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10/01/2010

Camille

"D'où vient une pareille férocité? Vous qui connaissez mon attachement à mon art, vous devez savoir ce que j'ai dû souffrir ; du rêve que fut ma vie, ceci est le cauchemar..."

CC.jpg« Je lui ai montré où trouver de l’or, mais l’or qu’elle trouve est bien à elle »*

Il n’empêche, elle n’aurait jamais dû courir vers moi. C’est la seule explication, l’alternative au néant dans lequel nous avons fini par plonger : on peut, sous l’égide des grands maîtres se brûler à la lumière de leurs œuvres autant qu’être attiré par les ténèbres de leurs vies. Auguste Rodin, Camille Claudel puis, une folie et deux morts plus tard, elle et moi, qui nous étions donné rendez-vous devant le musée, rue de Varennes. Qu’est-ce qu’il y a de plus immobile que d’attendre quelqu’un, mais pas l’immobilité que le modèle doit figer, non, celle qui fait que l’action s’accélère autour de soi, que tout mouvement devient inutile ou alors perception des instants qui vont suivre et que cette attente-là va déterminer. Un penseur à l’intérieur mais un candide hors les murs : le décor est planté, ce n’est plus qu’une question de minutes. Pour elle, le Baiser attendra, la Valse aussi. La sculpture et la danse ont en commun qu’elles concentrent le mouvement dans l’absolu, qu’elles le figent et ne le restituent qu’au regard avisé, à celui qui veut voir. C’est ce que j’aurais dû comprendre, j’aurais dû voir que tous les mouvements autour de moi étaient des agitations, des avertissements aussi, ils me prévenaient des incidences de ce que j’allais vivre : j’aurais été plus libre de les appréhender…

La rue que j’arpente est étroite, discrète, juste derrière, pourtant, ce sont les Invalides : les deux faces de Rodin dans le même pâté de maisons, dont il écrase l’identité. Les deux Rodin, le molosse et l’intime, le sacré et l’absolu, le méandreux et l’esthétique. J’attends, les œuvres sont dedans, il va falloir passer les grilles, accéder aux statues du parc, rentrer dans un univers qui fait le lien entre ce qui fut réalisé et ce qui est regardé, désormais. Une statue, comme un arbre, est davantage regardante que regardée, n’en déplaise à l’état qu’on lui donne ; la pierre dont Rodin a tiré son ouvrage – celle à qui une cause extérieure a donné le mouvement – s’est laissée griser par ce qu’elle pense être devenue : une pierre taillée, affinée, polie, qui garde néanmoins ce pouvoir d’absorption du regard, de l’émotion. Ce n’est pas l’œuvre elle-même qui émeut, ce sont les énergies qu’on lui transmet, qui témoignent, au fil des histoires qui se nouent autour, d’une genèse des sentiments. Fouler le pavé de la rue de Varennes, compter les pas jusqu’à la bouche de métro du même nom, se demander combien de personnes en sortiront avant qu’Elle n’en remonte l’escalier, c’est être déjà dans ton œuvre, Rodin. Le musée, en soi, n’est que le dernier endroit où on peut te trouver, l’atelier qui s’est habitué à ton absence, voilà tout.

Alors tu es là à attendre avec moi, finalement, à savoir, peut-être, où cette volupté-là va me mener, à te dire qu’à ma place, tu n’attendrais pas d’une seule personne qu’elle réponde à la part manquante. Tout est toi dans cette attente, oui, le sujet qui s’impose à lui-même et ce rendez-vous fixé au musée, qui porte les gènes de l’histoire qui se joue : si ce n’est plus Elle que j’attends, se pourrait-il que ce soit Camille, alors ? Ce ne peut être Rose, c’est sûr : Rose attend quand on attend Camille… Et Camille, en plus de toutes les Camille, n’est-elle pas là pour toutes les irrégulières du monde ? Ne laisse pas mes angoisses réguler mes émois, Rodin, autorise-moi à les façonner, donne-la moi, la distance du démiurge !

extrait de "Reconnais, Rodin", à paraître (peut-être).

08:00 Publié dans Blog | Lien permanent

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