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28/01/2017

NIE FERGESSEN (2/4).

IMG_0209.JPGLa ville en elle-même n’a pas bougé d’un iota. En garant sa voiture le long de l’avenue, devant l’hôtel, elle savait que ses repères, simples, s’imposeraient d’eux-mêmes, qu’à l’angle, la rue descendrait vers la Souris Verte, lieu de leurs exploits précédents. Deux ans, qu’est-ce que c’est, dans une vie ? Un interlude, une parenthèse ou, a contrario, une accélération du temps, des décisions, des cadres de vie qui changent. Elle pourrait les yeux fermés retrouver la chambre des techos, celle de l’after, une de ces pièces que les hôtels condamnent - bandes jaunes des scènes de crime comprises - une fois qu’elle leur a louée : parce que le règlement n’y est pas toujours respecté, que les odeurs (de pieds, de rhum, de tabac, de chouquettes, voire de daurades agressives) sont tenaces, vingt-cinq mois après. L’âge d’un enfant qui gambade, sans rien savoir de la rencontre qui l’a engendré. Elle chasse cette idée, d’un geste devant son visage : son enfant à elle grandit, le sien est déjà grand, ils ne se connaîtront jamais et ne se posent sans doute pas les questions d’une vie au conditionnel passé.

Ses pas l’ont menée machinalement devant la salle de concert. Elle n’y entrera que tout à l’heure, mais elle sait qu’à l’intérieur, l’armée travaille. Cyril est arrivé ce matin, avec Christian, Jean-François et des étudiants de BTS du lycée de la Communication, à Metz, ils ont installé un dispositif impressionnant : grues, travelling sur rails, une SonyF55, un GH4 Lumix, un Canon EOSC… Aux consoles de son et d’éclairage, ayant survécu à la mise en examen sollicitée par le directeur de l’hôtel précité, Fabien et Thomas créent l’ambiance, check le Recc – faut faire gaffe, c’est généreux dans le bas, les casques ! - Thomas commençant, c’est son concept, par envoyer de la fumée. On installe une scène à l’envers, Paul Gremillet, le très jeune batteur sosie de Barton Fink, est devant, tout au bord, tournant le dos à la fosse, ce qui n’inquiète personne, puisque le concept du tournage, c’est d’installer les spectateurs sur les planches, autour du duo. En mode Presley 68 come back special, comme elle, pile. Qui se demande s’il est venu, s’il est déjà là, en train d’écrire. Si tous ceux qui fourmillent, chacun à leur tâche, savent qui il est et pourquoi il se cache, dans un coin, pour écrire ces instants qui se passent. Paul est un musicien que le duo a repéré, qu’ils ont voulu pour eux : pendant l’installation, il danse ses morceaux, bat dans le vide, s’imprègne. Il les libère des programmations, les rend à leur liberté de guitaristes. Michaëla fait des mouvements de yoga, va chercher l’énergie qu’elle restituera tout à l’heure ; David distribue des cooool, signe que tout se passe bien. Dans l’envers du décor, il y a un grand écart avec le jour du concert d’il y a deux ans : moins de frénésie et de dispersion, l’affaire est réglée comme du papier musique, ça tombe bien. Mais elle ne sait rien de tout ça : elle fait partie de ceux qui arrivent quand tout est prêt. En avance, pour le coup, cette fois-ci : retrouvant dans les rues, les enseignes, une partie du froid aussi, la mélancolie suffisante pour se dire que rien n’a changé et que tout, pourtant, est différent.

Devant la Souris Verte, il y a déjà du monde : la production a demandé aux heureux élus – le nombre de spectateurs est évidemment restreint par la configuration, au grand dam du groupe qui supporte mal l’idée de faire des déçus – de venir à midi, pour une entrée à 13heures, qui attendra un peu, quand même. Elle hésite à s’approcher : retrouver tel ou tel visage connu l’amènerait déjà à considérer le présent comme tel, à sortir d’un entre-deux temporel qu’elle fait durer. Revenir, c’est ancrer une réalité qui n’est plus, souvent. Elle se réfugie dans un bar, commande un Saint-Véran. Ironie, elle reconnaît au millième de seconde l’intro piano de « l’Aigle Noir », ferme les yeux, s’imprègne de ce morceau qu’elle a tant écouté, les arrangements de Michel Colombier, la guitare rock, la partition de basse surréelle, la levée de batterie… Qu’est-ce qu’elle raconte, cette chanson, qu’elle n’ait pas connu aussi ? À la fin du verre et du morceau, hagarde, elle paie et se dirige vers l’entrée de la salle. Il s’est passé une demi-heure, mais elle est plus importante que les deux années écoulées. On a déjà fait entrer le public, on lui reproche son retard, elle s’excuse, sourit tristement. Anne, à la porte, ne sait pas pourquoi elle le fait, mais elle le fait, la laisse entrer, l’accompagne, pousse pour elle la lourde porte : elles traversent la fosse qu’elle avait quittée bondée, deux ans avant, n’a pas le temps de s’attarder sur le matériel en place, les projecteurs, les deux consoles en contrebas de la scène. Il reste une place côté jardin, elle a juste le temps de s’installer dans l’obscurité et l’épais brouillard de Thomas, pas celui de regarder s’il est là, parmi les spectateurs, ou quelque part ailleurs, à s’émouvoir de sa venue.

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27/01/2017

NIE FERGESSEN (1/4).

Elle s’est dit qu’elle allait monter. Qu’il était temps, deux ans après, d’aller vérifier la théorie selon laquelle les lieux s’imprègnent de ce qu’on y a laissés et qu’il est possible, parfois, qu’on retrouve tout tel quel, les endroits comme les énergies. Deux ans auparavant, elle était rentrée le cœur et l’esprit chamboulés, sans savoir dans quel ordre, ni pourquoi. Sans savoir si les mots de ceux qu’elle était venue écouter avaient généré la rencontre ou s’ils l’avaient accompagnée, seulement. Si de tous ceux qui avaient convergé vers cette scène improbable - gageure et apogée de trois années de concerts incessants - l’homme dont elle avait saisi le regard était celui qu’elle était destinée à rencontrer. Qui allait combler ses désirs d’intensité, inscrire ses pas sur les siens et ceux des deux qu’elle suivait partout où elle pouvait aller. Cet homme, dans le hall d’entrée de l’hôtel, pas tout à fait à l’aise dans le barnum artistique, le bal des suiveurs, elle avait lu ses chroniques de résidence, s’était délectée des épisodes qu’il livrait quotidiennement, pour installer l’ambiance et faire monter l’envie. Il lui avait semblé, pendant quatre jours, qu’elle était parmi l’équipe, les techniciens dont il dressait le portrait, les artistes eux-mêmes dont il parlait en focalisation interne, en se mettant dans la tête de chaque élément du duo, dans ce qu’il recevait et donnait à l’autre dans le même temps… Elle avait lu ces longues chroniques, médium d’un autre temps, celui de la lenteur, de l’installation dans un lieu, dans les coulisses d’un spectacle à venir. Etait-ce l’écriture elle-même, ou sa régularité, était-ce parce qu’il disait ce qu’elle voulait entendre d’eux, mais elle s’était piquée au jeu, avait voulu voir à quoi ressemblait cet homme qui repoussait des limites physiques dans l’exercice, était tombée sur son visage. De belles photos, professionnelles, d’un être ordinaire. Pas du genre à provoquer des émois, des histoires projetées. Une force de la nature, imposant, inquiétant, peut-être. En tout cas, dans le hall de l’hôtel, dans la frénésie des départs, le lendemain du concert - ces moments qu’on prolonge pour éviter la retombée trop brutale - elle les avait reconnus, lui et son air d’être là sans y être. Il est possible que pour raconter aussi justement un instant, on doive s’en extraire au moment où on le vit. N’était-ce pas ce dont elle souffrait elle aussi, finalement ? N’était-ce pas cette mélancolie que sollicitaient chez elle les chansons du duo, dût-elle, à tel acmé du concert, fondre en larmes sur des vers tristes, ceux des amours délitées. Elle était venue lui parler, comme on aborde quelqu’un qu’on connaît, sauf qu’ils ne se connaissaient pas. En inspirant un bon coup, elle avait donné un immense élan naturel à quelque chose qui ne l’était pas : ils auraient à évoquer, tout de suite, des choses qui les reliaient, ce n’est pas ainsi, socialement, qu’on fait connaissance. Ils seraient dans la connivence, tout de suite, ne pourraient rien cacher de leurs failles, puisque les chansons qu’ils allaient évoquer les palliaient toutes, à leur façon. Il fallait qu’elle maquille cet abandon par un sourire, un charme. Qu’ils soient à égalité, puisqu’elle l’avait lu. Une rencontre, théoriquement, c’est une jonction, là, elle faisait se relier les quatre jours qu’ils avaient vécus ensemble mais séparément. En avait-il seulement conscience, lui, des histoires qui se jouaient quand il les racontait chez lui, seul – peut-être – pris au piège d’une fiction plus complète que pourrait l’être la réalité ? Dans tout ce qu’elle avait lu de ce qu’il avait écrit du duo, elle n’avait rien trouvé sur « Des amours », sa chanson, ça lui donnait un temps d’avance dans l’abord : quand on provoque une rencontre, on n’en devine jamais les incidences. Elle avait vérifié ça tant de fois dans sa vie récente, celle d’après la fin de l’histoire, celle à laquelle on croit jusqu’à ce qu’on en fasse le deuil. Avant qu’on en termine, souvent, dans une agonie qui pousse les romantiques à jurer qu’ils lui substitueront l’intensité, jusqu’au bout. S’ils étaient là, c’est qu’ils étaient pareils. Qu’ils correspondaient. Que le duo qu’ils étaient venus voir présiderait la naissance du leur. D’un coup de palpitant.

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11/01/2017

PITIÉ POUR LES LOUPS!

ms.jpg Il faut d’abord encaisser - une deuxième fois – le sublimissime finale de « la vie volée de Martin Sourire », le nouveau roman de Christian Chavassieux, pour répondre à une question qu’il s’est récemment posée[1] : que dire de ce roman maintenant qu’il l’a écrit, et qu’il lui faut en parler ? Comme si le mutisme de son personnage – que compense le stigmate d’un sourire perpétuel, « particularité de sa physionomie » - devait s’emparer de lui, s’il ne pouvait plus opposer aux lecteurs qui se succèderont qu’un « je ne sais pas » lapidaire, comme les rares mots que Martin rend à ceux qui l’interrogent. Fussent-ils Royaux puisqu’il en est ainsi : la force perturbatrice du roman se fonde sur l’offrande qu’une vieille indigente tend à bout de bras, les mêmes que ceux que tend l’enfant, sur le passage du cortège. En une seconde, ravie par son sourire, déjà, un destin se noue : le petit rien du tout sera adopté par Marie-Antoinette. L’Autrichienne, Reine du Royaume de France. Passera d’une vie de gueux à celle, dorée, du Palais de Versailles, dans l’ombre de ceux que la Reine, en mal de maternité, a déjà accueillis, de ceux – dont un petit Noir, charmant – qu’on lui a offerts. Jusqu’à ce qu’elle se lasse, et les confie à d’autres : Martin, sans s’émouvoir, passera de mains en mains, de moins en moins nobles, jusqu’à grandir dans l’univers factice du Petit Trianon – initialement construit pour désennuyer le Roi – ramené à sa condition tout en en étant extrait : Martin, coqueluche permanente – « Tous sont sous le charme » - grandit à l’abri du besoin mais occupe le poste de vacher, à la « constance placide » : il observe le monde, la Nature, devine qu’elle n’est pas si originelle que ça mais ne se pose aucune espèce de question. Il vit au rythme, nous dit-on, du Ranz des vaches, qui n’a pas chez lui l’acception que lui donne Rousseau dans le Dictionnaire de la Musique[2] mais en suggère l’interprétation, puisque le roman ramène le philosophe de façon récurrente (huit fois, contre sept à Voltaire, belle revanche rétrospective !) : extirpé de son milieu, l’enfant se développe mieux qu’il l’aurait fait ailleurs, mais sa nature est profonde. Et se rappellera à lui. Il aurait, pu, Martin, rester au Petit Trianon, voir le théâtre des événements se dérouler hors de ses lieux et hors d’un temps que le destin royal a suspendu. Voir ses figures y évoluer, également : Richard Mique, intendant et contrôleur général des bâtiments et jardins de la Reine, Claude Richard, le jardinier-fleuriste du Roi, Valy et Marie Bussard, qui ont (peut-être) amené à Versailles le chant des bergers Suisses. Et, de temps à autre, comme une apparition, la Reine, qui tarde à reconnaître Martin, lequel lui rend – somptueux dialogue – un Oui Madame forcé à la question qu’elle lui pose. Le Roi, de loin, dans un douloureux contraste physique : « un homme simplement là, hésitant, gauche et emprunté, gras de figure, épais de lèvres et de bassin. »

La vie volée de Martin Sourire aurait pu être celle-ci, mais comme dans toute initiation, il faut un point de rupture, l’envie de dépasser les bordures. « Franchir le mur », aller là où s’exprime une opinion publique – « une nouveauté » - qui n’est pas favorable au Régime, c’est un euphémisme. Jusque là, apprend-on, Martin contemplait « un monde dont il n’est pas », tout en en étant. Même « remis à sa juste place », en vacher, comme persifle Armand, autre éphémère protégé de la Reine. En partant, puisque « Jésus a arrangé (s)on cas », il entre de plain-pied dans un pays qui a faim – les guerres d’Amérique ont ruiné le Royaume – et qui gronde (« le peuple, c’est le nombre et le nombre avait faim »). Martin devient témoin d’un Paris qui bruisse de colère et de mouvements, mais décide d’en être acteur, cette fois-ci : puisqu’ « il faut être à Paris pour prendre la mesure de la République », puisque les temps sont politiques, on suit les soubresauts de l’An 1789, la naissance des Etats généraux, les premières émeutes, la création d’une Assemblée Nationale, la fuite des nobles… Chavassieux romancier devient historien à part entière – l’idée qu’il se fait de la littérature dans son exigence et sa finalité –, raconte l’Histoire à travers celle qu’il écrit. Les références sont évidemment exactes, teintées, ici et là, d’un distant et sarrautien « c’est bien ça », ou d’une ironique rectification, sur le « ça ira ». Il y a une fonction référentielle dans le roman, sauf à être agrégé d’histoire – et encore, de la période – mais rien de pesant : on suit Martin dans ce qu’on nomme « l’opposé de Versailles », le style se modifie dans la deuxième partie, qui multiplie les descriptions et, par-delà, les énumérations, de l’immense pauvreté parisienne, d’une « Aria de la foule » qui se dessine, de cette exaltation, cette fraternité qu’il y trouve. Le récit se fait épique ou élégiaque : on sait l’écrivain capable d’envolées hugoliennes (dans « les Nefs de Pangée »[3]), poétiques et véristes à la fois (dans « l’Affaire des Vivants »[4]). Pour autant, la réussite de « Martin Sourire », c’est de poursuivre, sans coup férir, la vie de son personnage éponyme. Qu’on retrouve, dans une farandole de mets, dans les cuisines de Beauvilliers – premier homme de son siècle dans l’Art culinaire – au service d’Etienne-Louis Boullée, architecte utopiste qui permet à Chavassieux d’écrire, une fois encore, sur les bibliothèques (celle des Rois d’Ugarite, d’Assurbanipal, des Ptolémée, celles d’Hadrien… Relire « Mausolées », pour l’occasion) et les livres qui comptent[5], dans une vie. Et de vibrer avec Martin sur le projet de son protecteur. Qui les héberge, sa Marianne - Dieu qu’elle était jolie ! - et lui, contre menus services. Qui désespère, lui, de Rousseau, mais tient à ce que Martin - « qui n’est pas frustre » - se serve en livres et étudie ses plans de Bibliothèque Royale, un projet démesuré qui se heurtera hélas au « manque d’audace, (à) la médiocrité des esprits »… À peine le temps de suivre Martin dans des aventures égrenées par les saisons, les années et les ellipses qu’elles induisent et c’est la troisième et dernière partie du roman, « la grande sauvage », titre initial du manuscrit. Un choc littéraire, logorrhée consciente et maîtrisée que Martin destine, dans l’énonciation, à la femme qu’il aime et qui le voit revenir de quatre années passées en sans-culotte au service de la Nation. Par « élan révolutionnaire » et ce jusqu’en Vendée : jusqu’à ce que la question du Citoyen Lequinio – Elu de l’Assemblée Législative et Envoyé de la Convention – « sur ce qui se passait ici » déclenche un chapitre 8 torrentiel[6], « précipice devant ses pensées », salvateur dans ce qu’il détruit des illusions qui l’ont porté jusque là. Nonobstant, à chaque étape de son parcours, des rappels à sa condition fielleux : de Beauvilliers, qui lui glisse qu’il aurait fait, « au mieux, un excellent second » ; de Louis-Ange Pitou, qui lui assène un « vous n’êtes pas libre » quand Martin s’émancipe trop, à son goût, de ce qu’il doit à Marie-Antoinette… Ce qu’il lui doit, d’ailleurs, sans rien déflorer, c’est le sujet du roman lui-même : de la vie d’homme qu’elle a déterminée à celle qu’elle l’a laissé mener, seul, jusqu’à sa vérité singulière. Dans un pays que la raison a déserté (ce que se dit Richard Mique devant le Tribunal Révolutionnaire, aux six heures quotidiennes de Louison, la machine à raccourcir), « tout se peut », même être « avec les pires » et « charrier l’enfer jusqu’à la stupeur du Ciel ». Heureusement, in fine, les six jours fériés des sans-culottides…

Je dis depuis 2014 maintenant que « l’Affaire des Vivants » est un VRAI chef-d’œuvre de la littérature. Un de ces romans qui sortent une fois tous les trente ans. « La vie volée de Martin Sourire » est de cette lignée d’écriture : on est pris, captivé, entre densité du contexte et structure narrative impeccable, comme toujours. On peut faiblir, revenir, annoter, mais pas lâcher. S’il doute toujours de ce qu’il va bien pouvoir en dire aux lecteurs qui ne manqueront pas de le rencontrer, qu’il les laisse le remercier de ce qu’il est et de ce qu’il fait. On dira que c’est l’ami qui parle, mais ce sera idiot : l’ami que je suis en a perdu d’autres en disant – toujours – ce qu’il pense. Que l’imbécile qui m’a piqué dans ma boîte mon exemplaire de presse dédicacé se méfie, par contre : j’ai appris suffisamment de rituels sataniques dans cet ouvrage pour qu’il passe un mauvais moment, chat noir (salut, Gaïa ![7]) ou non.

 

[1] Kronix, le blog journalier de l’auteur, 9.01.2017

[2] « Ces effets, qui n’ont aucun lieu sur les étrangers, ne viennent que de l’habitude, des souvenirs, de mille circonstances qui, retracées par cet Air à ceux qui l’entendent, & leur rappelant leur pays, leurs anciens plaisirs, leur jeunesse & toutes leurs façons de vivre, excitent en eux un doute amer d’avoir perdu tout cela », Dictionnaire de la musique, 1768.

[3] Mnémos, 2015

[4] Phébus, 2014

[5] De la Bibliothèque Bleue, “littérature de colportage” aux oeuvres ésotériques, en passant par les récits antiques de Pausanias, les aventures de Télémaque de Fénelon : du fatum librorum à son pendant inverse.

[6] Aux intonations du « Baiser de la nourrice » (JP Huguet Editions, 2009) ?

[7] Le chat (noir) de mon fils, déesse grecque et féline, disparue le 28 août 2016, le même jour que mon père.

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15/12/2016

21.12.16

Amis Lyonnais, enfin ceux qui ne sont pas encore prévenus, cet espace sort de sa torpeur sudiste pour vous annoncer que ma dernière parution, la toute dernière de toutes celles qui précèdent vous-savez-quoi, viendra faire un tour dans le Nord, chez "Mademoiselle Rêve", un endroit mythique dans ma construction, 215 rue Vendôme, dans le 3e arrondissement. C'est à 19h, le jour anniversaire de la naissance de Paco de Lucia, ça tombe bien. J'y dédicacerai, au nom des petites Editions de l'Orin, mon "Hippocampe atrabilaire", chroniques d'une année (et demie) sétoise. De la bel ouvrage d'édition, fût-elle minuscule. Tellement qu'on en est, déjà, au deuxième tirage... Après, on s'arrête, parce que dans le Sud, tu sais, on n'a pas envie d'en faire plus que nécessaire: ça tue des arbres pour rien. Alors, deux façons de procéder: soit tu le commandes à l'adresse suivante: editionsdelorin@gmail.com (13€ l'exemplaire + 3€ de fdp - gratuits pour 3 ouvrages achetés), soit tu viens mercredi soir. On en vendra tant qu'il y en aura et ensuite on boira un coup. À l'amitié, l'amour, la joie.

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28/11/2016

Quinze ans.

un dernier mot pujol.jpgQuinze ans… Alors même que le texte lui-même établissait à dix le temps nécessaire à l’action conjuguée de l’oubli et de la mémoire. Quinze ans qu’on est arrivé dans un lieu que j’aurai fréquenté quinze ans durant, jusqu’à la semaine dernière et jusqu’au mot de trop, après le « Dernier mot ». Il faut toujours, disait Reggiani, avoir le premier geste plus que le dernier mot. Mais celui-ci restera, dans mon histoire personnelle, dans celle de beaucoup d’autres aussi, que je ne vois plus parce que chacun aura éprouvé le besoin de vivre l’absence seul, sur son propre chemin. Quinze ans, quand on en a vécu trente, c’est la moitié d’une vie fulgurante, absolue, interrompue. Quinze ans, c’est sept fois et demi le nombre d’années que j’ai connues en sa compagnie souriante, sonore, irradiante. Il y a quinze ans, donc, Fred Vanneyre, Ahmed Mérabet et moi entrions en studio chez Eric Hostettler pour enregistrer la première partie de ce poème, « Ouessant », construit sur la structure de « la Mort », dans « les Fleurs du Mal ». Trente-sept strophes mises en musique, contre toute attente. Qu’on jouait dans son petit appartement de Bourg-en-Bresse, aux forts relents de moisissure, de tabac froid et de bouillon Knorr pour les pâtes. Qu’on n’aurait jamais imaginé graver dans le marbre si l’occasion ne s’était pas présentée, sous la forme d’un déménagement. Il a fallu le convaincre d’aller au bout, lui qui, comme nous tous à l’époque, refusait les marques de temporalité. Trente-sept strophes, in extenso, ça faisait vingt minutes de musique, enfin, si l’on peut dire : l’interprétation dépassait tout, surtout le jeu aléatoire de guitare, l’harmonica qui plante les clous, en accompagnement. On peut être un magnifique compositeur et un joueur moyen (euphémisme), surtout quand on laisse la guitare suivre la voix, sans concession. Surtout pas celle de les dissocier : Hostett aura tout tenté par la suite, dégager des tableaux, insérer une basse harmonique, l’accordéon de Papa, relancer l’intérêt, atteindre les 16’49 (4’30 gagnées depuis « le cœur des gens » !), rien n’y fait vraiment, aujourd’hui : « Ouessant » vaut pour ce que la voix dit du texte, pas pour ce qu’il propose de musical. Et pourtant, quinze ans après, il est toujours là, frappe encore au cœur, fût-ce par amusement, ou nostalgie : il renvoie à ces journées passées là-bas, aux trente ans, les siens, qu’il a fêtés ce jour-là, qui collaient au texte et l’ont mythifié ensuite puisque si son auteur en avait déjà trente-trois, l’interprète ne les dépassera jamais, les maintiendra dans la permanence et dans l’immaculé. Quinze ans qu’on vit sans toi, camarade, et qu’on fait avec : une bonne moitié que je me dis qu’il faut que j’appelle ta maman, ta sœur, ta compagne et que je ne le fais pas, par peur de me la prendre dans la figure, toute cette période, la peur d’avoir à me dire que tout cela est vrai. Qu’on a vécu, vieilli, quand toi tu t’es dispensé de tout ça. J’aurais bien besoin que tu reviennes un moment, tiens, là, dans cette période que je vis, avec ses ruptures, ses déceptions. Ses portes que l’on ferme sur les quinze ans qu’on a vécus depuis. Tu sais, j’écris toujours, depuis mon île. Dans deux ans, le temps qu’on a passé ensemble en somme, ça fera dix ans pile que mon premier livre est sorti : le temps nécessaire à l’action conjuguée de l’oubli et de la mémoire. En exergue, on y trouve un bout de « Nocturne » : suffisamment pour qu’on sache que l’oubli ne viendra jamais et que la mémoire, chaque 28 novembre, est inflammable.

 https://www.facebook.com/media/set/?set=a.1568756996161.46119.1752541804&type=1&l=072f5c729e

NB : Quinze ans après, c’est suffisant pour que j’y retourne, à Ouessant. Avec Franck Gervaise, certainement, pour une œuvre commune in situ. Bientôt.

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06/11/2016

Little Bob stories.

IMG_5294.JPGIl y eut comme une vague d’incompréhension, un mouvement qui n’allait pas dans le sens, habituel, des spectateurs aux artistes. Un moment de flottement, des regards qui se croisent, qui se demandent s’il faut arrêter ou continuer. Il est extrêmement rare qu’un artiste cesse de jouer parce qu’il se passe quelque chose, comme si l’Art lui-même, dans le cas d’une mauvaise nouvelle, pouvait la nier encore un temps, voire inverser le cours des choses. Il y eut ces quelques secondes d’errance pendant lesquelles, d’un côté, le show se poursuivait et, de l’autre, l’inquiétude grandissait. Prise en charge, puisqu’elle en a prêté le serment, par un médecin dans l’Assemblée. On porta l’aïeul du salon à la chambre, en attendant les secours : des images défilaient, tristes rengaines d’un été pourri, tout entière contenues dans ses jambes que je maintenais surélevées. Le pouls, la tension, tout cela était très bas, au moment où, dans la pièce d’à-côté, résonnèrent les premiers accords des « Palpitants ». Juste au moment où, coïncidence ou pas, le presque octogénaire reprit ses esprits, son souffle et son humour. Redevint, à la seconde, le père aimant, curieux, soucieux du bien-être de tous. Juste au moment où les pompiers rentrèrent dans la chambre et en firent sortir ceux qui avaient fait ce qu’il fallait. Juste le temps, également, d’aller écouter la fin du morceau, de replonger dans l’ambiance d’un concert qui a failli vaciller. Tout s’était pourtant bien passé jusque là : les nouveaux morceaux, l’ambiance électro d’un « Tu veux la guerre ? » comme entrée en matière, les énergies du duo insoupçonnables une quinzaine d’heures auparavant (sic) étaient là, deux ans après le première, dans les salons de Jo. De ceux qu’on fréquente, comme au XVIII. Avec un peu plus d’énergie bestiale, d’explosif dans le répertoire. Ceux qui les découvrent les apprécient, d’autres sont plus dispersés mais c’est un anniversaire, celui du maître des lieux. Qui dormira bien, ce soir, et peut-être demain aussi, histoire de rattraper. C’est la set-list de leur premier concert de cette nouvelle ère, celui de Ban-de-Sapt, en septembre. On retrouve Michaëla aux claviers sur « Tangerine », les guitares en bois ont été troquées par d’autres guitares, en bois aussi, mais électriques. Les coupes de cheveux sont différentes, on est dans le case study, l’Existant et le constat, le diagnostic, la transformation et, quand il sera l’heure, le résultat et ses résultats. J’ai bien appris la leçon, et dans le diagnostic, on sent chez Fergessen - puisque c’est évidemment d’eux dont il s’agit – le désir vif de toujours explorer et de ne pas lasser. Ou se lasser : dans une discussion qu’elle lance quand même malgré l’avertissement qu’il émet, Michaëla craindra qu’il ne se passe pas grand chose quand David dira que c’est à la guitare-voix simple qu’il faut passer les plus anciennes chansons. Que le contraste agisse avec les nouvelles, plus chargées en boucle, programmations et autres festivités. Ainsi, hier, j’ai réentendu des titres qui m’avaient échappé, dans la nouveauté de septembre. Entendu autrement. Les pieds de micro sculptés par Jean No sont superbes (lourds à porter le lendemain mais c’est une autre histoire), assis, devant eux, les gamins sont subjugués et le groupe avance. Ne déroule pas comme ils pouvaient le faire après 300 concerts du Far-Est Tour, redécouvre le trac, les angoisses que ça ne passe pas. Et pourtant, ça passe, et l’impatience grandit d’un troisième album qu’ils peaufinent, même au soleil. Très tard dans la nuit, l’hôte des lieux aura même droit à un inédit, composé en Chine, dans les deux langues. Avec une guitare (en bois) achetée là-bas Et une chanson sur les animaux, le café et la mémoire. Un petit instant suspendu, moins lourd que le souffle qu’on aura retenu un temps, dans la soirée. Aux dernières nouvelles, Bob va très bien, il a kiffé vegra la soirée, malaise compris. Et le duo est reparti au matin, la 806 blindée et l’appétit ouvert : les lasagnes de Vincent Assié sont aussi bonnes que ses photos, c’est dire. A quand le prochain rendez-vous ? La route est longue et chaotique, mais quand elle rassemble, l’espace d’une soirée, tout ce et ceux qu’on aime, elle est belle. Et m’inspirerait presque un petit quatrain naïf, intitulé « A mon amie accordiniste » : Sur le jean, le gin, Qing /Ramène autant la forme maligne /Tâche aux allures curvilignes /Qu’un versement d’encre de ChineÇa ne mange pas de nems, ça termine un article et ça me fait gagner un pari.

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02/11/2016

Le jour des morts.

J’ai plus tendance à chérir les vivants qu’à fêter les morts, mais en cette année dramatique, comme les dernières digues de mon enfance sont touchées, je me plais à penser que derrière ce qu’on nous raconte et en quoi je ne crois pas, il y aurait cette gigantesque communauté d’âmes, comme si tout un système d’entretiens, sans limite de temps (forcément) se mettait en place, pour des retrouvailles, des rencontres, des rattrapages aussi pour ceux qui se seraient manqués. J’imagine mon père délivré de son enveloppe corporelle passer de l’un à l’autre, comme un enfant dans un magasin de jouets, comprenant à peine qu’il va pouvoir tout reprendre, sans restriction, que l’Après-vie est finalement bien moins frustrante que l’existence. Je sais que c’est un vœu que j’appelle, mais les forces de l’esprit, moi aussi, j’y crois. J’imagine que dans les premiers temps, ses proches là-bas devront le convaincre de ne pas s’épuiser à craindre pour ceux qui sont restés : l’issue, à plus ou moins long terme, est inéluctable pour tous, et puisque le temps ne compte pas quand il a fini d’agir, celui qui agit devient dérisoire. J’imagine qu’il y a des niveaux, comme dans les jeux vidéos, qu’une fois que l’âme s’est habituée, elle peut solliciter des choses plus complexes, des anachronismes qui n’en sont plus : peut-être mon père délivrera-t-il quelques-uns de ses secrets, des passions qu’il a tues ici parce qu’elle lui en aurait fait perdre, du temps ? Ce que je ressens par ailleurs, c’est que la douleur, le manque, l’impuissance sont des sentiments d’ici, qu’ils n’ont pas lieu là-bas : que la mort n’est qu’un passage vers la tranquillité, l’apaisement. Qu’on doit bien rire de tout ça, au même titre qu’on peut rire de toutes les passions qu’on a traversées et dont on pensait, de notre vivant, ne jamais se remettre. Le jour des morts, c’est l’affaire des vivants, si je voulais plagier un auteur de mes amis. Mais c’est aussi celui des morts qui nous regardent faire, en diffusant de la bienveillance, la dernière étape du deuil, celle de la présence, tout autour, de la force qu’on y trouve. J’ai quelques amis, montés trop tôt, avec un potentiel d’âme resté intact : je suis sûr qu’ils se croiseront, et qu’à travers eux, il me comprendra mieux qu’il l’a fait ici. Si je ne suis pas pressé de les retrouver, c’est que j’ai compris que le temps ici n’était rien, même s’il est important d’en faire quelque chose : c’est après qu’il sera validé, par ce que notre âme aura gardé d’originel. Ça ne coûte rien d’y croire, et de le garder en soi.

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28/09/2016

Double effet papillon.

corinne royer couv.jpgLe nouveau roman de Corinne Royer est un de ces solides secrétaires qu’on fabrique dans la Saône-et-Loire, un meuble en bois massif dans lequel chaque tiroir cache – puisque c’est l’étymologie – des secrets de famille et toutes les vies qu’on n’a vécues qu’en parallèle. Cassandre, l’héroïne de « Et leurs baisers au loin les suivent », est donc, dès le titre, chargée de rendre compte de la façon dont les hommes vivent. Sauf que le sien, le seul qu’elle ait connu, elle en déclare la disparition au jeune adjudant de police, dans une posture parfaite de femme éplorée, au détail près qu’elle sait où il se trouve. Ou du moins où se trouve son corps, nuque brisée et congelée, dans l’immense congélateur - 500 litres coffre de chez Arthur Martin - que le couple s’est payé, plutôt que le voyage en Antarctique dont ils rêvaient tous les deux, jusqu’au cœur de leurs ébats. Le nœud dramatique étant énoncé de suite, on peut s’attendre à un crime passionnel, ou au stratagème d’une femme lassée de cet époux bougon, décidée à reprendre sa vie en main, à quitter l’exploitation, les bêtes, les contraintes pour retrouver un peu de la nature à laquelle elle a été arrachée, Haïtienne échouée dès son plus jeune âge dans la campagne profonde, cible de tous les regards sur sa peau sombre, l’enfant qu’elle n’a pas donné… Mais le livre de Corinne Royer est aussi complexe que ses phrases sont délicieusement proustiennes : les récits sont enchevêtrés, dans ce qu’ils disent et dans la typographie (roman, lettres, récit intégré, avec saut de marge). Cassandre n’a pas le don de prédire l’avenir, et ne serait jamais crue si elle racontait comment Léon s’est échoué, de lui-même et avec toute l’ironie du monde, sur son dernier paradis blanc. Puisque c’est elle qui raconte, elle passe d’abord par l’hébétude, le déni puis l’invention, en face de ce petit policier de province qui rêve de la grosse affaire, une fois dans sa vie. Sans savoir, en amont, que celle qu’il a à gérer va provoquer, par l’effet d’ailes des Papillons Monarque libérés, bien malgré eux, sur la Départementale 979, pas loin de Nevers, le blocage de l’espace aérien aux Etats-Unis (« l’Amérique paralysée »), selon la loi physique bien connue. Mais l’histoire se dédoublant d’elle-même, les lettres mystérieuses que Cassandre reçoit contiennent, outre ce qu’elles disent, un récit dans le récit, celui d’une gémellité, d’une paternité, d’une rupture douloureuse et inexpliquée. Celui, aussi, d’un pan douloureux de l’histoire française, en Algérie : de là où Léon est revenu sans rien en dire, comme tous ceux qui en sont revenus, ou presque. Le roman progresse dans le récit et le mystère, qui s’épaissit autant qu’il se dévoile, c’est sa force : on y découvre des personnages dont Cassandre n’aura rien deviné, tout au long de sa vie, de la leur, d’autres dont elle ignorait l’existence. Elle a aussi ses secrets, dans la boîte idoine, les regrets d’un amour possible, d’une correspondance promise, qui l’aurait ramenée en Haïti, qui aurait fait de cette identité-là, puisqu’elle est protéiforme, une réalité plutôt qu’un mythe. Les strates s’itèrent d’une unité à chaque fois, les récits multiples s’entrecroisent, puis créent l’évidence, la résolution. Dont on ne dira rien, évidemment.

La langue de ce roman est époustouflante, autant le dire, mais sans préciosité, et avec une fonction. Lexique (botanique et agricole, en général), verbes rares, descriptions et références (on y croise même Emmanuelle Riva) amènent le lecteur, tour à tour, au sein même de milieux naturels qui ne se seraient jamais croisés, sans lui : si Haïti n’est pour Cassandre qu’une vague réminiscence et une promesse non tenue, on vole jusque vers la mer Egée, dans le New-Jersey puis vers le Michoacán, en suivant les papillons, on revient, dans les terres et dans le temps jusqu’à Oran, le 5 juillet 1962. Pour un roman qui doit, quoi qu’il arrive, se terminer un 6 novembre. Une telle dimension, géographique et temporelle, pour un roman qui se passe dans le Charollais, il fallait oser, et réussir : c’est fait, et magistralement. C’est un roman étrange, justement parce qu’il contient de l’étranger. Et que c’est toujours ce qu’on ne connaît pas qui nous révèle le mieux ce que nous sommes vraiment.

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