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15/05/2012

Au Colophon des routes (1/4).

522918_2145892304183_1752541804_1011111_804540861_n.jpgDix éditions des Rencontres du IIème titre, c'est mieux qu’afficher deux rencontres de la dixième édition, plus aléatoire. Même si Tatiana Arfel, tout à l'heure, a sollicité Romain Gary - pour qui, citation apocryphe, on ne devient écrivain que quand on a rempli une étagère de sa bibliothèque avec ses livres - pour renchérir sur Dan Simmons* . Je repense à cette femme qui m'avait dit d'un ton péremptoire qu'on n'accédait au rang qu'au bout de dix éditions. C'était facile, pour elle qui n'écrivait pas et moi qui ne le disais pas, de croire que c'était vrai. Moins maintenant de tenir un décompte sensé: déjà que je viens pour un 2ème roman que j'ai écrit après le 3ème, lui-même 3ème à compter du 1er qui n'est 1er que parce qu'on l'a décrété pour nous. Quid de ce que qu'on a dit de moi, il y a une heure, alors, de ces autoéditions, ces plaquettes faites main, des manuscrits restés dans les tiroirs? De ces nouvelles, pas éditées encore? Que faire, dans le décompte, de ces Confidences Indistinctes, jamais référencées, seize pages in quarto découpées à la main, huit confidences amoureuses devant se dire, chacune, en vingt secondes exactement. Douze ans après - alors même que la R2T n'existait pas encore - ces Confidences restent mon plus beau souvenir d'édition et pourtant, elles tiennent dans la poche d'une chemise. Comme quoi. Carole Martinez, Isabelle Kauffmann, n'en sont pas non plus à leur deuxième essai, mais puisque l'appellation est belle et cooptée, on va jouer le jeu. Dans la Cour d'honneur de chez Colophon, plus belle encore que celle du Palais des Papes. Plus chaleureuse que le Château qui surplombe, celui de la Marquise tutélaire, ici, à Grignan. Que je ne visiterai plus que guidé par Philippe et sa contre-histoire, la lamentable (c'est lui qui revendique le terme!), pas l'officielle. Celle qui ne dit pas qu'elle a échoué ici parce qu'elle a refusé d'assister au lever du Roi-Soleil, priapique matinal et malodorant. Philippe, c'est le dernier typographe vivant : dans son atelier, empreint des odeurs d'encre, d'huile et de papier, il explique avec passion ce qu'Orsenna a mis en mots dans  le 3ème volet de son traité de mondialisation sauf que lui, Philippe (paronomase ou chleuasme?) lui a consacré toute sa vie. Il explique, démontre, cabotine, nous apprend que l'italique, c'est l'écriture de Pétrarque reproduite, que Gutenberg a ceci de commun avec le Président de la République fraîchement débarqué qu'il doit son nom public à celui à rallonges qu'il a su raccourcir. Les poinçons, la matrice, en une seconde, il "monte" Colophon, le mot, et le passe à la presse. Le fond dans l'étain et nous le donne à toucher, tout chaud. On l'écouterait des heures et à cet instant, c'est rare, toute la chaîne du livre est réunie: les auteurs, le typographe et, en face de l'atelier, de l'autre côté de la cour aux acacias, le libraire. La libraire, les deux libraires, Chantal et Peggy. Militantes, engagées, indépendantes. Dans la boutique, dès qu'on entre, nous voilà prévenus : "Ici, on se la pète pas." Ça tombe bien, c'est mon credo : prendre la littérature très au sérieux, pas l'écrivain. Invité, qui plus est, par un groupe, une association éponyme, qui l'a élu, sélectionné. Dans les quatre, puisque c'est le nombre choisi. Dans les quarante, donc, puisque ça fait dix ans. Grignan, une libraire de mes connaissances m'en avait parlé, un an plus tôt, conseillant à mon éditeur de tenter le coup. Ce qu'il a fait. Après, j'ai oublié, la libraire - douloureusement - et la sélection. Me disant qu'elles n'étaient pas pour moi. Qu'il y avait plus prestigieux que moi et ma "partie de cache- cache" à choisir. Je me trompais, sur tous les plans: d'abord parce que j'ai reçu, alors que je pensais la sélection passée, mon invitation à ces rencontres. Puis un appel, quelques mois après, de Denis Bruyant, président (j'imagine) de l'association, pour me dire qu'après d'âpres délibérations, menées par Laurence Tardieu, c'est mon livre qui recevrait le prix distinctif. Prix du 2ème roman. Devant "Du Domaine des murmures", devancé de deux voix pour le Goncourt... Difficile de le croire, mais facile de l'accepter : Grignan, l'ai-je dit à Denis, c'est déjà agréable d'y aller, alors y être invité, et en plus primé, il faudrait être retors pour faire la fine bouche. Je me trompais d'autant plus qu'on peut avoir reçu toutes les récompenses de l'année, avoir été conviée partout et venir quand même avec le sourire et l'humilité d'un novice, comme l'a fait Carole Martinez. Qui me dira en aparté dès le premier jour que j'aurai sans doute le prix, au vu de ce qu'elle avait perçu des personnes présentes dans le public. C'était gentil de sa part, déjà : à ce moment- là, les deux auteurs qui discutent sont séparés de quelques centaines de milliers de ventes, mais réunis dans le même instant, sans hiérarchie ni mythologie. Je n'aurai de cesse de dire, sur ces deux jours, que je tiens son roman pour un de ceux qui comptent dans une vie et, à son corps défendant, dans l'histoire de la littérature. Quand Denis mène la première des tables rondes sur le passage du premier roman au deuxième et, plus généralement, sur notre rapport à l'écriture, nous n'étions pourtant pas sur la même longueur d'ondes. J'ai répondu contrainte là où elle disait plaisir, douleur là où elle pensait rêverie. Nous ne sommes néanmoins pas loin l'un de l'autre quand elle confie que, dans son imaginaire d'enfant, elle montait les marches de l'escalier le plus vite possible pour arriver avant que la lumière s’éteigne : dans ces cas-là, pensait-elle, elle aurait une bonne note à sa rédaction, déjà rendue. Quand moi, je marchais vers l'école en me prenant pour « l'Etalon noir », de Walter Farley. On embraye sur l'arrière- cuisine, les plans, les méthodes d'écriture. Isabelle Kaufmann, avec qui j'ai fait le voyage, est oto-rhino-laryngologiste, chirurgien, compositrice et romancière, elle ne nous dira pas qu'elle ne s'organise pas. D'autant qu'il faut qu'elle intègre, dans son "Grand Huit", des fragments d'histoire de la physique que tout le monde doit comprendre. Tatiana Arfel a fait huit pages de plan pour "Des Clous", réquisitoire acide contre le libéralisme sauvage et déshumanisant de l'entreprise. Carole et moi ne faisons pas de plan. Ou alors qu’on perd, ou qu’on ne suit pas. « Du Domaine des Murmures », dira-t-elle plus tard, devait initialement faire le portrait de six femmes contemporaines pour n’en garder, au bout du compte, qu’une seule – enfin, une principale – et l’inscrire dans une époque, le Moyen-âge, qu’elle dit avoir toujours détestée, jusqu’à ce qu’elle y travaille réellement. Parce que l’essentiel est là, dans les rencontres avec les lecteurs : il ne s’agit pas seulement qu’ils nous voient, il s’agit qu’ils comprennent, puisqu’ils le demandent, à quel point chaque exercice d’écriture est une démarche, un chemin. Une épreuve, parfois. Que le sujet s’impose à nous, souvent, mais qu’il nous malmène, parfois. On échange des expériences, on parle de centaines de pages auxquelles on renonce, de personnages qui interviennent alors qu’on ne les attendait pas et qui, ponctuellement, décident d’une issue. Ces fins qu’on ne connaît pas toujours mais dont on sait celles dont on ne veut pas. Le public n’est justement pas au spectacle, c’est là l’avantage des groupes de lecteurs : ils en savent quasiment autant que nous sur le roman dont on parle, je sens bien qu’une fois le quart d’heure de courtoisie passé, il va falloir aller plus loin. Dans le nerf de l’écriture, le sel de chacun des quatre romans. Le lieu, les personnalités qui encadrent l’événement, tout cela détermine un rapport à la lecture et à l’analyse de la lecture : ce sont des oraux, une fois la table ronde terminée, que l’on va passer. Dans la lettre d’accueil, il est écrit, amicalement, que nous serons soumis à la question. Evidemment, il n’y a pas d’enjeu ni d’angoisse liée à la personne : Isabelle Kaufmann, le soir, me dira à quel point il est pénible, parce que d’une telle vanité, de dire je, je en permanence, lors des entretiens. Non, l’enjeu est lié au roman, à ce qu’on va en dire. Quand on est en face de personnes qui ne l’ont pas lu, il faut leur donner envie. Quand, comme à Grignan, on est majoritairement en face de personnes qui en ont déjà débattu, parfois durement, il s’agit de ne pas décevoir l’image qu’elles en ont. C’est sans doute pour cela que Christelle Guy-Breton, qui devra attendre le dimanche après-midi pour m’interroger, me regarde évoluer d’un air inquiet puis tente timidement de m’aborder, à tâtons. Je la rassure d’un côté, l’effraie de l’autre. Parfait : on y sera pleinement, dans la partie de cache-cache.

Photo Bernard Burgher©

14:39 Publié dans Blog | Lien permanent

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