04/08/2018
(Re)voilà les Anges.
Le 8 décembre 1990, à la Cigale, à Lyon, entre un concert de Barbara (un des dix) et un (le seul) de Léo Ferré, j’allai voir Gamine, ce groupe folk-rock dont tout le monde parlait, à la suite de leurs deux tubes interplanétaires (de l’Hexagone), le fabuleux « Voyage » en 1987, et « Voilà les anges » l’album d’après. À cette époque-là, on disait déjà que ces groupes-là– citons-les : Graziella de Michele, Louise Féron, Ellie Medeiros, les Innocents… - valorisaient, quelques années après la vague de Rennes, la musique française, celle que les Anglais pouvaient encore nous envier. Gamine, c’était essentiellement, dans la politique de la maison de disque de l’époque, la belle gueule, mèche blonde en bandoulière, de Paul Félix, l’auteur-interprète du combo d’un Bordeaux pré-Noir Désir, dont on ne savait pas encore qu’il se saborderait après deux albums réussis, sous les explications vaseuses et distantes d’une crise de mégalomanie du chanteur et d’un refus du succès des autres musiciens. Gamine restera une énigme de la fin du XX° siècle, parce que tout était réuni pour que le groupe dure mille ans : l’équilibre entre Paul Félix- « Mort à Venise »-Visconti, Paco Rodriguez à la guitare, Guillaume Bacou à la basse et, successivement, quelques batteurs dont on a oublié le nom, était tel qu’il semblait n’obéir qu’à une règle. Celle du chanteur-interprète, possédé au possible, dont la rumeur dira, pendant des décennies, qu’il a été ingérable et imbuvable au point de dégoûter de son travail tous les éminents producteurs. A ce point, la rumeur n’est pas vérifiable, même trente ans après. Qui aurait pu dire, le 8 décembre 1990, que Eric Falcon – avec son t-shirt arborant Hitler avalant sa szavtika – deviendrait un éminent scientifique français, qu’Estève et moi deviendrons mari, femme, père et mère d’un même individu, Muriel infirmière reconnue, elle qui a dormi tout le concert ? Qui peut dire, trente ans après, que Paul Félix, passé du show-biz aux lamaseries du Tibet, a eu tort d’être celui qu’il fut il y a trente ans, dont – dit-il lui-même – il n’assume pas les paroles de chansons tout en les reprenant enfin pour un tournée d’été qui relève de la simple camaraderie et d’un Chiche trans-générationnel? Histoire de montrer que ces morceaux n’ont pas pris une ride, selon la formule consacrée. Mais pas une, vraiment. Sur l’improbable scène de la plage des Voiliers, à Portiragnes, dans la région qui m’héberge depuis trois ans, Gamine poursuivait hier soir une inimaginable tournée d’été, pour qui voulait bien les entendre de nouveau, ou se trémousser sur un morceau en se disant que ça leur rappelait quelque chose. Paul Félix, à l’époque, se serait offusqué de telles conditions, mais là, il est en tunique turquoise, s’occupant des balances, dans le bar du copain de son bassiste historique. Saluant tous ceux qui l’interpellent et les remerciant, déjà, d’être là. La mer est le fonds de scène, et il n’y a pas de vent. Les Anges sont bénis et le processus, lancé depuis la fin du mois de juillet, peut s’enclencher. Après une première partie passée au restaurant de la paillotte locale, vers 22h30, la réminiscence n’est pas palliative, mais brutale, dantesque : un morceau quasi-instrumentale en ouverture et c’est par « le Voyage » que le groupe lance le concert, trente ans après. Sans que je me rappelle comment je l’avais ressenti le 8 décembre 1990, sans même que je me souvienne ce qu’Eric avait prétexté pour laisser son manteau dans la 2CV sans savoir qu’en sortant de la Cigale, trente centimètres de neige recouvriraient Lyon… « Le Voyage », et c’est déjà l’explosion interne, et l’envie, puisqu’il n’y a de mise que la curiosité lointaine de gens attablés, de ne pas voir ça de la « fosse », mais de trois quarts dos, du côté de Paco. La voix de Félix aura été un des plus grands manquements de l’histoire du rock français : personne n’a mieux que lui placé une voix de tête, aux nasales contrecarrées par l’accent de son cru, que l’ironie ramène, aujourd’hui, aux intonations de Christophe Dugarry alors même que Christophe Dugarry n’était, au mieux, qu’un adolescent ayant échappé à ses parents pour aller au concert de Gamine… Que faisions-nous tous, hier, à Portiragnes, musiciens et auditeurs mêlés, à part sortir d’une hébétude et non pas rattraper, mais signer, puisque personne ne le fait jamais, trente années passées in absentait ? A réécouter, de loin en loin, ces disques qui nous avaient obnubilés – Estève, en 1991, avait déjà exprimé son ras-le-bol de la lecture en boucle – sans en rien dire pour ne rien provoquer, ni l’anachronisme ni la raillerie. Qu’ils étaient et qu’ils restent bien, putain, ces deux albums et ce 45 tours, qui permettent à trois quinquas (plus un jeune batteur) de ramener tranquillement à la surface un travail de jeunesse dont on comprend qu’il les aurait tenus jusque là s’ils avaient choisi l’autre voie. Celle du succès facile et de la reproduction à travers les années. Il est plus exceptionnel, au sens propre, d’aller voir Gamine sur la plage de Portiragnes cet été que U2 à Bercy à l’automne. Et moins cher. Depuis hier, l’idée qu’un des deux groupes a réussi n’est plus valable : au pire, on peut se demander lequel. « Dream Boy », « Nos sens égarés », « Two People of a different kind », « Cuisine contemplative », tout revient sublimement, et la tignasse, le corps peint de Paco s’imposent comme il ne s’était pas fait il y a trente ans. Pas plus que le mètre quatre-vingt dix du bassiste ne nous avait marqués, d’ailleurs, tiens… Quand l’hirsute et bariolé guitariste chante (à son tour) « Nos rêves », dans un country endiablé, on retrouve tout, et pas hélas, pour une fois. On lutte avec le souvenir d’une scène accaparée par un seul homme et, d’un coup, trente ans après, le voilà qui laisse toute la place qu’il peut. « Etre roi », « les gens sont si bizarres » - un texte que le chanteur 2018 dit ne pas assumer de l’auteur 88 – « Nos sentiments », « May I », avec les voix partagées et croisées, dans le langage, où étions-nous, hier soir, en bord de Méditerranée ? Dans un entretemps dans lequel chacun a reporté la part qui lui a le plus manqué, depuis tout ce temps ? Qu’est-ce qui nous pousse à donner plus d’importance à l’instant qu’il en a vraiment ? « Voilà les anges », même s’il attire le plus de monde, n’est pas le morceau le plus éloquent : c’est le plus facile, le plus soumis aux malentendus radiophoniques. Je l’ai écouté de derrière le batteur, c’était une belle expérience aussi. L’imposant Paco, dans les rappels, allume un troisième bâton d’encens, sort la cithare et situe la méprise telle qu’on l’a laissée : Gamine, il y a trente ans, aurait pu devenir les Beatles français, si rien de ce qu’on ne saura jamais les avait plombés. Jusqu’à ce qu’ils retrouvent l’envie et le plaisir de revenir à ce qu’ils étaient avant, et jouer pour qui veut bien les écouter. La Cithare tient "le mantra de la bienveillance de Bouddha", étonnamment rythmé, puis enchaîne - jamais je ne l’aurais espéré - sur la meilleure version (ex æquo avec Ferré, ça situe, et recadre temporellement) du « Que sont mes amis devenus », de Rutebeuf, qu’on ait jamais entendue. Avec un finale sur du Echo & the Bunnymen, qui comblera de joie Olivier Martinelli, local de l’étape. Quand ils décident, par joie, de jouer « Heroes », version « les dauphins savent nager », je me jette à l’eau, mais pas de façon métaphorique : seule la mer sait témoigner de la relativité d’un espace-temps. « Ne partez plus », c’est ce qu’on a envie de dire aux Gamine, seulement. Sans grand espoir, ce qu’on peut comprendre aussi. Mais il n’est pas donné à grand monde de valider les trois quarts de son existence lors d’une soirée en bord de mer. Ceux qui me lisent sauront ce que j’ai vécu. L’espérance du lendemain. Ouais, tu parles.
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25/07/2018
Ceux qui s'en vont.
Le plus dur, c'est de s'excuser auprès des arbres. Et de les remercier.
21:51 Publié dans Blog | Lien permanent
23/07/2018
Clara & Aurélia, dans la maison de mon enfance.
Je me suis mis tout seul en résidence d’écriture dans cette maison qui a abrité toute mon enfance et sera détruite en septembre. Pour une nouvelle ère, qui restera dans la famille, ce qui est un moindre mal. Mais il n’empêche : j’ai l’impression que derrière les tapisseries psychédéliques des années 70’s, tous ceux qui ne sont plus là me parlent et m’aident à avancer dans la finalisation – j’ose le mot – de mon grand œuvre, ce roman russe sur lequel plusieurs anges, de ceux dont parlait Laurence Tardieu à mon sujet, se sont penchés, à plus ou moins forte influence, mais à ce niveau-là, il n’y a pas de petite aide. Pour m’être trop brûlé les ailes, je n’en parlerai pas plus, mais 2019 est une échéance qu’on m’a fixée, pour plus d’une raison, dont certaines sont tellement incroyables que je n’y croirai qu’en les voyant. Je travaille dur, d’arrache-pied, une dizaine d’heures par jour et quand, comme aujourd’hui, je m’accorde une pause, c’est pour réaliser que la « Girafe » est sortie de presse il y a quelques heures et que, si je ne l’ai pas encore en ma possession, elle est d’ores et déjà disponible sur le site du Réalgar, sortira officiellement le 21 août pour les libraires qui s’intéressent encore à moi et sera disponible lors des rencontres qui s’annoncent en septembre, dont je reparlerai aussi. Pour l’occasion, puisque c’est le mode opératoire dans les grandes maisons d’édition - à l’annonce de ceux qui prennent souvent la littérature pour de la lessive et parlent de la rentrée littéraire comme d’un comice agricole – cette petite vidéo nous réunit, Franck Gervaise et moi, pour vous donner envie d’aimer Clara Ville. Qui, en bonne petite fille revêche qu’elle est restée, ne vous aimera pas non plus si vous ne l’aimez pas. Mais pour ceux qui se souviennent d’Emilie – de « la partie de cache-cache » - de Elise dans « Tébessa » ou de Gabrielle dans « Marius Beyle », sachez que c’est un personnage qui compte, déjà, pour moi, dans ma bibliographie. Qui prend tout son sens dans ces murs où je me trouve, qui me parlent et à qui je réponds par l’action du temps.
http://lerealgar-editions.fr/portfolio/girafe-lymphatique/
19:18 Publié dans Blog | Lien permanent
21/06/2018
Détour de chant.
La première d’un spectacle – « Song-Book », « un carnet de chant en fait, mais en plus snob » - réunissant le Gainsbourg du XXI°s. et le comédien fétiche de Rohmer et Desplechin, ne pouvait qu’attirer les foules, énamourées et féminines, hier, au théâtre Molière de Sète. Une ville dans laquelle Benjamin Biolay a ses attaches, qui l’auront mené, avec Melvil Poupaud, puisque c’est lui, à « la Ola » en toute fin de soirée mais chut, c’est un secret. L’affiche avait le côté bobo absolu, mais promettait le meilleur : Biolay est une bête de scène doublée d’un chanteur de plus en plus remarquable dans la gestion de sa voix (de crooner) et Poupaud s’est avéré un musicien complet, commençant le concert à la batterie, passant par la guitare, la basse et le chant. Un poil à l’identique de son ami, ce qui n’est pas négligeable. Les deux sont arrivés sur scène en costume, Melvil coiffé d’un Panama et moi comme les autres, je me dis que le temps a passé depuis que le jeune Gaspard se promenait avec Margot sur les plages de Saint-Enogat, dans « Conte d’été ». Mais l’homme est très beau, d’une beauté moins sauvage que son comparse, dont on devine vite qu’il sera le point central d’une affiche partagée. Les deux avaient promis un tour de chant éclectique, j’apprends même qu’une consultation avait été lancée sur des réseaux sociaux pour proposer des titres. Pendant une petite heure et quart, le tour de chant prend des visages multiples. Les grands maîtres sont sollicités ouvertement, de Nino Ferrer (« la rua Madureira », que Poupaud a fait découvrir à Biolay) à Salvador (« Jardin d’hiver », qui a lancé la carrière de Benjamin) en passant par Aznavour via Tarantino (« Tu t’laisses aller », en duo un peu forcé) ou Nougaro, via « l’écran noir des nuits blanches » qui lie les deux amis. Ça marche, c’est très bien orchestré, avec un comparse aux claviers, Biolay à la trompette et au piano, sur lequel traîne un verre de bon rouge. Mais c’est une chanson de son ami Hubert Mounier, de « l’Affaire Louis Trio », « Non, non, tout mais pas ça » que le théâtre se lève d’un bloc, avec émotion. Biolay, qui doit être l’inverse du sale type qu’il s’est longtemps évertué à montrer, ne lâche pas ses amitiés, promet la permanence à l’auteur disparu et on se dit que le concert de cet été à Fourvière, l’album « Mobilis in Mobile » repris en intégralité s’annonce d’ores et déjà mythique. Biolay pavane, « raconte sa vie », il y a dans la scénographie la réalité reproduite des sessions de répétition, une intimité tout juste reprise, en mise en abyme, par une caméra que Poupaud mène le plus souvent : quand on a travaillé avec Rohmer, on connaît le cinéma et Melvil filme Benjamin et le public se voit en fonds de scène, en réflection. Un Brassens bien choisi pour faire local ? C’est « Maman, Papa », chanson écrite pour Patachou, ça change des Copains d’abord. Biolay introduit une chanson qu’il a écrite pour Gréco, qui n’en a pas voulu, et qui l’a regretté en l’entendant sur son album à lui : « la vanité ». Poupaud est tout ému, encore, d’interpréter une chanson que Biolay lui a écrite. L’échange des politesses s’arrête là, néanmoins, il est convenu que le comédien se montre sous son meilleur jour musical, et sa polyvalence est réelle, bien que les morceaux, souvent, s’arrêtent là où la partition pourrait devenir compliquée. Ils jouent un morceau de « Palermo Hollywood », sur lequel ils se sont rencontrés et ont tourné ensemble. Avec Chiara Mastroianni, qui n’est pas là (« Chiara a ses devoirs à faire », seule référence à Gainsbourg de la soirée). Biolay dit qu’il a écrit pour Julien Clerc, également, mais qu’il préfère interpréter une chanson de lui et de Roda-Gill, « Souffrir par toi n’est pas souffrir », reprise il y a quelque temps, déjà, par Vanessa Chassaigne. On est dans la sphère « Inrocks-Télérama », les groupies sont ravies et jouent de leur portable à satiété. Les compères s’amusent aussi, on devine qu’au fil de la tournée, Poupaud sera moins angoissé. Tout cela est raconté dans le désordre, mais si l’idée et sympathique, la double apogée de la soirée restera pour moi la version originale, à deux guitares côte-à-côte, des « Cerfs-volants » et surtout, SURTOUT, « Ton héritage », une chanson comme il en existe une tous les cinquante ans. Les pères pensent à leurs fils, les fils à leur père, c’est sublime, c’est fort et ça justifie la soirée. Des techniciens habillés en infirmiers psychiatriques viennent enlever un par un les instruments des mains des comparses, les raccompagnent en coulisses et c’est fini. Le beau théâtre Molière attendra un rappel, qui n’aura pas lieu. Un petit goût d’inachevé, mais la satisfaction un peu imbécile d’avoir été doublement privilégié. Sète, the new place to be.
PS : merci à Eric Martin. La revanche aux sépions.
photo: Alain Kertomen
09:35 Publié dans Blog | Lien permanent
14/06/2018
Portrait de femme.
Puisqu’il faut bien lâcher les œuvres qu’on commet, il est temps que je le fasse de cette « Girafe lymphatique » qui m’a pris plus de temps que je l’aurais imaginé, quand j’ai entrepris d’écrire cette histoire à main levée. Un roman court, une grosse nouvelle, l’éditeur a tranché en sous-titrant du premier genre. « Girafe lymphatique », indépendamment de son titre elliptique, c’est surtout une œuvre à part dans ma bibliographie : un récit écrit à la troisième personne, avec des répétitions scandées du prénom et du nom du personnage. Clara Ville, dont on remonte trente années de vie en quatre-vingt huit pages. Entre le départ de son père – professeur de piano au Conservatoire de la Réunion – ses retrouvailles avec lui, une fois femme et mère. Il y a dans « Girafe lymphatique » l’histoire de cette femme, déterminée par le départ et l’absence. Mais aussi un échange qui la ponctue, entre son portraitiste en mots et le peintre à qui il demande de l’envisager. Des propos sur l’Art, sur le doute, ce qu’il convient de représenter ou pas. La troisième entrée de ce court roman, ce sont les dessins de Franck Gervaise, que j’ai sollicité à contre-emploi, qui s’est servi de paysages ouessantins pour y insérer son personnage à lui, qu’on retrouve trois fois dans le livre. Les éditions du Réalgar ont fait le reste, dans leurs parutions toujours très classes.
Dans l’agitation éditoriale, ces moments où l’on évoque la rentrée avant même que les vacances n’aient commencé, il est difficile d’exister comme auteur, quand la diffusion n’a pas les moyens des grandes maisons, ou les réseaux de ceux qui en sont sortis. Mais puisque « Tébessa, 1956 », qui m’a permis de rencontrer un lectorat, a dix ans cette année, puisqu’il a été réédité pour la troisième fois sous une nouvelle couverture, je vais relancer les personnes que j’ai rencontrées dans mon parcours d’écrivain, les inviter à m’inviter de nouveau, que je leur parle de ce qui fait une somme de vingt-cinq ans d’écriture (sur cinquante ans de vie). Qu’ils sachent qu’on peut se relever des chutes, de toutes ces petites paresses accumulées ici et là. Je leur parlerai aussi, enfin, de mon grand œuvre qui me prendra, encore, un été d’écriture et de travail, plus quelques mois d’une énième relecture, avant de le proposer enfin, dix ans après sa première évocation.
Il s’agit donc, aujourd’hui, de se proposer à la rencontre, de ré-exister publiquement. Merci d’avance à tous ceux qui se rappelleront de moi, à ceux qui diffuseront cet appel.
18:42 Publié dans Blog | Lien permanent
02/06/2018
Bien sûr que les flammes étaient hautes.
On se dit à chaque fois, depuis trente ans, qu’un concert du Voyage de Noz ne sera jamais qu’un autre concert du Voyage de Noz et je ne dirai pas que ce n’est pas vrai : c’est pire. Enfin mieux, je veux dire. Compliqué, avec ces types qui mélangent sciemment le début avec la fin, ou le début, je ne sais plus. À domicile, qui plus est, dans cette Casa musicale (d'Eric & Line) qui relie tant de souvenirs, les leurs, les miens, devant un parterre d’historiques et de Noz 3ème génération. Trente ans, le chiffre ne sort pas d’ex nihilo: c’est, l’année prochaine, l’anniversaire de la sortie de leur premier album, « Opéra », dont le défaut aura été de ne pas contenir « Anassaï », ma chanson préférée avant que paraisse ce Bonne-Espérance qui restera mythique dans l’histoire de la musique pas suffisamment diffusée (mais c’est un autre sujet). C’est par « Sculpture lente », morceau de ce premier opus, qu’ils commencent hier, histoire de faire le lien. Les Noz, depuis le début de cette tournée, ont trouvé l’équilibre : des vieux morceaux, un "Pierrot le fou", des pépites retrouvées ("le Pont", "le Fleuve", ces moments Lautréamont), quelques extraits de « Bonne-Espérance » – dont « le secret », sublime morceau, hélas altéré hier par quelques soucis de balance – le dernier album joué dans l’ordre et en intégralité (à la Springsteen) et un lâcher-prise final, rock héroïque à l’appui et "Valse aux idiots" dégingandée.. J’ai déjà tout dit sur Pétrier, il est temps de rendre justice à cette session rythmique démentielle, un Alexandre Perrin toujours aussi juste et puissant malgré son tennis elbow, un Pierre Granjean à la basse ronde et sourde qui soutient l’ensemble et permet aux solistes, l’un à la Gretsch, l’autre aux cheveux, de pousser un peu plus à chaque morceau, histoire d'aller chercher la catharsis. À chacun sa façon de la vivre, dans le public, entre ceux qui récitent le moindre texte, ceux qui observent et ceux qui parlent entre eux. Il y a ceux qui les ont tellement vus qu’ils ne sont pas montés dans la fournaise, préférant la fraîcheur du jardin. Ils auront entendu, quand même, les conseils de respiration de Stéphane, via un autre Stéphane, Thabouret, le photographe du Radiant (et de moi-même, par ailleurs, ce qui n’est pas une mince affaire). Se concentrer sur une partie de son corps, la laisser s’imprégner des énergies du lieu, trouver le chemin entre la chaleur et la chaleur. Les boiseries de la Casa s’y prêtent, le souvenir du violoncelle d’Olivier Gailly aussi. L’endroit a une âme et le chanteur s’en empare, dans sa pantomime. Les autres l’accompagnent et tout le monde est pris, à chaque fois. Parce qu'à force, il y a quelque chose qui se dégage de cette intégrité scénique: les Noz, en fait, c'est U2 qui aurait réussi, contre toute attente. À mener le cap, à rendre après 30 ans (en prenant le leur, ok...) des albums toujours plus remarquables. Bonne-Espérance mis à part - double album concept, roman musical - des titres récents comme "Nous n'avons rien vu venir" (même s'il n'y a plus aucune chance, je sais qu'on essaiera encore) ou "juste avant la fin du monde" (bien sûr que les flammes étaient hautes, bien sûr que le vent soufflait fort) sont très supérieurs à ce qu'ils ont fait avant, dans la mélodie, les textes et l'intention. Et on ne lasse pas, en tant que musicien, d'un titre qu'on a encore que peu joué. C'est dans ce lien qui les unit, la volonté d'en découdre et de montrer qu'on peut en être au début en approchant de la fin que ce groupe tire sa spécificité. L'interprète lui-même est déjà à part, et l'apport de la voix féminine en chœur, très marqué sur le denier opus, fonctionne bien sur scène aussi, le libère de certaines montées et lui permet d'être dans la performance, physique, viscérale. Hier à la Casa, le témoin que j'étais est passé en une seconde d'un concert attendu (bleu pâle?) à quelque chose dont on se souvient, dans le crescendo et la force (bleu Klein). Et puisque rien n'est normal dans ce groupe qui génère des personnes qui présentent quelqu'un comme le mari de leur femme, puisque la fin, c'est le début et le début, la fin, on a eu trois guitaristes différents, un sorti de (derrière) ses fûts pour un "Empêche-moi de dormir" intime, un sorti de sa retraite pour accompagner celui qui, dit-on, serait plus proche, lui aussi, de la fin que du début, pour un "30 avril sur les quais" fascinant de complicité, le jour même, à quelques heures près - dans le titre et dans la vie- des 56 ans du second. Le dernier morceau, dit le chanteur, c'est le "Cimetière d'Orville", puis "Attache-moi" puis "Opéra", enfin. En fermant les yeux, un moment, c'est vers les vingt ans de Denis Simon qu'on se dirige, pas vers ses cinquante. Mais puisqu'on s'est connu à 5 et retrouvé à 40, on se dit que le début, la fin sont effectivement des notions arbitraires.
16:46 | Lien permanent
28/04/2018
Wet & Wild Dragons.
Je ne commencerai pas par l’abyme habituelle du prétexte d’en avoir déjà parlé. Je ne dirai pas non plus le déroulé d’une grosse semaine de vacances m’ayant mené de Oléron à Jassans-Riottiers, trois ans après, pour y (re)voir ce groupe que je suis depuis un bon quinquennat, sur lequel j’ai beaucoup écrit, mais pas tout dit. Parce qu’il fallait retrouver le duo devenu trio dans des circonstances moins idylliques que celles dans lesquelles il a passé le mois de mars (en folie) à sillonner la Chine devant des publics nombreux – pléonasme – et enthousiastes. Là, dans le Centre Culturel de Jassans, restée célèbre pour les avoir reçus par une température caniculaire, photos de Vincent Assié en témoignant, en 2015, l’ambiance était plus crépusculaire, entre abonnés un peu curieux et habitués. Des salles comme celles-ci, il faut aller les chercher et, fait exceptionnel, David et Michaëla ne s’en sont pas cachés, hier soir. Pourtant, les spectateurs passifs auraient pu, avec un peu de curiosité, se rendre compte de la chance qu’ils ont eue de récupérer le combo à ce niveau de jeu et de complicité avec Polito, le batteur dont, dit Michaëla, la moitié de la Chine est tombée amoureuse. Comprendre le niveau des arrangements avec lesquels il interprète les morceaux de son dernier album, « l’Eté », dont le titre éponyme, hier, m’a singulièrement marqué. Fergessen alterne les morceaux rocks et les ballades, clavier et airs mineurs en support, mais on sent qu’il manque quelque chose à David, qui ne flanche pas et va solliciter, par les breaks, les reprises, les solos énervés. Michaëla en trébuche, mais suit, reprend, s’allonge au sol, annonce qu’ils sont heureux d’être là, quel que soit l’avis, sur le concert, de ceux qui y assistent. Paul, le Monster - mélange, écrivais-je, de Animal, le batteur fou du Muppet Show et de Keith Moon - est sur sa planète ; parfois, les deux autres semblent s’en remettre à lui, à court de solutions. Il y a un peu de rage dans la posture, elle est partagée par ceux qui savent pourquoi ils sont venus, pourquoi ils reviendront : on ne fait pas plus boire un âne qui n’a pas soif qu’on peut convaincre des personnes venues par hasard qu’elles vivent quelque chose d’exceptionnel, à ce niveau de chant et de jeu. Le son n’est pas très bon par ailleurs, et l’ingénieur n’y est pour rien. Mais peu importe, all's well that ends well : le finale du concert, lancé par « Eleonor Rigby », magnifié par ce « I want love » qu’on reprend encore, ces jours-ci, de Pékin à Canton, est aussi repris à tue-tête, enfin. Le groupe peut quitter la scène sur « les Amants » qu’ils sont toujours, il aura fait le job, mais ça aura été dur. On ne décide jamais à l’avance de ce qui va fonctionner ou pas. Michaëla précise : la phrase, « Cool, restons détendus », c’est la plus conne qu’ils aient écrite, mais c’est celle qui reste le plus. « Ce qui est con est profond », en déduit David, le philosophe-bretteur. Rien n’est jamais simple pour les rebelles. Mais la fidélité compte, la permanence aussi : les Boom-Boom de la pédale de Paul n’auront jamais autant résonné qu’hier. En septembre, Fergessen reviendra à la Casa, dans des contrées moins indifférentes. On y sera. Même s’il n’y a plus aucune chance, je sais qu’on essaiera encore. Et encore.
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22/04/2018
Laurence d'Oléron.
Je lui ai dit que son chapeau était très beau, elle m’a gratifié d’un sourire magnifique et félicité pour l’accroche. Elle a posé son regard sur le seul des six livres que j’exposais hier - au stand des Editions Raison & Passions - dont j’ai choisi de parler tout au long de la journée, dans la Citadelle du Château d’Oléron. Une cité balnéaire, un temps estival, tout concordait pour que le public ne vînt pas et si ça n’a pas manqué, le climat n’est pas le seul responsable. Dix années de salon, du Tébessa d’hier à celui d’aujourd’hui, m’ont fait passer du pain blanc au sang noir, ceci exprimé sans aigreur. Le constat est simple, et démontrable : je ne parlerai pas ici du trop de livres, du trop d’auteurs, chacun se jugeant – et c’est bien normal – tout aussi légitime que l’autre ; je ne dirai que l’expérience de celui qui a toujours vendu des livres en Salon quand bien d’autres n’en vendent pas, ou très peu. Pas parce que je suis meilleur ou plus malin : parce que l’éditeur a bien fait son travail – de titrage et de couverture – parce que le sujet accroche la mémoire, que l’auteur n’a plus qu’à convaincre le lecteur qu’il peut lui faire confiance, pas aveuglément, mais précisément : dans la façon qu’il a eue de traiter un pan d’histoire (la guerre d’Algérie) avec humanisme et un sujet grave (la mort d’un jeune homme) sans tristesse. Dans tous les Salons où je suis passé, huit fois sur dix, le livre en main, le passant repartait avec. En dix ans, le prix du même livre, dans sa troisième et nouvelle édition, a baissé (dix balles, le bon compte), mais le rapport n’est plus le même, les porte-monnaie sont inquiets, le public plus versatile, l’auteur moins convaincu, peut-être. Moins prompt, en tout cas, à dégainer son prestigieux passé, les nombreuses invitations (rémunérées, quel âge d’or !), l’unanimité autour de ce titre qui a fini par reléguer les autres et même, MÊME, pensez-vous, la parution d’un extrait dans un manuel scolaire, la fréquentation, dans un index, de Shakespeare ou de Camus. Dont un des biographes de renom m’a hier félicité sur l’écriture de mon « Valse, Claudel », lui qui, aussi, écrivit sur Camille. Et eut le temps de le lire, dans la solitude qu’il partagea hier avec bien d’autres illustres auteurs… J’ai toujours eu des Laurence ou des Anne-Charlotte – venue un jour rompre mon isolement naturel du Salon de Paris en assénant un « c’est vous que je voulais voir » - pour ne pas m’autoriser de constat d’échec, au bout d’une décennie. J’ai écrit au moins un livre qui a marqué au-delà de l’estime, qui continue de vivre et que je suis venu retrouver hier, sur une autre île que la mienne et que Ouessant, dix ans après. Un livre qui a rendu la voix à un jeune homme de vingt ans qui l’avait perdue pendant plus de 50. Le temps de dire une guerre, selon Stora. Dans les toilettes un peu confondues du Salon d’Oléron, je croise une auteure importante, bien connue dans ma région d’origine : son dernier roman parle de ses origines, de l’Algérie, elle se souvient du mien, me félicite encore puis me laisse. Elle est invitée à parler au micro, je retourne à mon stand. Il n’y a pas d’échec, juste trop de livres et pas assez de lecteurs. Dehors, la mer rappelle à celui qui veut bien la voir la vanité des choses ; le soleil est encore écrasant, la journée – sympathique, ponctuée de belles rencontres – est passée mais n’a pas servi à grand chose. Sauf à se dire qu’il faut parfois savoir finir. Quitter une île, une fois encore, en retrouver une autre. Ne revenir – ici ou là – que parce qu’on y est invité, attendu. Qu’on l’ait mérité ou pas, c’est autre chose et, dans ma vie d’artiste, tu leur diras que je m’en fiche. Pour mon premier Salon – Place Bellecour, en 2008, plus de 50 Tébessa vendus – mon fils de douze ans, venue avec sa maman en fin d’après-midi, avait asséné un « ça pue le livre, ici ! » un rien pré-ZADiste. Hier, c’est la femme de mon éditeur, qui le suit partout où il traîne ses cartons, qui me disait ne plus pouvoir supporter le regard suppliant des êtres parqués, cherchant à accrocher le vôtre. Hier, celui de Laurence, et son sourire, ont suffi à ma (belle) journée.
NB : pour ceux qui me diagnostiqueraient d’entrée un syndrome Compagnons de la Chanson, que les choses soient entendues : je défendrai ma « Girafe lymphatique » sur les terres de mon autre éditeur et serai présent, si l’on m’y (re)trouve une place, au Salon de Saint-Etienne, en octobre. Mais j’y serai pour défendre un travail commun, avec Franck Gervaise, ceux à venir, aussi. Et mon grand-œuvre, auquel je travaille encore, me donne l’espoir d’être un jour, de nouveau, attendu quelque part. Je dis juste que, le cas échéant, ça sera sans moi et ça ne sera pas grave.
05:21 Publié dans Blog | Lien permanent