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30/11/2009

Faire tapisserie.

Il y a des endroits pires que le Palais des Ducs de Bourgogne pour attendre, deux jours durant, que le passant s'arrête sur votre livre. J'ai de la chance, encore, mon anonymat absolu étant en partie compensé par l'accroche de la couverture, par ce que le titre provoque chez celui qui a vécu cette période de l'histoire de France, par la discussion qui s'engage... Je parle de Tébessa, ici, pas de Dom Juan, évidemment: Dom Juan, il n'y a que les jeunes filles qui l'ont aimée (l'oeuvre...) qui s'y intéressent, mais c'est déjà beaucoup! La petite histoire de ce week-end, c'est Régine Deforges qui est allée deux fois directement vers Claude Raisky, mon éditeur, le vendredi parce que le livre l'a attirée, le lendemain parce qu'il lui a plu. C'est déjà ça.

 

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Heptalogie

Yasmine Char, 46 ans, ramène sa jeune héroïne de 15 ans dans le Liban en guerre qu’elle a quitté enfant.

Phèdre du Liban

Femina_10_Char_200.jpgYasmine Char est une tueuse. Non qu’elle ait – du moins pas à ma connaissance – commis quelque homicide dans le Cénacle des Lettres-Frontière, mais, comme l’inconnu qui s’adresse à l’héroïne de sa « Main de Dieu », on reconnaît chez elle l’assurance orientale des personnes sûres non de ce qu’elles paraissent, mais de ce qu’elles sont. Sauf que son personnage, jeune et « sauvageonne » beyrouthine de 15 ans, isolée de la guerre qui s’y joue par son milieu social (surtout « ne pas s’en mêler ») mais rattrapée par cet amour interdit qu’elle y rencontre, sait elle démonter et remonter à l’aveugle le révolver qu’on lui a offert, ce « doudou des temps modernes » pour marquer un peu plus « le déclin irrémédiable du peuple rieur ». Celui dont les Occidentaux veulent garder la mémoire quand tout, dans le réel, ramène les habitants d’un pays en guerre au chaos et à la rancune. Cette jeune fille vit ses premiers émois amoureux et Yasmine Char, par sa voix, nous glisse que l’amour, dans ce pays qu’est le Liban de 1975, a des rapports semblables à la guerre : « partout s’introduire et saccager ». Elle vit le cataclysme du départ de sa mère, qui voulait « redevenir française » et qui prétexte – « profite de l’émotion générale » - l’attaque, le 13 avril 1975 à Aï Remmaneh, d’un car de réfugiés palestiniens par les phalanges chrétiennes de Pierre Gemayel pour s’enfuir avec son amant, laissant le père de ce « garçon manqué » exsangue, anéanti. Pas un mot pour elle, dans la lettre qu’elle lui a laissée, et une photo de cette étrangère « blonde aux yeux clairs », au « sourire poli avec une distance » dont elle crèvera les yeux avant de la manger, justifiant auprès du père son vol par l’action de « la main de l’ange »… Dans un Liban déchiré par des groupuscules armés maronites d’inspiration franquiste d’une part et les nationalistes et progressistes arabes de l’autre, on se tue dans les rues et on finira par dresser une barrière est-ouest, on le sait. Seulement, notre Phèdre du Liban n’a pas la tragédie ancrée en elle : elle est « comme ces gens du sable, libre et rebelle », une « enfant nomade en devenir » ; elle aime et se donne à cet homme, ce franc-tireur dont elle ne sait rien sinon qu’ « elle n’a pas peur de ce qu’il est ». Elle sait qu’elle devra résister, dans sa vie de femme, à son éducation qui se raidit, à ses tantes, « oiseaux de mauvais augure », qui la reniflent sous toutes ses formes, « réclamant un test de virginité », à cet oncle tyrannique qui lui impose un professeur de Coran, qui veut se substituer à l’autorité du père, ce « héros du désespoir » qui a lâché prise.

« Yasmine Char tresse les cultures et les époques et dresse, dans le délien, notre part de responsabilité dans l’échec d’un monde, dans sa rétroaction, dans les chambres condamnées que les appartements les plus poétiques ne manquent pas de comprendre »

Au fil des aventures de cette jeune fille, Yasmina Char distille quelques pensées qui éclairent, rétroactivement, l’enfance en guerre de la jeune fille qu’elle fut : on apprend qu’il n’y aura sans doute jamais de pardon pour le Juif, « mais l’oubli, un jour, pour alléger la mémoire ». Toutes les religions monothéistes sont donc visées dans ce livre très resserré, «point de départ du désenchantement » et les époques sont entremêlées : on sait que le Liban n’est jamais à l’abri, que le ressac de la guerre et de la haine l’a secoué de nouveau : du « ni guerre, ni paix » des années 77-81 à « Paix en Galilée » en passant – en s’arrêtant, plutôt – sur Chabra et Chatila pour revenir en 2006, « raisins de la colère », la guerre, là-bas, c’est comme le soleil, tout le monde y a droit.  L’énonciation s’entremêle, le Je et le Elle se confondent sans qu’on sache – parce que ce n’est pas l’objet - si Yasmine Char parle d’elle, ou de toutes les femmes qui voient la guerre nourrir l’obscurantisme et réciproquement. Le rêve qu’elle fait de cette femme qui l’enlace, contre les seins de laquelle elle se laisse charnellement aller, c’est celui de Layal, la « Charmouta » du lycée, « exclue de l’honorabilité à jamais » pour avoir couché, c’est celui de toutes celles qui voient venir la régression et ne l’acceptent pas, celles dont on retrouve parfois la bouche et les yeux cousus, à titre de répression. Le lycée français que la jeune fille fréquente, l’identité de sa mère, le mandat sous lequel sa grand-mère est née, l’officier qui s’est tué pour elle, l’homme qui maintenant lui demande de tuer pour lui, Yasmine Char tresse les cultures et les époques et dresse, dans le délien (« Je pensais à vette France qui m’avait laissée tomber »), notre part de responsabilité dans l’échec d’un monde, dans sa rétroaction, dans les chambres condamnées que les appartements les plus poétiques ne manquent pas de comprendre. Son amant du Liban de l’Ouest, celui qui lui a appris un monde qui n’est pas celui que son père aurait voulu lui transmettre, elle l’effacera comme il a effacé toutes ces personnes qu’il a eues dans son viseur, acceptant de ne jamais savoir pourquoi il l’avait regardée. Quand elle parle des miliciens, Yasmine Char dit : « ce qu’ils n’emportent pas, ils le cassent. Ce qu’ils ne cassent pas, ils le brûlent. On ne saura jamais ce qu’elle – ou son héroïne – a sauvé de son enfance pour l’emmener en Suisse, ce « cher pays ».   On ne saisit d’elle que cette ligne de démarcation mentale qu’elle a gardée, la frontière insaisissable entre ces « gens normaux », ces miliciens chrétiens « jumeaux des miliciens musulmans ». Le souvenir de Sami aussi, dont elle ne peut, puisqu’elle n’en connaît pas le nom, même pas savoir s’il est de la liste des massacrés du camp de réfugiés. Mais elle le sait, pourtant. Comme elle a la certitude définitive que la main de Dieu n’a plus d’emprise, si tant est qu’elle en eut. Les Libanais se sont « installés partout dans le monde » et partout « l’ont rendu florissant ». Mais la douleur de l’exil ne s’est jamais éteinte quand dans le même temps, au pays, les vendeurs ambulants jettent à terre en crachant leur mépris les colliers de fleurs que plus personne n’achète.  C’est dur et c’est triste à la fois. Comme une tragédie sans fin. « Sans salamalecs ni chichis ». LC

« La main de Dieu», Gallimard

ISBN 978-2-07-078694-7

Prochain numéro : « La fanée», de Thomas Sandoz.

 

 

 

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27/11/2009

Quel week-end?

 

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26/11/2009

N°6

Dominique de Rivaz, 56 ans, réécrit l’Empire post-soviétique, à la russe : entre burlesque et mélancolie.

Les âmes mortes, deux fois.

DdR+Chavaz22.jpgDominique de Rivaz n’est pas la première à écrire sur des cadavres et ce qu’ils deviennent. De Will Self dans « Ainsi vivent les morts » à Kenzaburo Oé dans « le faste des morts » - en passant par le polar-légiste de Herbert Lieberman, « Nécropolis » - le sujet a cet avantage d’être universel et, c’est bien le seul, égalitaire. Son « Douchinka », cette petite âme, ramène le sujet dans un Empire qui n’a pas besoin de dire son nom, c’est l’âme slave qui est ramenée sur le devant d’un court premier roman d’une artiste déjà accomplie (cinéma, photo, expériences multiples depuis « la course autour du monde »…). Dans l’hiver de la Capitale, bastion abandonné de ce qui a été une société, on ne distingue plus les âmes errantes de celles à vendre. Mais le souvenir, « trente ans plus tôt », de « la première Exposition » n’a laissé personne indemne, surtout quand la Grande Révolte (née, dit le narrateur, de la colère des mères des sous-mariniers du Koursk, sans qu’évidemment le nom fût donné) n’a conduit qu’à la plastification, cette œuvre ultime qui consiste à embaumer les cadavres après avoir acheté les âmes. Evidemment, les différents scandales de l’Art-body, les « écorchés morts » du Professeur Gunther Von Hagens font écho, mais c’est davantage une fausse piste qu’autre chose : ce que Dominique de Rivaz veut incarner, ce sont ces vies déjà mortes et ces âmes qui le seront donc deux fois. C’est l’abandon dans lequel survivent les différentes ex-républiques soviétiques qu’elle a traversées, dans lesquelles, à chaque fois, elle a vécu, un peu. Elle sait que la vodka s’achète par « cent grammes » en kiosque, elle l’a entendu, le chineur, éructer sa haine antisémite. Elle a compris ces déceptions nées des espoirs de changement quand tout est resté tel quel, l’assistance de l’Etat en moins. Ses personnages s’adonnent au commerce des âmes par nécessité, pas par ennui comme l’ont fait dans le réel et aux enchères quelques illuminés en mal de reconnaissance. Dans le même temps, d’autres, comme Alexeï, «préparent » la très grande Exposition, « cent mille corps plastinés », pour recréer l’instant ultime du Grand Nuage. Toutes ces majuscules dont use Dominique de Rivaz sont autant de signes que si l’action se passe là, c’est bel et bien partout qu’elle aurait pu se passer puisque cette Humanité-là a dépassé son terme depuis longtemps.

« il ne reste plus que les pires substrats, une télévision qui vomit des messages religo-publicitaires, apologie mercatique d’un idéal que les fantômes qui traversent « Douchinka » n’envisagent même plus»

Quand ils « préparent », les thanatopracteurs de « Douchinka », ils participent d’une vaste entreprise mafieuse consistant  à récupérer des cadavres – que Vassili conduit dans son camion des glaces Morojonoe Lux sous l’étiquette de « Viandes (de renne) avariées » - à tout prix, donc en tuant des vagabonds, des indigents sur lesquels Alexeï trouvera systématiquement « le morceau de carton numéroté (…) découpé à la va-vite dans un paquet de Belomorkanal » : « le récépissé de la vente  d’une âme ». Après qu’il a considéré que ses morts lui ont « rapporté suffisamment d’argent », Vassili entreprend un ravalement méthodique des « pingouins-poubelles », symboles ravagés de l’illusion d’un bien-être. Dont il ne reste plus que les pires substrats, une télévision qui vomit des messages religo-publicitaires, apologie mercatique d’un idéal que les fantômes qui traversent «Douchinka » n’envisagent même plus. Si tant est qu’ils l’aient jamais espéré. Dominique de Rivaz a vécu à l’Est, elle a vécu, également, ce basculement – à Berlin, notamment, objet de son dernier travail photographique* -  elle doit connaître ces micro-cataclysmes qui ont fait que, soudain, plus personne n’ait rien d’autre à attendre qu’une fin absurde, cycle sisyphien du traqueur devenu cadavre à son tour, d’un amour dont il ne reste plus qu’une photo anonyme incluant le pingouin. Alexeï nourrit les âmes dès qu’il s’aperçoit qu’elles sont venues trouver refuge là où il travaille les corps : elles se confient à lui, comme elles se sont confiées préalablement au chat Béhémoth, qui « de mémoire d’habitant, n’était jamais descendu de son arbre »… Le récit de Dominique de Rivaz, sous ses aspects fantastiques, fait converger les destins de tous ses personnages, la vieille Rada en tête : fine allégorie des destins entremêlés dans la misère, des grandes épopées qui n’ont pas abouti, ils n’ont plus rien à quoi se raccrocher, ils sont, comme la monnaie, dévalués au plus haut point, mais, l’âme slave toujours, s’enthousiastent d’un poisson d’avril à venir, d’une tulipe qu’on voudrait délivrer de son élastique… La fin du roman touche à la poésie pure, quand Rada et Alexeï, chacun de leur côté, participent à ce « loto des morts » sans rien vouloir gagner d’autre que la liberté de leurs âmes. Qu’elles ne meurent pas deux fois, alors. Qu’on leur offre le rituel auquel elles ont droit, même si elles n’ont rien au de leur vivant : ces  « petits riens des morts », qui s’échappent en voltigeant quand Alexeï les confie au fleuve qui, déjà, « se perd dans la nuit », ce sont autant de traces qui, comme les pingouins-poubelles qui viendront mystérieusement mettre l’Exposition totalitaire en échec, redonnent à ceux à qui on l’a niée jusque-là une véritable identité. Il est curieux de voir à quel point ce très bref roman contient des choses auxquelles on s’efforce de ne pas penser : comme si notre âme a nous était déjà damnée de trop d’indifférence et d’insuffisamment d’altérité. Quand la vieille, à l’incipit, crache son mépris sur la porte du bus qui n’a pas voulu l’attendre, c’est un peu de cette partie du monde reniée qui nous crache à la figure. Il est des histoires russes qui ont marqué l’imaginaire collectif. Il en est d’autres qui le sollicitent encore. L’imaginaire de Dominique de Rivaz est bien celui du rideau de fer. Mais elle l’a laissé ouvert** LC

** Boris Vian, bien sûr

« Douchinka», L’Aire

ISBN 9-782881-088483

*« Sans début, ni fin, le chemin du Mur de Berlin » ed. Benteli Verlag & Noir et Blanc)

Prochain numéro : « La main de Dieu », de Yasmine Char

 

 

 

 

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25/11/2009

Parenthèse enchantée

KENT "Reste encore" LIVE from Brio Music* on Vimeo.

 

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24/11/2009

Quintolet

Julie Delaloye, 30 ans, ravive l’Absence, ciselle l’impression et fait corps avec l’élément, sans un mot de trop.

DECOMPTES D'HIVER

Cliché 2009-11-22 09-17-10.jpgJulie Delaloye est médecin. Autant dire qu’on s’attend à ce que cette belle et brillante jeune femme ait d’autres préoccupations que de griffonner sur papier autre chose que des résultats d’ordonnances et des diagnostics avisés. Pourtant, Julie Delaloye est aussi poète, et dans une assemblée comme celle de Lettres-frontière, si elle n’est sans doute pas la seule à s’être adonnée à la poésie, elle est la seule à s’être vue éditée pour ça, et seulement pour ça. Dans les salons bourgeois du XIX°s., on lui aurait demandé de choisir entre ses deux activités, mais elle les mène de front et sans difficulté. Il est intéressant d’ailleurs de voir que quelqu’un dont le rapport au monde est déterminé par sa lecture rationnelle peut sortir de cette restriction par le seul ordre du sensible. Dans "le ciel de février », son recueil très joliment édité, Julie Delaloye recrée une absence et la dessine à très petits traits, dans des poèmes qui sont brefs, ciselés, musicaux, et qui surtout empruntent à la nature le souvenir de ce qu’elle lui a pris. Puisque c’est la mère qui s’en est allée précocement, Julie nous redonne de sa présence en évoquant tout ce qu’elle a sans doute intensément respiré, de son vivant : des cerisiers en fleur, les feuillages des tilleuls, l’arbre de Judée, l’amertume des citrons… Tout est saisonnier dans ce recueil, jusqu’à la 13ème saison qu’il met en abyme, jusqu’à Pâques également, puisque « le ciel a mûri ce printemps, me dites-vous, au-delà de toute douleur, toute oraison ». C’est bien ce refus de la douleur qu’exhale ce ciel de février, souvent bas et lourd mais, de facto, annonciateur de lendemains plus lumineux. Julie fait de l’absente une figure absolue du recueil ; comme d’autres, de la même sélection, elle procède par petites touches et ramène dans ses paysages de montagne ce que le Narrateur ressentait de ses aubépines (chez Delaloye, les pivoines, le soir) : la certitude d’une présence plus durable, éternelle même. Dans un poème en prose annonciateur, en 2000, la très jeune poète jurait déjà qu’elle la passerait, cette éternité, « à te retrouver ».  Les poèmes de Julie sont construits comme des haïkus, parfois, en quatrains et tercets, aussi,  en proses poétiques, sinon, mais aucun d’entre eux ne revendique de forme fixe : c’est la musicalité des mots qui recrée l’impression, souvent, l’ordre libre qu’il respecte, c’est : une impression, une métaphore, un renvoi à la sensation propre. Ainsi, pour continuer la lecture stylistique, l’azur et le soleil sont liés et le brasier (des étoiles) alimente les feux d’un « chagrin incendiaire » qu’elle se charge elle-même, Je à l’appui, d’allumer.

« C’est la musicalité des mots qui recrée l’impression, souvent, l’ordre libre qu’il respecte, c’est : une impression, une métaphore, un renvoi à la sensation propre »

Mais la poésie, c’est mon avis, supporte mal la stylistique et ce n’est pas la peine d’aller plus loin : Julie ne revendique pas de baudelairité, elle place, au gré d’une discussion, les figures tutélaires de Yves Bonnefoy, de Philippe Jaccottet, d’autres poètes du lieu, de la présence. Il est de pire compagnie… Julie Delaloye, en débat public, surmonte son trac, paradoxe à part, par une voix ferme, assurée, presque agacée, fruit, sans doute, de sa formation médicale et de cet empressement des vérités, du moins celles dont on est sûr. Quand elle fait lecture – difficile exercice ! – de ses vers, elle donne l’impression inverse, celle d’une fragilité sans laquelle, de toute manière, on ne devrait pas être autorisé à faire de la poésie. La délicatesse est partout, d’ailleurs, dans le recueil, qui revisite, via « l’œil ébloui du passé » « les écharpes blanches » de Sassey, qui passent et qui,  toujours, sont accolées aux saisons, tel l’été «(qui) affleure ». Une tautologie dans l’Art poétique consiste à dire que ce ne sont pas les mots qui comptent, c’est ce qu’ils ne disent pas : en cela, Julie Delaloye ne se trompe pas et son économie d’effets est salvatrice : chacun des lecteurs est à-même d’aller vers ce ressenti qui est celui du promeneur, de la rêverie. Sans le néo-romantisme qui en découle trop souvent, Julie cherchant dans l’élément la seule relation qui lui reste avec la disparue. C’est une manière de faire le deuil -  références bibliques et mythologiques à l’appui - et en même temps c’est parce que le deuil est fait que les mots sont justes. « La mort a roulé, comme une framboise sous la langue », ce n’est ni naïf, ni mortifère. C’est de la sensation pure, de celles qui permettent un moment de dire que oui, là, Elle est retrouvée – Quoi ? – L’Eternité.

La réminiscence est en marche, le recueil a, je l’ai dit, cette magnifique qualité de ne jamais insister.  Soixante-quatre pages de petits éclairs poétiques, organisés – après l’éveil blanc -  selon des parties constituées en « heures limpides »,  en « éblouissement de l’été » et en « treizième saison », donc. Des lieux affleurent, dont on parle au passé comme dans « l’olive » ou au futur comme dans « Porquerolles ». Parce qu’il y a dans ce « Ciel de février » la certitude d’une salvation à venir, « roses à la main », l’assurance que l’éternel retour n’est pas que celui des saisons. Les nuits et pluie d’été, comme chez Duras, ravivent des souvenirs qui, au fil de la lecture, ont perdu de leur tristesse et ravivé « le rire cristallin », « sa voix qui sonne encore et gagne la mer ». C’était la visée de l’exercice, c’est réussi, en cela : la poésie a ceci d’universel que chacun d’entre nous peut reconnaître dans une association de mots et d’images ce qu’il est prêt à y mettre, une part de son ressenti qu’il n’aurait pas exprimé autrement mais qu’il trouve là exprimé pour lui.

Son amour des lieux, son appartenance, a fait de Julie Delaloye un poète dont les valaisans attendront les œuvres futures. Ils ont de la chance, ils tiennent avec elle les deux pôles essentiels à l’équilibre d’une communauté, la raison et la passion. Qu’ils sachent néanmoins qu’elle ne leur appartient plus tout à fait, en tout cas pas exclusivement. Mais que ce n’est pas triste. LC

« Dans un ciel de février», Cheyne éditeur

ISBN 978-2-84116-140-9

 

Prochain numéro : « Douchinka», de Dominique de Rivaz.

 

 

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23/11/2009

Le temps de la lecture.

Evidemment, vous vous doutiez bien que je n'allais pas pouvoir fournir des articles aussi nourris tous les deux jours dans la mesure où, fort heureusement, ils me demandent des efforts et dans l'autre mesure où, depuis l'éternité, le temps de l'écriture se nourrit de celui de la lecture: je mets la touche finale à l'article sur "le ciel de février" de Julie Delaloye, j'entamerai ensuite le bal des quatre derniers livres, ceux que je n'avais pas lus - pour des raisons diverses - avant l'Usage des mots. J'aurai plaisir à avoir lu Thomas Sandoz avant le 15 décembre, puisque je le retrouverai à la Médiathèque de Sierre.

Je me régale dans le même temps de la façon dont Christian Chavassieux nous fait revivre par épisodes la journée du 13 novembre. Et puis, parce qu'il faut que l'oeuvre se fasse, je replonge un peu dans l'esprit de ma "partie de cache-cache", j'en ciselle les parties déjà écrites avant que son dénouement ne s'impose à moi.

La littérature existe, je l'ai rencontrée.

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21/11/2009

Tétralogie.

Claudie Gallay, 48 ans, chemine à la Hague et, en entomologiste, donne sens aux secrets et silences.

Un peu de Prévert, sur nos cœurs  endoloris

-GALLAY©.jpgClaudie Gallay n’a rien vu venir. Elle qui habite le Sud mais a, dit-elle, « besoin du Nord », cherchait un lieu où se ressourcer : elle venait d’arriver dans le Finistère nord, elle a poussé jusqu’à un endroit où elle était sûre de ne trouver aucun touriste, aucune agitation. Elle a débarqué à La Hague, qu’on ne connaît que par sa centrale nucléaire, qu’on imagine moins livrée aux éléments qui sont partie prenante de l’existence des gens de là-bas. Son roman, « les Déferlantes », le seul livre à ma connaissance dont le titre et l’effet de bouche-à-oreille sont conjugués, grand succès public de l’année 2009, commence avec Prévert et continue avec des gens comme lui. Des vrais gens, dirait Kent, à qui j’ai déjà piqué le titre de cet article. Prévert aimait se promener, à deux pas de sa maison, dans le petit vallon de Saint-Germain-des-Vaux, peut-être, dans quelques années, des curieux viendront y retrouver les lieux dans lesquels s’est installée la narratrice des Déferlantes, une femme sans nom et entre deux âges venue franchir les différentes étapes d’un deuil. Une femme qui observe et se nourrit de la Beauté de la nature, sans que ce soit en rien un cliché : employée au Centre ornithologique, elle contemple autant les oiseaux qu’elle remarque les « petites fleurs bleues qui poussaient sur le muret d’enceinte », les grands arbres et les lieux « de mousse et de fougère », voire  les ânes, ceux qui reviennent « toujours, avec les beaux jours » et qui «allaient rester là tout l’été et qui un jour repartiraient. Qu’ils feraient ça sans prévenir ». Pas facile, quand même, cette écriture d’entomologiste, dans cet « espace sans lumière », cette brume qui monte de la mer et ne laisse à personne la possibilité de composer avec d’autres volontés que la Sienne. Celle de cette Valkyrie qui décide du sort de ceux qui la travaillent. Qui les avale tous, et les relâche les uns après les autres. Par pudeur, là-bas, on dit de ceux qui ne sont pas rentrés qu’Elle les a gardés. On n’en dit rien de plus, d’ailleurs : les personnages de Claudie Gallay sont taiseux, les secrets du village, les histoires enfouies ne se restituent qu’à force de patience et de pointillisme. Exactement comme on approche des pluviers. En se mêlant d’abord à la terre meuble, en n’attendant rien d’autre que ce que la Nature veut bien donner. Le roman de Claudie Gallay est une apologie du silence et, en cela, elle le rejoint, Prévert, quand il assénait son « un mot de plus et tout est perdu ». Lambert, par exemple, pour ne pas avoir à demander à la narratrice de rester pose incidemment la question : « et ça arrive souvent que des oiseaux qui pensaient migrer changent d’avis ? », avant d’enfoncer ses mains au fond de ses poches et de ruminer sur la façon dont il n’a pas tué Théo.

« Les personnages sont taiseux, les secrets du village, les histoires enfouies ne se restituent qu’à force de patience et de pointillisme. Exactement comme on approche des pluviers. »

La Hague, nous dit le personnage, vomit les gens qu’elle ne souhaite pas voir rester ; les autres, elle les garde, parfois définitivement. Elle n’est que de passage, mais comme pour Lambert, on perçoit que ce qu’elle est venue chercher burine son âme autant que son visage, mais la renforce, la reconstruit. Les dialogues de Gallay sont ciselés, quand l’un demande, pour en finir avec le silence, si justement « le silence ne vous gêne pas ? », l’autre « fait non avec la tête », point. Dans ce roman, il est question de lande, de terre et de mer mêlées puisque quand on se plaque le ventre contre la terre, on entend la mer, apprend-on encore. C’est donc un roman de la sensation, que Claudie Gallay a perçu dans la continuité de ce qu’elle a déjà écrit, notamment dans la solitude de Venise. La brume est un élément essentiel de ses promenades, elle symbolise l’état des non-dits et des secrets qui finissent par nous composer. Ce qu’il y a entre Théo et Lambert, ce que la vieille Nan ne dit pas, ce qu’on a dit d’elle, ce qui s’est passé dans la nuit parce que « tout se fait de nuit ici, c’est comme ça », toute ce qui ne s’est jamais dissipé s’éclaire à la lecture desDéferlantes autant qu’à la lumière du phare, qu’on n’a jamais éteinte. « Les nuits dans le phare, personne ne peut comprendre », dit Théo. Il faut cette inconnue pour trouver dans le roman de Claudie Gallay les raisons d’un renouveau, pour dépasser les damnations – la scène de la vieille qui vient cracher sur la tombe de sa rivale – se réjouir, comme à la Griffue, d’une heure de soleil même si le soleil ne dure qu’une heure.

La narratrice garde ses secrets, elle est aussi sensitive que l’est son auteur face à la beauté d’un lieu ou d’un instant. Claudie dit qu’elle peut trouver une humanité époustouflante dans le regard d’une vache ou – encore – d’un âne, qu’elle peut désormais se passer des élèves qu’elle avait dans sa classe d’institutrice, mais qu’elle ne se passerait pas pour écrire du chat qui vient se blottir contre elle quand elle travaille. Pas étonnant alors que les Déferlantes aient déferlé, quand tout dans la vie actuelle des hommes les empêche d’aller vers le vrai, quand on se dit qu’à l’instar de Michel, on peut n’avoir existé pour personne. Sauf que Michel, on l’apprendra, avait deux ans quand il est mort et que la narratrice – qui pourrait être nous – a une vie derrière elle, qu’il lui faut valider pour que naisse celle devant soi. Pas étonnant que les lecteurs aient été touchés, pas étonnant que le regret, toujours, « de ne pas aimer suffisamment », se rappelle à chacun de nous sans que, face à l’océan, on n’ait plus la possibilité de se mentir. 250 000 personnes (plus de trois Stade de France !) se sont attachées au destin de cette femme, qui s’est régénérée, dans toutes les acceptions du terme, dans des lieux sur lesquels elle se promet de revenir, quand elle les quitte. Avec, dans ses bagages, la même vertu que celle des femmes de marins. LC

Photo : Laurent Giraudou

« Les déferlantes», Editions du Rouergue

ISBN 9-782841-569342

Prochain numéro : « Dans un ciel de février», de Julie Delaloye.

 

 

 

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