17/11/2019
La corde ou le combat.
Le constat étant fait – et souligné parfois avec un mépris évitable – des difficultés de diffusion du livre, l’alternative est faible entre la corde et le combat. Nonobstant les quelques moments de fatigue inhérents aux quelques vexations vécues, je choisis le combat. Je sais que le temps des autres livres peut s’avérer beaucoup plus long que celui de ceux dont on parle, je le vis toujours avec le premier que j’ai écrit, il y a plus de dix ans, maintenant. Alors, puisque l’on me dit que de m’entendre en parler aide à franchir le cap de l’appréhension devant une telle masse, puisqu’on me dit aussi – et c’est magnifique – que c’est parfois le regard aigu de l’héroïne en couverture qui a raison de la paresse naturelle, eh bien je reprendrai bientôt mon bâton de pèlerin et irai dès le mois de prochain traiter des thèmes de l’identité, de la question juive et de l’exil là où l’on m’invite, et là où je me propose. Plus d’informations très vite, comme on dit dans les milieux autorisés.
Pardon d’avance pour le moment d’autosatisfaction, mais voilà le retour que j’attendais de celle qui – si vous avez suivi la genèse – devait m’assister dans les recherches historiques. Pour tout un tas de raisons, ça ne s’est pas fait, mais il faut croire, à la lecture, que je ne l’ai pas déçue. J’en livre ici une version délestée d’informations qui en disent trop sur l’action, mais si vous n’avez pas encore commencé la lecture du roman, vous pouvez vous dispenser de son panégyrique. Tant que vous faites circuler l’information et construisez avec Aurelia - en l’offrant, en en parlant à votre libraire, à des critiques, en envisageant un événement chez vous, dans une structure associative, un cercle de lecture ou autre – une autre chaîne du livre.
"Quelle belle fresque, bien construite !
Pas de longueur. Des articulations bien huilées. J’ai tout lu sans rien sauter, ce qui ne m’était pas arrivé depuis longtemps. A la fin, je trainais même pour ne pas finir !
Soulagée de passer du statut de voyeuse, (...), à celui de témoin attentif à Istambul, d’une histoire vieille de trois ans et qui continue dans une insécurité permanente mais gérable pour les protagonistes, même lorsque les alertes sont rouges. Choix très intelligent de tout de suite panser les peurs extrêmes qu’on éprouve pour les personnages en nous projetant dans le futur sans transition.
On se prend d’estime pour Anton qui se débrouille toujours pour s’en sortir quelque soit la situation, et pour répondre aux attentes des gens qu’il affectionne. Pourtant, dès la première phrase, on sait qu’Anton va vivre des moments pénibles : il est satisfait de sa situation, la suite va le déstabiliser jusqu’à lui faire connaître le dés-espoir à la toute fin.
La vanité des dix années passées à fuir, à essayer de sauver l’idée qu’il se fait de ce qu’il doit être, à essayer de sauver une famille qui somme toute, se débrouille sans lui, lui saute à la figure au travers du message laissé par Aurélia. C’est à mon avis pour lui que l’aventure est la plus cruelle. Il prend énormément de risques et in fine se rend compte que le bonheur qu’il imaginait pour les autres, les autres n’en veulent pas… En arrivant à Lyon, il en oublie presque Igor qui a choisi la séparation. Cette position le rend très humain et plus attachant. On voit bien qu’il ne sait pas gérer, qu’il est démuni devant les questions posées par le choix de son fils.
La triangulation des relations entre les personnages est toujours parfaite, et le croisement des triangles génère des étoiles relationnelles à 5 ou 6 branches dans lesquelles Aurélia est partout présente, même en filigrane. Je l’ai trouvée d’ailleurs parfois un peu estompée par la présence de sa famille alors que c’est elle qui est porteuse d’avenir.
Je me demande si le grand malaise d’Anton, à la fin, ne vient pas du fait qu’au départ de sa fille, il se retrouve dans un huis clos à deux « qu’il n’avait pas envisagé ». Anton est bien quand il est dans un triangle et quand il doit se battre pour les autres.
Varvara est capable de s’en sortir seule. Elle s’est révélée un personnage magnifique au fil du livre qui affronte la vie avec tellement de classe (...). Passage vers la réalité, fut-elle dure, qui lui convient beaucoup mieux que le monde de rêve que lui proposait Nicolaï : elle a bien compris que le rêve peut générer des décalages tels qu’elle ne retrouve pas sa jumelle dès leur première rencontre, mais seulement de longs mois après.
La capacité d’Olga à donner de soi est le juste reflet de la personnalité d’Anton moins évidemment généreux, mais qui ne sait se bouger que pour les autres. Cette femme a un beau profil qui sait hiérarchiser les urgences. Structurée, organisée, équilibrée, elle m’a beaucoup plu, mais elle m’a laissé une impression d’inconfort. Son rôle de « mère juive » qu’elle pousse à l’extrême en s’occupant de Varvara en dépression comme si c’était un enfant y est peut-être pour qq chose. Elle s’oublie dans le bonheur des autres comme Anton ne sait se motiver que pour le bonheur des autres, réel ou supposé.
Au-delà de tous les triangles relationnels (Anton-Nicolaï-Olga (Varvara est à ce moment « évanescente » ) ; Varvara-Olga-Vladislav ; Anton-Vladislav-Hemann ; Olga-Vogt-Aurélia ; Pavline-Vladislav-Varvara ; Anton-Varvara-Aurelia, etc.), j’ai aimé le duo Varvara-Aurélia à Vienne et leur relation silencieuse et si forte, parfaitement décrite. On vit en connivence avec elles autour du canapé.
Aurélia assure avec une belle maturité la synthèse Olga-Anton. Elle fait des choix généreux et raisonnés, alors que ses parents sont dans la réaction aux événements extérieurs. On quitte Iekatarinoslav pour qu’elle ne vive pas l’horreur qu’on pressent pour elle et le livre se termine sur l’horreur qu’elle a choisi sciemment d’affronter. Belle fermeture de l’anneau ce choix engagé !
Le rascisme anti-juif par moments poussé à l’extrême renvoie sans fard à des réalités qui me paralysent. On peut être né quelque part, s’y plaire et finir sa vie en étant de nulle part. La tragédie du juif errant est très présente, même quand le groupe s’implante vraiment et crée des liens, la vie pleine d’ironie mordante, les ramène à la réalité. On les accueille, mais on ne les aime pas, voire on s’en méfie comme s’ils étaient capables de trahir leur propre mère.
J’éprouve une certaine jalousie devant la culture que tu as du acquérir pour écrire une histoire crédible. Je suis absolument admirative du travail que tu as produit."
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14/11/2019
Accroche-toi.
C’est drôle, parce que je n’avais jusque là jeté qu’une oreille distraite à la carrière de Gérald Genty, étiqueté chanteur talentueux et rigolo, soit un adjectif en trop, en ce qui me concerne. J’ai le souvenir d’un titre à rallonge « pour l’instant, j’suis pas encore trop connu, ça va », d’un artiste dont on dit qu’il est drôle sur scène, ce que je n’attends pas forcément d’un artiste, en ce qui me concerne, toujours. Aiguillé par Guillo, soit une double allitération, ce qui n’est pas rien, j’ai tout de même lancé le visionnage du clip participatif de « Planeur », le premier morceau extrait de son album « Là-haut », failli partir dès le premier riff et les rires d’enfant, pensant que ça ne me concernait pas, ou plus. Je suis resté pour la voix, qui m’a semblé en faire moins - l’apanage des albums de la maturité - pour l’adresse (« Accroche-toi ») et pour ce crescendo, l’entrée minutieuse de la rythmique. J’ai été pris de nostalgie en pensant à ces moments de l’enfance que je ne revivrai plus, sauf miracle (de la société, principalement), me suis laissé conquérir par le morceau sans savoir encore ce qu’il me réservait. J’ai tout retrouvé, hélas, de ce voyage en bus – le seul, peut-être – que je n’ai pas oublié, quand il m’a fallu rassurer mon enfant apeuré, la fois où je n’ai pas supporté qu’on se prenne à lui, même sous couvert de l’innocence. Du chaton qui joue sur le tapis du salon à la boîte à rien, deux détails que l’on retrouve dans Aurelia Kreit, si l’on veut bien les voir. J’en étais là, de ce morceau, dont la mélancolie est atténuée par la guitare, juste avant le break. Pont musical obligatoire dans la variété ? Ou fausse piste assumée jusqu’au bout. A 2’10 – dans les temps pour le tube – on passe au piano-voix, la voix est un peu étouffée, comme dans un sanglot. Et à 2’50, on comprend pourquoi : ça n’est pas une chanson sur les enfants, c’est une chanson sur la perte de l’enfance. Pas celle qu’on vit à l’indépendance, quand on quitte le nid, non, celle qu’on vit quand celui qui y est resté, d’un coup, n’est plus là. « Un jour, les papas s’en vont, un jour, les papas s’envolent », c’est d’une évidence rare, mais de celles qui touchent au cœur, au plus juste. Quiconque a vécu cette perte sait ce qu’on ressent dans ces moments-là, et si j’ai beaucoup écrit sur la perte de mon père, je remercie cet artiste drôle de ses mots si simples et si touchants. « Et on s’retrouve tout seul, cloué au sol », ça n’est pas une chanson non plus sur les adultes qui perdent leur père, c’est un avertissement, au sens baudelairien, aux enfants qui n’en sont plus mais qui pensent que les choses resteront ainsi, éternellement. Entre « Paco » et ma « Lettre ouverte d’un vieux nizanien à son fils de vingt ans », j’ai suffisamment interrogé la transmission – pour l’avoir vécue sans mots – pour ne pas comprendre que c’est à moi qu’elle parle, cette chanson, qu’elle met le doigt sur ce que je n’ai pas assez donné, ou assez reçu, ou les deux. La tonalité qui change à 3’09, la voix qui s’étrangle, la basse qui revient, on se sent bien seul, c’est vrai.
« Accroche-toi ».
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13/11/2019
La résilience personnifiée.
Il faut évidemment que ce livre circule, qu'on en parle, et qu'il se fasse une place dans un circuit parallèle. Je crois - toujours - en l'évidence des choses, même si je dois en accepter le cours peu commun, et non linéaire. Je sais qu'Aurelia vivra une belle vie, longue, et que ce n'est pas l'apanage des romans jetables. Des retours supplémentaires en disent long, encore, sur ce travail:
"La saine curiosité que j'avais de lire Aurélia Kreit, LE roman (auto-proclamé russe) de Laurent Cachard n'aura d'égale que l'immense plaisir que j'ai eu à le dévorer, littéralement.
Pour avoir assisté à distance à la dernière année de gestation, et non des moindres sur la décade qu'a nécessité cette véritable oeuvre, puis à son accouchement - manifestement sans péridurale - on peut le dire aujourd'hui: le père et l'enfant se portent bien.
Pour le père, déjà bien portant naturellement, sa verve est là, en place. II est en forme olympique, la réussite des dernières Automnales qu'il préside à Sète en témoigne.
Pour l'enfant, Aurélia donc, AK pour les intimes, c'est une belle réussite. Le pavé peut impressionner mais la traditionnelle difficulté des premières pages passée (ébauche des personnages, décor planté), c'est parti. Et là tant par la qualité de l'écriture, jamais lourde, que par la destinée de ces personnages magnifiquement dépeints qui nous font traverser l'Europe du début du siècle d'Est en Ouest, il n'est pas possible de ne pas se presser de poursuivre la lecture passionnément. Peut-être avais-je un trop-plein ces derniers temps d'histoires contemporaines, sans relief. Ici le romanesque nous emporte et c'est bon. Bien évidemment les sujets abordés, c'est à dire, l'identité ukrainienne, ou russe, mais surtout la judéité et tout ce qui s'y rattache et qui semble éternel comme l'antisémitisme, mais encore l'âme slave ou, la Grande Histoire sont traités avec finesse et précision.
Et Aurélia est la résilience personnifiée.
En attendant que ces tribulations deviennent un road movie (qui sait ? après la musical et le littéraire, une AK de cinéma ça aurait de la gueule...) et n'en déplaise à l'auteur, j'ai prêté mon livre...
Longue et belle vie à Aurélia..."
et d'autres, plus personnels, qui témoignent d'un parcours de lecture:
« Je viens de terminer la première partie, le cœur serré. J'étais complètement avec tes personnages....Tu fais revivre des pans d'histoire dont on voudrait qu'ils n'aient pas existé... »
ou celui-ci, que je ne peux reproduire, parce qu'il en dit trop sur l'action, mais qui rend compte d'une empathie touchante des lecteurs pour les personnages de mon épopée, qui va jusqu'à la réaction physique, le rejet avant le retour. C'est touchant. Ça justifie tout, les efforts, les années, les frustrations.
Si vous n'avez pas encore votre exemplaire du gros livre rouge, c'est dans votre librairie ou ICI que ça se passe. Je ne peux rien faire d'autre pour vous dire qu'il y a des rencontres avec des histoires qui valent certainement qu'on surpasse une paresse naturelle.
Sculpture : Michel Wohlfahrt
Photo : Agnès Guérin
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11/11/2019
Balaise*
Il n’y a que dans le roman qu’Aurelia Kreit, en débarquant à Paris avec toute sa tribu, pense qu’elle conquerra la ville sans souci, avant de viser plus loin, encore, et passer de l’enfance - l’In fans, celui qui ne sait rien et ne parle pas - au statut d’égérie du pays qu’elle a fui. Dans la Halle des Blancs manteaux, en plein Marais, Aurelia Kreit ne concourait qu’au titre du roman le plus gros - le plus lourd, diront les passants, sans préjuger du style, heureusement - et le plus rouge, mais ce verdict-là ne sera jamais rendu; l’autre, si, qui m’a vu vendre peu, et exclusivement des Girafe lymphatique et des Paco. J’écrivais hier qu’il était important, pour un auteur, d’avoir des livres identifiés - Tébessa, hier, Paco aujourd’hui - pour surmonter une offre pléthorique et une demande en berne. C’est un bel endroit, les Blancs Manteaux, en plus ça évoque des choses fascinantes pour moi, une chanson de Sartre que Gréco a perdue, par inadvertance. C’est un bel endroit qui croule, quatre jours durant, sous les étals des éditeurs dits indépendants ou petits, selon qu’ils se considèrent. La table du Réalgar est petite, et comble: à raison de quasiment dix éditions par an, entre la collection de poésie, les nouvelles illustrées et les romans, la maison stéphanoise est à l’étroit dans les travées, et l’on se serre derrière les présentoirs. Frédérique Germanaud, dont on dit le plus grand bien, vient présenter « Dos au soleil », un roman qui chronique l’exil des déportés d’Algérie - puisque rapatrié n’est pas le bon terme - à compter de l’Indépendance, un livre - j’en reparlerai vite - qui fait écho à mon Tébessa, 1956. Dont je retrouve l’éditeur avec grand plaisir, après un temps trop long de silence et de report. Claude Raisky a été un homme essentiel dans mon parcours d’écrivain, avec qui j’ai vécu l’illusion du succès et son corollaire, mais j’ai aimé le moment où, dans ce café-librairie, nous avons remonté le temps, jusqu’en janvier 1998 et une restitution d’un travail sur « Humanité, différences & inégalités » dont je pourrais redire les moindres termes, aujourd’hui. Tébessa et d’autres sont sur le stand « Raison & Passions », ça me fait drôle de ne pas être derrière et les défendre. Mais l’édition passe, toujours, et ici comme ailleurs, il y a d’autres auteurs qui vous ont succédé et qui pensent sans doute que vous avez fait votre temps: je souhaite à leurs livres le même parcours que le mien et reviens à mon roman rouge, que je présente à qui veut bien l’entendre, sans suffisamment, je le concède, de motivation pour l’exercice. En salon, il faut se battre, sans racoler. Se mettre debout, entamer une conversation, défendre une vision de la littérature autant que l’histoire qu’on présente. Le dimanche, quand rien ne se parle, je l’explique à Isabelle Flaten, qu’on vient pourtant trouver sans qu’elle demande rien. Je lui dis « viens, on se donne une demi-heure pour vendre des livres! ». Ironie ou démonstration, dans les cinq minutes, deux jeunes femmes repartent avec une Girafe chacune, qu’elles n’ont pas voulu partager. Un homme, poète africain, se laisse convaincre par l’histoire d’Aurelia puis finit par le prendre en photo... On offre des Tagada, la Flaten’s touch, et on discute: au moins le temps passe. Il y a le livre de Vitas*, Céphalées, sur la table, sans que son auteur l’ait touché, encore. Ceux des auteurs-monstres du Réalgar, dont le parcours et le réseau font qu’on en parle et qu’on les connaît. Parfois, les passants sont un peu maladroits, dans les gestes ou les propos, mais c’est de bonne guerre, la guerre lasse. Le samedi soir, à la galerie l’Amour de l’Art, quelqu’un qui avait déjà le roman m’a dit que ma façon d’en parler lui avait donné envie d’y plonger, toutes affaires cessantes. C’est hélas la quadrature du cercle: il faut parler de ces romans-là pour convaincre les lecteurs potentiels, mais l’espace public est saturé, y compris par de très mauvais livres. Même l’espace privé se tarit, ou souffre de la concurrence: le réseau russe que j’espérais n’est pas venu rue de Seine, et si la soirée fut belle, elle démontra aussi qu’il n’est pas toujours conseillé de revenir là où l’on a réussi… Même si le théorème du coup de pied de l’âne se transformant, des générations après, en cancer des testicules ne m’a pas échappé, au moment où je retrouve ce qui rééquilibre ma vie et rend tout dérisoire, finalement, le Tout - absolu - et le relatif. Et comme aux dieux mon offrande suprême, La scintillation sereine sème Sur l’altitude un dédain souverain : je préfèrerai toujours le cimetière marin au cimetière des illusions.
* dont les mots sur AK ont fait mouche, hier soir : « J’ai eu quelques difficultés, liées à la fatigue, à rentrer dans ce roman, peut-être aussi par anticipation du chemin à parcourir devant le format plus long que mes lectures habituelles -je sais l’importance de ces dix ans d’écriture et de doute pour son auteur- ; autant de difficultés à en sortir une fois familiarisé avec les personnages. Au delà de la trame historique, du contexte documenté, c’est l’humanité de ces personnages qui m’a happé. Chacun, creusé par sa vie, questionne par ses actes son identité et son appartenance et les engagements qu’elles impliquent. Des êtres vrais, comme j’en attends en littérature.
Le chemin est long, me laisse l’agréable illusion de mieux comprendre l’âme slave, loin de la fierté de trouver un clin d’œil à une de mes chansons (quelques mots au milieu de 430 pages qui m’auront dévié de ce parcours dans un sourire) l’humilité de voir mes 70 petites pages sortir dans quelques semaines dans la même collection. »
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04/11/2019
Livre de culs.
C'est l'heure des premières récoltes de lecture, pour Aurelia. Des avis d'amis, évidemment, en attendant que la portée du livre s'élargisse, mais mes amis, pour tout dire, ne sont pas du genre complaisant, et je m'en réjouis. Inutile de parader ici, mais j'ai beaucoup ri de ces deux retours, hier;
- "Sous le coup de l'émotion, parce que je viens de finir Aurelia, que j'ai lu en deux jours et demi : je suis sur le cul! On ne peut pas le lâcher. Même si je ne suis pas un grand critique littéraire, là, je suis vraiment scotché."
- « Je suis heureuse d'avoir renoué avec la littérature grâce à Aurelia. C'est ton chef d'œuvre, ça semble évident. Les éditeurs qui ont ignoré ce manuscrit pourront se mordre le cul avec les dents (expression de ma mère) »
Cette dernière lectrice m'a particulièrement ému en m'assénant ce que je n'aurais jamais osé formuler, même si... Un coup de grâce dans les deux sens du terme : "« Pas pris une claque pareille depuis L'Affaire des vivants. » Sic Transit Gloria Mundi...
Je ne connais que trop les limites d'une diffusion minimale, mais je crois aussi aux forces d'un ouvrage, quand il est à part (dans sa fabrication, sa temporalité, sa destination). Aurelia Kreit doit vivre, être lu, conseillé, offert (pas prêté). Quand j'en parle en public, je traite d’abord de la genèse du livre parce que, comme l’a souligné Chavassieux, elle fait partie intégrante de la légende qui le sous-tend. Je raconte donc l’histoire qui me (re)lie au groupe, de facto à mes jeunes années. Je m’amuse d’une partie de ma vie d’écrivain consacrée à recréer en livre l’univers de ma chambre de post-adolescent, entre posters de Larrouquis et affiche d’AK… Mais je redeviens beaucoup plus sérieux quand il s’agit de parler du cadre et de la contextualisation. Quand il me faut évoquer les brimades auxquelles les Ukrainiens ont dû faire face, de la part de la Grande Russie : des poètes qu’on fait taire, des peintres qu’on déporte s’ils n’acceptent pas de rallier Saint-Petersbourg. La cause ruthénienne qui grandit, dans les villes et les campagnes, face à la famine, aux privations, aux monopoles (cf le vin du fisc) ; la volonté du peuple, ou le partage noir, selon le type de réaction choisi. La figure de Ševčenko, l’auto-émancipation de Pinsker, les dualités de l’identité chez mes personnages, Juif et ukrainien, ukrainien et parisien, sœurs jumelles et autres pans, encore : Aurelia elle-même, infans puis égérie, je l’ai dit, déjà. Mais je ne m’en lasse pas, tellement je crois à cette œuvre, que je défendrai corps et âme.
Je serai à Paris ce week-end, le samedi et dimanche (9&10 novembre) à la Halle des Blancs Manteaux, pour le génial Salon de l'Autre Livre. Et je serai l'invité, comme l'année dernière, de la belle galerie "l'Amour de l'Art", à St Germain-des-Prés, le samedi soir à 19h30 : j'y ai parlé de Clara (Ville), conçue en un mois, il y a un an, je serai beaucoup plus disert - mais en peu de temps, qu'on se rassure - sur mon Aurelia, qui m'a pris dix ans. Mais commence à me les rendre.
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30/10/2019
Seule et le coeur en croix.
Vous connaissez le principe de la part de gâteau qui reste, qui introduit chez les convives une telle impossibilité de la prendre pour soi qui fait qu’elle finit par rester sur le buffet, à la fin ? C’est la seule image que j’utiliserai pour faire part de la petite vexation liée à la rencontre hier, à la Nouvelle Librairie Sétoise, qui importe peu – sauf en nombre de livres potentiels écoulés – au regard du côté bonne franquette, un peu subi, de la date, pas annoncée sur le site, concédée avec un poil de condescendance, mais c’est le lot des auteurs dont on dit qu’ils sont mal distribués. Je me suis promis de longue date de ne plus en prendre ombrage, quel que soit le profil d’un auteur dont, subséquemment, on ne sait rien quand on l’invite. J’ai ravivé la phrase de Talleyrand, « Quand je m’observe, je m’inquiète. Quand je me compare, je me rassure » pour renvoyer dans leurs vingt-deux (mètres) ceux que mon anonymat comblerait. Elle était belle, malgré mon énervement de départ, cette rencontre, vive, chaleureuse et menée avec maestria par Jocelyne. Qui n’est pas la dernière – litote – à vouloir me titiller, mais que la lecture de « Aurelia Kreit » a comblée, dans son exigence – la somme, les thèmes – et son écriture. Elle veut gérer la rencontre, la genèse du roman, sa construction, les nombreux sujets abordés : l’Ukrainité, la judéité, le féminisme etc. Elle a plus envie d’en dire du bien, de ce roman, que d’en solliciter l’auteur, j’apprécie, autant que l’analogie avec Stendhal, dès le départ ; je reprends un peu la main, sens le public intrigué, au minimum, j’en reviens à la tranquillité, au théorème de Mégevette que personne, ici, ne connaît : j’apprécie la venue de ceux qui sont là sans m’attarder sur ceux qui ne sont pas venus, la règle est classique, mais il faut la rappeler. Joce, qui m’interrogea sur la place l’année dernière, a travaillé l’entretien, c’est la seule à en être à deux lectures d’Aurelia quand j’attends, encore, le retour de la première de certains, allez je lâche, dont la spécialité est le déni : à ne pas vouloir savoir que j’ai écrit ce livre, ils continueront de penser que la seule littérature qu’ils considèrent est celle qu’ils connaissent, celle qui ne leur fait pas peur et ne les met pas – les mots sont réels – en face de leur propre inculture. J’ai trop vécu « Littérature & Musique » pour ne pas percevoir les énergies d’un auditoire, et celui d’hier – de tout à l’heure – était attentif, captivé, même. Ces gens qui viennent sont l’antithèse de nos propres lâchetés, mais dans la nuit qui suit le non-événement, on me parle de cet « immense labyrinthe, impressionnant, à ciel ouvert, duquel tu sembles être sorti plus ou moins vivant » ; d’un « bel échange, vif, profondément philosophique ». À elle seule, le personnage d’Aurelia mettrait KO les trois quarts de la production contemporaine, mais je ne peux que l’avancer discrètement, en me regardant les ongles, en bon nizanien. Je lui prédis, bien au-delà de moi, une existence du type de celle de « Tébessa, 1956 ». Une de celles qui vous échappent. C’est ce qu’il peut arriver de mieux à un écrivain, je crois. Ma vie d’auteur, je l’ai redit ce soir, je ne l’échangerais pour rien au monde contre celle d’un mieux distribué. Qu’on aurait annoncé sur le site, sans doute. Rendez-vous au final de l’œuvre, hein! Le reste, la chute, tu la connais, ami lecteur, elle est dans « la vie d’artiste » de Léo Ferré : tu leur diras que je m’en fiche.
Photo: Serge Tribouillois.
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17/10/2019
Le vieil homme et l'amour.
Il a vécu le siècle précédent dans sa quasi-intégralité, a partagé les idéaux d’une Révolution qui devait sacrer le Socialisme à visage humain et qui s’est réduit à l’histoire d’un paradoxe, libérer un peuple pour l’asservir autrement. Quand il parle, il cite des figures disparues depuis une semi-éternité, de Nathalie Sarraute à Jacques Lecoq. Dans quelques mois, il aura quatre-vingt dix ans, et ramène de Santagio de Cuba, sa ville natale, le sourire enjôleur de celui à qui on ne la raconte pas, puisque c’est lui qui parle. De sa cubanité, d’abord, cette espèce de fatalisme et de mélancolie joyeuse, dont il faut dépasser le cliché. Toute son œuvre littéraire est autofictive, mais il n’en est pas le sujet central : elle se construit sur l’élément fondateur, l’exil - qu’il aura connu trois fois, au final – la dualité entre celui qui s’en va, la part de lui qui reste. De lui, on dit « Il a quitté Cuba, mais Cuba ne l’a jamais quitté », lui répond que son rapport au pays natal est fait d’amour-haine. Rien de nouveau sous le Malecón, mais il lui faut expliquer aux Occidentaux marqués de scepticisme ce qu’a été la belle illusion cubaine, l’éducation pour tous, le Socialisme en action. Son premier départ fut pour Paris, à vingt ans, « le rêve du reste du monde », où il passe, entre 1951 et 1960, une décennie merveilleuse, dit-il dans « Mes années Cuba ». Là, il passe de l’autre côté de la langue, écrit en français, relit Proust en version originale, suivant les conseils de Eve Fréjaville, sa professeure de français à la Havane, laquelle devient un personnage de fiction pour relater la curiosité romantique des Français envers l’idéal révolutionnaire et la figure du Che. Lui sait à quel point cet idéal relève de la mythologie, à quel point, aussi, la langue attache à un pays, détache de l’autre. Toujours cette dualité, qui l’a amené à quitter une Nation qui lui offrait tout, en échange d’une complaisance qu’il a toujours refusée. Pourtant, il a la chance, dit-il, de ne jamais être hystérique sur la question cubaine, lui qui n’a gardé d’une vie partagée en parallèle avec Castro – figure centrale et polymorphe de nombreux de ses romans – que l’exclamation de Sarraute, citée plus haut : « Quel formidable acteur ! ». Lui qui a vu défiler à la Havane toute l’intelligentsia germanopratine sourit désormais de tout ça, parce qu’il n’a jamais dévié, là non plus, de sa seule obsession, l’amour. Des arts, du théâtre, du cinéma, de la littérature, donc. Il fait des haltères tous les matins, se perd dans la ville deux heures durant avant de regagner l’hôtel, cabotine un peu et sourit, sourit à n’en plus finir. En 1973, il écrivait « l’autre Don Juan », il y a dix ans « Comment avoir du panache à tout âge », on comprend l’idée. Et on ose lui poser la question de sa perception de l’échelle de sa vie, de sa place au présent. Il répond futur, amour, toujours, puis rejoint sa vieille copine pour une lecture théâtrale - Eux ou la prise de pouvoir* - sublime de retenue et de drôlerie émouvante. A la Cubana.
C’est déjà la fin, au Réservoir, le public est debout et applaudit à tout rompre. Pour le texte, pour l’instant privilégié. Ce vieux jeune homme qui me regarde d’un air pas commode est un stratège : s’il paraît soucieux, s’il se penche comme s’il n’entendait pas, c’est juste pour être sûr de la question et, par extension, de sa réponse à venir. Il est des moments sublimes dans la vie des animateurs littéraires, j’en ai connu, déjà, quelques-uns. Mais, déférence gardée envers les autres auteurs que j’ai croisés, m’être assis une heure durant à côté du petit-fils des peintres Eva Gonzales et Edouard Manet est, déjà, un souvenir d’une intensité que je n’oublierai pas.
* avec Moni Grégo
Photo: Daniel Gourdellier©
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09/10/2019
Ce qui reste de soi.
Ce qui reste de soi quand on s’efface, qui te permet de rentrer dans l’oeuvre, en interprète. Que l’on ne retienne que cette pièce de moi ne me déplaira pas, car j’y aurai participé de tout mon être, de toutes mes forces. Celles du chemin que j’ai tracé. Diego pourra y déplacer sa tristesse, puisqu’elle la provoque : ça lui évitera la peine en écoutant mes disques, lui permettra même d’aller chercher la joie, qui préside à tout cela. Je ferme les yeux, le reste m’échappe, mais je pars confiant, parce qu’il sait tout de moi, déjà, et qu’il lui reste une vie pour savoir que c’est une force. On ne se refait pas, chez les Sánchez, taiseux de pères en fils. C’est dans les jardins du Palais Royal que mon âme va s’envoler, dans les couleurs des bougainvilliers, elle doit y aller seule, c’est comme ça. Diego, tu me tiens la main, tu ne comprends pas ce qui arrive, mais je fais mieux que mourir, je m’en vais. Solo quiero caminar.
Extrait de Paco, Editions Le Réalgar
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