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22/01/2014

Le temps qui reste.

photo-1.jpgIl faudrait d'abord se souvenir que la veille de son arrivée, j'ai passé deux heures et demie dans le coma, avant de me réveiller à l'hôpital, avec un bon pour une opération le lendemain de sa venue. Pas commun, pour un père, d'aller voir son fils nouveau-né, dans le bâtiment d'en face, en pyjama, la perfusion à la main. Mais psychanalytiquement, ce serait trop compliqué, alors je ne le ferai pas. Pas plus que je ne parlerai des ces clichés-là, vous savez, le temps qu'on n'a pas vu passer, le souvenir qu'on a encore de soi à son âge. Les quelques regrets qui parsèment forcément le parcours, les maladresses dont on a fait preuve, les oppositions qu'on n'a pas su prendre tranquillement. Mais elles furent rares, et  ne ternissent rien : rien de la sensation d'avoir été là, d'avoir assumé jusqu'au bout et, mieux encore, d'avoir provoqué une relation de celle qu'on aurait aimé avoir, même si les époques, les contextes, les structures familiales n'étaient pas les mêmes. Il y a ce prénom, aussi, impérieux, qui a peut-être déterminé des conduites, ces étapes dont on se souvient, l'inquiétude des parents face à la capacité d'adaptation d'un enfant introverti dans un univers hostile, qui les avait inquiétés eux, déjà, quand ils durent y faire face. Les marches gravies une par une, avec leur système de prévention, de répétition, une autonomie toujours plus grande et revendiquée. Jusqu'à l'extrême, jusqu'au refus, de l'aide, du soutien, de l'entrisme. Cette personnalité qui se construit, s'affirme et se structure, jusque dans ses réactions : au système scolaire, à l'autorité, à la contrainte. Les inquiétudes sont toujours là, elles se sont juste déplacées. Mais l'étape d'aujourd'hui est symbolique, et signifiante : la majorité de son enfant ne signifie pas son abandon, loin de là, mais le regain, ou pas, de la confiance qu'on lui fait pour qu'il mène sa vie sur un juste chemin. Dans mon cas, celui de sa maman aussi, on ne la maintient pas, cette confiance, on la décuple, pour qu'il choisisse bien, pour qu'il vive bien. Qu'il se réalise comme nous n'avons peut-être pas - ou trop tardivement -  osé le faire.

L'émancipation a déjà eu lieu : quand il est parti, l'année dernière, trois mois dans ce pays dont il aime la langue et la culture, quand il nous a signifié qu'il n'était pas nécessaire qu'on vienne le voir. Pour des raisons qu'il a énoncées brillamment en commentaire de ce que j'avais écrit là, à cette occasion. On a cru, moi surtout, que le monde s'écroulait, dans un premier temps, avant de reconnaître qu'il continuait et qu'on y respirait mieux en le sachant bien. Un pacte anticipé, valable pour les prochaines décennies, avec pour contrepartie au fait qu'on le laisse vivre qu'il ne nous oublie pas, qu'il s'impose, de temps à autre, quelques contraintes. Dans l'ordre, chronologique, mais pas exhaustif : travailler un minimum pour avoir son Bac, allumer son portable, de temps à autre, répondre aux messages avant trois jours et p..., mais p..., fermer correctement cette bouteille de lait avant de la mettre dans la poubelle de tri! J'écris aujourd'hui la lettre indirecte que je voulais lui écrire il y a huit ans : je le crois davantage en âge de comprendre, même si un de ses fidèles amis m'a un jour demandé si je m'étais inspiré de lui pour « la Partie de cache-cache ». Au nom de cette maturité précoce, ce regard avancé qu'il peut avoir sur les choses tout en restant tellement candide sur d'autres. On a tout traversé, jusqu'à maintenant, des annonces, des angoisses, une fugue, même, un jour, pour de si mauvaises raisons. Jusqu'à ce qu'il revienne, un peu honteux, toujours inquiet de nous avoir déçus quand nous l'avons aimé, ce jour-là plus qu'il était possible de le faire. Sauf le jour où je me suis retrouvé à suivre un camion de pompiers qui l'emmenait dans l'urgence d'une méningite, quand nous le supplions intérieurement de ne pas nous laisser d'une part, d'accepter de pleurer pendant la ponction lombaire de l'autre... Trois jours après, c'était le retour, sans plus d'inquiétude, et c'était le jour de Noël : il n'y avait rien de prêt, mais c'est la seule fois, depuis bien longtemps, que je compris ce qu'un jour pareil devait signifier. Des fous-rires, aussi, la boîte à rien, les fautes d'orthographe volontaires dessus, les biloulous, déjà ravivés, le petit manteau bleu et la vogue des marrons. Où je suis retourné avec lui, récemment, pour que je mange une gaufre et qu'il attrape des montres, là où je n'ai jamais rien attrapé de toute mon enfance. Peut-on seulement parler d'enfance, encore, quand chez les deux sujets, la conscience du temps qui passe est telle ? A la différence près, c'est que le temps qui lui reste est entièrement ouvert, pas le mien, même si... Mais on ne jalouse pas son fils : le mien est beau comme un Dieu grec et a une personnalité peu ordinaire. J'aurai plaisir à le regarder grandir, encore et encore. Jusqu'à la fin. La mienne. Après, il sera temps pour lui de les lire, mes livres, plutôt que de prétendre pouvoir les raconter. Même avec succès. Ça lui apprendra à avoir dix-huit ans un mois après mes deux fois et demie.

 

18:19 Publié dans Blog | Lien permanent

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