16/11/2009
Le CDT revient!
J'avais abandonné, faute de combattants, la revue iconoclaste et nizanienne que j'ai fondée en 2005. J'ai eu l'envie de la reprendre occasionnellement, en fabriquant une intégrale-critique des oeuvres qui ont composé la sélection Lettres-Frontière 2009. Autant le dire d'avance, je n'ai pas lu tous les livres jusque là, mais, maintenant que la journée est passée et que les rencontres ont été faites, je vais m'y atteler, avec une régularité de lecteur qui devra équilibrer et éclairer ma démarche d'auteur. Premier chapitre, reproduit ici, avec Eugène Durif.
Eugène Durif, 59 ans, pose le regard du romancier sur un épisode méconnu de la 5ème république, le transfèrement de jeunes réunionnais dans la Creuse pour repeupler le département.
Quelle petite histoire dans la Grande ?
Eugène Durif, dramaturge, a écrit un roman l’année dernière dont Yann Nicol a dit qu’il était bref et ténu, « d’une écriture fragmentaire qui va à l’os ». Le titre, qui a remporté tous les suffrages lors de la sélection Lettres-frontière 2009, « Laisse les hommes pleurer », renvoie immanquablement à Audiard, mais pas Michel, Jacques, celui dont les hommes, à lui, tombent et qu’on ne laisse pas, mais qu’on regarde. Jacques plutôt que Michel, parce que ce ne sont pas les dialogues qui touchent au cœur, mais le parcours de Léonard, surveillant de prison en Bretagne, rattrapé par son passé au moment même où son existence prend le cours étale qui ne lui était pas destiné. Léonard est un enfant de l’Assistance, un populart, une de ces « races à poux » dont l’existence change au moment où le jeune Sammy, réunionnais, arrive dans la même famille d’accueil qui l’a pris en charge. Sammy fait partie de ce programme longtemps tu des années 60 quand le ministre et député Michel Debré a imaginé un programme de repeuplement des départements désertés, comme la Creuse. Ainsi sont arrivés, par charters spéciaux, des enfants, parfois des fratries, comme dans le livre de Durif, dont les parents quand il y en avait, avaient imaginé que leur progéniture bénéficierait des tous les avantages énoncés qu’eux-mêmes ne pourraient leur offrir : une scolarité, un environnement moins restreint. Sammy pense de sa mère qu’il n’a jamais revue qu’ « elle aurait aimé qu’(ils) vivent autrement », il se souvient de la voiture des « sociaux » qui vient les chercher, son frère et lui, et d’elle qui regrette mais à qui on objecte que « c’était la loi »… Sammy et Léonard ont vite déchanté dans la grange du père Landry, qui voit d’un bon œil cette main d’œuvre financée par les services sociaux. Sammy, surtout, arrivé de son île en plein hiver, séparé sans retour possible de son frère, qui trouve en Léonard son substitut, celui qui le rassure et lui raconte des histoires après qu’il a enfin appris à lire. Sammy et Léonard qui trouvent en Célimène, la fille de Etienne, un professeur qui a renoncé à enseigner, une alliée qui les présente à sa famille, laquelle les considère pour la première fois de leur vie comme des êtres humains à part entière, qui les défend contre l’exploitation du père Landry, qui leur donne ces livres dont Léonard ne se départira jamais…
« L’impératif catégorique que le titre impose au lecteur est en cela un trompe-l’œil, puisque rien de la vie des deux personnages n’est pathétique. »
Léonard et Sammy tenteront une échappée qui les perdra et les séparera à jamais, jusqu’à ce que Léonard soit rattrapé, dans son âge d’homme, par le souvenir de Sammy, après qui il part en quête. Il passera par Guéret, subira les pires épreuves, connaîtra l’infamie et la misère sexuelle, n’y perdra ni son âme, ni le dernier fil qui le maintient à la vie. L’objet de sa quête retrouvé, dans une scène d’anthologie qui voit Sammy se jouer de ceux qui l’ont déterminé comme fou, ils partent tous les deux à la recherche des lieux, des personnes aussi, qui ont composé leur passé. Ils ne retrouvent que la sœur de Célimène, restée figée dans cet espace-temps. Sammy lui ment éhonteusement, lui raconte une Réunion qu’il n’a jamais retrouvée parce qu’il n’a jamais voulu, lui, se confronter à son passé. Pas remonter le cours des présences in absentia du frère – sujet magnifique d’un roman pensé en filigrane - de l’oncle, de la mère. Du père. Sammy qui dit à Léonard, quand celui-ci l’a retrouvé : « Tu ne veux pas me laisser un peu la paix et l’oubli ? », en opposition à cette mémoire sans laquelle Léonard sait qu’il défaillira. Pas parce que le souvenir est trop lourd, non, mais parce que la dernière chose que Sammy a revendiquée avant de laisser croire que son cheminement dans la folie était irréversible, c’était un non-lieu d’existence, le droit de ne pas regretter ce qu’il n’avait pas vécu. Ainsi que la seule compagnie d’un chien, Roméo, dont il pense qu’il l’écoute « avec plus d’attention et de vérité » que son psychiatre. Eugène Durif a ceci d’un dramaturge dans l’écriture du roman qu’ils donnent des tableaux à voir. L’impératif catégorique que le titre impose au lecteur est en cela un trompe-l’œil, puisque rien de la vie des deux personnages n’est pathétique. Ce ne sont pas eux qui se sont laissé couler, c’est Joce, c’est Jessica, ces deux femmes qui se sont « jetées dans le cul comme dans une drogue », c’est Magali, restée figée au milieu des animaux empaillés, Célimène, même, dont on ne sait pas si, à Lyon, elle ne s’est pas laissée dépasser par la vie qu’elle a finalement eue, plutôt que celle à laquelle elle aspirait. Ils ne pleurent pas, Sammy et Léonard, peut-être un peu, quand ils reconsidèrent les figures essentielles qui sont passées dans leur vie, Etienne, donc, Mme Maurin, l’institutrice : deux figures du savoir et de la tolérance, deux éléments de la transmission aussi, puisque Etienne aura donné les livres que Mme Maurin aura appris à lire. Jusqu’à faire de Léonard la mise en abyme du Durit écrivant : « j’aurais aimé, un jour, pouvoir écrire des histoires, avec cette impression que jamais cette langue, la langue des écrivains, belle et bien construite, ne m’appartiendrait, que cela n’avait jamais été la mienne et qu’à tenter de m’y glisser, j’aurais toujours cet air ridicule de celui qui a emprunté un costume de fête trop grand pour lui. »Une coquetterie, sans doute, parce que rien ne paraît plus essentiel que cette écriture de l’épure, qui va donc à l’os, pour reprendre Yann Nicol, mais n’épargne ni le cœur ni la mémoire. LC
« Laisse les hommes pleurer », Actes Sud, 2008
ISBN 978-2-7427-7690-0
Prochain numéro : « Le baiser de la nourrice », de Christian Chavassieux.
22:29 Publié dans Blog | Lien permanent
12/11/2009
Grand oral au pays de Calvin
Je pars dans une heure pour Genève, demain, c'est l'Usage des mots, la journée de présentation des dix livres de la 16ème sélection du jury Lettres-Frontière: un moment important de cette entrée en littérature que je dois à Tébessa et à ses incidences. Le salon de Lyon, mon deuxième, me l'a démontré encore une fois, on n'écrit pas sur cette période sans susciter des craintes et des attentes. Nombreux sont ceux qui s'arrêtent sur ce livre parce que le titre, parce que la période... Je vais débattre demain matin avec Eugène Durif de cette association entre littérature et "devoir de mémoire". Evidemment, en philosophe, je vais contester l'acception morale de l'intitulé, renvoyer au travail de mémoire, à la démarche épistémologique que doit épouser n'importe qui envisageant de faire part d'une partie de la donne collective. Cela dépendra des questions que l'on va me poser, mais puisque l'on me demandera pourquoi Gérard, je répondrai pourquoi pas lui, d'abord, puis je développerai un peu sur cette belle distinction qu'il faut faire entre avoir été et n'être plus.
Mais de tout ça, je vous parlerai plus tard, documents sonores à l'appui.
Annonce de l'Usage des Mots sur RCF Haute Savoie par le vice-président de Lettres-frontière:
14:11 Publié dans Blog | Lien permanent
05/11/2009
Pendant ce temps, à la frontière...
19:43 Publié dans Blog | Lien permanent
02/11/2009
A la rencontre de Dom Juan?


09:03 Publié dans Blog | Lien permanent
30/10/2009
Le retour des Poppy's
Dans la famille Hostettler, il y a le père, avec qui j'aurai donc affiché plus de trente chansons en un an et demi sans qu'aucune d'entre elles ne soit superflue. Il y a la mère, dont je sais qu'elle ne me pardonnera jamais "Quand mes filles seront parties", ni le duo qu'elle s'apprête (quand elle aura fini de pleurer) à enregistrer avec Pauline, sa fille aînée. Mais c'est une détestation pleine d'affection, je prends...
Pauline, pas encore quatorze ans et déjà une comédie musicale à son actif; un an encore pour parfaire ce qui, déjà, monte singulièrement en qualité, en puissance... Mais il semblerait que ce soit elle, maintenant, déjà, qui mène les débats: elle est Marjo', on ne peut qu'accéder à ses demandes!
Il restait Léonie, ses dix ans, son univers intérieur, ses silences et ses colères aussi. Son talent déjà affirmé de peintre, la fresque magnifique qu'elle a réalisée dans sa chambre. Il lui fallait des mots et des rimes faussement naïfs, une mélodie qui s'attarde un peu sur ces trois syllabes signifiantes. Là, c'est la part du père..;
Me voilà une fois de plus à contre-emploi. Mais il est plus d'un milieu, dans l'existence, où le deuxième ou troisième emploi devient de fait le premier... Le sublime "vivant passage" rodino-baudelairien attendra donc un peu avant d'être dévoilé, l'électro-Opéra dom juanesque est encore un projet fou. De ceux qu'il nous faut.
Une toile de Léonie:

"La semaine des quatre jeudis (la chanson de Léonie)"
(Laurent Cachard/Eric Hostettler - tous droits réservés) :
Je les entends bien s’agiter
Je les vois tous gesticuler
Mais avant que je le comprenne
Que c’est bien à moi qu’ils s’en prennent…
Il s’en pass’ra des quat’ jeudis
Avant qu’on réveille Léonie
Même quand je suis pas endormie
Dans mon monde il n’y a pas d’bruit
Qu’est-ce que ça s’agite, un adulte
C’est plus tendu qu’une catapulte
J’essaierais bien de les calmer
Leur dire qu’il faudrait s’arrêter
Prendre le temps, comme Léonie
D’aller chercher des infinis
D’imaginer des mondes et puis
Les peindre comme j’en ai envie
Quand on dit que je suis rêveuse
C’est juste que je suis curieuse
Dans mon monde tout a un sens
Je prends le vôtre à contresens
Il s’en passera, des quat’jeudis
Avant qu’on enferme Léonie
Si ça vous plaît , entrez, si, si !
Vous verrez qu’on est bien ici.
08:05 Publié dans Blog | Lien permanent
29/10/2009
Généalogies
C’est l’histoire de quelqu’un qui s’est demandé pourquoi on avait dit de Marie-Pauline P., née en 1863 de parents inconnus, qu’elle était sans doute péripathéticienne quand on l’a pourtant déclarée domestique, en même temps qu’indigente, le jour où l’on a déposé le fils qu’elle venait d’avoir à l’Assistance Publique. C’est l’accoucheuse - Hélène N., qui a mis au monde le jeune Louis-Marius P - qui fait cette déclaration, alors même que Marie-Pauline est employée chez elle, rue Duquesne, dans le 6ème arrondissement de Lyon. Drame bourgeois - bien qu’anticonformiste, puisque Hélène N. et Louis L. n’étaient pas mariés - amours ancillaires? Monsieur L., restaurateur, aurait-il fauté avec la servante, laquelle s’est quand même acquittée de sa tâche en mettant l’enfant au monde, puis en prenant en charge les procédures d’abandon ? Ou Madame N. tenait-elle elle-même une de ces maisons closes dans lesquelles on suivait les filles à qui la contraception avait échappé ? Toujours est-il que le jeune Louis-Marius, après avoir connu trois familles d’accueil, rencontrera un jour Marthe P., qui mettra au monde Edouard, lequel donnera naissance à celui qui cherchera à en savoir plus sur Marie-Pauline. Qui découvrira des choses curieuses, comme le fait qu’elle était l’enfant naturelle de Adèle P., lingère de son état. Que le père, déjà, était inconnu, ce qui en fait deux sur deux générations… Qu’Adèle P. habitait Impasse Monsieur – ce qui ne s’invente pas, toujours dans le 6ème, que cette impasse s’appelle maintenant Impasse Molière. Que Marie-Pauline P. retournera vivre dans le Jura où, alors qu’elle est déjà âgée de 46 ans, un âge respectable à l’époque, elle prendra pour époux un homme de quatorze ans son cadet, sabotier, portant le nom de Marie-Alphonse M. Ce jour-là, le maire, Isidore M., lui attribue la qualité inédite de lingère.… Un mariage qui ne durera que six ans, puisque Marie-Pauline mourra le 24 juin de 1916, en l'absence de son époux vraisemblablement mobilisé. Pour quelles raisons Marie-Pauline s’est-elle réfugiée dans des terres qui désormais abritent vingt-deux habitants du même nom sur une zone restreinte de trois communes ? Que faisait l’homme qui l’a recueillie, était-il veuf, libre-penseur, recueillait-il une de ses anciennes amours au crépuscule d’une dure existence ? Il n’aura évidemment pas d’enfant avec elle, mais la vie qu’ils ont terminé de mener ne sera donc pas restée vaine.
Comment ça, c’est confus ? Allez, je vous confie le schéma que j’ai fait sur la nappe du restaurant, hier.

18:13 Publié dans Blog | Lien permanent
27/10/2009
L'histoire en train de se faire...
Petites nouvelles en direct du studio d'Eloise où, hier, la "cancion de Esteban" a vu le jour, version fin de fiesta... Une petite touche flamenca à cette comédie musicale qui prend très franchement forme...
L'andalou ( de la République indépendante de Triana) en pleine préparation:
21:19 Publié dans Blog | Lien permanent
25/10/2009
Le Panorama d'Eric Hostettler
Waouh, ça foisonne, en ce moment, par ici! Tant mieux: je connais un photographe du Berry qui manie des métaphores plus que viriles pour dire qu'il ne faut jamais s'arrêter de faire. Mais là, disons qu'aujourd'hui, cette journée qui avait mal commencé m'a donné envie, plus que de mesure, de faire l'hélicoptère. Il y a des motifs qui resteront privés, mais de savoir par exemple que le Hostett' est tombé amoureux du "Panorama" de Kent me comble d'aise, dussé-je accepter qu'il fricote avec un autre auteur que moi-même. Qu'il l'enregistre comme ça, à brûle-pourpoint et a capella, c'est magnifique. Que je le jette en pâture à tous ceux qui passent par là, je ne pense pas qu'il m'en voudra... Eh, Hosttet', ça foire un peu au début, mais après c'est superbe. Tiens, ça me donne envie de faire "Taïga", moi... Quoi, attends les cinquante ans? Pff.... Que des ingrats!
Bon d'accord, il a l'air un peu sérieux comme ça, en image fixe, mais ça n'est pas toujours le cas...
00:07 Publié dans Blog | Lien permanent