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03/03/2012

Fenestrelle & Ménestrels

carole-martinez-HP.jpgOn parle beaucoup, finalement, dans le « Domaine des Murmures » de Carole Martinez. Parce qu’Esclarmonde, qui a préféré l’emmurement au mariage avec l’orgueilleux Lothaire, reçoit, de l’autre côté de la meurtrière, recueille confidences, confessions et organise le monde duquel elle s’est retirée. Elle est cause et conséquences de ce qui s’agite au dehors, dans ce domaine du Doubs qui donne son titre au roman et à son mysticisme protéiforme. Parce que l’histoire prend corps au XII°s., dont on ne connaît en littérature que les récits de chevalerie, dans un domaine seigneurial sur lequel le Père de l’héroïne règne en maître débonnaire. Qui aime intensément sa merveille de quinze ans mais y renonce en même temps qu’elle crée un stratagème pour briser son mariage sans qu’il la tue sur-le-champ. Il fera donc, puisque c’est le vœu qu’elle a formulé, construire une chapelle supplémentaire au domaine, doublée d’une geôle dans laquelle Esclarmonde n’aura plus comme Père que celui qu’elle n’a pas déçu. Ce ne serait qu’une histoire de recluse de plus si le sort, son ironie ou son origine, ne l’avait pas enfermée en même temps qu’une part d’elle-même ne demandait qu’à s’ouvrir au monde. A travers l’écriture très dense de Carole Martinez, son lexique médiéval, sa fine analyse des strates de la société féodale (le dialogue entre Esclarmonde et la vieille nourrice, qui lui demande de « ne pas envier leur misère » est remarquable, les scènes de marché et de récoltes aussi), les croisements perpétuels entre le Sacré et le profane, on retrouve en filigrane ce qui fait encore le sel de certaines légendes : une part de superstition qui reste, l’envie de croire davantage à l’histoire qu’à sa réalité. On assiste également à des conversions étonnantes, qui n’ont rien de religieux : la transformation de Lothaire, jadis belliqueux, qui, une fois « l’aiguillette nouée », devient trouvère et dont la vièle n’a pour souci , dit Martinez, que d’ « effriter les pierres » qui enferment celle qui l’a révélé en se refusant. Le père qui, en croisade, sous le soleil brûlant d’Acre, a la révélation mystique de sa propre vanité et se découvre à la tendresse qu’il accorde à ses fils morts. Les deux rivaux, Amey et Amaury, qui l’accompagnent, dont l’un, comme Lothaire, a été trahi au perron de l’église. La mort est permanente dans « Du domaine des Murmures », et pas seulement parce que le sacrifice d’Esclarmonde fait qu’on ne meure plus dans le domaine. Elle se double d’une réflexion sur la vie, les importances que l’on donne : la recluse est politique, elle se joue du religieux tout en se consacrant à Dieu, s’arrange avec l’idée de ce qu’elle peut laisser croire d’elle, de son sacrifice, des conceptions, des stigmates. Elle regarde le Sacré par le bout de l’hagioscope, le profane par la fenestrelle et interpelle le lecteur, directement : un lecteur contemporain, qui voit dans le récit de Carole Martinez une réflexion sur la foi, l'engagement, le sexe des femmes (belle leçon botanique de contraception !), celui des hommes et leur chute. Il y a des révélations – le mot clé de ce roman-  doubles, également, que je ne ferai pas ici. Sur le père, sur le chemin de croix des existences passées à se mentir. Sur la séparation d’avec l’enfant, qui feront écho chez toutes les mères du monde, et leurs enfants. Esclarmonde dialogue, dans le silence de ses rêves et de ses prières, avec ceux qu’elle a ouverts au monde en s’en retirant : les parallélismes sont nombreux, la mort du père dans le même temps que le départ de l’enfant (au double sens du terme, mais j’ai juré que je ne dirais rien !) sont des thématiques intemporelles. C’est l’écriture de Martinez, classique, dense, sans épure mais sans afféterie, qui place le roman dans sa facture. Et fait, comme le souligne l’ami Chavassieux dans cette note poétique, que l’aventure littéraire soit autant partagée. En tout cas, s’il ne reste de Chrétien de Troyes qu’un Gauvin devenu centaure, prêt à suppléer Charon pour que les ombres errantes de l’armée du siècle traversent le Styx ou prennent Jérusalem - ce qui revient au même – c’est un roman majeur puisqu’inédit, dans toutes ses dimensions, que propose Carole Martinez. Que des lycéens l’ait élu Prix Goncourt est éloquent à ce titre, et rassurant.  Mais je dis ça, je dis rien. Ben dis rien.

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02/03/2012

Paul Virilio.

J'ai été marqué, il y a quelques années déjà, par la théorie des accidents chez Virilio (concernant le progrès) et sa dimension phénoménologique. Comme si tout procédait brusquement, par mutations, sans qu'on puisse faire grand chose, ce qui en soi est presque rassurant. J'ai souvent fait l'analogie avec mon travail d'écriture, fait de brusques sommets, d'ères exclusivement consacrées et de vides tout aussi violents, quand on ne sait pas quand ni si on va en sortir. Jean-Paul Dubois disait récemment qu'il n'était pas très sain d'être écrivain, je commence à comprendre. Pour autant, demain, vous devriez avoir une note avec un peu de tenue, enfin, puisque j'ai terminé "le Domaine des murmures" et que j'entame mon hexalogie critique des livres qui précèdent les auteurs que je vais rencontrer. Livre remarquable, déjà, tenez-le vous pour dit.

19:06 Publié dans Blog | Lien permanent

01/03/2012

Visites ce mois-ci: 0*

Mars arrive, Mars attaque et je me suis juré ce matin d'être combattif, bretteur, de retrouver le Cyrano teinté d'Alceste qui a toujours sommeillé en moi. Et puis non. J'ai l'impression étrange de "faire le job". Il me semble qu'il est temps de fixer une fin à cette activité quotidienne: cet été, j'arrêterai, après les derniers comptes-rendus de mes rencontres à Grignan et à Annecy. Définitivement. Tout le monde virtuel. J'essaierai de me reconstruire comme lecteur, comme écrivain, comme individu. De toute manière, Miossec l'a mieux dit que moi, récemment: personne n'écoute. Tout est illusion. Quand on n'a plus de main dans la sienne, on serre son Iphone et on fait semblant d'avoir des amis. Ceux qui m'aiment prendront le train, ai-je toujours dit. Ils rajouteront le bateau, ai-je toujours rajouté, puisqu'il faudra bien y aller, à Ouessant. Et ceux qui se sont parjurés resteront à quai. 

* j'ai 5000 visites par mois sur ce blog. En mon temps, j'y ai écrit de belles pages. Là, ça tourne en rond. Et puis tout remettre en jeu à chaque mois, depuis 2008, quelle formidable vanité!

18:45 Publié dans Blog | Lien permanent

29/02/2012

Ce qu'on ne sait pas des chansons qu'on a subies.

Lionel ne se doutait pas qu'en changeant de sexe - ce qui n'était, il faut l'avouer, guère courant au début des années 70's -  sa soeur se vengerait de l'affront familial en hurlant à tue-tête au repas de Noël: "Tata Yoyo". Ni même qu'elle l'enregistrerait dans la foulée. Bof.

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28/02/2012

Les tempêtes de l'inéluctable.

Cet homme-là avait fui les dates toute sa vie,refusé les anniversaires, s'était séparé de celles qu'il avait aimées avant que leur histoires s'altèrent, avait évidemment refusé toute descendance, descellé les miroirs pour éviter toute marque de temporalité; il avait même déposé une demande à l'état civil pour changer de nom dans l'espoir que son patronyme ne vieillisse pas non plus. Tous les soirs, comme dans les veillées mortuaires d'un ancien temps qu'il ne voulait surtout pas mesurer, il prenait le temps de calfeutrer toutes les issues de chez lui afin qu'Elle n'entre pas par surprise. Quand il vit le sourire de la jeune femme, à la boulangerie, il se sentit animé d'une flamme nouvelle. Mais quand elle dit en lui tenant la porte "ça va aller, Monsieur?" d'un ton bienveillant, il prit la dernière décision d'un aller sans retour pour les falaises d'Etretat (récurrence).           

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27/02/2012

Marty Mc Fly, encore.

Tous les jours je passe en voiture – l’Ouest lyonnais est scandaleusement fermé aux transports en commun rapides -  devant l’entrée de l’Université Lyon II, sur les quais, je vois ce perron de l’UER de Lettres, jette un coup d’œil, espérant y voir passer Laurence (et sentir mon cœur se serrer), sa jolie amie Corse Dominique, qui d’autre, Sergueï, Pilu, Evelyne ? Hervé, Martine, Christine? Je ralentis le pas chaque jour, je regarde, mais non : Devaquet a démissionné, Monory n’est plus Ministre de l’Education. Et ce connard, derrière, qui klaxonne à ma jeunesse perdue…

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26/02/2012

L'Annonce.

DJ COUV'.jpgC’est brutal, mais on me fait comprendre que je dois me remettre sur le marché. Remonter en selle de séduction et de rencontre. Pas une mince affaire. Si je me penche sur mon passé récent, sans tomber dans le doubrovskysme, je ne peux pas me plaindre et si le bord de la tombe approchait sans prévenir, si elle me laissait le temps de regarder en arrière, je pourrais dire, moi aussi, que j’ai aimé. Mal, trop, je ne sais pas, mais j’ai aimé. J’ai écrit un Dom Juan pour en refuser l’étiquette, me suis vu, trop vite, reconstruire ma vie, personnellement et professionnellement. Les deux Anglaises & le continentC’était une chimère, écrivais-je déjà dans « Ma nue à l’infini », en 1999… Je pourrais, comme tout le monde, m’inscrire sur des sites de rencontre par affinités et réfléchir aux critères qui pourraient inspirer une âme en quête, également. Qu’elle sache, déjà, que j’appréhende la liberté qui pourrait empiéter sur la mienne. Le passé qui s’inscrit dans les choses qu’on redécouvre. La reproduction. Les faux-serments, les centaines de mails en six mois pour du silence à suivre. Mais bon, on n’a rien sans rien, hein, donc, si vous êtes une femme libre (j’insiste), si vous aimez la littérature, la musique, les échanges, les petits déjeuners tardifs, si vous pensez qu’on est en droit de réinventer quelque chose de beau à la moitié du temps donné,  alors envoyez-moi un message à l’adresse en bannière. C’est gonflé, mais ça me sortira des non-dits et de l’hypocrisie. Si on se plaît, il n’y aura que de belles choses à vivre. Sinon, je pourrai toujours vous réserver, en mode autofictionnel, une place dans mes écrits : j’ai encore des milliers de femmes à tuer virtuellement, avec plus ou moins de romantisme. 

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25/02/2012

And the winner is.

enveloppe_promo_02_4.jpgCoincé chez moi pour contingences, j’ai regardé la Cérémonie des César, hier, comme on retombe accidentellement sur un film qu’on a aimé il y a vingt ans et dont on se dit que c’est pas qu’il a mal vieilli mais bon… Les César, donc, en fond sonore, avec quand même la question qui me tient à cœur de la reconnaissance des professionnels davantage, on l’a dit mille fois, que celle du box office : quand le maître de cérémonie se moque gentiment du cinéma de Desplechin en l’imaginant en 3D, je ne peux que penser que Desplechin est, pour moi, le cinéaste français le plus signifiant de ces vingt dernières années et que je déteste le virage technologique que le cinéma a pris. Et aussi que Intouchables & Co, ça reste de la comédie assez moyenne à la papa et que rien, dans le jeu, ne justifie un tel engouement. Mais là n’est pas la question d’aujourd’hui : en regardant les César, j’ai repensé au Coup de cœur de Lettres Frontière en 2009, à celui de Grignan à venir. Jamais là où j’ai concouru, je n’ai imaginé pouvoir « gagner ».  Pas par complexe ni coquetterie, mais non. Et gagner quoi, au final, puisque le mérite est déjà là, dans la reconnaissance des pairs ? Je n’ai imaginé pouvoir gagner sauf dans les dernières secondes, au moment où le remettant  ouvre l’enveloppe, d’une main fébrile. A Genève, c'est Delphine Bertholon qui s'est fendue de quelques mots. C’est à cet instant, hier, déjà accablé par les contingences sus-dites, que je me suis dit qu’il faudrait que mon discours de Grignan soit le plus muet possible.

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