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11/12/2025

Nous nous sommes tant aimés.

images.jpgOn ne sait pas encore s’ils se sont immédiatement projetés sur les 50 ans (de scène), mais on ne se remet pas facilement d’un tel Everest émotionnel quand sur deux soirs, opposés et complémentaires, six-cents personnes vous font passer l’idée forte que vous n’avez pas fait ça pour rien. Toute une vie validée par acclamation, ça a de l’allure, même s’il faut retrouver le réel. Accepter que ce ne soit que ça, cette intensité poussée au paroxysme, aussitôt envolée quand les lumières s’éteignent. C’est sans doute pour ça qu’après le concert, on trouve autant de personnes qui restent à distance que d’autres qui cherchent à vous happer, les premiers n’ayant pas envie, qui sait, de vous voir régurgité en simple mortel. Deux heures plus tôt, c’est par un vieux titre qu’ils ont ouvert le bal, Nous nous sommes tant aimés, un des nombreux emprunts cinéphiliques de la soirée – entre Attache-moi, Pierrot le Fou ou Mauvais sang, entre autres. Dans le film d’Ettore Scola, Gianni, Nicola et Antonio se heurtent aux lendemains qui ne chantent plusaprès avoir connu les fulgurances de la Résistance, fabriquent, entre contingences et idéaux, une histoire de l’Italie sur trente ans, jusqu’aux 70’s. Ces années pendant lesquelles le petit Pétrier se construisait des histoires mentales, dans sa chambre, inventant des disques – pochettes comprises – sans savoir poser une note de musique. Là, ils sont beaucoup plus nombreux, sur la scène du Radiant, mais la question est la même, d’autant que les temps se sont abolis d’eux-mêmes, les partants n’ayant jamais été aussi présents que ces dernières années, avec l’idée sous-jacente qu’ils pourraient ne plus jamais repartir. Parce qu’il y a dans la durée la notion permanente de recommencement, l’idée d’un projet qui comprend sa propre genèse : sans doute dans les premières notes de Lady Winter était-il déjà contenu, mais sans perception de sa forme. Quand ils jouent sur la scène du Radiant, Pétrier, Perrin (X2) & Co. retrouvent des sensations qu’ils ont déjà connues – j’ai vécu la scène avant - enrichies par l'expérience et la réflexion d'une vie entière. Ils ne diront pas s’ils ont trouvé vieillies, dans la pénombre de la salle, les personnes qui les suivent depuis longtemps, ce serait 1) reconnaître qu’ils n’ont pas échappé au temps non plus 2) briser le cours de la réminiscence qui fait création, donne le matériau d’écriture et de composition. Puisqu’il n’y a pas de linéarité, il s’agit de la créer et quelque part, dans un multivers, tous ceux qui ne sont plus là – Jean, Sandra « Fleur de Métal », Éric et les autres, mais finalement pas tant que ça : en 40 ans, on aurait pu compter plus de pertes, à commencer par moi - auront eu leur concert parallèle, fait de tous ces titres qui n’ont pas été choisis*, d’une connivence que nous ne comprendrions pas, de toute manière. Quand on relie les deux pans d’une longue époque, on prend un double risque, celui de ne pas être fidèle à ce que l’on était (la théorie du salaud), celui de trop concéder à la mélancolie quand tout est encore à refaire, quand on a encore tant de choses à vivre : rien n’a vraiment changé. Et si justement l’on met en lien le début et la fin du Voyage, l’œuvre en elle-même devient un manifeste(o) et sa réalisation à la fois : le projet initial, ramené sur le devant de la scène, acquiert une nouvelle valeur, en soi. Le palimpseste mémoriel que se sont offert les Noz, au Radiant – avant même de l’offrir aux autres – ce questionnement sur le temps, l’Art et la mémoire relève de l’illusion comique : pendant 2h30, chacun a pu replonger dans ses jeunes années, se croire, de nouveau les dents longues et les cheveux dans le vent. Il ne l’avait encore jamais dit jusque-là, mais Pétrier, c’est Dorian Gray,  sans la décrépitude : éternel jeune homme désireux de manger le monde, qui dessine lui-même le processus de la chute inhérente, pour mieux l’éviter. Son Altesse, respectée et adorée du public, et derrière, la vraie peinture de lui-même, sous le bonnet, et l’analepse, toujours, puisqu’ainsi tout reprend de là où ça a commencé. Mieux, là où il n’est jamais allé mais où il veut nous emmener tous, cet été, à l’aube, pour rejouer Bonne-Espérance, en intégralité et costumes d’époque. En plein air, près d’un lac et jusqu’au mur, la limite de tout ce qui est civilisé. Et là, nous saurons.

NB: Les Noz d'émeraude, malheureusement absent jeudi dernier, ressortira au 1er trimestre 2026 avec une édition augmentée. Nouveau format, nouveau papier, nouvelles rencontres. 

 

*Le Voyage
J’empire
Nouvelle Star
Le cimetière d’Orville
Rien vu venir
Juste avant la fin du monde
Cheval Punk
Sculpture lente
Le match du siècle
Marie-Fleur
Une histoire de cul
Mathématiques modernes
Anassaï
Aurélia
Le Signe
Marianne couche
Un 30 avril, sur les Quais
End of the story
Près du vide
Les fleurs
La chambre d’hôtes
Each Uisge
Les Maldives
La fête s’achève

 
 
 
 

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02/12/2025

À pieds joints.

9782336552200r.jpgA priori, le fait que David Allouche, auteur de deux romans, écrive une pièce de théâtre sur un romancier auteur de deux romans qui veut écrire une pièce de théâtre – le plus difficile des arts ! - n’était pas fait pour me convaincre, la mise en abyme étant un effet qui se voit, souvent, un peu trop. Surtout après avoir plongé, en apnée, dans le théâtre minimaliste et éprouvant de Laurent Mauvignier. Et puis la langue, le rythme, l’idée que cet homme d’une cinquantaine d’années (sic) consacre sa vie dérisoire à aller voir du théâtre (toutes les pièces de théâtre !) m’a intrigué et j’ai poussé la petite cinquantaine de pages du monologue pour savoir ce qu’il allait advenir de cet individu indécis en tout sauf dans la projection de sa propre fin. Je mourrai au théâtre, dit-il, de façon spectaculaire, en respectant les unités du genre, mettant fin ainsi au questionnement qui ponctue le récit (a-t-il vécu ou pas ? aimé (bien) ou pas ?). On pourrait vite le trouver geignard si sa métaphysique ne finissait pas par épouser des questions plus larges, comme la religion du père et, au-delà, celle de Sarah, dont on pût croire, au nom, qu’elle était juive mais elle ne l’était pas. Et quand arriva le 7octobre, c’est Roméo & Juliette qu’on rejoua, sans qu’il fût Roméo pour autant. Tiens! Sarah, c’est aussi le nom du personnage féminin, qu’on vit in abstentia, via l’amour impossible que lui porte le troisième contrebassiste (tout au fond, en haut), de la pièce de Süskind évoquée dans l’énumération de départ - ce qui par ailleurs est lui faire beaucoup d’honneur… 

Il y a du lyrique, sur quelques envolées, du pathétique, au sens propre, dans la façon dont l’homme s’expose et commande deux coupes de Ruinart au Bar de la Comédie française pour les boire seul. Il y a dans l’illusion comique des références précises aux ainés (Molière et Corneille), à la mythologie, une réflexion sur le temps (je fus tout et ne suis plus rien), ses mutations brusques, une autre sur l’écriture elle-même, pieds nus sur le parquet. Et dans l’emprunt à Hamlet (words !words !words !), le danger qui guette tout exercice de création : le mot de trop. En 50 pages, peu de risques (l’auteur avoue lui-même avoir privilégié des romans courts pour ne pas ennuyer), même si – la règle d’une critique, trois caresses pour un coup de griffe – la dernière scène ne paraît pas apporter grand-chose à l’ensemble. Il faudra la voir jouée – les didascalies sont comprises – cette pièce, souhaiter qu’elle le soit avec beaucoup de finesse, par un acteur tout en retenue. Mais c’est (toujours) à Louis Jouvet, quand on parle de théâtre, que revient, dans le Comédien désincarné, la chute (la Chute !) : Rien de plus futile, de plus faux, de plus vain, de plus nécessaire que le théâtre.

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13/11/2025

Mathias & Marie - 10 ans.

2876391494.jpgLa thématique des dix ans m’a toujours porté et j’envisage de retourner à Ouessant en 2027 parce que j’ai métaphoriquement promis d’y faire le Voyage tous les dix ans, peut-être. Forcément, le souvenir du 13.11.15 est prégnant, je dois y accoler la difficulté d’être loin des miens quand c’est arrivé, d’avoir eu l’impression de ne pas pouvoir les protéger, même s’ils n’étaient menacés en rien. Dix ans d’études, de témoignages, de reportages (j’évacue tous ceux qui jouent la carte de la musique dramatique…) m’ont permis de comprendre mieux ce syndrome, l’idée qu’on ait été touché soi-même alors que rien ne peut remplacer – hélas – ce qu’ont vécu les vraies victimes et, plus encore, la culpabilité avec laquelle doivent vivre ceux qui ont échappé à la mort sans savoir pourquoi. Qui doivent se demander pourquoi eux sont (encore) là et pourquoi d’autres non. Il y a dix ans, j’avais choisi, au hasard, ces deux-là, Mathias et Marie, sans rien en savoir, je les avais isolés, un temps, du reste des victimes pour qu’on mette un visage sur un temps qu’on avait fauché, celui qu’il leur restait à vivre, les projets, les amours… Sans doute parce qu’ils avaient l’âge, à peu de choses près, de mon propre enfant, que parler d’eux empêcherait de les savoir morts tout à fait. Depuis, une association leur a été consacrée, dans une réalité qui convient davantage que la seule façon que j’ai trouvée de parler d’eux à cet instant-là. Depuis, je lis qu’il est de plus en plus difficile pour les familles des victimes de ce vendredi noir de n’entendre parler que du Bataclan, et pas des autres lieux de carnage. Même la commémoration est sélective, si on n’y fait pas attention. Depuis, j’ai écrit, comme beaucoup d’autres, une chanson pour Éric Hostettler, trois jours après les faits, le temps de me reprendre. Même si on ne se remet jamais de ça, si un tel repère partagé dans les existences de chacun nous a tous figés ce jour-là, à l’âge que nous avions, à ce que nous vivions alors. Cette notion d’événement qui m’a toujours interpellé, qui varie selon que l’on est historien, philosophe ou, au plus près, secouriste, policier.

La tuerie de Charlie-Hebdo avait déjà bien atteint notre idéal de société juste et commune ; celles du 13.11, quand j’y repense, cliniquement, l’a achevé, en ce qui me concerne, même si la solidarité immédiate a été belle, spontanée. J’envie ceux qui y croient encore, moi, je me suis mis en retrait, ne survis que par la Beauté. Et si je repense à Mathias et Marie, c’est parce que je pense à tous les autres : les morts, les blessés, les traumatisés et les hébétés que nous sommes tous restés.

17:13 Publié dans Blog | Lien permanent

12/10/2025

Murat sur un Plateau.

IMG_5766.jpgÉvidemment, il a suffi que j’annonce au public venu me rencontrer au Bar du Plateau que je tiens toujours le journal des rencontres en train de se faire pour que je procrastine et attende les premières minutes du jour d’après. Mais c’était hier (donc) matin, et j’ai présenté Un monde sans Murat pour la première fois en public, sans assistance – ni interviewer, ni musicien – à l’ancienne : je me suis posé, et de ma voix haute j’ai parlé de Jean-Louis Murat à ceux, nombreux, qui ne le connaissaient pas ou mal. Toujours, dans ces cas-là, le souci est de se montrer clair, exhaustif et limité dans le temps, pour ne pas lasser. Toute proportion gardée, je garderai jusqu’au bout le souvenir d’un Axel Kahn clôturant les Assises de la bioéthique, à Paris VIII, sans note, demandant à l’assesseur de combien de temps il disposait (20mn) et organisant sa prise de parole en fonction. C’est avec moins de gravité, simplement, que j’ai parlé de Murat, de ce qui nous liait et, surtout, de ce qui a provoqué ce besoin d’écrire ce livre sur lui. J’ai évoqué la construction de l’ouvrage, l’importance de son sous-titre, Variations, puisqu’il comprend des genres différents comme le portrait, l’entretien, la chronique et la nouvelle. J’ai évoqué ce fameux premier article de blog, en 2009, qui a tout entraîné, puis les thématiques développées dans les nouvelles, dont l’Irrégulière, un texte que j’ai lu seul, à voix haute, a capella. J’ai parlé d’autres souvenirs qui sont venus, spontanément, comme les endimanchées – titre de la première nouvelle, la plus longue – du sourire à Drucker et, dans l’Irrégulière, de Jeanne Moreau, de Jules & Jim, d’Henri-Pierre Roché. Mes thématiques. Quand on s’adresse à un public neuf, qui ne connaît pas (encore) vos obsessions, ça marque. J'ai lu la note que j'avais envoyée à Didier le Bras pour dire à quel point le Bougnat était essentiel à ma vie; un bout de la fin de mon Irrégulière. À force, je connais les réactions, je crois pouvoir dire que ça a plu (coquetterie). Mais le plus beau, dans tout ça, c’est qu’un bon nombre de futurs lecteurs ne connaissaient pas Murat, qu’ils vont découvrir parce que je leur en ai donné envie. Je leur ai demandé de l’écouter, pas d’aller voir les vidéos de ses outrances sur Internet. Il y a quelques titres qui ont dû circuler, aujourd’hui (hier) et c’est une réussite, en soi. L’éditeur me dit que les commandes sont déjà importantes, à notre niveau, et émanent de la France entière. Ça veut dire que Un monde sans Murat bruisse déjà, un peu. Je l’ai écrit pour rendre à JLM un millième de ce qu’il m’a apporté, en trente ans : sans flagornerie – pas son genre, ni le mien – sans une once d’appropriation, puisque c’est la limite. J’ai hâte, déjà, d’être aux prochaines rencontres, hâte que d’autres s’annoncent, puisqu’un Monde sans Murat, c’est un monde que l’on se doit de partager, et pas seulement entre nous. Merci à Sarah et Rebecca, toujours là pour moi.

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25/09/2025

LM WAS HERE (MAISON VIDE & PLEIN DE SENS).

LM&MOI.jpgDrôle de sensation que de rentrer ce soir du grand entretien avec Laurent Mauvignier, et du dîner qui a suivi. Outre le Momentum littéraire, de haut niveau – il faut toujours inviter des auteurs qui ont quelque chose à dire sur la littérature, pas seulement sur leur roman – il y a eu cette rencontre avec un écrivain qui a marqué ma vie : nous avons le même âge, à quelques mois près, et les thèmes d’écriture que nous avons choisis, chacun de notre côté, sont diablement identiques. À la différence près que la Maison vide, le livre dont tout le monde parle et pour lequel, sans suspens et sans concurrent, il va décrocher le Goncourt, prochainement, une anomalie – sans jeu de mots – pour quelqu’un qui aurait pu être récompensé dix fois déjà, pour dix romans différents, est un roman, je l'ai dit, comme il en paraît un tous les cinquante ans. Alors, attendre Mauvignier au pied de l’escalier de l’Orque bleue, c’est se remémorer les rencontres avec Pascal Quignard, Pierre Jourde, Éric Chevillard, Alexis Jenni et autre ; c’est se dire que le premier contact, dans la réalité, est un sérieux indice sur la dimension du bonhomme : je suis rassuré, je le trouve plus en forme que sur des photos des mois antérieurs qui circulaient. On marche jusqu’à la Maison régionale de la mer, qui accueille les Automn’Halles pour la première fois – le quotidien local en a fait un sujet en réussissant l’exploit de ne citer ni Mauvignier ni Haddad, que Marie-Ange interrogera samedi… Première victoire sur une communication un peu poussive, la salle est pleine, il y a entre 70 et 80 personnes qui prennent place, peut-être plus, je ne sais pas, mais déjà l’exercice est réussi, la crainte initiale évacuée. Les deux Laurent prennent place sur la scène – à l’inverse du roman, on ne peut changer de prénom parce que trop commun, comme le patriarche du récit, Firmin Proust, qui s’appelait Paul, à l’origine. C’est la première grosse révélation (ou pas) de la rencontre, Mauvignier évacue d’un coup d’un seul la nuance autofictive entre narrateur et auteur, la Maison vide, c’est l’histoire réelle de sa famille à lui, avec des failles sidérales, comme la grand-mère tondue à la Libération, le père suicidé parce qu’il n’a pas supporté l’Algérie etc. Mauvignier raconte comment il a inscrit cette histoire dans la réalité historique, l’entrecroisement de trois guerres sur quatre générations (en comptant celle du narrateur), dont on a parlé sans rien y comprendre, une qu’on a tu, à un niveau de névrose que personne ne peut soupçonner. LMV, c’est donc le récit de trois femmes, qui finiront, par obligation, par démontrer que la présence des hommes, finalement, n’est pas nécessaire au bon fonctionnement de l’entreprise familiale et plus globalement de la vie en général. Les hommes sont au front, l’Histoire se passe, elle est perçue via la distance de la Bassée, cette vie à l’arrière de tout où la guerre se perçoit via les morts qui, à force d’encombrer les devants des maisons en deuil (par la croix) se réunissent en des monuments aux morts devant lequel Marguerite, la dernière, tentera de deviner à travers ce qu’aurait été sa vie avec une mère aimante et un père présent. Mauvignier remonte l’écheveau de la patate chaude des histoires familiales, il est dissert en tant qu’auteur, bon client, semble apprécier les questions d’un interlocuteur qui a retravaillé TOUTE son œuvre avant de le recevoir, ça change des émissions télévisées où l’on passe plus de temps à parler autour du texte que du texte lui-même. J’adapte, c’est prévu, mes questions, reviens sur des sujets qu’il aborde lui-même, la topologie, les récits dans le récit, je regarde le public captivé et me réjouis parce que l’auteur est captivant – je le savais – mais qu’il faut aussi savoir lui donner la réplique. Il parle de ses recherches, de ses inspirations – l’enterrement de Jules est inspiré  d’une toile de Courbet, le prénom Florentin de la peinture du XIX°, également – on bifurque sur le sujet de la Guerre d’Algérie, traité en filigrane dans ce roman-là, abordé dans Des hommes, évidemment, mais aussi, indirectement dans Apprendre à finir – paru en 2000, dont Mauvignier lâche qu’il a failli s’appeler… la Maison vide – dans Seuls, dans le Lien. Mauvignier confesse une irrépressible envie de savoir les choses, qui l’a poussé, enfant, à poser les questions là où d’autres se seraient tu. Il avoue également ne jamais dissocier la réalité de ce qu’on en raconte, même pour des scènes de massacre à la tronçonneuse. Alors, pour des scènes de guerre, dont les protagonistes disent eux-mêmes qu’il n’y a rien à en dire tant c’est indicible… De temps à autre, je regarde ce type à côté de moi, avec ses boucles de marin, j’ai du mal à me dire qu’il est là et il sera dur, après ce que j’ai vécu, de vivre des émotions aussi intenses : celles d’un lecteur, qui voudrait que le temps s’allonge, que des questions fusent, du public. Il n’y a que Marie-Ange qui me reproche de ne pas avoir parlé de Continuer quand j’ai délibérément évacué la question, pour rester dans le temps imparti. Il répond un peu à côté en parlant de Dans la foule et de Autour du monde, avec ses premiers lecteurs qui lui ont répondu que même en ouvrant sur le monde, il finissait dans ses huis-clos pré-carrés. C’est drôle, parce que l’auteur a du recul sur son œuvre – c’est rare – parce qu’il s’amuse de lui-même en disant que finalement, si c’est être passé d’une Maison vide à une autre en 25 ans, il n’a pas trop avancé… On a parlé un peu de cinéma, il s’est aventuré sur la question de Dieu – concédant lui en avoir beaucoup voulu – sur l’époque, l’information, les petites crottes que des auteurs satisfaits peuvent laisser et le doute avec lequel les vrais continuent d’avancer, bon an mal an. La suite est agréable, conviviale, laisse déjà l’impression proustienne – on y revient – qu’il valait mieux que les choses ne fussent pas encore arrivées pour qu’on n’ait pas à regretter qu’elles soient déjà passées. Mais Laurent Mauvignier was here, à Sète, j’en suis témoin.

Photo : Florence Montferran.

NB2: Ci-après, le fond d'écran qui n'a pas pu être projeté.

et au coeur de la nuit, la version audio (en deux parties) :

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22/09/2025

Faire les liens.

lmgrandentretiencom-page-001.jpgJ’avais moins de 30 ans quand Laurent Mauvignier a publié Apprendre à finir, j’ai remisé la (grosse) nouvelle que j’avais écrite sous ce titre. Qui n’aura manqué à personne. J’avais 40 ans quand Des hommes est sorti, un an après Tébessa 1956 et que j’ai vu la grosse machinerie de l’édition se mettre en marche, pour de bonnes raisons (pour une fois). J’avais 45 ans quand Valse, Claudel est sorti au Réalgar avec en final le poème Camille, qui reprend ce Quelque chose d’absent qui me tourmente que j’ai fait rimer dans le Square de mon ami Éric avec Ta fossette rieuse et tes Diabolos menthe. J’ai 56 ans et j’ai eu le privilège de lire la Maison vide deux mois avant tout le monde avant de recevoir son auteur jeudi à 18h30 à la Maison régionale de la mer, pour le grand entretien des Automn'Halles.

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09/09/2025

LES DESTRIERS DE LA PÉDALE.

IMG_5612.jpg.jpegIl faut parfois savoir sortir du temps, de l’urgence et de l’imbécillité du monde. Faire comme avant, rentrer en urgence avec un vinyl sous le bras, enlever la cellophane avec précaution, poser fébrilement la galette sur la platine, poser le bras et s’assoir. Se dire que ce disque qu’on a attendu près de cinq ans – le temps d’un roman, finalement – il est là et, n’en déplaise à son auteur, on n’a plus besoin de lui pour en écouter les chansons. Fausto, de Nicolas Grosso, est un album particulier pour lui, parce qu’il arrive au bout d’un long cheminement et d’une maturité dans l’écriture qui n’a jamais d’autre origine que l’existence qui avance, la façon dont on a de répondre aux coups qu’elle nous met. Nico, en plus d’être un musicien surdoué, s’est toujours montré sous des aspects festifs, Gretsch Nashville siglée Brian Setzer, rockabilly, jazz manouche, bœufs et fiestas improvisées. Là, il faut avouer que si la musique touche au sublime dans son éclectisme, c’est le panel des thèmes abordés qui impressionne, avec la façon unique de contrecarrer le pire des pépins qui puisse nous arriver, la mort, via les morceaux qu’il dédie à Edmond Zabal (Bye Eddy bye-bye Parti sans trop de bruit faire danser l’au-delà Sais-tu qu’ici-bas depuis que t’es en haut On fait semblant de rien mais Tout part à vau-l’eau ?) ou à Frédéric Maltese, que tout le monde ici appelait Freddy, le sosie d’Elvis Presley (Sous sa voix de braise, la voix d’Elvis reprenait vie) mort d’un accident de voiture (comme James Dean). Dans les deux cas, faire swinguer la mort, c’est ce qu’il pouvait faire de mieux, comme hommage, et on sourit franchement quand il nous semble entendre Freddy dire Ta race!, t’appeler Fils, ou quand on revoit Zabal, sa casquette molle, Dans tes souliers vernis, ton plus joli costard, qui n’aurait pas renié ce Blues mâtiné de quelques touches d’électro, un crescendo de voix posant un chœur qui monte jusque là-haut. Les voix féminines apportent une touche délicate dans l’album, comme les cordes de Bertille sur Vie de vioque, adoucissent un poil un propos plutôt grave, in fine.

Fausto, c’est un peu plus qu’un disque, puisqu’en s’emparant de la vie d’un autre – dans le dernier morceau, qui devait au départ être un blind-track, de mémoire – Grosso se situe volontairement a contracorrente de son époque - avec nos airs d’antiquités nos vélos sont parfois moqués, dit-il dans le Vélo, le single accrocheur – et n’hésite pas à regarder dans le miroir de sa propre existence, de faire un bilan sur l’amitié - les amis toujours contents, jamais à crédit se comptent tout de go sur les doigts de la main gauche de Django – l’enfance et la vieillesse en deux morceaux qui se suivent, l’un, Petit, écrit par un minot, aux genoux couleur bétadine - J’aime la musique et je lis Pas trop de copains à l’école Je ne me fais pas remarquer, 6,5 ans bien tassés – l’autre, Vie de vioque, avec la collaboration du grand Jean Fauque, qui relate la vie du Play-boy de l’EPHAD, qui raccroche les gants : Au royaume des chanceux j’suis tombé sur la fève, avoue-t-il. Davantage que les Enfants perdus, cette référence à James Matthew Barrie, un morceau aux riffs assez durs, au traitement rock et au texte difficile, tout juste allégé (c’est pas vrai) par les chœurs de la classe CP/CM2 de l’école Ferdinand Buisson de Sète : Nous n’étions pas méchants Dans cette île où les grands nous retenaient reclus/Posaient leur main dessus Nous étions hors du temps. Sète, Nico Grosso y revient de façon récurrente, comme Freddy (Sète, son Memphis à lui), comme les vieux fourneaux du Vélo - les anciens on les préfère à regretter Yvette Horner - Didier Wampas et lui (le Môle à Sète et ses pavés, c’est un peu notre Paris-Roubais, doublé d’une petite pique aux habitants du St Clair, on n'y va point car on n’a pas les moyens !), comme au Château d’eau et son jardin dans C’était mieux demain. C’était mieux demain* et ses fadaises fanées, j’en parlerai une autre fois, promis, j’en reste à la petite larme que j’ai versée, ce soir.

Fausto, qui s’achève sur le morceau éponyme, une biographie musicale en douceur qui montre l’envers du décor de la vie d’un campionissimoj’prends mon vélo et j’oublie - les deuils, les failles, les rivalités est un p… d’album complet et délicieusement archaïque, au sens étymologique. On y trouve aussi une chanson d’amour raté (j’suis pas l’nonosse de ta vie) dédiée à la chienne de Didier Wampas (ouah ouah ouah ouah ouah), une ode aussi festive dans le rythme que mélancolique dans le texte aux chaussettes dépareillées. Et puis, de toute manière, un artiste qui s’appuie sur des expressions aussi désuètes que Tout de go et partir à vau-l’eau vaut déjà la peine d’être écouté ; qu’un fringant quadragénaire fan de cyclisme ne jure que par Gimondi, Eddy Merckx, Bartali, De Vlaeminck, Anquetil ou Coppi ne peut, dans la réminiscence, que rassurer sur le tour (pas le Tour) un peu imbécile que prend le temps, parfois.

Fausto, Chichois Prod., 2025 - sortie le 13 septembre

Mixé par Loïs Eichelbrenner, masterisé par Bruno Varca.

*et des deux autres chansons présentes sur le Cd, la Guitare et les vieux de la vieille, et pas sur le vinyl.

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20/07/2025

Dis-leur (que le portrait est un art littéraire).

Capture d’écran 2025-07-20 à 07.34.01.pngAlain Rollat a une qualité énorme, c'est qu'il a beau avoir été directeur-adjoint du Monde, participant en cela à sa marche active, il est resté humble, d'abord, et éminemment curieux, de toutes les formes de littérature. Qu'il consacre un (long) article au genre du Portrait et qu'il accorde une place conséquente à mes Figures Singulières me remplit de joie et de fierté. C'est ICI.

Et ça se commande .

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