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12/04/2020

Les embrassades.

Il y en avait de toutes sortes, celles qu’on faisait du bout de lèvres, par convention, et puis celles qui remontent à la surface, en ces temps troubles. Dignes des premières bises qu’on a faites à l’école, quand on restait une seconde de plus en attendant de passer à l’autre joue, comme pour marquer l’instant. Les marques d’une amitié enfin avérée entre hommes, entre artistes, aussi. La confusion permanente sur le côté où commencer, surtout dans les régions où le rituel est impair. Mais une embrassade, au sens littéral, c’est autre chose, encore, c’est poser une main forte sur l’épaule de l’autre quand on noue le contact, s’arrêter vraiment sur la personne qu’elle est et qu’il nous plaît de voir, de croiser, de retrouver. C’est la marque d’un ancien amour jamais perdu, une appropriation momentanée, c’est tout ce qui fait que l’on se sent vivant, social – au sens noble. C’est l’homme un peu attablé, dirait cet imbécile de Claudel (Paul). C’est aussi, quand il le faut, la marque de l’au-revoir, celle de l’adieu, parfois. Je pense à ces personnes qui ne peuvent pas embrasser leurs proches, ceux qui s’en vont. Sans doute la pire des damnations.

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08/04/2020

Neiges d'avril.

eloise prod.jpgLa période est propice à la collapsologie personnelle, soit. Après « l’école buissonnière », hier, voilà que l’Internet mondial – comme l’a toujours appelé une amie chère – propulse aujourd’hui une actualité bien désuète, si l’on peut dire. Parce que « Quantifier l’amour », cette chanson, elle a dix ans, me ramène à la sortie de « la partie de cache-cache », à Cluses, dans la librairie « Jules & Jim ». Une soirée rendue inoubliable par la neige qui nous a coincés dans l’auberge, plus avant par l’accueil qui a été fait au roman, par mon interprétation-surprise, en hommage à mon hôte, du « Tourbillon de la vie » - dont s’est souvenue une des convives à la mort de Jeanne Moreau ! – et la première fois que ce titre-là a été chanté en public. Dans la vidéo d’époque, on entend un homme – dans ma mémoire, il est très grand, très fort, très amoureux de la libraire aussi – lâcher un « woooh ! » impressionné, dès après la dernière note. Dans mes souvenirs enneigés, il y a aussi cette question qui s’est posée un jour, au petit matin, quelques semaines avant, comme une provocation, la somme des amours qu’on a vécues, et l’association qui tombe, dans la bouche d’Eric (Hostettler) : « Peut-on le quantifier, l’amour ? ». Il faut une dizaine de minutes et un coin de table à un auteur pour faire le reste. Accessible aujourd’hui, alors, dans une version qui n’est pas celle que j’aurais choisie moi, mais ça, ça n’est pas (plus) de la partie de celui qui écrit. Ça reste bien en tête, au bout du compte. Et puis la voix de Valeria, et ce film de Cédric Kahn...

Vous pourrez bientôt commander l'album, à venir, ici : j'ai écrit 8 des 11 chansons. Originellement, il devait y en avoir 12, dont 9 de mes textes, mais l'un d'eux - que je disais moi - a été coupé au montage. J'y reviendrai.

 

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07/04/2020

Chienne de vie.

On en est tous à faire comme si on allait bien. Comme si l’invité surprise, dehors, n’avait pas frappé ou ne frappait pas, actuellement, un proche, une connaissance, quelqu’un dont on apprend, incidemment, qu’il a contracté la maladie et qu’il n’a pas tenu. Dans ces temps de bilan, forcément, on la remonte, la route, ses mutations brusques – Virilio n’aura jamais été si actuel – ses accidents. Ses phénomènes. Tout ce en quoi j’ai toujours cru, par ailleurs, sans même pouvoir me targuer d’avoir eu raison : les liens que j’ai tenus longtemps se distendent, les fils doubrovskiens sont unilatéraux. Au cœur de la nuit, un visage connu d’ici raconte, la voix harassée et la respiration assistée, comment il s’est vu partir, fut rattrapé in extremis. Il dit sa joie ultime d’être revenu et d’être entouré, c’est poignant. Et là, deux visages qui ont changé ramènent un moment d’insouciance à la surface, le temps d’une chanson. On trouvera toujours que, ou alors que, mais c’est vraiment la chanson qui compte, cette fausse bluette écrite il y a plus de dix ans, quand on y croyait tous. La difficulté provocatrice, à cette époque, se résumait à savoir qui, de l’auteur ou du compositeur-interprète, mourrait le premier : ça changeait tout, parce que si l’auteur pouvait partir en beauté, sous l’interprétation de ses textes, il n’en était pas de même pour l'autre… Cette chanson-là fait partie de mon patrimoine de cinq, celles qu'on interprétera à mon enterrement, avec quatre autres qu’il me faudra choisir. Pas facile, mais toujours plus que de hiérarchiser les cinq personnes qui, à l’heure actuelle, sont autorisées à voir partir leur proches. 

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06/04/2020

Diffraction.

Capture d’écran 2020-04-06 à 10.29.49.pngIl est totalement incongru de parler de soi en cette période (déjà qu’en temps normal...) mais l’Ambidextre – blog ambitieux, aux notes quotidiennes et aux rédacteurs multiples - avait déjà repéré le projet AK et relevé la parution du roman. Hier, suite à la diffusion d’un extrait du concert du 28 septembre, il a fait le lien entre les deux Aurelia, le groupe qu’il allait visiblement voir dans sa jeunesse, lui aussi, et le roman, dont l’encadré rappelle qu’il ne l’a pas encore lu mais qu’il va s’y mettre. C’est un article complet que celui d’Olivier Melville, avec un point qui interpelle, sur l’avant, ces moments de rencontre, de frénésie collective, de promiscuité. Les artistes, aujourd’hui, jouent sur leur balcon, dans leur cuisine, n’obtiennent à la fin de chaque morceau que des applaudissements qu’ils n’entendent pas. Nous reverrons-nous ? demande l’article. Y retournerons-nous ? Je regarde ces images attendues comme on contemple un vieux super-8 transféré numériquement, comme un temps d’avant qu’on imaginait inoxydable. Déjà qu’Aurelia, dans sa diffraction, nous avait habitués aux ellipses de trente ans… Bref, c’est ICI, et ça fait autant de bien que de mal.

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30/03/2020

L'air du temps.

J'ai été invité - sur la recommandation d'Isabelle Flaten, que je remercie - à m'exprimer sur la condition de l'écrivain en situation de confinement. C'est tout sauf un journal du même type, évidemment. J'ai refusé d'écrire une chanson sur le sujet, pour ne pas céder à l'opportunisme; mais on ne peut rien refuser à Dan Burcea, "jardinier en intelligence humaine" et à son amour de la littérature. C'est ICI, en Lettres capitales.

09:56 Publié dans Blog | Lien permanent

19/03/2020

Memento Mori.

J’ai échangé plusieurs centaines de lettres avec cette personne-là. Il faut dire que la promesse d’adolescence - celle de se donner des nouvelles après les vacances d’été - que les autres garçons ont faite en même temps que moi, j’ai été le seul à la tenir, et de quelle façon : nous avions quatorze ans quand nous nous sommes quittés, et nous avons passé près de onze ans ensemble, à se raconter nos vies, ses heurts, ses joies, quelques inventions, de ci de là, histoire, bien avant les réseaux sociaux, de faire croire à l’autre, qui n’y croyait pas, que sa vie était remarquable. Mais peu. Nous avons plutôt échangé, correspondu au sens propre, celui qui fait qu’on trouve quelqu’un qui pense, vit et agit comme on le ferait soi. Il n’y eut rien d’amoureux, dans cette existence parallèle, rien de tendancieux, même si les rares photos échangées montraient la si belle femme qu’elle était devenue. À force de suivre ses amours, j’ai fini par envoyer les dernières lettres à un autre nom, dans une autre ville. M’y rendant, j’ai acheté un bouquet de fleurs, me suis présenté à l’adresse indiquée, ai prononcé « Interflora ! » à l’interphone. Montant un escalier en colimaçons digne des films de Michel Deville, j’ai vu, au quatrième étage, un homme sur le seuil de la porte, se penchant vers moi et me disant, tout de go : « T’es pas Interflora, toi, t’es Laurent ! ». Il me fit entrer, avec beaucoup de chaleur, pour m’apprendre que sa jeune femme était allée voir ses parents – dans la ville où j’envoyais les lettres, jusqu’alors – mais que je pourrais lui faire une surprise, aller la chercher à la gare, le lendemain, à sa place. C’était remarquable de confiance et d’intelligence, j’ai accepté, y suis allé le jour d’après, le cœur un peu serré, pour un rendez-vous non amoureux et non prévu par un des deux convives. La porte du TGV Ouest s’est ouverte, j’étais encore moins à l’aise qu’avec mon bouquet de fleurs de la veille, et l’ai vue apparaître, dans l’encadrement de la porte. Elle m’a immédiatement reconnu, et ne s’est pas montrée si surprise que ça, en somme. Sans doute avait-elle compris, tout de suite, que l’idée venait de son mari, sans doute lui rendait-elle, de fait, la confiance et l’intelligence que nécessitait une seule situation. Mon dernier souvenir, l’heure que nous avons passée à deviser de tout et de rien, comme nous le faisions par écrit, depuis onze ans, fut le sourire qu’elle me réserva, rien qu’à moi, avant que nous nous séparions, pour aller vers nos vies, chacun. Je n’avais aucune connaissance, à cet âge-là, de l’incidence du sourire archaïque sur les vies de Jules & Jim. Je lui ai juste répondu, à l’identique. Nous ne nous sommes plus jamais écrit, nous ne nous sommes plus jamais vus, nous en avions juste terminé.

00:45 Publié dans Blog | Lien permanent

18/03/2020

Revanche.

Une pensée pour tous ces parents qui nous disaient que leurs ados étaient précoces et hyperactifs, qu'on ne les comprenait pas, et qui se rendent compte au bout de deux jours qu'ils sont juste casse-couilles et inadaptés.

09:24 Publié dans Blog | Lien permanent

11/03/2020

Les matefaims.

Je ne sais pas – antiphrase – pourquoi me reviennent ces souvenirs de tablée quand, pour le dîner, ma mère entreprenait de faire des crêpes et qu’il fallait attendre son tour pour être servi : nécessaire (et archaïque) apprentissage de la frustration et de l’égalité, toutes deux mêlées. Il fallait voir le plaisir que l’on prenait quand Maman annonçait « celle-ci, elle est pour toi », l’air pincé – on peut le dire, maintenant – des deux autres, spécialement celui qui venait d’être servi, le tour d’avant. Parfois, le père passait le sien – trop épaisses, les crêpes, de vrais matefaims, et réjouissait l’assemblée : la prochaine arriverait plus vite. Quand elle était là, fumante et bien dorée, le dilemme s’imposait  : la manger d’un coup et rester sur l’impression bourrative le temps du long circuit ; ou bien la savourer, jusqu’à, qui sait, en manger deux consécutivement, l’une refroidie, l’autre bouillante. On aborderait bien assez tôt la question – et ses conséquences sur l’équilibre familial – de la dernière, qui devait tomber juste, sous peine de triomphe à peine voilé du ou de la priviliégié(e). On ne sait jamais pourquoi les crêpes de sa mère remontent en mémoire. Ou plutôt on le sait, mais on ne veut pas le dire.

20:02 Publié dans Blog | Lien permanent