette manie qu’elle a de protéger encore le « matériel ». La main d’œuvre. HT est une allégorie de ce que l’homme fait de pire, sous sa plus belle figure : racisme, misogynie, homophobie, harcèlement. Le tout dans une atmosphère feutrée et aseptisée, puisque même les plantes vertes n’en sont plus.  Les réunions se tiennent dans des salles qui portent des noms de Dieux : Jupiter, Uranus, Pluton… C’est un des grands trucs du libéralisme sauvage que de s’abriter derrière la mythologie. Arfel aurait pu se contenter de dénoncer un monde qu’elle n’aime pas mais qu’elle a vraisemblablement étudié de près, mais elle fait mieux : elle montre, dans l’avancée narrative, comment ce poison-là de l’amoralité chemine chez les plus faibles d’entre eux, à commencer par ses victimes. Quand il leur est donné de se défendre ou de riposter, intelligemment, quand on leur permet d’opposer, puisque ce sont les concepts qui s’imposent, l’humanité à la barbarie, ils hésitent encore, se défaussent, regimbent. On ne se défait pas facilement de tels mécanismes d’auto-évaluation auto-humiliants :  à force de diagramme de Lurgh et de théorèmes de l’agrafeuse, Sonia a arrêté de lire, Laura de faire du sport, Rodolphe n’avance pas dans sa thèse, Francis dans sa tête… Denis, même, manque de basculer : dans le bar qu’il fréquente habituellement, il lui semble se revoir avec ses amis comédiens, par effet de miroir, et ne pas se reconnaître. Il faut une aide extérieure, nous rappelle « Des Clous », des compagnes ou des maris, des enfants, des bistrots à l’ancienne. Les bourreaux, eux, ont tous une faille, mais ils en ont fait une force, dans ce système moins exigeant intellectuellement qu’il ne l’est socialement : Sabine, l’arriviste, est fille d’un ouvrier, militant PCF, qui s’est tué à la tâche sans rien obtenir. Par revanche, elle incarne tout ce que contre quoi son père a lutté. « Stéf le killer », meilleurs ventes de tout HT, est un être faible, qui cache ses angoisses sous des allures de matamore. Hautfort, lui, s’autoproclame démiurge, mais n’a pas su retenir sa femme, dix ans avant. A tous ceux-là, oui, « la vraie vie fait peur »… Les deux « classes » vont se jauger et le mérite de « Des clous » n’est pas seulement – sans rien dévoiler de l’intrigue, ni du mort, ni du résigné – de rassurer le lecteur sur l’humanité elle-même. C’est de montrer les sauveurs de cette humanité sous des apparences de sans-grade, d’immigrés, d’éducateurs spécialisés, tous capables pourtant - puisque "l'homme sans beauté va mourir" - de réciter qui du Ionesco qui tel conte berbère. Le lapin pressé d’Alice n’importe pas quand on lui oppose Roman & Sélim, à qui on a pourtant tout enlevé, jusqu’à son balai, sauf la sagesse. Roman dit de Hautfort « lui pas connaît livres » et là, tout s’inverse : les systèmes de (fausses) valeurs qui placent, dit Arfel, les romans de scénaristes en tête de gondole, les émissions de télé-réalité en tête des programmes, les comédies musicales en tête des charts et les délégués syndicaux en queue de peloton. C’est Roman, aussi, qui rend le titre polysémique : plus que « rien du tout », « Des clous », ici, dit-il, vient du dicton « Clou qui dépasse souvent rencontre marteau ». Mais les clous, comme les caves, se rebiffent parfois. Les métèques aussi, qui ne « hamsterisent » plus: quand j’entends parler de Moustaki dans un livre (moi qui ai placé Paco Ibanez dans le PAL), je ne sais pas pourquoi, mais mon temps de cerveau se rend immédiatement disponible. Comme quoi, on lâche rien. Arfel non plus, visiblement. Merci.

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09/05/2012

Don Palabras de Nada.

CACHECACHECOUV.pngIl y a beaucoup de dates dans « la partie de cache-cache ». Il m’a fallu vérifier et revérifier, avec mon éditeur, que mes calculs étaient bons, ce qu’ils n’étaient souvent pas. Calculer les intervalles pour que les élèves soient justement scolarisés à onze ans, arriver pile-poil sur le 4 mars 1970, qui n’était pas une date prise au hasard non plus. C’est le paradoxe de mon statut d’auteur-kamikaze : partir d’un élément qui ne dit rien à personne sauf à moi, puis construire une histoire autour, jusqu’à retomber sur mes pattes. Et, quand la reconnaissance des lecteurs arrive, fussent-ils peu nombreux, se féliciter d’avoir davantage ancré ce détail-là dans sa mémoire et dans la mémoire collective que la réalité ne l’a fait. On écrit pour rien, en fait, mais d’un rien qui nous est essentiel. Ce qui fait qu’actuellement, il me faut remonter la hiérarchie et les différents postes des manufactures de sucre en Ukraine au tout début du XX°s. Tout ça pour quatre syllabes qui m’ont parlé et que je ne veux pas laisser tomber dans l’oubli. 

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08/05/2012

Fin de partie alternative.

Je l'ai cherchée dans mes nombreux fichiers, cette fin que personne n'aura lue de "la partie de cache-cache". Et pour cause: elle n'a pas été éditée, cette dernière scène dont l'éditeur n'a pas mis longtemps avant de comprendre que je l'avais rajoutée pour ne pas me dire que le roman était terminé. Je l'ai donc enlevée sans scrupule, puisqu'elle n'apportait rien. Rien d'autre que d'entendre une dernière fois la voix d'Emilie. C'est donc une curiosité que je livre ici, à ceux à qui je m'apprête à parler du roman. Rien de plus.

IMG_0582 copie.jpg"J’ai eu le même réflexe, je l’ai cherché partout. La scène de l’enterrement, je l’ai vue comme j’avais vu la mienne, sauf que tout me rappelait que c’était vrai quand je me le demandais. J’ai touché le cercueil, me suis demandée si c’était du bon bois, si Jean l’aurait choisi comme ça. Le bois, pas le cercueil. J’ai regardé les personnes autour, elles attendaient qu’il se passe quelque chose mais ça n’avait plus rien à voir avec celui qu’on accompagnait. Elles attendaient que les choses soient dites, qu’on remonte un peu plus loin que les années que Jean avait vécues. Les regards allaient de Mme Fortime à son père, mais aussi à ma mère. Moins vers Papa, qui reste le bon gars, celui qui n’a rien choisi.  Je regardai ça avec le regard de Jeannot, avec dureté, l'air de dire de ne pas s’aventurer. Ils m’ont laissée tranquille, ils auraient beau jeu, après, de dire qu’il ne fallait pas me brusquer. J’ai vu ce qui se jouait entre eux pendant que le curé parlait, compris qu’ils ne savaient rien mais  prétendraient avoir deviné. Que M.Fortime redeviendrait le peintre et que ce serait dit avec méchanceté. Ils diraient qu’à force de jouer avec le feu, il l’avait trouvé. Ça voulait dire, chez eux, que quelqu’un dont on ne connaît pas le passé ne peut qu’attirer les ennuis. C’est une logique, dans le Berry : quand on a des zones d’ombre dans sa vie, il ne faut pas s’étonner qu’elles deviennent des fantômes. Et ça, je sais que rien ne peut l’arrêter, sauf de quitter le village. Comme la mère de Grégoire, qui n’y a jamais vécu. Mais les Fortime, s’ils s’en vont, les gens d’ici diront que c’est parce qu’ils avaient quelque chose à se reprocher. Et je ne les vois pas partir ensemble, ils ne se tiennent même pas la main au cimetière. Personne ne donne la main à personne, d’ailleurs. Papa et Maman, ce n’est même pas la peine d’y penser : ils ont de la peine tous les deux, mais ce n’est pas la même. Maman est dans un de ces moments où elle a l’air de n’exister que pour elle-même. Je ne sais pas à quoi elle pense : elle ne s’est jamais intéressée à Jean, ce n’est pas lui qui peut la mettre dans ces états. Pas que j’aie pu y passer à sa place non plus. C’est quelque chose qui ne regarde qu’elle et elle pourrait tuer si on lui demandait de quoi il s’agissait. Quand elle a son regard de folle et que Papa baisse les yeux, j’aimerais pouvoir disparaître, je ne dirais pas non si je pouvais prendre la place de Jean. L’accompagner, comme le dit le curé, mais vraiment, pas comme eux, qui rentreront tranquilles juste après.

On ne m’a même pas laissée le voir depuis que ça s’est passé. Papa a appelé Esther Rochant, elle est venue jusque chez nous, on n’est pas allés à Bourges. Il n’était pas question de crêpe au chocolat. Ça n’aurait pas choqué Jeannot que j’en aie envie quand même. Elle m’a dit qu’il fallait qu’elle parle d’abord à mes parents, qu’elle allait revenir. J’étais trop faible pour écouter aux portes mais j’ai entendu Maman crier fort, puis se taire. Papa parlait doucement, qui lui répondait sur le même ton. Quand elle est revenue dans ma chambre, elle m’a regardée d’une façon qui semblait dire qu’il allait falloir que je m’en sorte seule, que je n’aurais plus Jeannot comme soutien, plus mes parents non plus : Papa n’allait plus pouvoir faire face. Elle m’a fait parler de Jean, pas de l’accident. J’ai aimé parce que ce n’était pas triste, on s’est retrouvées à parler comme deux copines, même si on ne riait pas. J’ai l’habitude de ne pas rire avec mes prétendues copines, mais elle n’allait pas médire une fois partie. J’avais confiance, ça m’a fait du bien, mais j’ai su que je ne pourrais plus en parler à personne, que j’allais grandir avec cette image-là. Quand on a eu fini, elle m’a dit qu’elle allait me donner de quoi me reposer, que ça ne me ferait rien de spécial, qu’il fallait que je continue à penser à Jean de la façon dont je lui en avais parlé. Je lui ai demandé si j’allais pouvoir le voir, elle m’a dit que ma mère ne voulait pas, que c’est pour ça qu’elle avait crié. Que mon père n’avait rien dit. Et que la maman de Jeannot ne voulait pas mettre les pieds chez Fortime, que je n’irais donc pas non plus. J’ai essayé de faire comme elle quand je sens qu’elle me fait parler, comprendre si ce qu’il y avait derrière ça était dû à la partie de cache-cache, mais elle est habile, Esther Rochant. J’ai apprécié qu’elle me parle comme à une grande personne. Elle n’a rien dit de plus, m’a conseillé de dormir, pour éviter les disputes : je me suis dit que ça devait être bien d’avoir une mère comme elle.

Au cimetière, plus on se rapprochait de la fin, plus j’avais envie de faire quelque chose qui marquerait cette journée qu’ils allaient oublier. Quelque chose dont on parlerait encore dans des centaines d’années, qui ferait qu’on raconterait mon histoire et celle de Jeannot mêlées, à voix basse et craintive. J’ai pensé leur crier de s’en aller, qu’il ne les avait jamais aimés. J’ai pensé à m’enfuir, courir jusqu’au bois, qu’ils aient le temps de penser au pire. Prendre Papa à partie, lui demander de dire en public pourquoi je l’ai vu s’arrêter un jour, dans l’atelier du peintre, devant un garçon allongé devant une balançoire vide. Pourquoi ils ont l’air de partager tellement de choses qu’ils ne peuvent pas se les dire. J’ai pensé à tout ça, quand les croque-morts ont commencé à jeter de la terre sur le cercueil, j’ai revu la petite colombienne, ses yeux fixes, comme ceux que Jeannot poserait sur nous, sur nous tous si je ne faisais rien. Me jeter dans le trou, me laisser recouvrir de terre, montrer à ma mère qu’on peut, même à onze ans, avoir aimé quelqu’un et lui montrer jusqu’à la fin ?

J’en étais là quand mes yeux se sont posés sur Grégoire. Il était avec sa mère, qui ne le lâchait pas, une main sur son épaule ; mais c’était à se demander lequel soutenait l’autre. Lui aussi avait pris dix ans dans l’histoire, mais ne montrait rien. Sa mère pensait le protéger des regards, des reproches pas encore dits : on peut sauver quelqu’un de la noyade, pas seulement s’occuper de celle qui s’en est sortie. Mais personne ne sait rien de ce qui s’est vraiment passé, il en est conscient, Grégoire, il sait  qu’il restera celui qui m’a sauvée. C’est la première fois qu’on voit sa mère au milieu des mères des autres, c’est déjà une victoire pour lui. Elle est belle, Mme Perrot, plus belle que les autres, Maman comprise. D’abord parce que Maman, elle a beau se moquer des mes plaques quand il lui prend d’être méchante, elle n’est pas particulièrement jolie. Elle l’a peut-être été, mais il faut croire que la méchanceté abime, alors. Les autres mères, elles se sont usées dans les tâches, elles sont sèches, ne sourient plus : un jour, elles ont dû arrêter de se maquiller en se disant que ça ne servait plus à rien et depuis, elles ne se sont jamais retrouvées. Mme Perrot, quelque chose l’a blessée, mais elle ne renoncera pas. Jusqu’à la fin, elle se persuadera qu’il faut rester celle qu’elle a été au cas où ce qu’elle a perdu revienne. Elle a la main posée sur l’épaule de son fils, qui regarde les employés du cimetière en essayant d’être discret. Jeannot aurait pu leur apprendre à bêcher, il y en a un qui se courbe beaucoup trop plutôt que de peser sur le pied d’appui : s’il continue à ce rythme, il se bousillera le dos en enterrant les gens. Il regarde ça, Grégoire, comme il nous regardait quand on se mettait à l’écart des autres, à l’école. Ça ne nous est pas arrivé souvent, mais je les ai aimés, ces instants-là. Grégoire nous jetait des regards presque inhumains tellement il voulait nous faire croire que ça l’indifférait. Il faut croire que plus on avance dans la vie, plus on fait le contraire de ce qu’on doit faire. C’est comme ça qu’on se perd sans s’en rendre compte, qu’on s’en rend compte quand il est trop tard, si on s’en rend compte. Jean, ça aura été l’inverse d’un lâche : il aura été fidèle à ce qu’il a voulu être, jusqu’à en mourir. Le curé devrait dire ça, d’ailleurs, qu’on aurait dû le laisser dans le marais plutôt que de l’enterrer là : ça l’aurait rendu immortel, et il aurait été en bonne compagnie.

Il fallait donc que je fasse quelque chose et ça m’est venu quand j’ai vu que, derrière, il y en avait déjà qui s’apprêtaient à partir. Ça m’est venu comme une évidence, comme si, dès le début du cache-cache, j’avais débusqué Jeannot, si je n’avais pas pensé qu’il valait mieux que je fasse comme si je ne savais pas. J’ai avancé de deux pas, me suis dirigé directement vers Grégoire. J’ai croisé le regard de sa mère, qui devait savoir ce que j’allais faire et pourquoi je le faisais. J’avais en tête les mots qu’il m’avait glissés à l’oreille pendant que je reprenais mes esprits sur le bord du marais. Ces mots qui, dans mon état second, me semblaient déplacés parce qu’ils promettaient des choses qu’on ne demande pas à quelqu’un qui a failli se noyer, devant quelqu’un qui se noie. Ça non plus, je n’ai pu en parler à personne, même si j’en parlerai un jour à Esther quand j’irai la voir à Bourges. Seule. Sans Papa, sans Mademoiselle Ronchon ni crêpe au chocolat. Celle-ci, celle dont j’ai eu envie quand j’ai su que je n’en aurais pas parce que c’est elle qui venait, je la mangerai plus tard, quand je me serai débarrassée de mes fantômes. Et des allergies qui vont avec. Je n’en ai parlé à personne et à lui, je ne lui en reparlerai jamais. Quoiqu’il nous arrive. Mais là, il faut qu’il prenne sa part de responsabilité dans l’histoire, qu’il ne se défile pas, qu’il sache une fois ce que c’est que le drame, le vrai, avec les gestes qui vont avec, qu’on voit comme dans des scènes de films. Ses mots, il les assumera jusqu’à ce que ce soit moi qui décide que je n’ai plus besoin qu’il voit Jeannot à travers moi et qu’il n’ose pas me le dire. Alors jy suis allée, vers Grégoire - sa mère a baissé les yeux une seconde, ils sont allés se nicher dans ceux de la mienne - et je lui ai pris la main, devant tout le monde. Il a essayé de la retirer, mais je l’ai serrée fort. J’ai eu l’impression, là encore, qu’une force inconnue m’aidait. Il a laissé faire."

Photo Jean Frémiot

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