07/03/2012
Ann Hidden au masculin.
Ainsi va la vie: nous sommes partagés entre l'idée de permanence et l'envie de tout refaire. Recommencer ou refaire. On sait bien, également, que les deux sont illusion. "Il ne faut pas croire ce que l'on voit car cela ressemble trop à ce que l'on espère", écrit Quignard, qui ressurgit, dans ma vie. A point nommé?
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06/03/2012
Chienne de vie.
Il n'y avait aucun effet d'attente dans la note d'hier, juste l'impossibilité technique d'écrire et le besoin, quand même, de vous dire pourquoi aujourd'hui est un jour particulier. Qui vous livre ce que j'ai écrit hier.
Un dernier mot et après on n’en parlera plus autrement qu'artistiquement. Le reste, je le garderai pour moi. C’est le six mars au matin, il y a dix ans, que l’infirmière du lycée m’a appelé pour m’annoncer, comme on le lui a sans doute appris dans son école, que Fred & Ahmed avaient eu un accident la veille et que - la moins mauvaise nouvelle avant la pire - Ahmed n’avait rien d’autre que des égratignures. Le cliché du monde qui s’écroule n’en est pas un dans ces cas-là. J’ai déjà tout dit depuis dix ans sur Fred Vanneyre, l’amour qu’on s’est porté, l’élan créatif qui nous a unis, ses « coucou, copain » et sa voix, sa voix… Mais je n’ai encore jamais parlé de ce qui m’interpelle encore, dix années après. Ce soir-là, exceptionnellement, ce sont eux qui sont venus de Bourg à Lyon. Parce que nous devions trouver un endroit où fêter la sortie de notre disque et que cet endroit, c’était un bar rue Neuve. Fred et Ahmed sont venus me chercher chez moi ; quand nous sommes partis – en voiture, que les temps ont changé ! – Fred m’a montré l’Opel Corsa que sa grand-mère lui avait léguée : son grand-père s’était éteint en rentrant chez lui, sa femme avait vu la voiture avancer lentement jusqu’à la butée, s’est demandée ce qu’il faisait, il était mort au volant. Fred, quelques semaines après, avec son humour particulier, m’a dit, alors que je montais à ses côtés, Ahmed derrière, « tu n’as rien à craindre, cette voiture, c’est la seule dont la place du mort est celle du conducteur ». Et de partir de son rire en cascade.
Je ne sais même plus si l’affaire s’était faite au bar ou pas. Peut-être avons-nous échappé à la catastrophe puisque, il y a prescription, Ahmed jouait mal de l’harmonica et Fred ne devait d’impressionner que par son charisme, pas par son jeu de guitare. Peut-être Eric, déjà, qui s’était proposé, aurait-il mis un peu d’ordre dans cette dissonance, mais on ne saura jamais si « Ouessant » aurait autant marqué qu’au « Cœur des gens ». Mais l’essentiel n’est pas là. Ce qu’il faut retenir de cette soirée, c’est que, une fois rentrés chez moi, j’ai fait le plat de pâtes traditionnel. Sans vin, puisque l’administration, à ce moment-là, m’avait coupé les vivres. Heureusement, finalement, quand j’y pense : je n’ai pas eu à rajouter la culpabilité au deuil. Ce qu’il faut retenir de l’ironie du sort, c’est que Ahmed, arrivé chez moi, a été pris d’une très forte gastro-entérite, qu’il a passé deux heures, peut-être, dans mes toilettes. Et que Fred paraissait fatigué, soucieux de rentrer : son œil ne pétillait pas comme à l’habitude, le sourcil nourri était un peu plus froncé. Nous avons eu tous les deux une conversation sur l’après, les chansons qu’il aurait à enregistrer tellement elles étaient belles. « Nocturne », déjà, m’avait époustouflé, lui aussi je crois. Je me souviens lui avoir proposé un pacte à la Noir Désir, pour qu’il ne m’exclue pas, ce qu’il n’aurait jamais fait, de son projet. Mais je le trouvais fatigué, oui, impatient. Il avait cours le lendemain, il fallait faire la route, peut-être avait-il un rendez-vous. Nous discutions, mais je sentais qu’il avait hâte qu’Ahmed quitte les lieux d’aisance. J’ai proposé qu’ils dorment là, partent tôt le matin. Du plus loin qu’il m’en souvienne, j’étais seul chez moi ce soir-là, c’est étrange. Non, il voulait rentrer et je me souviens qu’il m’a dit avoir passé trop de nuits ailleurs que chez lui. Le passé dissolu de Fred Vanneyre m’a toujours paru étrange, je ne connais de cette période que deux-trois photos et un enregistrement quand on l’appelait Bego. Je n’ai jamais voulu en savoir plus.
Ahmed est sorti des toilettes, livide. Fred lui a demandé s’il allait tenir le coup. J’ai fermé la porte sur eux, nous devions nous revoir dans la semaine, les statuts de « Notre Approche des Arts » avaient été déposés, le compte ouvert, nous étions à une quinzaine de jours de l’arrivée physique du disque. J’ai fermé la porte sur eux et le lendemain, on m’annonçait que l’un des deux ne serait plus. Plus jamais. Sans faire offense à Ahmed, c’est la part de moi qu’on m’a ôtée ce jour-là. L’ironie, encore, retiendra qu’Ahmed aura vécu ce jour-là son deuxième gros accident, qu’à chaque fois il s’en sera miraculeusement tiré. Parce que le camion a scindé la voiture, emporté l’un, épargné l’autre. Qui dormait, terrassé, sur le siège passager, puisqu’il n’avait rien à craindre. Sans doute Fred a-t-il évité de mettre de la musique pour ne pas le réveiller. Peut-être un bon 16 Horsepower l’aurait-il sauvé. On n’en saura jamais rien et j’ai fini par me dire que c’est avec elle qu’il avait rendez-vous ce soir-là et que c’est pour ça que je l’ai vu soucieux, pour la première fois. On ne vit pas avec des regrets : j’ai déjà émis la théorie selon laquelle Fred Vanneyre avait déjà tout dit et tout compris, à défaut d’avoir tout vécu. Et qu’il nous a condamnés à vivre, Claude, sa maman, sa sœur, les autres et moi. Le « Camarade » sonore que je lui ai réservé le jour sidérant de son enterrement, le « Ouessant » qui a résonné au crématorium, tout ça, j’en ai parlé. Mais croyez-moi : quand je vous dis que son rire, sa présence, son influence sont encore parmi nous, ce ne sont pas des mots. Parce que l’esprit d’Eloise, pensez-vous, un calembour pareil, jamais il ne l’aurait raté.
"Inoxydable" (L.Cachard/E.Hostettler), in "L'Eclaircie" (2010)
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05/03/2012
Compte à rebours.
Plus que quelques minutes de batterie pour écrire une note avant extinction. Et l'obligation évidente d'être convaincant. Demain, nous serons le 6 mars et j'aurai quelque chose à vous dire. D'ici là, je profite de l'embellie.
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04/03/2012
Anniversaire
Mon père a eu un enfant avec celle qui n'était pas encore la maman d'Emilie. Elle a accouché du petit Lucas le 4 mars 1970, quatre ans avant que je vienne au monde moi-même, d'une autre mère. Les photos sont datées du mois de décembre, pourtant, et si le couffin est toujours de mise, les visages sont tendus, on sent une urgence. Les documents médicaux proviennent d'un autre service que la maternité, le dossier est épais, je n'y ai rien compris, mais une date a tout simplifié : le 14 février de l'année 1971, à 17h30 d'après l'avis de décès, Lucas est mort, par surdosage de Théophylline. J'ai retenu le nom, parce que ça m'a fait penser à Théophile et que, bêtement, j'ai souri. Ce n'est que quand Emilie a dit un jour à la maîtresse qu'elle avait oublié ses dragées et qu'elle a donné le nom du médicament que j'ai réagi et que j'ai fait le lien.
Extrait de "la partie de cache-cache", Ed. Raison & Passions
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03/03/2012
Fenestrelle & Ménestrels
On parle beaucoup, finalement, dans le « Domaine des Murmures » de Carole Martinez. Parce qu’Esclarmonde, qui a préféré l’emmurement au mariage avec l’orgueilleux Lothaire, reçoit, de l’autre côté de la meurtrière, recueille confidences, confessions et organise le monde duquel elle s’est retirée. Elle est cause et conséquences de ce qui s’agite au dehors, dans ce domaine du Doubs qui donne son titre au roman et à son mysticisme protéiforme. Parce que l’histoire prend corps au XII°s., dont on ne connaît en littérature que les récits de chevalerie, dans un domaine seigneurial sur lequel le Père de l’héroïne règne en maître débonnaire. Qui aime intensément sa merveille de quinze ans mais y renonce en même temps qu’elle crée un stratagème pour briser son mariage sans qu’il la tue sur-le-champ. Il fera donc, puisque c’est le vœu qu’elle a formulé, construire une chapelle supplémentaire au domaine, doublée d’une geôle dans laquelle Esclarmonde n’aura plus comme Père que celui qu’elle n’a pas déçu. Ce ne serait qu’une histoire de recluse de plus si le sort, son ironie ou son origine, ne l’avait pas enfermée en même temps qu’une part d’elle-même ne demandait qu’à s’ouvrir au monde. A travers l’écriture très dense de Carole Martinez, son lexique médiéval, sa fine analyse des strates de la société féodale (le dialogue entre Esclarmonde et la vieille nourrice, qui lui demande de « ne pas envier leur misère » est remarquable, les scènes de marché et de récoltes aussi), les croisements perpétuels entre le Sacré et le profane, on retrouve en filigrane ce qui fait encore le sel de certaines légendes : une part de superstition qui reste, l’envie de croire davantage à l’histoire qu’à sa réalité. On assiste également à des conversions étonnantes, qui n’ont rien de religieux : la transformation de Lothaire, jadis belliqueux, qui, une fois « l’aiguillette nouée », devient trouvère et dont la vièle n’a pour souci , dit Martinez, que d’ « effriter les pierres » qui enferment celle qui l’a révélé en se refusant. Le père qui, en croisade, sous le soleil brûlant d’Acre, a la révélation mystique de sa propre vanité et se découvre à la tendresse qu’il accorde à ses fils morts. Les deux rivaux, Amey et Amaury, qui l’accompagnent, dont l’un, comme Lothaire, a été trahi au perron de l’église. La mort est permanente dans « Du domaine des Murmures », et pas seulement parce que le sacrifice d’Esclarmonde fait qu’on ne meure plus dans le domaine. Elle se double d’une réflexion sur la vie, les importances que l’on donne : la recluse est politique, elle se joue du religieux tout en se consacrant à Dieu, s’arrange avec l’idée de ce qu’elle peut laisser croire d’elle, de son sacrifice, des conceptions, des stigmates. Elle regarde le Sacré par le bout de l’hagioscope, le profane par la fenestrelle et interpelle le lecteur, directement : un lecteur contemporain, qui voit dans le récit de Carole Martinez une réflexion sur la foi, l'engagement, le sexe des femmes (belle leçon botanique de contraception !), celui des hommes et leur chute. Il y a des révélations – le mot clé de ce roman- doubles, également, que je ne ferai pas ici. Sur le père, sur le chemin de croix des existences passées à se mentir. Sur la séparation d’avec l’enfant, qui feront écho chez toutes les mères du monde, et leurs enfants. Esclarmonde dialogue, dans le silence de ses rêves et de ses prières, avec ceux qu’elle a ouverts au monde en s’en retirant : les parallélismes sont nombreux, la mort du père dans le même temps que le départ de l’enfant (au double sens du terme, mais j’ai juré que je ne dirais rien !) sont des thématiques intemporelles. C’est l’écriture de Martinez, classique, dense, sans épure mais sans afféterie, qui place le roman dans sa facture. Et fait, comme le souligne l’ami Chavassieux dans cette note poétique, que l’aventure littéraire soit autant partagée. En tout cas, s’il ne reste de Chrétien de Troyes qu’un Gauvin devenu centaure, prêt à suppléer Charon pour que les ombres errantes de l’armée du siècle traversent le Styx ou prennent Jérusalem - ce qui revient au même – c’est un roman majeur puisqu’inédit, dans toutes ses dimensions, que propose Carole Martinez. Que des lycéens l’ait élu Prix Goncourt est éloquent à ce titre, et rassurant. Mais je dis ça, je dis rien. Ben dis rien.
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02/03/2012
Paul Virilio.
J'ai été marqué, il y a quelques années déjà, par la théorie des accidents chez Virilio (concernant le progrès) et sa dimension phénoménologique. Comme si tout procédait brusquement, par mutations, sans qu'on puisse faire grand chose, ce qui en soi est presque rassurant. J'ai souvent fait l'analogie avec mon travail d'écriture, fait de brusques sommets, d'ères exclusivement consacrées et de vides tout aussi violents, quand on ne sait pas quand ni si on va en sortir. Jean-Paul Dubois disait récemment qu'il n'était pas très sain d'être écrivain, je commence à comprendre. Pour autant, demain, vous devriez avoir une note avec un peu de tenue, enfin, puisque j'ai terminé "le Domaine des murmures" et que j'entame mon hexalogie critique des livres qui précèdent les auteurs que je vais rencontrer. Livre remarquable, déjà, tenez-le vous pour dit.
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01/03/2012
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Mars arrive, Mars attaque et je me suis juré ce matin d'être combattif, bretteur, de retrouver le Cyrano teinté d'Alceste qui a toujours sommeillé en moi. Et puis non. J'ai l'impression étrange de "faire le job". Il me semble qu'il est temps de fixer une fin à cette activité quotidienne: cet été, j'arrêterai, après les derniers comptes-rendus de mes rencontres à Grignan et à Annecy. Définitivement. Tout le monde virtuel. J'essaierai de me reconstruire comme lecteur, comme écrivain, comme individu. De toute manière, Miossec l'a mieux dit que moi, récemment: personne n'écoute. Tout est illusion. Quand on n'a plus de main dans la sienne, on serre son Iphone et on fait semblant d'avoir des amis. Ceux qui m'aiment prendront le train, ai-je toujours dit. Ils rajouteront le bateau, ai-je toujours rajouté, puisqu'il faudra bien y aller, à Ouessant. Et ceux qui se sont parjurés resteront à quai.
* j'ai 5000 visites par mois sur ce blog. En mon temps, j'y ai écrit de belles pages. Là, ça tourne en rond. Et puis tout remettre en jeu à chaque mois, depuis 2008, quelle formidable vanité!
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