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23/11/2009

Le temps de la lecture.

Evidemment, vous vous doutiez bien que je n'allais pas pouvoir fournir des articles aussi nourris tous les deux jours dans la mesure où, fort heureusement, ils me demandent des efforts et dans l'autre mesure où, depuis l'éternité, le temps de l'écriture se nourrit de celui de la lecture: je mets la touche finale à l'article sur "le ciel de février" de Julie Delaloye, j'entamerai ensuite le bal des quatre derniers livres, ceux que je n'avais pas lus - pour des raisons diverses - avant l'Usage des mots. J'aurai plaisir à avoir lu Thomas Sandoz avant le 15 décembre, puisque je le retrouverai à la Médiathèque de Sierre.

Je me régale dans le même temps de la façon dont Christian Chavassieux nous fait revivre par épisodes la journée du 13 novembre. Et puis, parce qu'il faut que l'oeuvre se fasse, je replonge un peu dans l'esprit de ma "partie de cache-cache", j'en ciselle les parties déjà écrites avant que son dénouement ne s'impose à moi.

La littérature existe, je l'ai rencontrée.

21:47 Publié dans Blog | Lien permanent

21/11/2009

Tétralogie.

Claudie Gallay, 48 ans, chemine à la Hague et, en entomologiste, donne sens aux secrets et silences.

Un peu de Prévert, sur nos cœurs  endoloris

-GALLAY©.jpgClaudie Gallay n’a rien vu venir. Elle qui habite le Sud mais a, dit-elle, « besoin du Nord », cherchait un lieu où se ressourcer : elle venait d’arriver dans le Finistère nord, elle a poussé jusqu’à un endroit où elle était sûre de ne trouver aucun touriste, aucune agitation. Elle a débarqué à La Hague, qu’on ne connaît que par sa centrale nucléaire, qu’on imagine moins livrée aux éléments qui sont partie prenante de l’existence des gens de là-bas. Son roman, « les Déferlantes », le seul livre à ma connaissance dont le titre et l’effet de bouche-à-oreille sont conjugués, grand succès public de l’année 2009, commence avec Prévert et continue avec des gens comme lui. Des vrais gens, dirait Kent, à qui j’ai déjà piqué le titre de cet article. Prévert aimait se promener, à deux pas de sa maison, dans le petit vallon de Saint-Germain-des-Vaux, peut-être, dans quelques années, des curieux viendront y retrouver les lieux dans lesquels s’est installée la narratrice des Déferlantes, une femme sans nom et entre deux âges venue franchir les différentes étapes d’un deuil. Une femme qui observe et se nourrit de la Beauté de la nature, sans que ce soit en rien un cliché : employée au Centre ornithologique, elle contemple autant les oiseaux qu’elle remarque les « petites fleurs bleues qui poussaient sur le muret d’enceinte », les grands arbres et les lieux « de mousse et de fougère », voire  les ânes, ceux qui reviennent « toujours, avec les beaux jours » et qui «allaient rester là tout l’été et qui un jour repartiraient. Qu’ils feraient ça sans prévenir ». Pas facile, quand même, cette écriture d’entomologiste, dans cet « espace sans lumière », cette brume qui monte de la mer et ne laisse à personne la possibilité de composer avec d’autres volontés que la Sienne. Celle de cette Valkyrie qui décide du sort de ceux qui la travaillent. Qui les avale tous, et les relâche les uns après les autres. Par pudeur, là-bas, on dit de ceux qui ne sont pas rentrés qu’Elle les a gardés. On n’en dit rien de plus, d’ailleurs : les personnages de Claudie Gallay sont taiseux, les secrets du village, les histoires enfouies ne se restituent qu’à force de patience et de pointillisme. Exactement comme on approche des pluviers. En se mêlant d’abord à la terre meuble, en n’attendant rien d’autre que ce que la Nature veut bien donner. Le roman de Claudie Gallay est une apologie du silence et, en cela, elle le rejoint, Prévert, quand il assénait son « un mot de plus et tout est perdu ». Lambert, par exemple, pour ne pas avoir à demander à la narratrice de rester pose incidemment la question : « et ça arrive souvent que des oiseaux qui pensaient migrer changent d’avis ? », avant d’enfoncer ses mains au fond de ses poches et de ruminer sur la façon dont il n’a pas tué Théo.

« Les personnages sont taiseux, les secrets du village, les histoires enfouies ne se restituent qu’à force de patience et de pointillisme. Exactement comme on approche des pluviers. »

La Hague, nous dit le personnage, vomit les gens qu’elle ne souhaite pas voir rester ; les autres, elle les garde, parfois définitivement. Elle n’est que de passage, mais comme pour Lambert, on perçoit que ce qu’elle est venue chercher burine son âme autant que son visage, mais la renforce, la reconstruit. Les dialogues de Gallay sont ciselés, quand l’un demande, pour en finir avec le silence, si justement « le silence ne vous gêne pas ? », l’autre « fait non avec la tête », point. Dans ce roman, il est question de lande, de terre et de mer mêlées puisque quand on se plaque le ventre contre la terre, on entend la mer, apprend-on encore. C’est donc un roman de la sensation, que Claudie Gallay a perçu dans la continuité de ce qu’elle a déjà écrit, notamment dans la solitude de Venise. La brume est un élément essentiel de ses promenades, elle symbolise l’état des non-dits et des secrets qui finissent par nous composer. Ce qu’il y a entre Théo et Lambert, ce que la vieille Nan ne dit pas, ce qu’on a dit d’elle, ce qui s’est passé dans la nuit parce que « tout se fait de nuit ici, c’est comme ça », toute ce qui ne s’est jamais dissipé s’éclaire à la lecture desDéferlantes autant qu’à la lumière du phare, qu’on n’a jamais éteinte. « Les nuits dans le phare, personne ne peut comprendre », dit Théo. Il faut cette inconnue pour trouver dans le roman de Claudie Gallay les raisons d’un renouveau, pour dépasser les damnations – la scène de la vieille qui vient cracher sur la tombe de sa rivale – se réjouir, comme à la Griffue, d’une heure de soleil même si le soleil ne dure qu’une heure.

La narratrice garde ses secrets, elle est aussi sensitive que l’est son auteur face à la beauté d’un lieu ou d’un instant. Claudie dit qu’elle peut trouver une humanité époustouflante dans le regard d’une vache ou – encore – d’un âne, qu’elle peut désormais se passer des élèves qu’elle avait dans sa classe d’institutrice, mais qu’elle ne se passerait pas pour écrire du chat qui vient se blottir contre elle quand elle travaille. Pas étonnant alors que les Déferlantes aient déferlé, quand tout dans la vie actuelle des hommes les empêche d’aller vers le vrai, quand on se dit qu’à l’instar de Michel, on peut n’avoir existé pour personne. Sauf que Michel, on l’apprendra, avait deux ans quand il est mort et que la narratrice – qui pourrait être nous – a une vie derrière elle, qu’il lui faut valider pour que naisse celle devant soi. Pas étonnant que les lecteurs aient été touchés, pas étonnant que le regret, toujours, « de ne pas aimer suffisamment », se rappelle à chacun de nous sans que, face à l’océan, on n’ait plus la possibilité de se mentir. 250 000 personnes (plus de trois Stade de France !) se sont attachées au destin de cette femme, qui s’est régénérée, dans toutes les acceptions du terme, dans des lieux sur lesquels elle se promet de revenir, quand elle les quitte. Avec, dans ses bagages, la même vertu que celle des femmes de marins. LC

Photo : Laurent Giraudou

« Les déferlantes», Editions du Rouergue

ISBN 9-782841-569342

Prochain numéro : « Dans un ciel de février», de Julie Delaloye.

 

 

 

19:04 Publié dans Blog | Lien permanent

20/11/2009

Faites du buzz, il en restera toujours quelque chose...

Je me sens tel un Boris Vian ou un Bobby Lapointe, d'avoir su infiltrer par la farce absolue des sites dont la finalité me semblait être un peu sérieuse... Mais ma nappe devient célèbre, à mon insu.

à voir ici

16:50 Publié dans Blog | Lien permanent

Décalogue, Episode III.

 

Delphine Bertholon, 33 ans, remonte l’écheveau de l’enlèvement de Madison Etchart, de sa mère dans l’antre de la folie et de l’inconnue de S.

La complainte de la psycho-killer

db.jpgDelphine Bertholon est une jeune femme avenante, dont Christian Chavassieux a pourtant dit qu’elle lui avait parue intimidante. L’auteur de « Twist », le coup de cœur de Lettres-Frontière en Rhône-Alpes (après qu’il aura été, successivement, vanté par Michel Field, prix Ciné du roman Carte noire et récompensé par un succès public important), dont l’écriture « oblige à réfléchir sur soi », fait l’expérience de sa propre liberté en donnant à Madison, 11 ans, la petit fille enlevée, les cahiers dont elle a besoin pour supporter sa captivité et réinventer une liberté qu’elle éprouve davantage que ceux qui n’en sont pas privés. Le sujet est posé, la polémique n’est pas loin quand on relie la fiction à une actualité régie par l’émotion. Dutroux, Kampusch & autres, « un sujet qui fout les jetons », pas besoin, entend-on en amont, que le roman en ajoute, voire en profite. Sauf que Madison, dans le journal qu’elle tient dans ce livre multi-livres, fait le portrait d’un ravisseur qui s’attache progressivement à l’homme qui la prive de liberté. Elle reconnaît qu’il a tellement manqué d’amour qu’il a fini par la choisir elle comme élément de substitution. Syndrôme de Stockolm basique, alors ? Non. Madison fait plutôt le lien entre ce que R. éprouve et de ce qu’elle a éprouvé pour S. avant d’être privée de sa vie d’avant, comme si elle ne pouvait qu’accepter qu’un autre l’aimât comme elle aurait aimé. Alors, dans son quotidien, elle continue d’affirmer un caractère un peu frondeur, raille, moque, revendique mais, parfois, s’inquiète aussi. Pour lui. Elle essaie de reconstituer des repères temporels, comme tout prisonnier, des visions de jardins, de crayons Hello Kitty et de Converse arc-en-ciel aux initiales de Stanislas, son professeur de tennis. C’est Madison qui mène le bal, qui a l’emprise sur celui qui la séquestre. Parfois, R.  râle en retour, « comme quoi il en avait plein le dos de m’entendre me plaindre », elle trouve ça juste « poilant ». Ce que Bertholon a trouvé de juste dans le récit, c’est qu’elle raccroche en permanence la jeune fille à la vie d’une jeune fille normale, qui sera juste déterminée par l’expérience qu’elle est en train de vivre. En parallèle, les lettres que sa mère lui écrit sont des complaintes, des désolations, pourtant nourries d’espoir puisque l’instinct maternel lui dit qu’elle est vivante. On subit, dans les changements d’écriture, ces perceptions différentes au point qu’il nous paraît que la même histoire est vue de différentes façons : apologie de l’ordre médiatique, refus par celui qui ne l’a pas vécu que l’horreur soit parfois d’une normalité confondante…

« Je sais aussi que je suis en train de vivre une expérience hors du commun qui fait que je ne serai plus jamais une fille comme les autres. »

Dans « la complainte du psycho-killer », superbe chanson d’un superbe album* resté quasiment inconnu, Bertrand Betsch faisait dire au pervers qui torturait ses victimes : « si tu savais combien ça me coûte ».  L’homme « à la Volvo noire », à qui ce roman choral ne donne pas de voix, ne fait aucun mal à Madison ; c’est sans doute elle qui lui en fait le plus dans l’impossibilité qu’elle aura à l’aimer en retour. C’est le dernier récit enchâssé, celui de Stanislas, qui ravive le fantasme sadien de vierges sodomisées, mais ce n’est que pour un mémoire de maîtrise, qu’il délaisse, d’ailleurs, pour d’autres expériences tout aussi sensuelles. De quoi désespérer Madi, déjà heurtée par l’existence de A. sans qu’elle ait à s’inquiéter de celle de L. pour S. Quand R. lui demande « de quoi tu te plains ? », quand elle décide de « faire comme s’il était une table de chevet », Madison esquisse le portrait des vies misérables passées à attendre qu’il arrive quelque chose. Elle, elle a déjà, à onze ans, à douze ans, à « treize ans et deux mois », à quatorze ans etc. la sensation que ce quelque chose d’extraordinaire lui est déjà arrivé et qu’elle en tirera profit : « je sais aussi que je suis en train de vivre une expérience hors du commun qui fait que je ne serai plus jamais une fille comme les autres. » C’est la puissance de vie de Madison, doublée des histoires d’amour entremêlées, qui donne à Twist – « deux cents fois elle » - la force romanesque du dépassement, de la résistance. Delphine Bertholon dit qu’elle a écrit un roman sur l’apparition, plus que sur la disparition. On sait depuis Pérec que l’élément disparu devient le plus présent ; c’est sans doute pour cela que Madison se dédouble, au dénouement, en jeune fille immobile qui se voit agir pour sa survie sans qu’elle ait l’impression d’esquisser le moindre geste. Elle s’échappe, Madison, se réapproprie son existence juste parce qu’il était temps de le faire. « La jeune fille immobile », c’est un des nombreux poèmes qui ponctuent les carnets de Madison et, de facto, le roman de Delphine Bertholon : une écriture « de fille » - m’a dit un libraire, sans que ce soit péjoratif mais sans que j’ose lui demander ce que ça signifiait : peut-être les images des poèmes, cette façon - fait dire Desplechin à un de ses personnages de « Rois et Reine » - de passer d’une bulle de vie à une autre quand les hommes, dont Stanislas, qui renonce à l’écriture quand le livre se referme, sont programmés pour mourir. C’est en cela que Delphine Berholon a plu à ceux qui l’ont lue : parce qu’à 33 ans, elle a encore quelque chose de l’innocence d’une Madison puisqu’il est dit que Madison aura plus appris que n’importe qui d’autre. Elle sait maintenant dispenser des « baisers de marbre », mais continue, tout de même, « d’adorer trop » … Elle reste en équilibre, alors. Tout en évitant de marcher sur les lignes de service sur un court de tennis : ça porte malheur. LC


« Twist», JC Lattès, 2008

ISBN 9 782709-629942

Prochain numéro : « Les déferlantes», de Claudie Gallay.

 

* « La soupe à la grimace », EMI, 1997

13:04 Publié dans Blog | Lien permanent

18/11/2009

CDT II

Christian Chavassieux, 49 ans, réécrit l’oppression kafkaïenne comme on anticipe des peurs auxquelles on craint qu’il faille un jour, inéluctablement, nous confronter.

La clairvoyance du misanthrope

16564_1122610235340_1529633239_30286385_5153842_n.jpgChristian Chavassieux n’a rien pour plaire. Non que le garçon fût disgracieux ou quoi, mais quand on offre à un panel de lecteurs la seule perspective d’un étouffement revendiqué, d’une apnée littéraire sans issue aucune de 157 pages resserrées, avouez que, d’un coup, ça nous situe l’auteur à la plus exacte opposée de ce que la littérature contemporaine sait produire de putassier. Quand on sait que sa logorrhée lui est venue d’une visite dans sa ville d’un Ministre de l’Intérieur en 2004, non pas que celui-ci l’ait davantage rebuté qu’à l’habitude, mais parce qu’il y a vu une adoration chez ses concitoyens digne des heures sombres, on se dit qu’il ne doit pas être aisé de rentrer dans le monde de cet homme-là. Pourtant aussi sympathique, raffiné et élégant que les personnages de son « Baiser de la nourrice » sont oppressants. Parce que si tout étouffe dans l’œuvre de Chavassieux, c’est d’abord parce que la Ville est orwellienne, que toute espèce de libre-arbitre et d’indépendance a disparu, ne laissant place, au choix, qu’aux chiens – « nos domestiques désormais rebelles à notre mode de vie » - ou pire, si c’est encore possible, aux barbares. Deux entités totalitaires qui s’emparent et déchiquètent tout individu qui prétendrait réfléchir – le verbe est en gras dans le texte – et sortir de la voie que l’identité supérieure lui a tracée, activité bureautique incluse. Tout est mécanisé à l’extrême dans ce monde-là et Azert – quatre premières lettres du clavier – s’acquitte parfaitement des « tâches honorables » que cet Etat a conçues pour lui. De fait, il peut se concevoir, sinon libre, du moins à l’abri des chiens – les mêmes, pour cet amateur et éditeur de BD que ceux qui inaugurent le « Valse avec Bachir » d’Ari Folman. Pas comme l’Instituteur qu’ils sont venus happer devant ses élèves, qu’ils ont défenestré avant de l’entredéchirer dans la cour, devant ses élèves. Sans doute parce que tout Etat totalitaire commence par réduire le savoir et la conscience à néant, en s’en prenant aux ceux qui transmettent. Il n’empêche, ce jour-là, une vocation est née chez un de ces enfants qui s’est silencieusement délecté de cette exécution : Alceste Badin. C’est drôle, Alceste Badin, comme nom de personnage, parce que dans un tel chaos, inutile de dire que toute forme de badinage est depuis longtemps tombée dans l’oubli, et puis Alceste, le Misanthrope - qui veut « chercher sur la Terre un endroit écarté où d’être homme d’honneur on ait la liberté » - aurait été le premier exécuté.

« Il est dur de concevoir qu’on est tous potentiellement barbare tant qu’on n’a pas considéré sa part de monstruosité. »

Il n’empêche, Alceste Badin, « neuf ans à peine », une autre Enfance d’un Chef, qui discourt à grands renforts de MOI, promet milice nouvelle et sacrifice, provoque chez Azert, dont l’impéritie ne se dément pas auprès de la Gilda qu’il convoite, un engagement aveugle qui n’a même pas le panache absurde d’un Bardamu s’en allant-en-guerre. Engagé dans le nouvel Ordre du peuple, une antinomie dont on n’aurait jamais pu se douter qu’elle animerait portant, à coups d’ordre juste, la dernière campagne présidentielle, Azert devient un Autre, « vêtu de l’uniforme anthracite », qui peut désormais engueuler sa mère parce que le café est froid et à qui on ne demande plus de le faire au Bureau. Ses tâches ont changé, il n’a plus simplement à trier des papiers, mais à mettre en ordre la vie des récalcitrants, avec une sauvagerie dont il n’aurait pas soupçonné qu’elle pût s’accompagner de la même jouissance du travail bien fait. Chavassieux excelle dans l’écriture de l’indicible, des coups qui redoublent parce que « personne n’avait vraiment envie d’écouter ce que (la victime) avait à dire »… On retrouve les miliciens et le culte du Chef, la mort de la morale avec l’effacement progressif des parents, le massacre (des chiens du zoo) dans « l’éjaculation des armes », la faute reportée sur ces barbares qu’on veut supplanter parce que le pouvoir appelle, toujours, sa substitution par un pouvoir plus grand. Anarchiste, Chavassieux ? Philosophe politique, plutôt, dans sa façon de démontrer l’absurdité des hiérarchies fondées sur la seule potestas : le passage de la disgrâce de Nod, du vide qui se crée autour de l’ascension d’Azert est remarquable.

Azert devient le tortionnaire zélé que l’Humanité a déjà connu, celui qui ne s’est jamais départi de son devoir, celui à qui la raison d’Etat, souvent, s’est imposée. Il est facile dans ces cas-là de solliciter la barbarie nazie, il est plus dur de concevoir qu’on est tous potentiellement barbare tant qu’on n’a pas considéré sa part de monstruosité. Quand Azert finit par prendre sa revanche sur l’enfant qui le terrorisait à l’école en torturant l’homme qu’il est devenu, on comprend qu’une existence est une somme de cercles vicieux auxquels on ne peut opposer que la vertu de la connaissance et de la fragilité. « On fait grand cas de mon opinion, ici » se délecte le personnage devant sa victime, avant de savourer ses ultimes prises de guerre, dont Gilda, in fine, jusqu’au seuil ultime de sa déshumanisation. Christian Chavassieux s’est défendu, en débat, de solliciter les consciences, d’être l’écrivain engagé qu’on pourrait attendre qu’il soit (si l’on savait ce que ça signifiât, je veux dire !). Il a raison : c’est une mauvaise conscience qu’il n’a pas besoin d’agiter puisqu’on la sait contenue dans la moindre atteinte aux libertés et dans la moindre aspiration au pouvoir pour le pouvoir. En cela, il a bien fait de ne pas s’attendre au coup de cœur de Lettres-frontière. On peut juste regretter que le jury n’ait pas pensé à un coup dans l’estomac. LC

« Le Baiser de la nourrice», Jean-Pierre Huguet, 2008

ISBN 978-2-35575-045-8

 

Prochain numéro : « Twist», de Delphine Bertholon.

16:20 Publié dans Blog | Lien permanent

16/11/2009

Le CDT revient!

J'avais abandonné, faute de combattants, la revue iconoclaste et nizanienne que j'ai fondée en 2005. J'ai eu l'envie de la reprendre occasionnellement, en fabriquant une intégrale-critique des oeuvres qui ont composé la sélection Lettres-Frontière 2009. Autant le dire d'avance, je n'ai pas lu tous les livres jusque là, mais, maintenant que la journée est passée et que les rencontres ont été faites, je vais m'y atteler, avec une régularité de lecteur qui devra équilibrer et éclairer ma démarche d'auteur. Premier chapitre, reproduit ici, avec Eugène Durif.

Eugène Durif, 59 ans, pose le regard du romancier sur un épisode méconnu de la 5ème république, le transfèrement de jeunes réunionnais dans la Creuse pour repeupler le département.

Quelle petite histoire dans la Grande ?

EugeneDurif.jpgEugène Durif, dramaturge, a écrit un roman l’année dernière dont Yann Nicol a dit qu’il était bref et ténu, « d’une écriture fragmentaire qui va à l’os ». Le titre, qui a remporté tous les suffrages lors de la sélection Lettres-frontière 2009, « Laisse les hommes pleurer », renvoie immanquablement à Audiard, mais pas Michel, Jacques, celui dont les hommes, à lui, tombent et qu’on ne laisse pas, mais qu’on regarde. Jacques plutôt que Michel, parce que ce ne sont pas les dialogues qui touchent au cœur, mais le parcours de Léonard, surveillant de prison en Bretagne, rattrapé par son passé au moment même où son existence prend le cours étale qui ne lui était pas destiné. Léonard est un enfant de l’Assistance, un populart, une de ces « races à poux » dont l’existence change au moment où le jeune Sammy, réunionnais, arrive dans la même famille d’accueil qui l’a pris en charge. Sammy fait partie de ce programme longtemps tu des années 60 quand le ministre et député Michel Debré a imaginé un programme de repeuplement des départements désertés, comme la Creuse. Ainsi sont arrivés, par charters spéciaux, des enfants, parfois des fratries, comme dans le livre de Durif, dont les parents quand il y en avait, avaient imaginé que leur progéniture bénéficierait des tous les avantages énoncés qu’eux-mêmes ne pourraient leur offrir : une scolarité, un environnement moins restreint. Sammy pense de sa mère qu’il n’a jamais revue qu’ « elle aurait aimé qu’(ils) vivent autrement », il se souvient de la voiture des « sociaux » qui vient les chercher, son frère et lui, et d’elle qui regrette mais à qui on objecte que « c’était la loi »… Sammy et Léonard ont vite déchanté dans la grange du père Landry, qui voit d’un bon œil cette main d’œuvre financée par les services sociaux. Sammy, surtout, arrivé de son île en plein hiver, séparé sans retour possible de son frère, qui trouve en Léonard son substitut, celui qui le rassure et lui raconte des histoires après qu’il a enfin appris à lire. Sammy et Léonard qui trouvent en Célimène, la fille de Etienne, un professeur qui a renoncé à enseigner, une alliée qui les présente à sa famille, laquelle les considère pour la première fois de leur vie comme des êtres humains à part entière, qui les défend contre l’exploitation du père Landry, qui leur donne ces livres dont Léonard ne se départira jamais…

« L’impératif  catégorique que le titre impose au lecteur est en cela un trompe-l’œil, puisque rien de la vie des deux personnages n’est pathétique. »

Léonard et Sammy tenteront une échappée qui les perdra et les séparera à jamais, jusqu’à ce que Léonard soit rattrapé, dans son âge d’homme, par le souvenir de Sammy, après qui il part en quête. Il passera par Guéret, subira les pires épreuves, connaîtra l’infamie et la misère sexuelle, n’y perdra ni son âme, ni le dernier fil qui le maintient à la vie. L’objet de sa quête retrouvé, dans une scène d’anthologie qui voit Sammy se jouer de ceux qui l’ont déterminé comme fou, ils partent tous les deux à la recherche des lieux, des personnes aussi, qui ont composé leur passé. Ils ne retrouvent que la sœur de Célimène, restée figée dans cet espace-temps. Sammy lui ment éhonteusement, lui raconte une Réunion qu’il n’a jamais retrouvée parce qu’il n’a jamais voulu, lui, se confronter à son passé. Pas remonter le cours des présences in absentia du frère – sujet magnifique d’un roman pensé en filigrane - de l’oncle, de la mère. Du père. Sammy qui dit à Léonard, quand celui-ci l’a retrouvé : « Tu ne veux pas me laisser un peu la paix et l’oubli ? », en opposition à cette mémoire sans laquelle Léonard sait qu’il défaillira. Pas parce que le souvenir est trop lourd, non, mais parce que la dernière chose que Sammy a revendiquée avant de laisser croire que son cheminement dans la folie était irréversible, c’était un non-lieu d’existence, le droit de ne pas regretter ce qu’il n’avait pas vécu. Ainsi que la seule compagnie d’un chien, Roméo, dont il pense qu’il l’écoute « avec plus d’attention et de vérité » que son psychiatre. Eugène Durif a ceci d’un dramaturge dans l’écriture du roman qu’ils donnent des tableaux à voir. L’impératif  catégorique que le titre impose au lecteur est en cela un trompe-l’œil, puisque rien de la vie des deux personnages n’est pathétique. Ce ne sont pas eux qui se sont laissé couler, c’est Joce, c’est Jessica, ces deux femmes qui se sont « jetées dans le cul comme dans une drogue », c’est Magali, restée figée au milieu des animaux empaillés, Célimène, même, dont on ne sait pas si, à Lyon, elle ne s’est pas laissée dépasser par la vie qu’elle a finalement eue, plutôt que celle à laquelle elle aspirait. Ils ne pleurent pas, Sammy et Léonard, peut-être un peu, quand ils reconsidèrent les figures essentielles qui sont passées dans leur vie, Etienne, donc, Mme Maurin, l’institutrice : deux figures du savoir et de la tolérance, deux éléments de la transmission aussi, puisque Etienne aura donné les livres que Mme Maurin aura appris à lire. Jusqu’à faire de Léonard la mise en abyme du Durit écrivant : « j’aurais aimé, un jour, pouvoir écrire des histoires, avec cette impression que jamais cette langue, la langue des écrivains, belle et bien construite, ne m’appartiendrait, que cela n’avait jamais été la mienne et qu’à tenter de m’y glisser, j’aurais toujours cet air ridicule de celui qui a emprunté un costume de fête trop grand pour lui. »Une coquetterie, sans doute, parce que rien ne paraît plus essentiel que cette écriture de l’épure, qui va donc à l’os, pour reprendre Yann Nicol, mais n’épargne ni le cœur ni la mémoire. LC

« Laisse les hommes pleurer », Actes Sud, 2008

ISBN 978-2-7427-7690-0

Prochain numéro : « Le baiser de la nourrice », de Christian Chavassieux.

22:29 Publié dans Blog | Lien permanent

12/11/2009

Grand oral au pays de Calvin

Je pars dans une heure pour Genève, demain, c'est l'Usage des mots, la journée de présentation des dix livres de la 16ème sélection du jury Lettres-Frontière: un moment important de cette entrée en littérature que je dois à Tébessa et à ses incidences. Le salon de Lyon, mon deuxième, me l'a démontré encore une fois, on n'écrit pas sur cette période sans susciter des craintes et des attentes. Nombreux sont ceux qui s'arrêtent sur ce livre parce que le titre, parce que la période... Je vais débattre demain matin avec Eugène Durif de cette association entre littérature et "devoir de mémoire". Evidemment, en philosophe, je vais contester l'acception morale de l'intitulé, renvoyer au travail de mémoire, à la démarche épistémologique que doit épouser n'importe qui envisageant de faire part d'une partie de la donne collective. Cela dépendra des questions que l'on va me poser, mais puisque l'on me demandera pourquoi Gérard, je répondrai pourquoi pas lui, d'abord, puis je développerai un peu sur cette belle distinction qu'il faut faire entre avoir été et n'être plus.

Mais de tout ça, je vous parlerai plus tard, documents sonores à l'appui.

Annonce de l'Usage des Mots  sur RCF Haute Savoie par le vice-président de Lettres-frontière:


podcast

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05/11/2009

Pendant ce temps, à la frontière...

 

CoupDeCoeur16 03-11-09.jpg
en plus lisible ici:

CoupDeCoeur16 03-11-09.jpg

 

 

 

 

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