11/02/2018
François, Lulu, Régis, Henri & les autres.
Un beau soir d’été, récent, que j’étais avec son fils, mon ami, sur l’esplanade du Montana, en haut de la Montée de la grand-Côte, dans notre Croix-Rousse natale, nous avons débattu de nos grands-pères, dont on raconte encore qu’ils remontaient les Esses, un peu noircis, après avoir refait le monde. Cette idée de la permanence, il n’y a que dans les quartiers qu’on la retrouve, ou qu’on la trouvait, puisque ces quartiers, nous les avons quittés aussi, en y laissant des souvenirs, des images, des sensations. François, lui, habitait toujours dans cette belle maison de ville avec jardin, rue Bourne, dans un arrondissement où les maisons, désormais, s’achètent à prix d’or ou sont détruites, pour que des promoteurs s’y retrouvent. Il habitait à proximité du lycée où il a fini sa carrière, prof de maths incompris (forcément) mais aimé de tous ceux qui l’ont eu en classe. François, dans son allure et dans son expression, c’était l’homme cartésien, jamais soumis aux esprits animaux, toujours égal dans ses humeurs, devant les soubresauts de la vie. Rien de manifeste chez cet homme qui a gardé et lustré sa vieille Peugeot tellement longtemps qu’on n’a aucun souvenir des véhicules qu’il a pu avoir après. Ses lunettes carrés et ses costumes un peu anachroniques ne disaient rien de son extrême bonté et patience, pas plus qu’on ne saura par quels sentiments il a pu passer tout au long d’une vie qui l’aura vu passer, lui aussi, des Pentes à l’autre côté du Plateau. Un homme jugé à tort un peu effacé, face aux excentricités de son épouse, mais un homme souriant, qui semblait vous retrouver tel qu’il vous avait laissé. Un homme dont on n’a pas envie qu’il parte, que la vie se passe sans lui. De l’âge de mon père, qui me rappelle tant que l’enfance est loin, que le Col Saint-André n’est plus qu’un souvenir et que les gamins de la Croix-Rousse, maintenant, sont éparpillés aux quatre coins d’un monde rond. Je l’aurais imaginé centenaire, cet homme sans excès : sans doute s’est-il autorisé, une fois n’est pas coutume, de ne pas s’attarder dans une vie qui voyait ses amis partir l’un après l’autre. Il sera temps, un jour, de reconnaître que ni François ni mon père, ni le fils de François, ni moi-même n’avons été de bons basketteurs, mais la question n’est pas très grave, convenons-en. Moins, en tout cas, que la nécessité de resserrer les rangs de la mémoire et de l’amitié, dans ces lieux où les amis de mon père étaient les pères de mes amis.
" Sur mon banc, la serviette autour du cou, je repensais à tout ça, aux heures passées, enfant, à attendre que mon père m'emmène à la salle. Aux matches joués cent fois à l'avance, l'envie de briller, d'être reconnu. A l'adolescence, on ne sait pas encore que la déception va être l'essence de la carrière, que les gestes mille fois rêvés, réalisés à l'avance ne passent pas le cap de la réalité. Au même titre qu'on ne devient jamais l'homme qu'on s'imaginait devenir, on peut rarement se satisfaire du basketteur qu'on a été."
Le Poignet d'Alain Larrouquis, Ed. Raison & Passions, 2012.
16:27 Publié dans Blog | Lien permanent
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