Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

14/12/2009

Saison Lettres-Frontière, ouverture!

J'entame demain ma saison Lettres-Frontière, cette rencontre avec les différents cercles de lecture qui en composent le jury. Pour l'instant, je suis invité à neuf endroits différents de Savoie, Haute-Savoie et de Suisse Romande: j'irai avec plaisir à la rencontre de ces personnes qui ont oeuvré pour que la sélection se fasse et qui, de fait, m'ont élu. Je pars demain encore plus enchanté de partager la rencontre avec Thomas Sandoz, avec qui nos échanges épistomailières (j'ai bien entendu parler aujourd'hui pour la première fois de webographie!) ont été très cordiaux.

Alors, oui, j'apprends: je sais que la prochaine fois, je dirai qu'il m'est difficile de faire un aller-retour de 700 km en moins de 12h, mais non, vraiment, rien ne m'empêchera de goûter mon plaisir. Compte-rendu dans ces colonnes, évidemment.

Thomas Sandoz & Laurent Cachard à Sierre demain

J'ai malencontreusement effacé la note du 16 décembre, relatant la rencontre de la veille. Je la reproduis ici:

Hier à Sierre

Première rencontre, hier soir, avec les lecteurs de Lettres-Frontière, à la Bibliothèque de Sierre, en Vallais. J’ai cru un temps qu’on ne m’identifierait jamais que comme écrivain berrichon, me voilà mi-suisse mi-savoyard pour les six mois à venir… J’ai dû, pour honorer cette invitation, jongler avec les horaires et les transports, prendre ma voiture et rouler jusqu’à ce qui m’aurait amené à Marseille si j’avais pris une autre autoroute. Mais quand ils aiment, les lecteurs, on ne compte pas et j’étais enchanté à l’idée de retrouver Thomas Sandoz pour une « affiche » partagée. Le temps de penser à Christian Chavassieux en découvrant la température caniculaire de la chambre d’hôtel, et mes hôtes venaient me chercher, pour nous amener, Thomas et moi, à la rencontre de Jean-Pierre Michellod, le maître d’œuvre des rencontres avec les auteurs, l’animateur au sens étymologique. Jean-Pierre Michellod, qui applique à ses préparations la même discipline qu’il a dû appliquer à celles de ses cours de Lettres, nous reçoit avec beaucoup de chaleur, l’impression d’être un écrivain me saisit de nouveau, un mois après « l’Usage des mots », à Genève. Il prend le pouls, JPM, s’inquiète en son for d’une éventuelle rivalité entre auteurs qui rendrait l’échange difficile, se rassure d’entendre que Thomas et moi avons déjà très cordialement communiqué sur nos écrits respectifs et qu’il n’y aura rien que lui ou la salle ne pourra nous demander. L’assemblée est assez conséquente, il y a une trentaine de personnes qui nous attendent dans la salle du haut de la belle Bibliothèque de Sierre, au dessus de ces auteurs endormis que Thomas et moi apprécions de fréquenter à ces heures inhabituelles. Jean-Pierre Michellod entame la rencontre en nous faisant parler de la nécessité de l’écriture, dans nos vies respectives ; la parole se répartit bien, j’aime entendre Thomas dire de lui qu’il n’est pas un écrivain romantique, que ce besoin ne lui est pas vital, mais prégnant quand même. Je me surprends à dire de moi ce que je ne n’ai jamais vraiment dit publiquement, à parler de cet équilibre que je dois trouver entre mes deux activités, mais aussi avec les contingences familiales, sociales, personnelles : ces renoncements qui fondent une aspiration.

sierre.jpg

Les spectateurs, comme souvent, sont respectueux, mais réactifs, quand on parle de « la Fanée », de cette écriture coup-de-poing qui ne laisse pas d’espérance. J’adorerais, par moments, me mettre à la place de Jean-Pierre Michelod pour questionner Thomas, par moments, je le fais, je me fais même l’avocat du père, dont l’auteur lui-même dit qu’il n’aime pas sa fille. Thomas, à qui on demande si les mots qu’il trouve pour parler de cette jeune fille ne l’auraient pas sauvée, qui répond que même les plus généreux, les plus altruistes des êtres humains peuvent avoir leur moment de faiblesse et de (petite) lâcheté et que c’est hélas à ce moment précis que la Fanée les a rencontrés. « Tébessa » est plus consensuel, évidemment, mais les Suisses ne me questionnent pas sur l’Histoire, davantage sur la petite. Jean-Pierre Michellod nous demande, à Thomas et à moi, si dans ce que nous écrivons d’une époque donnée, il n’y a pas une critique sous-jacente de la contemporanéité : dans les confrontations des religions, dans les damnations adolescentes etc. A ce moment, je comprends qu’un livre ne fait sens que quand on peut l’assimiler à d’autres qui ont déjà été écrits. On parle d’identité, de territoires perdus ou à défendre, des constructions inversées de nos structures romanesques : de la fin au recommencement pour Gérard, de la fin à…la fin pour la Fanée. JPM revient à nos écritures resserrées, Thomas avoue que pour se défaire du poids d’un roman aussi oppressant, il écrit un livre « de divertissement », avec dialogues, bagarres etc. Je réplique que pour me sortir de cette épure, j’ai écrit ce Dom Juan en alexandrins, dont certains sont à reprendre.

Il s’est dit beaucoup de choses, en deux heures de temps que nous n’avons pas vu passer. Toutes les petites fiches cartonnées et polycopiées du maître de cérémonie n’ont pas servi, mais l’échange a été réel, pas didactique. Durant le repas qui suit, après les signatures d’usage et, donc, les réceptions directes du roman, j’entends parler des auteurs qui m’ont succédé aux mêmes tables, de débat et de repas ; on parle de Pascal Garnier, Sorj Chalondon, rien, dans l’extrême courtoisie de mes hôtes, ne me laisse penser que je suis un auteur mineur en comparaison : c’est aimable. On s’inquiète même de savoir si mon deuxième métier devenu premier me permettra encore d’écrire ce que j’ai confessé être, à mon tour, chacune des composantes de mon tableau de fin, celui qui me déterminera comme l’individu que j’aurai essayé d’être. Nous rentrons à l’hôtel, Thomas et moi, sans oser regarder nos montres ; nous décrétons que nos routes se recroiseront et qu’on prendra un peu plus de temps encore pour nous connaître autrement que par les œuvres. Je me couche épuisé et cette fois, officiellement malade (quoique ça devra attendre les vacances…). Ça valait un réveil (très) matinal, l’impression étrange d’aller travailler à 350km de là où je me suis levé. Ça lance surtout magnifiquement ma saison. Prochaine étape à Bloye, dont j’ai vu sur le site de la ville que la commune qui lui était géographiquement la plus éloignée était… Ouessant ! Quand tout fait sens, vous dis-je.

 

19:45 Publié dans Blog | Lien permanent

08/12/2009

Décoder les décalogues...

Voilà, c'est fini. J'ai beaucoup oeuvré, en un mois de temps, je me suis régalé à la lecture de ces oeuvres (heureusement courtes, à quelques exceptions...). Je remercie ici tous les auteurs qui m'ont répondu et encouragé. J'espère que cet exercice fera des petits, cette année ou les prochaines, j'espère également que la somme prendra un tour un peu officiel, une petite impression à la clé, que je puisse aller rencontrer tous les lecteurs de Lettres-Frontière avec quelques traces de mémoire...

 

Anne Richter, 70 ans, laisse les cris des souvenirs se lasser d’eux-mêmes et réinvente la tranquillité.

 

LA MENAGERIE DU NOVELLISTE

ARichter.jpgAnne Richter aime les animaux. Elle en a peuplé chacune, quasiment, des neuf nouvelles qui fondent son recueil, dont le titre est éponyme à celle qui l’inaugure : « l’ange hurleur ». Le détail de la fresque de Giotto qui l’illustre laisse croire que le propos sera Renaissance ou ne sera pas, mais c’est un trompe-l’œil, en fait : les nouvelles sont de petites scènes de l’humain quotidien, mâtinées de références souvent trouvées en exergue, de l’éternel retour nietzschéen qui surplombe « le crime » à l’aphorisme de Jean Grosjean en ouverture de « la bibliothèque insurgée» en passant par Bernanos pour qui « l’enfer, Madame, c’est de ne plus aimer ». Il est beaucoup question de livres, dans ce recueil, de ceux qu’on écrit à deux voix dans « Olga et le catobarian » – cet animal mystique et thaumaturge, mi-chat mi-singe - à ceux qu’on n’écrit pas parce que, dit Clovis « le poète », on ne peut agir « en propriétaire » des mots qui feront sens en poésie ou au sein d’une correspondance. Anne Richter sollicite dans ses nouvelles beaucoup de grands noms, de mythologies diverses : là encore, de la Penthésilée à Duras, Bataille et Genet pour qui l’Anna de « Anne et Anna » « nourrissait une passion avouée ». Comme Lou Andreas-Salomé et ses trois illustres amants, Freud, Rielke, Nietzsche, donc, qu’on trouve ici grimé en « homme-cheval ». Pour participer à la ménagerie, pour que loups, renards, crocodiles, singes, chats, faucons de bonze et autres ne se sentent pas seuls ? L’écriture tenue est celle d’une lectrice, dans les textes, l’écriture se questionne elle-même et va chercher sa justification. Avec ironie, parfois, quand Olga se demande, via Colette : « les femmes vont-elles si loin ? ». Elle ne s’en prive pas, Anne Richter, qui sollicite dans sa bibliothèque les incunables – ou presque : un Simenon dédicacé à son père – « ces milliers de livres rebelles » qui la décourageront dans « Maison folle » : « Que de livres accumulés en une vie et pourquoi faire en somme ? » On retrouve dans les deux bibliothèques, celle du père, celle de la mère – « la plus érudite » - les deux pôles de ce qui a fait le parcours personnel de l’auteur, qui semble mettre beaucoup d’elle-même dans ses écrits tout en maintenant une distance un peu désabusée. Un peu revenue. Même si l’essentiel de ses histoires, nonobstant les deuils toujours douloureux, se terminent plutôt bien.

« Pendant qu’elle vit seule et écrit, Anne Richter, elle repense à Anna Géramys, à ses héroïnes meurtries, elle saisit doublement, « au cœur du chaos, l’instant de beauté qui passe ». »

Dans « l’ange hurleur », on croit revivre cette scène de fait-divers où un homme a été retrouvé errant et détrempé, en costume de soirée, sur une plage anglaise, il y a quelques mois. Là encore, fausse piste : l’homme qui attend Clara est bien à l’aise, devant son piano, face au Rhin. Il va entamer « le concerto pour piano n°27 », de Mozart, c’est son père disparu, que sa grand-mère, dans sa mort à elle, lui fait retrouver en même temps que cesse sa douleur. Jeu du réel et des signifiés, « tout cela peut paraître étrange, mais tout ce qui se passe est étrange »… Comme de s’adresser à des bibliothèques, d’ailleurs, dont Sartre - que Anne Richter a convoqué en exergue de « Où est Mia ? », la nouvelle la plus maudite du lot (dans sa chute) – a toujours dit qu’ils les considéraient comme mortifères. Pendant qu’elle vit seule et écrit, Anne Richter, elle repense à Anna Géramys, à ses héroïnes meurtries, elle saisit doublement, « au cœur du chaos, l’instant de beauté qui passe ».  Dans cette duplicité de la huitième nouvelle, elle élucide le lien entre ce que Ana a soulevé et ce qu’elle a fini par vivre, même si elle l’a vécu différemment, même si elle – distance oblige, toujours – ne s’est pas laissée submerger par les trois énigmes que sont « l’écriture, l’amour et la mort ». Il n’y manque que le temps et la Nature pour recréer le Manifeste romantique, mais si Anne Richter en goûte la volupté, elle en balaie l’impact : après tout, Kleist n’a-t-il pas été, jusque dans suicide, incompris de Goethe ? Et dans l’impromptu du Café Procope – encore une fois la légitimité des lieux empreints d’histoire, le porto dégusté en face de Beaumarchais – la vieille femme qu’Anne Richter sera peut-être un jour morigène sa cadette, lui dit qu’elle gâchera sa vie « à force de vouloir que tout, autour de vous, soit logique et raisonnable » . Comme dans ces miroirs auxquels il est souvent fait référence dans ses nouvelles, l’auteur-narrateur-personnage semble avoir trouvé elle-même cette « immobilité du temps » propre aux vraies histoires d’amour. Quitte à ce que celles-ci soient transposées jusqu’à ce qu’on se demande « si l’imagination créatrice n’a pas entièrement réinventé le réel », comme dans « l’Amant », écrit un demi-siècle après l’histoire qu’il raconte.

Anne Richter est un écrivain de l’expérience. Ses personnages – pas si multiples que ça – ne sont sans doute que les différentes facettes qu’un individu traverse avec les âges. Elle a compris, comme Henri-Pierre Roché avant elle (Penthésilée oblige !) qu’il faut justement attendre cinquante ans pour écrire sur ses amours, que « le temps n’est plus, pour un écrivain de créer des types merveilleux et divers, il est davantage de se créer soi-même et de s’exposer, simplement »*.

La « magicienne lucide », comme l’a appelée Jacques de Decker dans « Le soir » pourrait terminer son introspection par les mêmes questions que se pose son homme qui dort à elle, « d’un sommeil intégral, aquatique, sans images » : qui sont ces gens qui peuplent ces fragments de vies qui se réhabilitent s’il en est encore temps – magnifique passage de la danse « joyeuse et sauvage » de Adam et Olga retrouvés et du catobarian, donc, « qui prend sur lui la tristesse des hommes et débarrasse de leur peine ceux qui se sont confiés à lui » - « est-ce un autoportrait (qu’elle) tente d’esquisser ici » ? Les animaux se sont tus et l’ange hurleur a fini de crier. « Le moyen de cacher un homme ? **» demandait Valéry à Gide. Dans la bibliothèque mémorielle de Anne Richter. LC


*HPR « Autobiographie », 1903

** Jean-Paul Sartre in Préface à Aden Arabie, de Paul Nizan

 

« L’ange hurleur», L’âge d’homme

ISBN 978-2-8251-3820-5

 

 

 

 

00:16 Publié dans Blog | Lien permanent

07/12/2009

Epistémologie..

Une fois n'est pas coutume, un peu d'actualité sur ce site. Parce que ce matin, dans ma voiture, j'ai été impressionné par la valeur philosophique de cet homme de science, peu enclin à se laisser dominer par l'émotion du consensus et par l'unanimisme triomphant, quand la certitude trop grande n'est plus scientifique mais religieuse, dit-il. Physique, éthique, anthropologie, ethnologie et grande sagesse au final: j'ai découvert cet homme aujourd'hui, je ne m'en cache pas, mais je vais lui prêter désormais plus qu'une oreille.

 

 

19:28 Publié dans Blog | Lien permanent

06/12/2009

Au matin sur l'embarcadère...

Hostettrond.jpgQuatre chansons de "l'Eclaircie" en écoute sur le "Myspace" de Eric Hostettler. L'album, enfin, est sous presse et sera disponible dans les jours qui viennent. Je dirai ici comme ailleurs par quel biais ceux qui s'y intéressent pourront se le procurer, et je ferai une note sur la genèse d'une chanson, au hasard "Au-dessus des eaux et des plaines".


C'est par ici, l'Eclaircie!

11:14 Publié dans Blog | Lien permanent

05/12/2009

Tomber sept fois, se relever huit.

Thomas Sandoz, 42 ans, montre une adolescente se perdre en même temps que le monde qui l’a vue naître.

le désespoir du formica

sandoz.jpgThomas Sandoz aime Derrick. Il lui a consacré une anthologie, « l’ordre des choses », fondée sur plus de six cents heures de visionnage de ce feuilleton presque immobile, mais dont le scénariste unique, Herbert Reinecker, l’a fasciné par sa permanence aux 281 épisodes. On s’inquiéterait presque de la santé mentale de l’individu s’il n’était pas lui-même docteur en psychologie. Non, ce qui mène Thomas Sandoz de Derrick à Leprest, des essais - sur les médecines parallèles, sur la distinction entre « déprimé ou dépressif » - aux variations poétiques et romanesques, c’est la curiosité, celle de l’épistémologue. En Suisse, dont il est citoyen, l’épistémologie, ce n’est pas qu’une option en faculté de philosophie : de Descartes à Husserl, c’est une qualité qu’on revendique et qu’on nous reconnaît. Sandoz, sur la lignée duquel un livre* est paru, mène donc son bonhomme de chemin, celui de la connaissance, dont on sait qu’il est, une fois qu’on l’a choisi, infini et exponentiel. Sa dernière station, romanesque, nous conduit à « la Fanée », cette adolescente qu’on saisit alors qu’elle se ravage, « seule, dans une histoire consumée », au cœur d’un « village qui sent la mort » mais qui n’est justement plus un village. Le roman de Sandoz montre ces vies qui ont basculé quand les fermes se sont vendues, matériel aux enchères, « paysannerie en perdition » qui jalouse les citadins « qui paient comptant les métairies ». Au beau milieu de ce paysage de défaite, Elle est là, qui se définit comme «le dernier témoin, le souvenir de trop » depuis « le matin d’hiver où la mère les a quittés ». Elle grandit dans la haine de soi, comme toute adolescente, « elle se rêve citadine », s’auto-détruit dans sa scolarité et dans sa chair, entretenant la blessure qu’elle s’est elle-même infligée et qu’elle entretient savamment, comme une « amie intime » dont elle ne sait pas encore qu’elle deviendra « rivale retorse », plus encore que sa douleur entretenue par l’image de la mère dans le médaillon de la salle à manger minable du petit appartement dans lequel son père a échoué. Un père « à la langueur présente dès le réveil », « qui a le temps de penser » mais préfère ne plus penser à rien d’autre qu’à cirer ses chaussures et écouter son « crachoir à piles ».

« la jeune fille, en rentrant dans son immeuble au toit bas et au concierge triomphant, prend soin, quand même, de piétiner les plantations de ces terres infertiles, « autant de reproches, de condamnations » liées à un choix qu’elle n’a pas fait »

Elle, dans ce chaos, se scarifie, se donne aveuglément, jubile de l’agonie d’un oisillon, de la noyade de chatons, quand au loin – c’est à dire tout proche de cette commune sans âme – une jument meurt de mettre bas, symbole d’un monde qu’on laisse dépérir. Pourtant, nous signifie Sandoz, « plus ils sont laids – les paysans – mieux ils prennent soin du bétail», un parallélisme que le narrateur reprendra pour Elle, pour dire que « moins elle respire, plus elle s’oublie », quand elle s’en va pratiquer l’apnée des heures pâles de la nuit. Cette femme du médaillon, dont on s’est étonné « que l’on puisse sourire si tristement », cette fanée, métonymique figure de la vie qu’elle traverse, s’est-elle demandée ce qu’elle avait à offrir d’autre à l’enfant qu’elle a mis au monde que « la douleur et l’ennui, un couffin de barbelés et des jeux de mulots » ? La Fanée met en jeu les vies déchues, les montagnes qu’on a délaissées pour des vies qu’on imaginait plus simples et qui, au final, n’ont rien apporté. « L’allégeance aux formes lourdes et aux résineux militaires » n’est plus de mise, mais la jeune fille, en rentrant dans son immeuble au toit bas et au concierge triomphant, prend soin, quand même, de piétiner les plantations de ces terres infertiles, « autant de reproches, de condamnations » liées à un choix qu’elle n’a pas fait. Thomas Sandoz inclut dans sa narration des séquences d’un temps indéfini, peut-être celui de la mère quand elle avait peut-être l’âge de la narratrice, il est question de guerre, de patrie, de cranes rasés… Mais il n’en dit pas plus, la mère, d’ailleurs, disparaît du salon de l’appartement «parfaitement propre et fonctionnel » - avec une table en formica dans la kitchenette - il revient à son héroïne qui, parfois, « s’essuie le cœur aux fougères » et, quand même, «espère encore un signe, un embellie ». Comme n’importe quelle enfant de son âge. Sauf que dans « la Fanée », quand une jeune fille est projetée sur le lit, la  poupée qui en chute « a les yeux révulsés ». Et que quand Elle se réveille dans une chambre d’hopital, « elle découvre l’horreur d’être en vie », elle qui, plus souvent qu’elle espère vraiment, se souhaite « la plus violente des dépurations ».

L’adolescence est, dit-on, l’âge de l’agir. Elle le sait, la Fanée, que rien ne peut se passer dans cette vie qui ne produit que des perdants. Comme ceux que le formateur du centre professionnel qui lui offre sa dernière absence de chance refuse de considérer, de peur d’en faire trop rapidement partie. Quand elle enlève le pansement de sa plaie, dont elle dit qu’elle la soigne pour mieux la laisser s’infecter et marquer le pourrissement de son existence, ce sont de « gros insectes (qui) tournoient autour d’elle, prêts à plonger dans l’océan exsudant » de sa pauvre vie. Tristes fées autour du berceau

Les illustrations de Catherine Louis qui ponctuent chacune des pages de ce roman aussi bref que le fut la vie de son personnage montrent de paysages d’hiver, des arbres morts, des usines désaffectées et de vieilles granges laissées à l’abandon. Des vies qui se sont éteintes. Aucun espoir n’est laissé au lecteur, c’eût été une injustice de plus au regard de ceux qu’Elle n’aura donc jamais connus. Et puisque l’héroïne est de tragédie, puisque la tragédie se dénoue dans le sacrifice, la fin de la fanée, sans que je la dévoile, renverrait à la fameuse tirade de Perdican, dans sa 3ème proposition, sans que le propos bascule grâce au « mais »… Elle aurait pourtant voulu « savoir aimer », la Fanée. LC

 

« La Fanée», G d’encre

ISBN 978-2-84116-140-9

 

Prochain numéro : « L’ange hurleur», d’Anne Richter.

* « les Sandoz, du Moyen-Age au Troisième millénaire », Editions Gilles Attinger, 2000

 

 

 

23:26 Publié dans Blog | Lien permanent

04/12/2009

A part ça.

J'ai reçu "la Fanée", de Thomas Sandoz. Je vais me consacrer à sa lecture et j'essaierai de retrouver de la confiance pour écrire un papier.

17:38 | Lien permanent

Retour de bâton.

Je reçois à l'instant où je rentre chez moi cette missive blanche... Elle est de mon ami Richard, à qui j'appréhendais, à raison, d'envoyer le Dom Juan. Je le savais très imparfait, dans sa métrique, rattrapé que j'étais par le fait, inattendu, de son édition. Au XVII° siècle, il était plus facile de corriger un manuscrit au fur et à mesure que la pièce se jouait. "Mon" Dom Juan, iconoclaste, l'était jusque dans les quelques libertés qu'il s'est offertes avec la forme, que je n'ai pas repérées à temps mais que je subodorais: des "elles" monosyllabiques, des hiatus passés inaperçus. La diérèse et la synérèse en abondance, au libre choix. Et d'autres libertés dont ce libertin ne m'a pas prévenu...

 

dom-juan1_david-anemian.jpg

 

Je vais publier cette très belle lettre, magnifique objet d'amitié. Elle me servira sans doute à ne plus me risquer à un tel exercice, à défendre autrement mon Dom Juan. Parce que certains l'ont aimé quand même, parce que je me suis consacré corps et âme à ces personnages-là. Je les ai écrits comme une urgence, je peux le regretter. A l'inverse de Musset après "la Nuit vénitienne", j'aurais dû attendre qu'elle fût jouée avant d'en accepter l'édition. Rien de ce qui est écrit ci-dessous ne me surprend parce que tout est juste; le publier, c'est plutôt demander qu'on n'y revienne pas.

"Enfin je me décide...

Pardon pour cette attente cruelle, ce silence énigmatique. Je voulais choisir mes mots, t'ai-je dit. Parce que bien sûr c'est difficile et que je ne veux pas te blesser. Surtout pas.

Ce que tu as accompli est surhumain. Et j'en sais quelque chose. Ma tragédie m'accapare corps et âme, nuits et jours depuis plus de trois semaines, ne me laissant que peu de répit. D'où mon silence aussi, ma lente réaction. Mais il ne s'agit pas de cela.

J'avais donc emmené Dom Juan à la campagne, en retardant la lecture, repoussant le rendez-vous qu'il me fixait pour réunir certaines conditions, irréalisables hier encore, aujourd'hui possibles: un bon fauteuil, un feu de cheminée, un grand feu, dans une grande cheminée. Et la nuit de novembre tout autour.

Et j'ai commencé à lire... J'ai tout d'abord été intrigué par les deux premiers vers qui ne riment pas, ai alors pensé à ces deux fameuses coquilles dont tu m'avais parlé puis me suis reproché de méconnaître une référence que tu glissais d'entrée ou une signature ignorée de moi. Ensuite j'ai dévoré les dix ou onze vers suivants, découvrant la langue, le rythme, le chant, impatient de la suite.

Malheureusement, et le mot n'est pas usurpé, j'en conçus un réel malheur, la suite allant immédiatement me heurter.

"Elle n'est plus là, la Belle, pour qu'on l'écoute geindre

Mais elle ne sera pas la dernière à se plaindre..."

Ces deux vers, et d'autres après, nombreux, ne sont pas des alexandrins. Pas si l'on respecte les règles de versifications classiques suivies par Racine, Corneille, Molière, Ronsard, Hugo... notamment relatives au e muet et au e sonore, à la diérèse et à la synérèse... Autant de noms barbares pour autant de règles qui fondent la métrique de l'alexandrin.

Ainsi "Elle n'est plus là la Belle" mesure treize pieds, le vers suivant treize,

"Est-ce une raison, Madame, pour qu'ainsi votre époux" 14

"Et de la surveillance relâchant l'attention" 14

C'est le respect formel de cette métrique et de ces règles qui donne aux alexandrins de Racine ou d'Hugo leur chant si particulier. Et c'est à ce chemin que je suis accoutumé, dont je suis prisonnier même. Puisque la lecture de chaque vers "mal mesuré" m'obligeait à une gymnastique cérébrale assez contraignante qui déréglait la fluidité du texte et le chant des vrais et superbes alexandrins dont ta pièce recèle aussi en (grand) nombre. Je te l'avoue, j'ai interrompu ma lecture. Contrarié, malheureux même comme je l'ai dit plus haut.

Le lendemain, je me suis convaincu de lire Dom Juan dans son intégralité en essayant de m'affranchir de mes habitudes et des règles formelles dont j'étais pétri. Ce ne fut pas toujours facile mais j'ai lu. Et peu à peu j'ai oublié l'incomfort du premier rendez-vous et ai reconnu la beauté du

"Objet de tous les voeux, chimère obscurantiste

Ce n'est que par les sots que ton règne persiste"


"Vous voudriez, Monsieur, qu'après qu'il m'a tuée

J'accorde mon pardon à qui m'a condamnée"

...

"Mon amour revenu me ramène en souffrance"

Et tant d'autres vers.

Mais le mal était fait. Hélas. Et jusqu'à la fin, l'irrégularité de certains vers me tapait dessus. Et la musique déraillait. J'ai remonté Dom Juan à Paris. Ne me résignant pas à le laisser à la campagne. Voulant le garder près de moi. Pour essayer encore. Y plonger au hasard d'une fin de journée. Ou au commencement d'une autre. Chaque fois l'impression est la même. Je bute. Mis à mal par cette rythmique qui ne me rentre pas.

Voilà mon ami. Ces terribles choses que je voulais te dire. Ces terribles mots. Et finalement bien mal choisis.

J'espère vivement que cette lettre ne t'affectera pas d'une outrageuse façon et que tu me conserveras une amitié fidèle."

 

17:36 Publié dans Blog | Lien permanent

02/12/2009

En attendant le 8 & le 9...

Je dois remercier Paul Herfray, mon alter-ego du Cheval de Troie, revue revenue des enfers elle aussi, de s'être substitué à moi pour écrire l'article sur "Tébessa, 1956". La décence m'impose de ne rien dire de plus, et l'éducation de m'excuser du fait que cet article paraisse avant ceux sur Thomas Sandoz et Anne Richter :  pas plus qu'hier, la Poste ne m'a livré leurs oeuvres respectives. J'attends, donc.

 

Laurent Cachard, 41 ans, participe au travail de mémoire et redonne la voix à qui semblait l’avoir perdue.

N’etre plus, avoir été

LC.jpgLaurent Cachard  n’a pas « fait  l’Algérie» : ça, c’est fait ! C’est au moins le postulat que posent les 40 ans qu’il avait au moment de l’édition de «Tébessa, 1956 », en 2008. Une fois cette évidence énoncée, il reste la question de la matière, à laquelle il n’échappe jamais, et répond patiemment. La genèse de son premier roman édité vient d’une histoire familiale dont seule a survécu une valise blanche en fer – « réglementaire, chacun la même, l’armée, c’est  fait pour unifier ! ». Celle avec laquelle les plus chanceux des soldats revenaient, qui était renvoyée à la famille de ceux qui n’en avaient pas eue, de chance. Gérard Poncet, au patronyme qui rend compte de l’époque, est mort le 5 avril à Tébessa, dans le canton de Djeurf, alors même qu’il n’avait posé le pied sur le sol algérien que six petits mois plus tôt, en novembre 1955.

En 55, on n’est pas encore dans la psychose d’un conflit qui s’enlise, il doit même y avoir des moments de joie sur le Ville d’Oran qui les a menés vers une terre qui n’était pas la leur mais qu’on leur demanderait bientôt de défendre comme si c’était la leur. De tirer « comme si votre vie en dépendait ! », disait Rivière, avant de mourir dans cette embuscade du 5 avril 1956 ; comme d’autres, comme Gérard, qui se doute qu’il n’en échappera pas et s’évade en pensée sur les pentes et le plateau de son quartier natal de la Croix-Rousse, à Lyon. Là où il les aurait « semés, les fells », là où il en retrouvait certains, peut-être, place Colbert, quand ils n’étaient alors que ses « voisins » de misère, dans un quartier où ouvriers et immigrés partageaient encore ce qu’ils avaient. C’est que la guerre, Gérard, plus encore que Bardamu, elle lui est tombée dessus sans qu’il y comprenne rien. L’apprenti-fleuriste de chez Beurrier, il aurait bien aimé qu’on le laisse à ses compositions fleurales et au doux sourire d’Elise, mais on a fait comme avec les autres, on ne lui a rien demandé. C’est l’oralité qu’a choisie Cachard pour redonner une voix à celui qui l’a perdue et c’était un piège : celui d’en revenir au Voyage, justement, celui de trahir une deuxième fois l’existence de quelqu’un. Etrangement, c’est Gérard lui-même qui lui vient en aide, par sa simplicité extrême, sa façon candide d’aborder, par petites touches, le contexte politique (« D’après Ballandras, qu’ils appelaient Lénine à la caserne : «  si l’Algérie n’était pas un protectorat, c’était tout comme : il fallait reconnaître son indépendance » ») tout en répétant qu’il n’y comprenait rien.

« Gérard revit et avec lui une Croix-Rousse - puisque les deux récits de l’embuscade et de la promenade mentale sont enchâssés – ressuscitée »

Gérard, dont la beauté d’âme n’est même pas ternie par les petits écarts (de bordel militaire) qu’il confesse en pensée, Gérard qui s’inquiète pour sa mère, ses deux sœurs et son chat Misou. Pas pour son père, qu’il rejette de son tableau de fin, reconstitué point par point. Gérard n’a pas le cynisme de Bardamu, « Tébessa, 1956 » est donc débarrassé de tout poids politique et psychologique. Et aborde l’Histoire en  « mettant en récit » (l’expression est de Ricoeur) le fragment que Gérard lui sacrifie : la connaissance se construit, s’organise, se dote d’un sens, même si ce sens confine à l’absurde. Laurent Cachard, dans le débat qu’il a eu pour « l’Usage des mots » avec Eugène Durif sur ce « devoir de mémoire » dont ils ont tous deux réfuté l’injonction, a défendu la « juste mémoire » chère à l’auteur de « la mémoire, l’histoire, l’oubli » et repris – sans le savoir – la conception heideggérienne de « l’avoir été » opposé au « n’être plus ». Une positivité de l’avoir été qui fournit, par le roman, une nouvelle sépulture à l’ex 2èmeClasse PONCET Georgges ce que je voudrais, c’est qu’ils se trompent pas de prénom quand ils enverront le télégramme à mes parents » ) dont l’inventaire des effets est reproduit en épilogue de l’ouvrage. Gérard revit et avec lui une Croix-Rousse - puisque les deux récits de l’embuscade et de la promenade mentale sont enchâssés – ressuscitée, du «Paris Méditerranée » de la Vogue des Marrons aux cinémas « le Marly » ou « le Chanteclair », de l’Eglise Saint Bernard au Café des Ecoles. S’il y a présence de l’absence dans la mémoire et si cela entraine reconnaissance, alors on s’est tous reconnus dans ce personnage qui décide de ne pas se laisser dicter sa fin par l’absurde et de se construire, on l’a dit, son tableau de fin. Jusqu’à la vision finale, belle surprise pour un pépiniériste (« « Qui n’a jamais planté un arbre ne peut prétendre savoir ce qu’est la vie », c’est un dicton japonais, ils sont forts les japonais pour les jardins. ») qui l’autorise à lâcher prise parce que rien ne le retient dans un monde qui envoie « des hommes » - Laurent Mauvignier reprendra les mêmes thèmes dans l’Après, le retour  -  perdre leur vie (« voilà, c’est la fin, maintenant, la vraie fin ») dans des instants d’éternité pas si différents « des instants que j’ai voulu arrêter quand j’étais à la Croix-Rousse ».Ce sont les autres qui pleureront sur son sort et c’est ça qui l’embête le plus, Gérard, en plus des chrysanthèmes qu’on mettra sur sa tombe alors que « - pourvu que Maman ne m’entende pas ! – c’est quasiment un crime de les mettre dans les cimetières. »

Il arrive que le « trop de mémoire » par ci, le « trop d’oubli ailleurs » - dit encore Ricoeur – produise, socialement, un spectacle indécent. La fiction est en charge, désormais, de dissocier, pour rester dans la philosophie, la mnémé, le souvenir qui affecte, de l’anamnésis, la mémoire qui compose. C’est pour cela que « Tébessa, 1956 » ne propose pas de fin, parce qu’elle est donnée au début et parce que le minimum était d’être aussi pudique que Gérard devant la Mort (« Si seulement je pouvais juste faire qu’Elise pense très fort à moi au moment où ça se passera, j’aurais une mort complète et soulagée »). Laurent Cachard dit l’ironie d’avoir redonné la voix à quelqu’un qui l’a perdue et de le laisser parler avec bonheur, sans tristesse rajoutée ; de voir aussi que Gérard lui survivra, nous survivra à tous. Comme restera le parfum du lilas blanc au mois d’avril quand nous serons partis. C’est aussi ça la transmission. PH

Paul Herfray

pour « le Cheval de Troie »

 

« Tébessa, 1956», Raison & Passions

ISBN 978-2-917645-00-0

 

 

22:04 Publié dans Blog | Lien permanent