30/12/2017
Carmen & Laura, ouessantines.
Laura ne le sait pas, mais elle est l’incarnation absolue, puisque tout doit correspondre, de l’immortelle Margot de « Conte d’Eté ». Laquelle, comme elle, fait la serveuse (pour payer ses études d’anthropologie) dans une crêperie, à Dinard, et rencontre Gaspard, lequel finit par l’inviter à l’accompagner à Ouessant, comme il l’a simultanément proposé à Solène et à Léna… Il finira par y aller seul, ce qui est une des meilleures façons d’aborder l’île, si l’on n’y est pas bien accompagné. Par quelqu’un qui comprend ses variations, en saisit les mêmes phénomènes que nous. Laura, c’est la serveuse du Stang et comme ses copines qu’elle retrouve le matin à la Boulang’, elle n’a sans doute pas la même vision de la vie d’une îlienne : à vingt ans, on aspire à plus de choses qu’un bout de terre en pleine mer peut en offrir, et il y a un certain fatalisme à les voir déjà mères, soucieuses d’autres choses que celles de leur âge. Tout en maintenant ce sens de l’accueil et du contact qu’ont les Ouessantin-e-s. On sait, en trois jours, qu’elle aura, comme d’autres, mené des études dictées davantage par les marées que par le reste ; dans le restaurant, des enseignants se demandent quelle est la décharge horaire obtenue par celui ou celle qui devra passer d’une île à l’autre transmettre, généralement, par souci d’efficacité, trois ou quatre disciplines différentes. Laura dit que le mieux, c’était quand l’enseignant lui-même était coincé par la mer et ne pouvait pas venir : dans tous les coins du monde, les réflexes sont les mêmes. Dans de nombreuses décennies, peut-être sera-t-elle, Laura, celle qu’on enterre dans le cimetière d’en face, aujourd’hui, sous le vent et les coups de glas (la maman de la dame qui fait habituellement le ragoût ouessantin mais s’excuse de ne pas avoir le cœur à l’ouvrage, ces temps-ci) ou peut-être aura-t-elle fait sa vie ailleurs, son île chevillée au cœur. Prisonnière, proustienne, dans les deux cas. On n’aborde pas l’isolement de la même façon, selon que l’on a vingt-cinq ans ou le double. À vingt-cinq ans, ou un peu moins, j’allai pour la première fois à Ouessant, sans que l’île me marquât plus que ça. C’est après, dans le souvenir et dans la projection, que tout est arrivé, je l’ai assez dit : aller au bout du bout de la terre, c’est aller vers ce qu’on a de plus juste à dire et à être. Curieusement, une des discussions à la Boulang’ portait aujourd’hui sur les êtres qui passent leur vie à en manipuler d’autres à leurs propres fins. Les salauds sartriens, en somme. L’île n’efface pas les erreurs qu’on a commises, celles qu’on commettra ; mais elle permet de se mettre en face de sa propre vie et de se dire, au gré d’une balade à Porspaul, devant les prémices de Carmen, qui, finalement, décale la tempête attendue au réveillon de l’An nouveau. Le 2018ème depuis qu’on s’est mis d’accord sur un départ, que le Christ (rouillé) au Calvaire ne démentira pas. Mon 50ème, seulement. Déjà.
Photo: "L'Eclaircie" (L.Cachard/E.Hostettler), Eloise Prod, 2009
16:05 Publié dans Blog | Lien permanent
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