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04/05/2011

"Trop pas!" - Chroniques - 2

IMG_1250.jpgOn reparlera de Fred Dubois de façon plus approfondie, bientôt. Pour l’instant, il faut savoir qu’il joue de la basse assis ou debout, indifféremment. C’est peut-être un détail pour vous mais ça le devient moins quand il décide de jouer tel ou tel morceau à la Iovine, le bassiste de Peter Gabriel ou à la Graham Maby, celui de Joe Jackson. La basse roule, je ne me féliciterai jamais assez d’être allé voir Nar6 en concert l’été dernier. Depuis, j’ai découvert, indépendamment d’un être exquis et raffiné, un musicien hors-pair, à l’acuité redoutable. Hier, en plus du rôle de D.A qui lui a été conféré, Fred a donc fait vibrer la quatre cordes comme je n’avais encore jamais vu un bassiste le faire, déférence gardée envers tous ceux que j’ai vu jouer. Sur les rythmes posés par Jean-Marie, Fred donne de l’espace au morceau, l’aère, retombe sur la note après s’en être joué. Il ne joue pas toutes les notes avec la main droite, alterne les glissandi ascendants et descendants, se rapproche du son de la fretless. Il tord un peu les cordes, se garde d’en rajouter pour ne pas gêner le chant qui viendra s’appuyer sur l’architecture qu’il a construite. Il apprend à décoder le Hostettler, fait corps avec sa basse et entre deux délires de studio – une imitation de De Gaulle et un très bel accent stéphanois – envoie du bois. Sort du bois. Du Bois-le-Roi. Qui Bourg-la-Reine. Pouf, pouf, je m’égare: plaisanteries de studio inside. Mais les journées sont longues et acharnées. Il sera temps de savoir s’il faut, demain encore, assurer le catering et le suivi de ces chroniques, quitte à s’offrir la sieste, dans ce lieu bucolique, que les musiciens n’ont pas le temps de faire.

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03/05/2011

"Trop pas!" - Chroniques - 1

Image 2.png« Trop pas ! » existe, je l’ai rencontrée. Près d’un an et demi après la fin des dernières maquettes, c’est à la Casa Musicale qu’elle verra le jour, pour la fin du mois de juillet. Hier, ce devait être une journée consacrée à l’installation de la batterie, mais les aléas du monde musical ont changé la donne, de façon très heureuse. A la place de mon copain d’enfance, retenu ailleurs, c’est Jean-Marie Elvira, celui de Fred Dubois, qui s’est installé derrière les futs. Jean-Marie, musicien professionnel, habitué des scènes niçoise, parisienne et lyonnaise, connaît les sonorités sud-américaines, joue avec des Brésiliens, des Cubains, transforme « la cancion de Esteban » en rumba cubana, timbal, guiro et conga à l’appui, puis s’empare d’une basse pour donner au morceau la tonalité qui va faire se trémousser quelques hanches. Décidément la bonne pioche du projet, courtesy of Fred D. Fred Dubois, c’est l’homme qu’Eric Hostettler et moi avons choisi pour diriger l’enregistrement, les vingt jours de studio que nous allons passer ensemble : auto-proclamé GIGN-D, il a une exigence liée à son métier qui rassurerait le plus anxieux des hypocondriaques. Une décision à prendre, une orientation musicale, un talent prometteur, il discerne tout de son œil perçant et n’en a jamais terminé. L’alchimie se sent déjà, par cercles concentriques : Fred & Xavier (Despras), le talentueux et flegmatique ingé-son, Fred & Jean-Marie, inespérée session rythmique, ces paires auxquelles Eric s’est lié naturellement. Les batteries s’enchaînent à une vitesse impressionnante, avec une facilité déconcertante : Jean-Marie s’amuse, propose, prend les choses en main en fin de journée. On parle de tempo, en 144 (celui de « la Marseillaise »), de coda, de pèche (grosse caisse-cymbale), de ride ou de crash, de fla et de Charley ouvert, de 16ème de temps devant, on fait les allers-retours entre la salle d’enregistrement à l’étage et le matériel de Xav’, en bas. La Casa, c’est une ambiance un peu surannée, celle des vieilles salles de cinéma un peu poussiéreuses mis qui restituent les âmes des films qu’on y a projetés. J’y ai assisté à la prise de « Je connais mes limites » pour « Deuce Sex Machina », aux concerts des mêmes Deuce et de Valeria Pacella. Pour « Trop pas ! », l’ambiance y sera différente, plus resserrée : pas besoin, pour les musiciens, d’attendre leur tour, puisque les postes sont quasiment doublés : c’est Fred qui jouera la basse aujourd’hui – il a déjà entré « le Café des Ecoles », sa préférée – et Jean-Marie qui mettra demain les percussions aux rumbas de « l’Ecole Buissonnière » & consœurs. Eric et Gérard (Védèche), autre histoire d’amitié, joueront les guitares plus tard, une fois la base rythmique en boîte. S’ajouteront à ça, demain, les claviers d’Olivier Castan, puis les additionnels, dans deux semaines. On prévoit du lourd là-aussi. J’entends dire, mais c’est encore un secret, que des cuivres viendraient de chez…Non ? Difficile d’y croire, mais pourquoi pas, après tout. Aujourd’hui, Pauline est venue faire connaissance avec les lieux et l’esprit des lieux. C’est Marjo qui a pris corps, un peu. Et moi, de mon fauteuil rouge, je regarde ce Tout continuer de prendre forme. Trop bien !

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02/05/2011

Regreso

IMG_1194.jpgL’Andalousie est un des révélateurs qui me donnent la conscience de la vie que je mène. Quand je m’y retrouve, ce qui nécessite un voyage quasi-initiatique par sa longueur, je me souviens des fois où j’y suis allé. Je me rends compte que la Mesquita est toujours là, que le Guadalquivir véhicule toujours les histoires qu’il a portées, et que moi je suis à la fois le même que celui que j’ai été et quelqu’un d’autre. Cette mécanique-là, que j’explore depuis, allez, trois décennies conscientes, m’apporte de la sérénité et de l’angoisse : je ne quitte pas ma bivalence. Je suis heureux que d’ici quelques semaines maintenant, si tout va bien, mon « Poignet d’Alain Larrouquis » rende à l’Espagne tout ce qu’elle a apporté à ma vie d’homme : une permanence dans le chaos, un rapport à l’Histoire qui se joue et le lien jamais défait entre la littérature et le peuple, que la France a perdu. Cordoba s’est un peu refusée, cette fois-ci, mais ce qui est désolant à quinze ans, je l’ai constaté, l’est moins à quarante et quelques : ce sont Marjo & Esteban* qui doivent passer le fleuve en plein soleil, je peux, maintenant, me contenter de la pluie. Je les ai appréciés pleinement, ces instants de duende, dans le partage du fino comme dans la solitude essentielle des bains de mer. Je ne sais pas quand j'y retournerai, voire si j'y retournerai un jour, mais ça importe peu, au bout du compte: mes marqueurs seront toujours là et quand j'aurai disparu, il se trouvera bien quelqu'un qui se souviendra de moi et qui se souviendra aussi que c'est là-bas que j'apprenais à ne pas me croire immortel.

* chroniques d'un enregistrement, qui commence aujourd'hui, à retrouver dès demain.

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22/04/2011

Marjo', Alex, Esther, Esteban & les autres.

Je m'autorise une pause d'une semaine en Andalousie, cette région où j'aime à me retrouver. Je pars avec le livret de "Trop pas!", cette comédie musicale lycéenne dont le tour est enfin arrivé. Frédéric Dubois, un esthète dont l'abord de la musique m'a immédiatement marqué, a pris sa direction artistique en charge. L'homme est exigeant, et rigoureux. Il nous a ouvert, à Eric Hostettler et à moi, un carnet d'adresses conséquent, qui fera que, dès la première semaine de mai, notre petite pochade déjà remarquable entamera sa métamorphose. Chrysalide, papillon, toussa, comme on l'écrit sur les forums Internet. Marjo', notre héroïne, a les soucis de ses quinze ans et Dieu sait qu'ils sont nombreux. Tout le monde le sait ici, 'tout menace de ruine un jeune homme"... Il sera temps, bientôt, de vous en dire plus, quand je verrai tout ce beau monde à l'oeuvre et que je n'aurai plus qu'à en tenir le journal du quotidien. Je suis impatient. Mais ma semaine espagnole m'attend. J'irai y déposer la promesse du Larrouquis à venir... Après tout, même si ce n'est rien, c'est déjà ça.

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19/04/2011

Brouiller les pistes.

- C’est lui, tu crois ?

Sbigniew Konchalowziak désignait un petit homme nerveux, coiffé d’un tricorne, qui martelait d’une canne de jonc le sol d’un champ pierreux. Jonché de cadavres, dont certains convulsaient encore. Il s’adressait à Petrus Warziniaski, assis à même le sol, la kurtka déchirée, tenant la bride d’un cheval blessé au flanc. Le sang versait par flots, l’animal était terrifié, il n’allait pas tarder, lui aussi, à mettre un genou à terre. Mais si sa monture allait mourir, Petrus Warziniaski était bien vivant, il avait survécu à cette charge insensée décidée au petit matin. Ils savaient tous les deux que la route était trop encaissée pour qu’on y envoie les fantassins : en arrivant à portée des canons et des fusils, ils se feraient massacrer, et la colonne du centre ne serait pas protégée. Il fallait une action foudroyante, la cavalerie allait charger.



Konchalowziak  et Warziniaski  venaient de la banlieue de Lodz. Pour échapper à la mine, ils avaient décidé, bien que ne se connaissant pas, d’élever des chevaux. Des chevaux de trait, d’abord, qui coûtaient moins cher à l’entretien. Ils se sont rencontrés au comice agricole de Gdansk, l’un venant vendre, l’autre acheter. Ils auraient pu en rester là, mais sont devenus amis, se sont associés. Pas une fois ils ne se sont fâchés : tous les jours, ils s’occupaient de leurs bêtes, partageaient leurs repas et bientôt le même toit.

C’est Sbigniew  qui a proposé à Petrus de se lancer dans l’élevage, pour les vendre à l’armée polonaise. Leur commerce a bien fonctionné, mais quand la foudre a fait brûler l’étable, que les trois géniteurs ont péri carbonisés, ils se sont enrôlés eux-mêmes. En y restant quelques années, s’étaient-ils dit, ils pourraient rembourser leurs créanciers et reprendre leur activité. De plus, ça ne les sortait pas des chevaux…

C’est vrai que la plupart des hommes du régiment n’avaient pas connu le feu. Que pour eux, l’Espagne serait un baptême. Ils étaient habitués à ce qu’on les regarde défiler, qu’on admire leur tenue d’apparat : habit de drap blanc, pantalons amarantes, double bande latérale blanche, czapska à pavillon, arête et galon blancs, bombe de cuir noir. Le sabre de cavalerie légère à garde de laiton à trois branches et fourreau de fer, dragonne blanche… Ils aimaient qu’on les regarde parce qu’ils faisaient corps avec leurs chevaux. Alors, quand le lieutenant Niegolewski leur a dit qu’ils allaient attaquer, ils se sont surtout inquiétés pour les bêtes, parce qu’elles allaient essuyer le feu, charger en pente sur les cailloux que les éboulis avaient laissés, risquer de se casser les pattes. Tous les cavaliers savent que sur un tel dénivelé, les chevaux peinent. Pourtant, il allait falloir le faire.

Ça a été l’enfer. Ils les ont tous vu tomber. Au premier coude, les quatre canons espagnols ont fauché le peloton de tête, le commandant Kozietluski en premier. Au fur et à mesure que les hommes et les bêtes chutaient, ceux de derrière les remplaçaient. Konchalowziak  et Warziniaski  avaient pour eux les innombrables courses de côte qu’ils avaient faites en campagne pour dresser les plus impétueux des chevaux. La vitesse était leur atout, la foulée déliée leur permettrait d’atteindre les servants, de les abattre avant qu’ils aient le temps de recharger. Au delà de la quatrième batterie, l’ouverture allait s’élargir, il suffisait d’atteindre ce cap, que le cheval comprenne que c’était le but à atteindre.

Quand les Espagnols ont fui, quand ils ont atteint le sommet, ils n’étaient plus qu’une cinquantaine sur les cent cinquante qui avaient chargé. Partout, c’était la désolation, les hurlements de ceux qui n’avaient pas eu la chance de mourir vite, les hennissements terrifiés des chevaux démembrés… Des cris mais des chants aussi, et pas de victoire. Des hommes rendus sourds par les canons fredonnaient des berceuses, erraient en haut de la colline quand la troupe d’élite est arrivée, quand le petit homme s’est fait aider pour descendre de cheval. Sbigniew Konchalowziak l’a vu le premier. Ce qui l’a le plus surpris, c’est la propreté de sa tenue. Cet homme pour qui des centaines de soldats venaient de mourir était immaculé, la mèche un peu rebelle peut-être. Dans l’hébétude générale, il apparaissait comme un sauveur : personne ne songeait à lui demander si ça valait bien la peine d’avoir fait tout ça.

Il est venu directement vers Niegolowski, l’a regardé dans les yeux. L’autre était à terre, il a voulu se redresser mais l’Empereur lui a dit de ne pas bouger. C’est lui qui s’est accroupi, tout le monde regardait la scène, il a enlevé sa croix, l’a épinglée sur la poitrine du lieutenant et lui a dit : « Vous êtes un brave. C’est vous qui porterez à Paris les drapeaux pris ici. ». Le soir, il dormait tranquillement à Buitrago, de l’autre côté de la sierra. Le lendemain, Konchalowziak, Warziniaski et les survivants – dont la plupart étaient blessés – eurent droit au chapeau bas du Grand Homme, qui les reconnut pour sa plus brave cavalerie, dignes de sa Garde. À ce moment précis, les pensées des deux paysans se croisèrent. Elles allaient vers les bêtes mortes de la démesure des hommes, vers les vallées désertiques du Boug, au moment du dégel, quand la terre est meuble, que les pas des chevaux l’épousent facilement et qu’ils ont eux l’impression de ne faire qu’un avec leur monture.

 Extrait du Poignet d'Alain Larrouquis, à paraître prochainement, aux Editions Raison & Passions (Tous droits réservés).

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18/04/2011

Devant le néant.

Personne n'attendant non plus mon avis sur rien, je reprends, en même temps que kronix, le cours de mes chroniques régulières. Rien n'avance, sur aucun des chantiers que je dois mener, et pourtant, j'ai des échéances. De celles dont on se convainc qu'elles sont importantes alors que, pas plus que ces billets d'humeur, elles ne sont attendues par personne d'autre que moi et les quelques-uns qui me font l'amitié de me prendre pour qui j'aimerais être. C'est confus.

Je n'ai jamais voulu personnaliser ce medium, indépendamment de mes activités littéraires. Je vais faire une exception, pour ceux qui n'auraient pas vu ce petit film sur d'autres réseaux. Mon fils de quinze ans poursuit son rêve d'absolu et de liberté. Il s'est essayé, après le parapente et avant le parachute, au saut à l'élastique, dans un cadre idyllique, avec un certain brio. C'est idiot d'être fier de ses enfants pour de mauvaises raisons; celle-ci est anodine, mais terriblement essentielle.

La semaine prochaine, je retrouve furtivement l'Andalousie; puis ce sera l'heure, enfin, de "Trop pas!". Là, le journal sera nourri, et quotidien.


Saut à l'élastique - Hippo, 16 avril 2011 par cachardl

16:13 Publié dans Blog | Lien permanent

09/04/2011

Excipit

Image 2.pngJ'en termine, ces jours-ci, avec le PAL. Du moins le pense-je. C'est sa quatrième ou cinquième version, je crois qu'il est de la même veine que ses prédécesseurs. Du moins l'espère-je. Je pensais qu'il allait falloir que je lutte contre l'idée fausse que j'écris un livre par an. Mon "Larrouquis" marquera la fin d'une décennie d'écriture. Il faudra que je trouve la force de relancer la machine à créer puisque Aurélia m'attend, même si, depuis tout ce temps, elle sait encore se faire toute petite.

Je n'aurai pas eu à écrire sur la fatalité qui fait qu'un des autres moi-mêmes (ils sont rares mais ils sont pluriels) a subi une lourde opération. On a eu peur, on a craint, mais maintenant on est rassurés. L'opération "Trop pas!" va pouvoir commencer. Avec les premiers lilas blancs du mois d'avril.


l'école buissonnière (L.Cachard/E.Hostettler) par cachardl

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03/04/2011

Juste après "Peindre".

peindre.jpgHier avait lieu, au théâtre municipal de Roanne, la première et – pour le moment – unique représentation de « Peindre », une pièce issue des laboratoires de la Compagnie Nu, bien décidée à pratiquer le mélange des genres et la transversalité des disciplines artistiques. Ainsi, « peindre », plus qu’une pièce de théâtre, se veut réflexion sur l’acte même de création et interpénétration des spécialités, jusqu’à ce qu’elles ne fassent qu’une. Dans le jeu, outre le drame tel qu’il se joue et qu’il a été écrit, on trouve les photographies de Marc Bonnetin projetées en fond de scène et la composition sonore de Jérôme Bodon-Clair. Quatre fois deux mains, ça fait huit, si l’on rajoute les éclairages, on  a le nombre impair nécessaire à toute création. Puisqu’il est acquis que la création est déséquilibre. Pourbus - un peintre dont le nom est emprunté au « chef d’œuvre inconnu », le texte de Balzac mettant en scène le jeune Nicolas Poussin et un Pourbus finissant, une oeuvre à partir de laquelle Rivette créera sa « Belle noiseuse »*  - est entre deux âges « présent à la peinture » dans le lieu vaudou qui est l’atelier : « puisque le lieu de mon travail, c’est le temps que je me donne », assène-t-il, il considère son œuvre sous la double égide d’une voix off qui retranscrit spontanément la moindre de ses pensées et celle de E. incarnée sur scène par Nathalie Vincent. E. c’est à la fois la mauvaise conscience de Pourbus - qui trouve son atelier aussi raide qu’il peut l’être parfois et voudrait « oublier le spectacle de la douleur du monde » en dépliant une toile immense et vierge – et le double de la Muse qui, ressasse-t-il, l’a abandonné. Ils vont toréer ensemble tout au long de la pièce, elle est apparue par le haut, au bout d’un fil, tenu(e). Le texte de Chavassieux – puisque c’est de lui qu’il s’agit – prend place, par oppositions, souvent : pour Pourbus, l’inspiration, la création, sont, dans la même seconde, « présentes comme évanouies », « pleines et absentes ». Dans les blancs, dit-il, il y a la respiration calme et la sueur. Il prend la posture du peintre, absorbé, aspiré, campé devant la toile et ses géographies, il a « le temps entre les dents serré ». C’est un enfant, ajoute-t-il, « le monde est dans (s)a main", il joue avec mais dans le même temps, ajoute-t-il, il « travaille », « retrouve le sérieux de l’enfance ». En exergue de « la partie de cache-cache », se souvient-on, il y a cette phrase de Nietzsche : "la maturité de l'homme, c'est retrouver le sérieux qu'il mettait au jeu, étant enfant"...

E. n’est pas tendre avec Pourbus. Au fur et à mesure que les scènes défilent, rythmées par les séquences sonores d’une contrebasse tendue et une scénographie épurée, jouant entre les drapés de la toile et des images en mouvement, elle le reprend, le contredit. Il doute de la mise à nu de son univers, dit qu’il peint « pour savoir ce que je veux faire avec la peinture », elle le relance : « tu sens cet espace ménagé pour toi ? ». L’interview, intermède burlesque dans l’introspection philosophique, ramène l’homme à toutes ses contradictions : le discours est rodé, il parle d’épure, de creux révélés, mais au final, il le dira plus tard dans une de ces insères comiques qui ponctuent la pièce :

- J’ai dit, ça, moi ? C’est stupide

- Oui ( répond E.)

- Je suis pudique

A E. qui, encore, trouve que ce blanc, décidément, « c’est l’auberge espagnole », Pourbus rétorque qu’il a trouvé dans le blanc originel une façon de retrouver son geste perdu, qu’un jour, il a compris « ce qu’était le fond ». Il passe, dit-il, par le Beau pour « arranger un monde dérangé », souligne le tragique qu’il y a dans la Beauté. Chavassieux glisse un peu de lui même et de Charon quand il fait dire à son peintre qu’il plonge « âme et sexe » dans son œuvre et demande à E. de comprendre « pourquoi je suis mal dans les vernissages ».

François Podetti, il est grand temps d’en parler, habite la fonction avec force. Il est la masse face au mouvement gracile de son daemon. Dans la mise à nu finale, que je ne dévoilerai pas, il revêt le blanc de la solitude et des regrets, se souvient qu’ « elle devinait les moments où il fallait me laisser seul ». Le père, équarisseur (dont le linge ensanglanté revenait étincelant sur l’étendage), et la mère, à qui plaisait les nus qu’il faisait, sont sollicités. Les voisins, aussi, les paysans pour qui un peintre n’est jamais que quelqu’un qui ne fait rien, ce que confirment et transmettent leurs enfants venus en atelier. Ils ne l’ont pas vu « en compagnie de l’humanité entière », lutter contre la tentation du retour à la figuration : « ce serait revenir dans un pays qu’on a quitté très jeune », souffle-t-il…

Alors, oui, on entend dire que le projet est très ambitieux, qu’il mériterait un traitement plus resserré, mais le jugement est imbécile, dirait René-Pierre Colin. Il faut avoir vu le public se concentrer sur une réflexion qui pose la question de ce qu’on fait de notre vie. Pourbus, comme Chavassieux, travaille « sans arrêt, de peur que la vie s’arrête ». Il veut créer « l’inverse du trou noir », E. veut le ramener  au sourire qu’il avait quand il créait,  celui « des bébés adressé à personne ». La scène devient une Pieta ensanglantée, les acteurs se subliment, sont sublimes. Les noms de peintres défilent en voix off, les questions (« Y’a pas de questions à se poser, y’a rien de magique, rien de sorcier ! ») défilent et s’éludent, Pourbus ne sait pas pourquoi, au final, lui entend et pas les autres.

« Peindre » n’échappe pas au politique et à l’idéalisme : l’Humanité, « les autres ». Le peintre a renoncé à contenir « la douleur du monde entier » dans son atelier, E. veut le persuader qu’il en est capable, de nouveau. On y verra la touche finale de l’auteur quand un spectateur sceptique se serait bien arrêté à l’apologie du (vrai) travail, celui que, souvent, la société ne reconnaît pas à celui qui s’y acharne, pourtant. Ce n’est pas important, le résultat est le même : il faut « recommencer », remettre l’ouvrage sur le métier. « Peindre » ne s’est joué qu’une seule fois, pour l’instant, mais c’est déjà un texte essentiel, qui brusquera sans doute les gens de théâtre. Il serait artistiquement criminel que l’aventure s’arrête là, ne serait-ce que pour voir la réflexion s’appliquer à elle-même.

Photo. Christian Verdet©

* Une des manifestations de l’optimisme de Chavassieux aura été de croire que tout le monde le savait. 

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