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22/04/2013

1820.

Cent soixante-dix sept ans séparent l'instrumentiste du violoncelle dont elle joue, avec lequel elle soutient les morceaux de notre projet "Littérature et musique", qui progresse. Se déconstruit, se réinvente. Il faut que les trois s'écoutent et s'entendent, pour arriver à l'harmonie. J'en arrive à oublier qu'il me reste à écrire ma partie, la dire, plus exactement, puisque les chansons ponctuent les extraits des romans qu'elles illustrent. Dans un mois, ce sera le Réalgar, sa plage de graviers blancs, ses recoins qui devraient être bondés. L'adrénaline et la question de savoir pourquoi on le fait. Parce que.

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21/04/2013

In extremis.

20mn avant le jour d'après, c'est toujours aujourd'hui: du passé qui ne dit pas encore son nom. Mais les entrelacs sont si nombreux, entre la mémoire et l'avenir...

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20/04/2013

Contre-histoire de la littérature.

Proust avait l’idée de traiter la réminiscence par le prisme du hachis Parmentier, mais d’obscures contraintes des ayant-droits l’en empêchaient. Contrarié, il ne dut son salut qu’à sa cousine Madeleine, venue prendre le thé.

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19/04/2013

Rirette & Polyves (fin)

Un enfant effronté la tira de ses pensées : il lui demandait si elle voulait bien lui donner un des marrons chauds de son cornet. Elle s’exécuta dans un sourire, pensant que les siens n’auraient pas à le faire, puisqu’ils le leur en auront offert, avant qu’ils demandent. La complétude du monde n’est pas seulement politique. Ou tous les liens le sont, et le leur est indéfectible. Quels que soient les jeux de massacre dont il serait, tour à tour, l’instigateur ou la victime. Quelles que soient les retombées de ses dénonciations : une figure humaine n’est ni simple, ni lisse, il y aurait des angoisses, des creux, des jours et des nuits sans personne. Des pleins, des creux, des vides. La peur de n’être là que pour n’y être plus. L’enfant a tourné les talons sans un remerciement. Elle n’entend plus que le forain, qui conteste à Polyves le droit de tirer encore, prétextant qu’il a raflé suffisamment de lots. Il le regarde fixement, cherchant la faille. Qu’il a déjà trouvée. Qu’on le prive de lots l’indiffère. C’est la légitimité de celui qui l’en prive qu’il conteste. Qu’on l’empêche de tirer arbitrairement, par une action non consultée. Et symbolique. Le vieux monde n’a pas fini de souffrir de ses vieilles lunes, s’il les protège. Polyves remise la carabine voilée : ses cibles ne sont pas là, et Rirette n’aime pas qu’il cherche des crosses. Il tend l’objet au forain, qui s’attendait à pire. « Merci, camarade », lui assène-t-il, en cédant. Façon de parler.

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18/04/2013

Rirette & Polyves (épisode 2)

Et c’était comme s’il les dézinguait, les problèmes, son bel homme au blason clair et à la chemise de lin ramenée de là-bas. Ceux qu’ils ont eus, ceux qu’ils auront. Rien ne lui paraissait plus évident que de rester à un mètre de lui, le laisser mettre en joue les obstacles, derniers remparts du monde de vieux qu’il éreintait de ses articles et aphorismes. Puisqu’il la lui fallait, la lune, il n’avait aucun scrupule à la demander. Mieux, à la décrocher. Pour ne pas commettre les mêmes erreurs que son père. Ses errances, quand il partait au beau milieu de la nuit, hanté par les fantômes de sa propre trahison. La lutte des classes commençait là, avait-il expliqué à Rirette, au sein de sa propre condition : réussir, oui, se renier, non. Rirette acquiesçait, parce qu’elle aimait que son angry young man s’élève contre les injustices du monde. Elle l’aurait suivi dans tous ses combats, de toute manière, depuis qu’il lui avait envoyé d’Italie les plus belles lettres qu’il lui enverra jamais. Qu’il signait d’un « bien à vous » qui comprenait le plus bel amour du plus bel âge, sauf pour lui. Tous les deux, au stand de tir, composaient le couple parfait, qu’on regarde encore pour sa tenue et sa jeunesse, pas celui qui montre les signes de l’habitude et du loisir forcé. Ils n’étaient ni plus beaux ni plus amoureux, mais ce qu’ils avaient en commun était unique : il la comptait comme sa première lectrice, lui confiait les doutes de son work in progress. Récemment, il lui avait parlé du philosophe sur lequel il écrivait un article, qui avait édicté sa métaphysique par la pratique du ski. Sans l’ivresse de la descente et de l’inconscient. Quand il traitait de vieux imbéciles les philosophes sur lesquels ils avaient travaillé, elle riait de bon cœur parce qu’elle savait qu’elle tempérerait, tant qu’il n’aurait pas construit son système à lui, celui qu’on nommerait par un adjectif dérivé de son patronyme. Ce nom cinglant à deux syllabes par lequel elle aimait l’appeler. Elle acceptait l’exigence du politique, cet engagement fort qui percute le couple. Il aimait qu’elle ne s’efface pas, qu’elle formule ses positions, quitte à agacer les camarades. Qu’elle s’auto-suffise sans rien lui redevoir. Ils se construiraient ainsi, une entité aux vecteurs distincts. Et les ennemis qu’il alignait, là, c’étaient les fantômes qu’il avait peur de voir ressurgir. Et pas ceux du manège d’à-côté. La fête foraine, chez Polyves, était un exutoire, une façon d’être proche du peuple sans avoir à se justifier. Quand il y emmenait Rirette, il se sentait léger, loin de toutes les préoccupations du Parti et de la philosophie. Chaque année, il guettait le même marchand pour itérer d’une unité, disait-il, son traité d’ontologie gaufrologique. Délaissait les manèges trop bruyants pour les sports d’adresse, où il défiait toute vraisemblance en dégommant les boîtes de conserve ou les têtes de pipes. Une question de concentration, pour lui : à quoi lui servirait sa distance s’il ne la mettait pas à profit, y compris pour les choses les plus anodines ? S’il fallait qu’il montre de l’adresse au tir, il la montrerait. Ça signifiait à ceux qui l’approchaient qu’il ne s’en laisserait pas compter. Que sa jeunesse ne passerait pas comme les banquiers l’entendaient : qu’elle s’effondre ou se déchire, il en userait pour faire passer de ce qu’il compte mettre au monde. Pour venger son père et se libérer lui. A chaque fois qu’il appuie sur la gâchette, Polyves, il pense que le monde est sciemment voilé, comme la carabine qu’il a en mains, que c’est son strabisme qui corrige le tir. Le redresse et l’oriente. Et commence la Révolution. Aux bras de Rirette, à la fête foraine. Contre les mandarins, les apparatchiks. Les poètes aux effets cousus de fil rouge. Ils lui feront payer sa panoplie de Normalien, il rendra coup pour coup, opposera sa légitimité à celle qu’ils lui contesteront. Ils se méfient des traîtres ? Il se méfie de ceux que l’on a en nous et c’est plus juste, au final. Tout ce qui est personnel se rattache à la lutte, la connaissance est liée à l’action. Tiens, l’affidé ! Prends ça, le laquais ! On ne se bat pas seulement avec des idées, on se bat avec le Parti pour qu’il évolue et ne se fourvoie pas. Rirette le regardait et le trouvait beau. Elle pensait aux enfants qu’ils auraient, à la Bretagne qu’il voulait lui montrer. Elle ne le garderait pour elle que quand il en aura besoin, l’extirperait des griffes de ceux qui le phagocyteront pour de mauvaises raisons.  Ils auraient le temps pour eux, un temps réel, pas détruit. Elle suivrait les avancées de ses romans, le conseillerait sur tel ou tel personnage, repérerait sans rien dire le caractère de tel ou tel de leur entourage. La jeune et cassante amie de son petit camarade. Le poète perfide. Derrière le franc-tireur, ils la trouveraient elle, en deuxième lame. Ce qu’ils lui feraient subir, elle le leur rendrait au centuple. 

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17/04/2013

Rirette & Polyves (épisode 1)

Elle le trouvait beau comme un Dieu grec malgré son strabisme. Convergent, qui lui donnait l’air mystérieux quand celui de son ancien-cothurne donnait l’impression qu’un de ses yeux disait merde à l’autre. Elle aimait ses vestes en tweed, son élégance, ce que lui appelait son dandysme d’occasion. Depuis qu’ils étaient ensemble, ils n’avaient manqué de rien, surtout elle, qu’il couvrait de cadeaux et de surprises, comme cette soirée à la fête foraine. L’occasion de manger quelques marrons, de boire du vin bourru. De s’essayer à la carabine, surtout. Quand il tirait, lui avait-il dit, il se concentrait sur ses ennemis intimes, et Dieu sait qu’il n’en manquait pas. Un jeune type aussi brillant ne traverse pas s les strates d’un Parti sans générer d’inimitiés. On l’avait prévenu : le Parti, c’est un intellectuel collectif, il ne serait jamais qu’un parmi d’autres. Dont les productions devraient être conformes aux attentes. Tout Normalien et accrédité qu’il était. Par rapport à l’ensemble, il était le seul à détenir autant de ressources scolaires, une telle polyvalence : philosophe, sociologue (ah, son fameux espoir de la sociologie, malheureusement pas de la nôtre !), critique littéraire, journaliste et romancier, ça lui donnait les moyens d’une relative autonomie, et les autres n’aimaient pas ça. Ces autres qu’il dégommait pipe après pipe, à la fête foraine, devant Rirette, admirative. Pas d’abdication du moi, a-t-il grommelé, un jour. Il avait adhéré jeune, s’était construit en marge, avait développé une ligne qui lui semblait la bonne : de la fidélité, pas d’assujettissement. Même si, à l’époque, le Parti se caractérisait par son hostilité à ce qu’il représentait. Pour lui, c’était l’occasion de retrouver le réel, de s’attaquer à l’appareil scolaire, qui l’avait sauvé lui mais en rejetait tant d’autres. Rien d’irréalisant, c’était sa devise, qu’il fallait saisir. Conscient que son image dérangeait, qu’on le soupçonnait, déjà, d’être double : comment concilier l’intérêt collectif et la création ? Même son couple dérangeait : Rirette était si vivante qu’elle en devenait douteuse aux yeux de ceux qui ne voyaient les femmes que comme le prolongement des maris. Si Rirette ne tirait pas à la carabine, ce n’était pas parce qu’elle n’avait pas à le faire, mais parce qu’elle préférait le voir faire, lui, la Maryland vissée à la commissure des lèvres. Ils étaient si bien, elle calmait sa révolte, il lui ouvrait la voie d’une intelligence plus sensible qu’il ne le laissait percevoir. Ils faisaient l’amour divinement et quand ils n’étaient pas là l’un pour l’autre, ils s’écrivaient la façon dont ils se le feraient s’ils étaient là. Il n’y aura pas de plus belle chose pour nous que notre amour, lui avait-il écrit d’Aden.

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16/04/2013

Kantique des quantiques.

Quand il comprit qu’il avait confondu les signaux de niveau d’huile et de température du moteur,  sous les yeux effarés du mécanicien à qui il avait expliqué que tout cela semblait exagérément bas, le philosophe ne sut dire ce qui dominait de la satisfaction d’avoir sauvé son moteur et de la consternation d’avoir perdu son honneur.

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15/04/2013

Kronix du jour.

IMG_1559.jpgOn pourra hurler au conflit d'intérêt, surtout dans quelques semaines, quand nous serons de concert invités à proximité de la Suisse et que nous n'y viendrons pas les mains vides (mais repartirons sans rien, je nous soupçonne de ne pas être très conventionnels!), mais Christian Chavassieux, aujourd'hui, m'offre une chronique dans kronix et je sais que ça ne relève pas du retour d'ascenseur complaisant. C'est d'autant plus encourageant (à quoi, c'est une autre histoire...) que la mise en place se fait doucement et que personne ne se bouscule pour m'inviter à en parler, de mon Gros Robert. La question des réseaux, toujours. Je vais en relancer quelques-uns, puisque ça se fait... Mais place à Chavassieux:

Abordant un recueil de nouvelles, le lecteur accepte d'emblée le principe de traversée de temps et de modes différents. C'est le genre qui le veut, et l'homogénéité, ou disons la cohérence, des récits courts qui se succèdent, n'est pas forcément désirable. Entre les six nouvelles de La 3ème jouissance du gros Robert de Laurent Cachard, il y a de forts contrastes de style et de thème. Et cela contribue au plaisir de la lecture. Mais implique de parler de chaque nouvelle comme d'un texte spécifique, dégagé du corpus intégral, quasi inconciliable avec la nature du reste. Le plus jouissif, puisqu'il s'agit de cela, c'est que l'ensemble ainsi créé ajoute à la palette déjà très étendue de Cachard, romans, chansons et théâtre, des nuances inédites. Ce dernier ouvrage semble ressortir des domaines alliés de la somme et de l'exploration. 
La première nouvelle du recueil et qui lui donne son titre, est un sobre et émouvant moment de vie de Robert, et de ses amours possibles. Le récit est crédible (en tant que lecteur, j'ai besoin de vraisemblance et ce n'est pas un détail) et touchant, très délicat, juste. Robert est gros, maladivement gros, ne le restera pas, comme il ne restera pas à la Croix-Rousse (décidément, Cachard est l'écrivain de la Croix-Rousse), où le récit prend racine. La vie du héros connaît les hauts et les bas de cette partie  pittoresque de Lyon, et quand son travail de scientifique l'entraînera à Paris, c'est « tout naturellement », qu'il va retrouver les sensations de son quartier dans les escaliers de Montmartre. Sauf qu'entre temps, il a perdu plus de 30 kilos, a rencontré Mathilde et sa fille, et que grâce à elles sa vie a pris l'épaisseur dont son corps s'est débarrassé. À Paris, au CNRS, où il rejoint une équipe qui travaille - tiens, tiens - sur les phénomènes d'ordre et de désordre, il fait la connaissance de Sophie, autre tête chercheuse. Les chercheurs se trouvent, la vie prend un élan, une résolution. Mais quelque chose n'est pas dit, subsiste et gêne. Il faut que Robert s'acquitte d'une dernière expérience. Cela prend la forme d'une installation en terrasse, à la Croix-Rousse, sur les traces d'un passé pas si lointain. Quand il était encore gros, quand la vie allait lui offrir Mathilde. Dans ce beau récit, Cachard articule avec science le déroulement du temps, place le lecteur aux côtés de son héros, permet une transparence des sentiments, tandis que, de la confusion initiale, monte une clarté, s'affirme une décision. On aime chaque personnage, on accompagne chaque mouvement. C'est un récit solaire et bon. Dans Le poignet d'Alain Larrouquis, l'agaçant et pusillanime Herfray oscillait entre deux femmes à peu près également invivables (selon mes propres critères), Dans cette Troisième jouissance, employée sans ironie, Robert est l'objet d'un amour double et généreux. Le choix de sa vie, finalement, s'en trouve facilité. Et le lecteur sourit, car il est heureux pour chacun des protagonistes.
Valse, Claudel, ressort du domaine évoqué plus haut, de la somme. Voici un texte longuement mûri, sans doute repris souvent, amendé, approfondi à chaque relecture de son auteur. Le résultat est une nouvelle absolument admirable, d'une sophistication extrême malgré sa brièveté, tant au niveau de la forme que du fond. Le narrateur patiente devant le Musée Rodin, rue de Varenne. Il attend une femme évidemment, et dans l'attente, entame un monologue intérieur avec Rodin, qu'il tutoie. Aussitôt, le récit est suspendu, et tout le jeu littéraire consiste en une exploration à partir du narrateur comme point géographique immobile, vers mille thèmes, mobiles et fuyants. La pensée vagabonde entre l'art et l'intime, l'histoire (de Camille et d'Auguste, de Lui et de Elle), l'attente, la fixité des statues ou de l'homme qui espère, les pensées, la danse, les regards, le mouvement, la réflexion prend son élan et un deux trois, un deux trois, se met à valser. L'irruption d'un gardien, figé dans son rôle, ne bouleverse pas longtemps l'équilibre tenu entre pose et pas-de-deux. Tout le texte explore la dualité fragile du balancement et du stable. C'est un superbe moment d'écriture d'un auteur en pleine possession de ses moyens. Cependant, on est loin de l'exercice littéraire stérile qui afficherait une virtuosité. La sophistication ne rompt pas le charme, elle l'augmente et l'enrichit par moult considérations sur l'art et les rapports de l'artiste à son travail. On reste dans l'humain, l'instant de vie, entre histoire de l'art documentée et remuements intimes, une somme disais-je. J'attendais beaucoup de cette Valse, promise depuis longtemps. Je constate que c’est un condensé d'émotion et d'intelligence. Un des textes les plus riches et les plus passionnants de son auteur. Le genre de littérature qu'on recherche avec avidité, parce qu'elle précipite en son creuset tout ce qu'on aime dans l'écriture, et vous le restitue avec clarté. 
Il est aussi question de danse, dans la nouvelle suivante, avec une scène joliment décrite d'un couple qui sur la piste, s'approche et s'éloigne, joue le rituel de la tentation et du retrait. Ciao, Bella ! décrit une brève rencontre. Il y a tant de brèves rencontres dans la littérature. Celle-ci ne déroge pas aux schémas attendus, amorce anodine, complicité, déambulation nocturne (Lille offre le cadre), incertitude, bienfaisant abandon, mais la fin est un bijou de finesse, qui va faire craquer le lectorat féminin de Laurent. On ne la révélera pas ici, mais ces quelques pages concentrent les rapports entre deux êtres sur une question essentielle : le faire ou pas ? Il y a du In the Mood for Love dans cette valse-hésitation. Un texte extrêmement délicat et subtil. Une réussite.
Tombe la neige et Marius Beyle (ce dernier texte, déjà édité sous une autre forme, mais retravaillé ici), qui se succèdent dans le recueil, parlent de la guerre et des lendemains de la guerre. Tombe la neige pourrait être vue comme une suite de Tébessa, 1956, puisque ses héros reviennent de l'Algérie. Gérard est resté là-bas, comme on sait, mais son alter ego anonyme revient avec son copain Polo. Le monde a changé, un peu, les femmes ont changé, pas mal. Enfin, les guerriers doivent trouver leur place. Les deux récits parlent de l'identité, de la transmission, et de la place qu'on prend entre les vivants et les morts (ce qui rapproche ce récit d'un roman à venir, le mien, mais nous en reparlerons en temps utile -pardon pour cet aparté). Cachard entreprend la description documentée d'une société passée, avec sa langue et ses modes, qu'elle soit la France populaire des années 60 ou les champs de bataille de 14-18. Dans les deux cas, il retrouve les formes et les accents des monodies intérieures du Gérard de Tébessa, à la première personne. Les portraits et les visions surgissent des pensées, les événements majeurs se mêlent aux souvenirs infimes, la vérité d'une vie et d'une période se construit sans que le lecteur en prenne conscience, par l'accumulation des touches impressionnistes. Les lecteurs qui ont aimé le premier roman de Cachard seront en terrain de connaissance.
Je soupçonne l'auteur d'avoir eu à convaincre pour ajouter la dernière nouvelle du recueil. Non pas qu'elle constitue un point de faiblesse ou qu'elle ternisse l'ensemble, mais je devine que le burlesque n'est pas la forme littéraire préférée de son fidèle éditeur. Car Rififfi chez les Aplagnet-Tartat est une incursion de Cachard dans le comique le plus roboratif, avec anarchie dionysiaque, jubilation infantile dans la destruction, crescendo dans le désastre (bien que tout rentre dans l'ordre au prix d'un effort absolument admirable du plus mature des protagonistes). On est dans la délectation la plus joyeusement primaire, la régression la plus réjouissante. Une très bonne idée que cette conclusion désopilante qui fait parfois penser au petit vélo à guidon chromé de Pérec. Un autre écrivain qui savait employer toute l'étendue de sa verve malicieuse pour offrir à ses lecteurs une occasion supplémentaire de jouissance. Il n'y a pas que trois jouissances pour le lecteur, dans ce recueil, vous l'aurez compris.

 

La troisième jouissance du gros Robert (et autres nouvelles). Laurent Cachard. Editions Raison et Passions. 138 pages. 14 euros.

Le dessin est de CC himself, catégorie "Dédicaces".

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