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28/12/2017

Qui voit Ouessant.

photo franck.jpgC’est l’objet de tous les périples : vérifier in situ que le temps qui s’est écoulé sur nous n’a pas eu d’emprise sur les lieux. Le climax de mon voyage, entamé il y a six jours, quand j’ai quitté l’île singulière, ce que j’étais venu y chercher, ce qu’elle m’a apporté aussi. Mais puisque les échéances approchent – et elles sont nombreuses – il me fallait voir arriver 2018 de là où je l’espérais et l’appréhendais le plus. De la fin de la terre, du bout du bout du pays, dernière étape avant l’Amérique. Ouessant, retrouvée près de trente ans plus tard dans un temps réel, vingt ans ou presque après son avènement métaphorique, qu’a immortalisé – sans ironie – Fred Vanneyre. J’en ai suffisamment parlé ici. Ouessant, rattrapée in extremis du Conquet, ce matin, après la nuit la plus longue du pays, entre Vannes et Recouvrance. Sur le bateau, des gens heureux : parce qu’ils rentrent chez eux pour les fêtes, parce qu’ils ne l’ont pas pris la veille, en pleine tempête. Ouessant, c’est l’endroit qui décide si vous y accéderez ou pas, pas l’inverse : et ça change tout. En hiver, malgré les températures clémentes, les éléments, tout de suite, se rappellent à nous : ce sera crachin breton, éclaircies, et ça ira en empirant. C’est un des endroits du monde où on vous annonce ça sans paniquer, puisque c’est le temps qui décide et décide de le prendre. À peine le pied posé ici, au débarcadère, ce sont les souvenirs qui remontent, les symboliques engagées, leurs incidences sur ma vie depuis vingt ans, les sacrifices concédés, aussi, qui prennent ici leur pleine mesure, mais pas dans le drame : face à un tel ailleurs, on ne peut qu’être confronté à la relativité de nos existences, quelles qu’aient été les importances qu’on leur a données, en orgueilleux. Ouessant n’est pas mon île, écrivais-je au siècle dernier, mais je me la suis tellement appropriée - depuis un siècle, donc – que j’en revendique un peu l’appartenance. C’est encore mieux quand on vient de (très) loin, c’est ainsi qu’on est moins considéré comme un étranger, allez comprendre. La première balade, après le passage obligé par la Boulangerie, le bar de Pampaul que Miossec et Yann Tiersen ont préempté, c’est vers la Pointe de Porz Goret, plus souple et meuble – comme la tourbe – que sa célèbre voisine du Créac’h. Trois kilomètres à pied, quand on a le temps, ça n’est rien, surtout quand les moutons nous souhaitent bonne route et que, à proximité de Nérodin, l’île nous offre un changement de lumière comme seule elle en connaît. Le Ciel qui vous adoube, c’est un privilège qui confère, tout de suite, au Voyage, le tour spirituel qu’on n’osait lui demander. Un de ces moments où il n’y a plus rien à faire que s’arrêter et regarder, l’arc en ciel dont l’un des pieds prend naissance sur le clocher de l’église, l’autre sur la Chapelle de Bonne-Espérance, peut-être. Le peintre reprend espoir en son inspiration, l’écrivain prend des notes en mémoire, le Youc’h Korz préside et le temps, toujours lui, est suspendu. L’homme qui venait affronter ses trente ans à Ouessant en 1998 pensait qu’il était plus important d’y aller que d’y rester ; le même, vingt ans après, à quelques jours près, pense l’inverse. Sur le chemin du retour, on voit l’avion décoller ; le bateau, lui, est déjà parti depuis longtemps. C’est quand plus rien ne peut vous ramener que vous devenez un îlien et que l’île vous happe, pleinement, dans sa féérie, sa solitude et son silence. Tout ce qu’on est venu y chercher, je disais. C’est beau à en pleurer.

Photo: Franck Gervaise

19:45 Publié dans Blog | Lien permanent

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