30/12/2013
Cabris.
A l’inverse de De Gaulle, je pourrais facilement, et sans attendre 67 ans, entamer une carrière de dictateur quand je vois l’usage actuellement fait de la démocratie.
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29/12/2013
The Black Sentence's Game.
Il y a d'abord un parcours défini, dont la distance n'est connue des concurrents qu'au fur et à mesure qu'on s'approche de l'arrivée, ce qui les oblige à doser l'effort en fonction d'une durée à tenir, et des obstacles qui s'opposent à eux. De deux natures: des adversaires, qu'on visualise de loin ou qui apparaissent au détour d'une rue, d'un croisement, etc. Ceux-ci permettent aux concurrents de les rattraper s'ils sont suffisamment proches - donc d'accélérer leur cadence- ou de mesurer des temps intermédiaires quand ils sont loin et des les voir se rapprocher. La règle étant, quand ils les dépassent, de ne pas leur accorder de regard, de rester fixé sur l'objectif de l'arrivée. Dans l'imaginaire des concurrents, la course est commentée, les secondes égrenées, on considère chaque feu piéton au vert comme un signe que l'inéluctable est en marche, chaque feu rouge comme un croche-pied fait à l'invincibilité du champion toutes catégories, celui qui, depuis plus de trente ans, est invaincu dans sa discipline. Qu'il soit le seul à savoir qu'il la pratique, que les autres concurrents ne soient pas conscients qu'il les considère comme tels, ne change rien. Il avance, marche à pas rythmé, distinguant les adversaires, donc, et l'autre catégorie d'obstacles, les répliquants, qui apparaissent subrepticement, eux aussi, mais disparaissent presque aussi vite, entrant chez eux, s'arrêtant là où lui continue. De faux adversaires, très éphémères, qui peuvent néanmoins l'obliger à une allure trop rapide, qui l'épuiserait. Tout est calculé, dans cette compétition: les courbes des virages, les vélos évites de justesse, les pas ne mordant pas les bandes blanches des passages piétons. La foule qui hurle mentalement le même nom de crack qu'il porte depuis trente ans est la même que celle qui accompagnait l'Etalon noir jusqu'à l'école, et le principe est le même que celui qu'on impose aux enfants: faire en sorte, en plus de l'exercice physique, que le trajet passe plus vite. À l'arrivée, le candidat a le choix, suivant le tempo qu'il a imposé à sa course, entre terminer au sprint, gravir quatre à quatre les trois étages qui le séparent de la ligne et homologuer son temps ou assurer une victoire - rappelons qu'il est seul à concourir mais épargnons-lui ce rappel - tranquille mais figurant tout de même au palmarès. Il ne lui reste plus qu'à accepter, un jour, que quelqu'un qui le dépasse en marchant ne soit pas qu'un répliquant, qu'il soit vulnérable comme le sont tous les empires, même les plus fantasmagoriques, et le temps aura, hélas, fait son œuvre.
NB: tout cela, c'est de la faute du Palais des fous.
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28/12/2013
Médire.
Il ne lui manque que la parole, entend-on souvent dire, ici ou là. Au vu de l’usage qu’en font ceux qui le disent, on n’en est plus si sûr, au final.
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27/12/2013
Sequels.
On me dit à deux reprises, depuis hier, que la note qui précède est dans l’esprit de « Ciao Bella », qu’elle en ferait une suite idéale. On rajoute d’ailleurs que la nouvelle, qui a trouvé son public, est frustrante, qu’on aimerait savoir ce qu’ils deviennent, ces deux-là. Eh bien rien, qu’est-ce que vous croyez ? Qu’ils vont mettre leur vie de côté, céder à l’impulsion et l’installer dans le temps ? Il n’y a pas matière à roman dans cette histoire, c’est un instantané, une façon de ressentir les choses au moment même où elles arrivent et c’est déjà beaucoup. On n’écrit pas deux fois la même chose, sinon il y a complaisance. Alors ces amants-là, fussent-ils platoniques, n’ont pas d’autre avenir que celui qui fait qu’on recommence l’histoire au début, pour la relire encore. Ce n’est pas le cas des vieux amis d’hier.
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26/12/2013
Les vieux amis.
Ils se tiennent par le bras, se soutiennent mutuellement ; il n’a été question de désir entre eux que jusqu’au moment premier où ils ont compris qu’il vaudrait mieux, pour eux, ne pas y céder. Depuis, ils se portent, se racontent leurs vies, leurs chagrins (d’amour), leurs espoirs (d’amour). Ils savent que quel que soit l’endroit où l’un deux va débarquer, l’autre voudra et saura le retrouver. Revoir le sourire enjôleur, se réjouir de sa mauvaise foi à lui, de ses aphorismes à elle : on ne peut pas, dit-elle, être au centre du monde quand on est un trou du cul*. Ils avancent, on les voit s’éloigner de dos sur le chemin, la tête de l’un un peu penchée sur l’autre dans un mouvement de balancier. Ce sont les vieux amis, les copains que chantait Ferré, il y a longtemps, déjà. Ils avancent, sans savoir où ils vont : quand les routes sont rectilignes, c’est que l’intention est fausse. Et que le parcours qui va s’ensuivre sera faussé, par un postulat qui n’était pas juste. Il faudrait se souvenir de tous les premiers instants qu’on a passés avec les gens qui comptent, et se demander respectivement si on a été fidèle à l’autre, avec ce qu’il a engagé de soi dans ce qu’on est. Pour l’instant, les vieux amis continuent : quand elle frissonnera un peu parce que la nuit est tombée, il lui prêtera sa veste et ils entameront le chemin du retour.
* dessin et aphorisme: Fabienne Bergery
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25/12/2013
Inédit.
Scène 1
Un homme, seul, dans ses pensées. Il sourit.
Ah, j’en ai eu du succès ! Il fallait voir, à l’atelier, le sourire qu’ils avaient tous quand j’arrivais le matin, tous là à guetter le bon mot, la blague du jour, la grimace que je ne refusais jamais de leur donner. Pour égayer leur journée. La mienne passait après. Après ça. On aurait pu me donner le boulot le plus pourri du monde – déjà que celui-ci c’était pas brillant ! – ça m’aurait pas dérangé plus que ça. Parce que j’avais compris un truc que eux ne comprendront jamais : ça n’est pas la tâche qu’on te donne qui compte, c’est la façon dont tu t’en acquittes. Et moi, peut-être que c’est la nature qui m’a fait comme ça, mais j’ai choisi d’être heureux. Quitte à monter tous les jours la même pièce sur la même machine, je me suis imaginé heureux et du coup je le suis. Du moins je l’étais. Et comme en plus de ça, j’avais la cote auprès des autres, ça m’a jamais demandé trop d’efforts d’aller travailler. Toujours la banane, toujours le sourire, jamais l’œil sur l’horloge pour éviter d’y penser, les journées défilaient et à chaque pause, avec les copains, on allait s’en griller une dehors et là je savais que c’était à moi de jouer, que c’était un peu ma scène, la cour de l’usine. (...)
Extrait de "A contre-emploi", théâtre, à paraître (2014)
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24/12/2013
Vermot.
On ne se fâche jamais avec un coiffeur velléitaire: on ne peut pas dire ses quatre vérités à celui qui coupe les cheveux du même nombre.
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23/12/2013
Qui l'espace confond.
Quel que soit l'endroit où il se pose, quai de métro ou de gare, Sandro Secci, photographe, saisit de ces fragments de vies que le regard seul ne voit plus. Des instants de solitude urbaine, de régression sociale dont on se dit - ultra moderne obscurantisme- que moins on en parle, moins on a de chances de le subir soi-même. NIMY. Not in my Yard, disent les anglo-saxons. En Italien, je ne sais pas, mais le Sarde qu'il est s'est peut-être dit, en quittant son île - pour trouver la raison sociale derrière laquelle nous pouvons toujours courir- qu'il serait plus sensible que les autres au sort des déracinés, qu'ils soient de passage, justes, ou permanents dans un espace auquel ils se confondent: dans une gare, sur un quai, il est fréquent de croiser un homme sur un banc, qui semble attendre comme les autres un train ou une rame qu'il ne prendra en fait jamais. C'est cette attente qui le détermine, pour un instant, comme les autres, comme l'être qu'il fut et qu'il a cessé d'être. Qu'il aperçoit parfois, usé, vieilli, au reflet d'une vitrine, de celles qu'il évite désormais pour se persuader lui-même qu'il n'est plus. La civilisation occidentale a créé, dans sa lente agonie, un monstre que Sandro Secci donne à voir quand on voudrait fermer les yeux. Mais il n'y a pas que ça dans la photographie de rue, qu'il préconise : il saisit des instants précieux, des temps suspendus dans un mouvement a priori vide de sens. Le langage se crée, les regards se croisent, il les saisit. Le noir et blanc donne un aspect suranné à l'ensemble, mais c'est l'intemporel qui est visé, il s'en moque donc, mieux, il le cherche. Ne sollicite aucun effet, aucun pathos, photographie les victoires - à la Pyrrhus - autant que les chutes, ne juge jamais, en ethnologue. Quand il s'aventure à Etretat, lieu mythique et ancré dans l'Art, il trouve des angles inédits, ramène l'inquiétude en surface, que seuls les marins connaissent encore. Dans "Trains de vie", qui renvoie autant à la place qu'on s'est construite dans la société qu'au mode de transport, souvent justifié par cette même place, Secci saisit le mouvement et, culot du photographe, arrête le temps : les êtres en gare sont entre deux états, jamais vraiment eux-mêmes, pas non plus ce qu'ils devraient être. En équilibre, précaire, sur le fil du faussaire. L'existence n'est pas plus linéaire que les trajets sont rectilignes; sur un banc, dans l'attente, deux hommes qui ne se connaissent ni ne se parlent ont peut-être en tête la même femme, qui sait? L'un l'aurait rencontrée par hasard, dans une rame, l'autre la convoite depuis longtemps, au bureau, sans jamais avoir osé lui dire...
La polysémie du titre joue en plein: les trains sont aussi les théâtres de scènes plus anodines, plus joyeuses. De ces situations qu'on a tous vécues quand, par exemple, l'on croise en une seconde le regard de quelqu'un dans le train de la voie d'à côté, quand les parallélismes se font coïncidences. Quand on a l'impression, alors que le train se met en branle, que c'est le quai qui bouge. Quand on observe, les jours de pluie, le phénomène étrange de la goutte d'eau sur la vitre qui semble faire la course avec les autres, les dépasse un instant, puis est brutalement reléguée, dans un perpétuel mouvement, que les physiciens s'expliquent et les poètes exploitent. Un train, c'est un lien vers l'ailleurs, un partage de l'altérité que la fin des compartiments n'a pas totalement annihilé. Il y a une fantasmagorie dans l'espace-temps partagé, le rendez-vous commun: quelque chose de l'ordre du pleinement vécu. Dans les gares, par exemple, il y a des horloges numériques, avec des petits points rouges qui, chaque seconde, complètent une minute. Si vous la fixez sans ciller, le temps d'un tour complet, vous aurez pris, pleinement, la mesure du temps. Et croire que vous l'aurez perdu à faire cela n'engage que les affairés du même lieu, les hommes pressés, dans le déni de la vanité de leur action. Qui d'autre que le photographe peut leur renvoyer l'image qu'ils n'ont plus d'eux? Le travail de Sandro Secci offre une métaphysique, au bout du compte: regarder passer les trains est l'activité la plus saine qu'on ait connue.
13:37 Publié dans Blog | Lien permanent