28/01/2018
La fin (du début) du Voyage.
On ne saura jamais si le nouvel album du Voyage de Noz, “Le début, la fin, le début» s’achève par la reprise acoustique, en blind track, des « Fleurs » - qui composent la couronne mortuaire de cet album ou, qui sait, du groupe déjà dinosaure (trente ans de carrière à Lyon) – ou s’il ouvre sur les bruits de Waterloo (Station), qui l’inaugure, mais on sait, à l’écoute attentive, nourrie par huit (!) années d’attente depuis le dernier opus, qu’il est apocalyptique à souhait, crépusculaire. Du groupe, encore une fois (seul le fan attentif aura remarqué le point d’interrogation suivant le « A bientôt » du livret), eux seuls le savent et ce ne serait pas leur premier trou d’air. D’autant qu’à leur âge, une fois passé le « à quoi bon continuer », on est davantage dans le « Pourquoi arrêter maintenant », et c’est une bonne nouvelle. D’abord parce que ce groupe qu’il est parfois, dans leur ville, bon ton de moquer*, a offert avec « Bonne-Espérance », en 2010, le plus beau roman musical que j’aie jamais entendu : un conte fantastique, une histoire d’amour fraternel entre Süskind, Dickens et Poe, que Stéphane Pétrier, un auteur-compositeur-interprète que je tiens pour un très (très) grand, a sorti d’un imaginaire décousu et féérique pour en structurer un récit époustouflant. Il fallait bien lui donner un petit frère, à cet album, et il a fallu attendre que tous soient satisfaits, ce qu’ils ne seront jamais. Personne ne saura non plus, dès lors, ce qui a fait qu’ils aient décidé, là, de livrer l’album rouge au sigle elliptique - le sigle End Of The Story reconstitué -, mais comme on trouvait Edgar Allan dans une taverne dans « Bonne Espérance », on retrouve Shakespeare dès les premières lignes du « Début… » Histoire d’annoncer la tempête à venir, ou l’un des monologues de Hamlet devant le désastre annoncé d’un monde sur la fin (« What is a man ? », remember…). Parce que sous couvert d’une musique de jeunes jouée par des vieux, à la session rythmique mise en avant par le mixage à l’anglaise – d’où le chiasme « un garçon français dans un train anglais et inversement » ? - de Sir Xavier Desprat, sous les mélodies parfois primesautières des guitares du seul guitariste qui reste des deux qui composaient l’identité, un peu anachronique, du groupe, sous les envolées des cordes, par moments, ou des wouhhhhh, woouh wouuhhh choraux ou du doublage quasi-permanent de la voix par une autre, féminine, c’est un tableau de fin que le groupe propose, via des insistances dans les titres (« End of the story », « Juste avant la fin du monde » ou « Memento Mori ») et dans le propos : on assiste, dans un chaos permanent, à l’échec d’un monde, au suicide de l’Occident (via des problèmes de petits Blancs riches et désoeuvrés, pubards ou traders sur leur IMac 48 pouces, dans « Bagdad Disco Club »), à la perdition d’une humanité et d’une ville qu’ils connaissent bien, livrée aux voitures, aux conflits pour de l’essence ou au religieux, ce « à quoi on s’accroche quand on n’y croit plus ». L’avertissement est baudelairien, dans « Memento Mori » : « tu te rapproches » de la fin, c’est l’horloge (« Les minutes, mortel folâtre, sont des gangues Qu'il ne faut pas lâcher sans en extraire l'or ! »). Souvent, dans « Le début, la fin », l’énonciation est double : la voix s’adresse à quelqu’un d’autre, via le tutoiement, sans qu’on puisse s’empêcher de se demander si ce n’est pas à elle, à la vie qu’elle a menée, celle qu’elle a ratée (toujours concomitante de celle qu’on a réussie), celle que « Gilles », l’ami à qui l’on ne sauvera pas la vie, va perdre, celle du conditionnel passé (« On aurait pu… ») aussi, le temps des regrets (« Où sont rangés tous mes rêves ? »), des avertissements qu’on n’a pas entendus. Ceux des enfants**, du climat, d’un monde qui a viré à la dystopie (« Les tests disent que nous sommes inaptes à ce monde-là »), à la folie des hommes. Mais puisque l’auteur, « tout le temps (…) doute », il y a aussi dans “Le début, la fin » - pourvu qu’on le prenne à l’envers – une espèce de recomposition, « comme une éclaircie, un ciel de traîne », puisque « demain, ce n’est pas si loin », après tout. Puisque le constat désabusé n’empêche pas des bribes de (bonne) espérance, un monde originel, un état renaturé : « encore un mois et après, promis, je vous rejoins ». Ou l'obnubilant leitmotiv, dans "Nous n'avons rien vu venir": "Même s'il n'y a plus aucune chance, je sais qu'on essayera encore"... Il faut, pour y croire, déjouer les pièges de l’antiphrase (« Tout est Ok »), des photos mainstream et souriantes - selfies sur fond d'Apocalypse - du livret et survivre à l’enterrement de première classe en guise de finale (« Les fleurs ») : « les années les plus belles » ne font peut-être que commencer.
* pour des raisons maintes fois énoncées ici.
** Toute cette ribambelle de prénoms classiques et rohmériens: Louise, Solène, Jules, Paul, Alice, Théo, Jeanne & les autres.
21:26 Publié dans Blog | Lien permanent
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