09/11/2014
Un roman à l'envers (6).
C'est en en devenant un qu'on gagne dans le souci de l'autre. Hier soir, j'ai été ravi de sortir du silence et d'échanger avec Jennya - une amie de mon ami, et la chaîne de l'amitié semble avoir un certain sens ici - sur les différents modes de vie, peu perceptibles dans l'endroit (branché) où nous étions. La jeunesse est la même partout, et s'il fallait définir, aujourd'hui, une Internationale, elle passerait par le Spritz ou le mojito du samedi soir. Mais ce fut un rappel que d'entendre Jennya raconter son dernier périple à Paris avec sa fille de (bientôt) dix ans, la direction qu'elle demande dans le métro et cette femme qui ne veut même pas lui répondre. Un rappel à l'hospitalité, au souci de l'autre donc, et ce ne sont pas des mots de scout béât: déjà, en interne, j'ai vécu l'arrivée dans une région différente, sans personne à qui se raccrocher. J'en ai gardé des amis chers (peu) et des souvenirs cuisants (beaucoup), plus l'habitude de toujours m'enquérir des nouveaux arrivés dans le monde professionnel. Paré de cette bienveillance, j'ai pu aborder, ce matin, tôt, la Laure des Catacombes, climax touristique de la ville, 28ha d'églises aux coupoles dorées,kinésithérapeute gigantesque promenade en deux parties, la Haute et la Basse, baignée, aujourd'hui encore, d'un soleil magnifique. Dans la Lavra basse, il y a les fameuses catacombes, un réseau de tunnels souterrains dans lesquels sont exposés les momies des moines, dont Saint Antoine, le fondateur du monastère: un circuit au cours duquel, éclairés à la bougie, les croyants s'inclinent et baisent les cercueils des religieux, avec plus de recueillement que de pittoresque. L'occasion pour moi, en impie, de me souvenir de mes morts à moi, avec un peu de retard sur le calendrier. Des morts, l'Ukraine en connut entre 8 et 10 millions sur la période de la seconde guerre mondiale, qui débute pour eux en 1941: c'est énorme, à l'échelle de l'importance stratégique du pays, alors sous bannière de l'URSS. Le musée de la Grande Guerre patriotique, aux dimensions toutes soviétiques, est un extraordinaire vivier de documents, d'images et d'objets liés à la période. On frémit devant les outils de torture nazis, on sourit devant la propagande communiste, on mesure l'héroïsme ou l'absurde dans lequel des millions de personnes ont dû plonger. Les espèces de pirogues avec lesquelles elles ont gagné la bataille du Dniepr sont fascinantes. Et la dernière salle, un interminable défilé d'images de personnes, donne le vertige et rappelle que rien n'est jamais acquis. C'est une longue excursion, je prends le bus pour rentrer, assiste à une sérieuse altercation entre voyageurs et contrôleurs (toujours en civil, qui montrent une carte discrètement), comme si le refus de l'autorité était un complément de l'identité d'un pays qui en a trop souffert. J'ai mes repères dans Kiev, maintenant, signe qu'il va falloir la quitter, bientôt. Demain, je m'autorise une journée de balade sans but, sans musée, sans horaires, juste avec un changement d'appartement. Jennya m'a traduit mon billet de train: je connais le numéro du convoi, celui de mon wagon et celui de la place. J'aurai un petit peu moins d'angoisse dans le hall de la gare, mardi.
15:20 Publié dans Blog | Lien permanent
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