10/11/2014
Un roman à l'envers (7).
C'est parfois amusant de se dire qu'on va au bout du monde pour prendre un funiculaire presque aussi exotique que celui de Lyon et se promener sur des berges (celles du Dniepr) pas du tout aménagées comme peuvent l'être celles du Rhône. Question de temps, question de moyens, mais l'important, décliné-je depuis "Ouessant", n'est pas forcément d'y être, mais d'y aller. Quinze ans après, je n'ai pas changé d'avis. J'ai juste traversé la ville en métro - désormais compris, il suffisait que je change d'axiome logique - avec ma valise pour me poser une nuit encore, et refaire, une fois l'appartement intégré, repartir pour une balade, de celles que l'on fait dans les endroits qu'on ne reverra peut-être pas. "La moitié du temps donné", tout ça, c'est du passé, même Éric Hostettler n'y croit plus, c'est dire. Je me promène, c'est encore une journée magnifique, j'aurai trimballé des pulls de laine, gants et bonnet pour rien. Ma logeuse parle anglais, et un peu français, ça n'a aucune espèce d'importance, je n'ai plus aucune appréhension, mais ça m'a permis d'avoir une discussion, ce matin, sur la littérature, avec une psychologue, qui plus est. Je lui ai expliqué mon chemin à l'envers, je laisserai un "Camille" sur la table, déjà pleine de livres d'Art. En repassant par la place de l'Indépendance, j'observe les badauds: certains sont là comme ils y étaient en février, ce mois qu'on voit apparaître sur les monuments de fortune. Par pudeur et correction, je n'ai parlé à personne des "événements", mais je sais que pour ceux qui les ont vécus, comme pour leurs parents vingt-cinq ans avant, c'est un point d'origine à partir duquel il restera à évaluer ce qu'on a gagné et ce qu'on délaissé. J'ai encore quelques heures, demain, à passer à Kiev, mais les heures qui précédent le départ, c'est déjà le départ. Et le commencement pour moi de l'aventure, jusqu'à Dniepopetrovsk. Il aurait suffi de suivre le fleuve, pourtant...
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09/11/2014
Un roman à l'envers (6).
C'est en en devenant un qu'on gagne dans le souci de l'autre. Hier soir, j'ai été ravi de sortir du silence et d'échanger avec Jennya - une amie de mon ami, et la chaîne de l'amitié semble avoir un certain sens ici - sur les différents modes de vie, peu perceptibles dans l'endroit (branché) où nous étions. La jeunesse est la même partout, et s'il fallait définir, aujourd'hui, une Internationale, elle passerait par le Spritz ou le mojito du samedi soir. Mais ce fut un rappel que d'entendre Jennya raconter son dernier périple à Paris avec sa fille de (bientôt) dix ans, la direction qu'elle demande dans le métro et cette femme qui ne veut même pas lui répondre. Un rappel à l'hospitalité, au souci de l'autre donc, et ce ne sont pas des mots de scout béât: déjà, en interne, j'ai vécu l'arrivée dans une région différente, sans personne à qui se raccrocher. J'en ai gardé des amis chers (peu) et des souvenirs cuisants (beaucoup), plus l'habitude de toujours m'enquérir des nouveaux arrivés dans le monde professionnel. Paré de cette bienveillance, j'ai pu aborder, ce matin, tôt, la Laure des Catacombes, climax touristique de la ville, 28ha d'églises aux coupoles dorées,kinésithérapeute gigantesque promenade en deux parties, la Haute et la Basse, baignée, aujourd'hui encore, d'un soleil magnifique. Dans la Lavra basse, il y a les fameuses catacombes, un réseau de tunnels souterrains dans lesquels sont exposés les momies des moines, dont Saint Antoine, le fondateur du monastère: un circuit au cours duquel, éclairés à la bougie, les croyants s'inclinent et baisent les cercueils des religieux, avec plus de recueillement que de pittoresque. L'occasion pour moi, en impie, de me souvenir de mes morts à moi, avec un peu de retard sur le calendrier. Des morts, l'Ukraine en connut entre 8 et 10 millions sur la période de la seconde guerre mondiale, qui débute pour eux en 1941: c'est énorme, à l'échelle de l'importance stratégique du pays, alors sous bannière de l'URSS. Le musée de la Grande Guerre patriotique, aux dimensions toutes soviétiques, est un extraordinaire vivier de documents, d'images et d'objets liés à la période. On frémit devant les outils de torture nazis, on sourit devant la propagande communiste, on mesure l'héroïsme ou l'absurde dans lequel des millions de personnes ont dû plonger. Les espèces de pirogues avec lesquelles elles ont gagné la bataille du Dniepr sont fascinantes. Et la dernière salle, un interminable défilé d'images de personnes, donne le vertige et rappelle que rien n'est jamais acquis. C'est une longue excursion, je prends le bus pour rentrer, assiste à une sérieuse altercation entre voyageurs et contrôleurs (toujours en civil, qui montrent une carte discrètement), comme si le refus de l'autorité était un complément de l'identité d'un pays qui en a trop souffert. J'ai mes repères dans Kiev, maintenant, signe qu'il va falloir la quitter, bientôt. Demain, je m'autorise une journée de balade sans but, sans musée, sans horaires, juste avec un changement d'appartement. Jennya m'a traduit mon billet de train: je connais le numéro du convoi, celui de mon wagon et celui de la place. J'aurai un petit peu moins d'angoisse dans le hall de la gare, mardi.
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08/11/2014
Un roman à l'envers (5).
Il y a l'Ukraine des grandes conquêtes et celle des petites victoires: la mienne aura été de partir ce matin à la conquête du métro kievien, le plus profond d'Europe et le plus cyrillique, aussi. Il faut s'engager au hasard, prendre les Escalators vertigineux pour trouver, dans les abîmes, les noms des stations et des directions sous-titrés. Ouf. Mais les numéros des rames ne sont pas à l'avant des trains, c'est donc un peu au hasard que je me suis retrouvé à la gare centrale, là où mon plus grand test m'attendait: acheter un billet de train pour rejoindre, mardi, Dniepopetrovsk, ma deuxième destination. C'est de là dont femmes et enfants sont partis alors qu'Anton et Nikolaï planifiaient de quitter Kiev en vie. Je fais la queue à un guichet, supputant qu'on y achetait des tickets. L'employée et sa copine qui l'attend de l'autre côté de la vitre ont dans les vingt ans, je me dis que peut-être, un peu d'anglais... Mais non, quand c'est mon tour, elle compte m'évacuer mais j'insiste: j'ai écrit sur un papier les données de ce voyage, elle n'a qu'à les reporter sur son ordinateur post-soviétique, ce qu'elle fait. Fier de ma victoire, et du soleil printanier, je retourne en ville, flâne du côté du parc Chevtchenko, histoire de prendre les clichés ratés la veille. Je visite la maison-musée, en aveugle, m'imprégnant de l'odeur de l'écriture, avec humilité, mais en empathie: après tout, je suis là en tant qu'écrivain. Je pense à Nikolaï, homme lettré, lecteur de Chevtchenko et de Hugo, que l'époque transforme en meurtrier, pour éviter d'être tué. Je prévoyais le musée de la Grande Guerre (la 2ème, pour les Ukrainiens), j'irai demain, ou lundi: il faut un temps à flâner, je l'ai dit, et je commence à trouver mes repères. J'apprécie pleinement ces petits riens qui signifient que notre fameux grand Tout a tout perdu: je regarde le manège bigrement efficace de cinq femmes, de tous les âges, coiffées de fichus: deux balayent les feuilles sur les larges trottoirs, deux autres saisissent les tas constitués et la cinquième présente le sac dans lequel elles les déposent. À l'autre bout du continent, on a inventé la souffleuse... La statue de Lénine a été déboulonnée, mais ce rapport à l'ordre a quelque chose de rassurant. Je passe devant le Pintchuk Art Center, je fais la queue, plonge dans un art contemporain encore plus anachronique ici, à mon sens - mais une nano-reproduction, avec loupe grossissante, du Penseur m'a plu - puis remonte. Ce soir, sauf contrordre de moi-même, j'irai diner au bord du Dniepr, en aveugle, encore. On m'a demandé deux fois une direction, aujourd'hui: ça signifie que je suis un peu d'ici, désormais.
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07/11/2014
Un roman à l'envers (4).
Enfin le froid. Pas le grand, mais la température qui saisit, un peu, les locaux qui ne sortent plus en tshirt. Toujours ce décalage stupéfiant, également, entre les appartements surchauffés (sans autre possibilité que d'ouvrir la fenêtre ou mettre la climatisation!) et les fameux tunnels piétons à 35 degrés, juste avant de ressortir. Enfin le froid et la belle sensation de se réchauffer en marchant, en cherchant des repères, des panneaux en cyrillique qu'on commence à déchiffrer. Un grand tour pour réellement commencer à découvrir Kiev, une longue marche, des collines, des escaliers, des monuments et des places arpentés. Comme convenu - au double sens du terme - la visite de la Maïdan est touchante, comme tous les endroits qui ont fait face à l'histoire. Parmi la galerie, j'avise un portrait, il avait 23 ans, des yeux moqueurs, un sourire à deux millions de Hryvnias. Mais il a trouvé la mort, au début de cette année, quand j'étais chez moi en train d'écrire l'histoire de deux hommes de son pays essayant d'échapper à la leur, et d'en sauver leurs familles. Je ne m'autorise pas à juger de ce que les combattants ont gagné, sur cette place, ni même si on peut encore gagner, dans ce monde, autre chose que de l'argent. E l'argent, des Ukrainiens en ont, beaucoup, ce qui signifie que beaucoup d'autres n'en ont pas, comme partout. Et pour mieux signifier ça, il y a les marques, les magasins de mode, les grandes chaînes mondiales. Qui côtoient les petits métiers qui existent encore, là-bas, les marchands avec des bouliers pour compter, des balais faméliques pour regrouper les feuilles, les vendeuses de café, de maïs grillé. Je visite Sainte-Sophie, prend de la hauteur, me régale du "Regard" en mosaïque de Oksana Mas. Je continue vers le Monastère St. Michel et son bleu qui balaye tout. Visiter seul, dans un pays dont je ne peux parler la langue, invite au silence: je pense à mes personnages qui n'ont pas visité la ville, eux, il y a cent-dix ans. Mais se sont arrêtés au Ministère des affaires agricoles, devant lequel je passe, pour rentrer, juste après un passage pour saluer Chevtchenko: il est temps de passer par un supermarché, acheter les fruits que je n'ai pas osé ne pas savoir formuler sur les étals, dehors. Me confondre, un instant, avec les locaux, rentrer dans mon HLM fardé. Un proverbe ukrainien dit qu'il vaut mieux voir une fois plutôt que de l'entendre raconter cent. En un mot comme en cent, j'y suis.
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06/11/2014
Un roman à l'envers (3).
Le Kiev historique attendra demain. Je n'y ai passé que quelques heures ce matin, le temps de m'y perdre, comme attendu, le temps de repérer les grands axes et de saluer Oleg Blokhine devant le stade du Dynamo (les puristes comprendront). Mais j'ai dû rebrousser chemin, pour des raisons qui ne méritent pas que je m'y attarde ici. Je viens juste, après les quelques heures de repos qu'il me fallait, de ressortir, et d'engager le boulevard Lesi Ukrainky à l'envers, dans la direction opposée au centre. Pour trouver du dentifrice. Pas une mince affaire: dans ce quartier comme ailleurs, centre-ville excepté, les magasins n'affichent pas la couleur: les vitrines sont opaques, et chacun d'entre eux se consacre à une seule tache. Malheureusement, je n'ai besoin ni d'armes à feu (impressionnant attirail!) ni d'appareil de musculation. Juste du dentifrice. En continuant, j'avise une petite épicerie à l'ancienne, faite de quatre comptoirs distincts: des produits d'alimentation, d'autres de toilette, ou de bricolage. Je fais la queue avec précaution: Antoine m'a dit hier qu'elle était sacrée pour les Ukrainiens et que tout resquilleur se risquait au bourre-pif. Je ne vois pas de dentifrice, mais je me dis qu'avec mon talent d'acteur... Las, la dame s'impatiente, et je repars avec de l'eau minérale. Plus haut, je trouve mon Graal: une petite boutique affectée aux produits de soin, où on se sert nous-même. Je fais le tour des rayons, ne trouve pas le dentifrice, m'attarde dangereusement sur des produits d'hygiène de l'autre sexe. Puis me risque à demander: à l'intonation, je devine la réponse et vois apparaître, au coin de la caisse, le Colgate rassurant. Ma première immersion solo est une réussite, je poursuis, aperçois la marque universelle, celle que les ados, maintenant, confondent avec le Métropolitain parisien. C'est au pied de ce M de m... que je teste mon premier tcheboureko, un friand à la viande, à 14 Hryvnias, 1€, à la louche. Un food-to-go qui, avec l'allure vive et affairée des personnes qui rentrent chez elles, et le look très apprêtée de la gent féminine, me fait penser qu'entre New-York et ici, tout n'est question que d'un point de vue de l'histoire. Il n'empêche, la politique des petits pas me conduira demain jusqu'à Chevtchenko, logique. Et Maïdan, évidemment.
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05/11/2014
Un roman à l'envers (2).
Antoine appelle l'Ukraine "l'Afrique blanche", au regard d'une certaine nonchalance qui la caractériserait. Quatre années d'expatriation ici, le temps de tomber amoureux d'une Russe, pas au bon moment, pas au bon endroit. Il y a hiatus, historique et inextinguible, entre l'Ukraine et sa mère partie dont elle refuse la maternité, la jugeant inclusive et autoritaire. Des poètes ont payé cette émancipation de leur vie, de leur exil. Antoine n'en est pas là, ni dans la vie, ni dans la poésie. Mais il a vu la ville se transformer en champ de bataille, témoigne de l'odeur du sang, encore, dans certains quartiers. Il a été là où l'histoire s'est jouée, en a tiré une méfiance plus grande encore envers la façon occidentale de constamment la réécrire. On a parlé de ça, de foot et de tennis. J'ai gagné une soirée de vie et d'apprentissage: le pain est noir, ici, mais j'ai commencé par le blanc.
23:28 Publié dans Blog | Lien permanent
Un roman à l'envers (1).
Il suffit de tomber sur une horde de retraités français, bruyants et potaches, pour détester les voyages. Mais le seul survol du Bosphore, le souvenir heureux et incarné auquel il me renvoie, m'a redonné le sourire en arrivant à Istanbul, passager très spécial en transit, comme disait l'autre: non que j'aie changé de statut, d'un coup, comme ça, mais sur les dizaines de milliers de voyageurs, dans cet aéroport, combien sommes-nous à partir au bout du Vieux Monde, suivre les traces de personnages de papier? 2044km au compteur, affiche fièrement l'écran, dans l'avion, et quelques heures, encore, quelques autres milliers de km, avant que je débarque en Ukraine. Ce projet si irréel, ce parcours pratique à restituer par écrit, je vais l'éprouver, avec des inconnues qui, dit-on quand on n'y est pas, en font le charme. La première difficulté - se débrouiller pour rejoindre sa location de l'aéroport, dans un pays où la langue, écrite et orale, est totalement étrangère - est levée, d'ores et déjà: grâce à un ami d'enfance, un chauffeur m'attend là-bas. Pas de quoi me faire perdre la tête non plus, tout juste une concession. Et ce même rapport au monde, en décalage: pour le remercier de cette attention, je lui ai apporté des livres.
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04/11/2014
Faute de (petite) frappe.
Paix à son arme.
13:01 Publié dans Blog | Lien permanent