07/11/2014
Un roman à l'envers (4).
Enfin le froid. Pas le grand, mais la température qui saisit, un peu, les locaux qui ne sortent plus en tshirt. Toujours ce décalage stupéfiant, également, entre les appartements surchauffés (sans autre possibilité que d'ouvrir la fenêtre ou mettre la climatisation!) et les fameux tunnels piétons à 35 degrés, juste avant de ressortir. Enfin le froid et la belle sensation de se réchauffer en marchant, en cherchant des repères, des panneaux en cyrillique qu'on commence à déchiffrer. Un grand tour pour réellement commencer à découvrir Kiev, une longue marche, des collines, des escaliers, des monuments et des places arpentés. Comme convenu - au double sens du terme - la visite de la Maïdan est touchante, comme tous les endroits qui ont fait face à l'histoire. Parmi la galerie, j'avise un portrait, il avait 23 ans, des yeux moqueurs, un sourire à deux millions de Hryvnias. Mais il a trouvé la mort, au début de cette année, quand j'étais chez moi en train d'écrire l'histoire de deux hommes de son pays essayant d'échapper à la leur, et d'en sauver leurs familles. Je ne m'autorise pas à juger de ce que les combattants ont gagné, sur cette place, ni même si on peut encore gagner, dans ce monde, autre chose que de l'argent. E l'argent, des Ukrainiens en ont, beaucoup, ce qui signifie que beaucoup d'autres n'en ont pas, comme partout. Et pour mieux signifier ça, il y a les marques, les magasins de mode, les grandes chaînes mondiales. Qui côtoient les petits métiers qui existent encore, là-bas, les marchands avec des bouliers pour compter, des balais faméliques pour regrouper les feuilles, les vendeuses de café, de maïs grillé. Je visite Sainte-Sophie, prend de la hauteur, me régale du "Regard" en mosaïque de Oksana Mas. Je continue vers le Monastère St. Michel et son bleu qui balaye tout. Visiter seul, dans un pays dont je ne peux parler la langue, invite au silence: je pense à mes personnages qui n'ont pas visité la ville, eux, il y a cent-dix ans. Mais se sont arrêtés au Ministère des affaires agricoles, devant lequel je passe, pour rentrer, juste après un passage pour saluer Chevtchenko: il est temps de passer par un supermarché, acheter les fruits que je n'ai pas osé ne pas savoir formuler sur les étals, dehors. Me confondre, un instant, avec les locaux, rentrer dans mon HLM fardé. Un proverbe ukrainien dit qu'il vaut mieux voir une fois plutôt que de l'entendre raconter cent. En un mot comme en cent, j'y suis.
16:46 Publié dans Blog | Lien permanent
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