17/11/2013
Conte d'hiver à Culoz.
J'aurais dû me méfier d'entrée: croiser, à la gare, Jean-Luc Lahaye chaussé de ses Ray-Ban (en pleine grisaille) était un signe annonciateur. Y a-t-il eu relation de cause à effet, une heure plus tard, un désespéré mettait fin à ses jours et à ma chance d'attraper ma correspondance à Bellegarde. Avec une petite centaine de camarades de galère, nous attendimes patiemment, à la gare de Culoz, que des cars viennent nous chercher. Dans ces cas-là, on discute, on se rassure, on se réchauffe mentalement. J'ai le temps de penser que je suis venu une fois, à Culoz, fêter les trente ans de Mister B, il y à plus de quinze ans... Que rien ne nécessite plus, dans ma vie, que je retourne à Culoz. Ma petite copine d'infortune me raconte ses études d'économie, son avenir dans la banque. Quand elle apprend ce que je viens faire à Thonon, elle s'excuse de ne pas lire mais que ça doit être bien d'être auteur et d'aller rencontrer des lecteurs. Je confirme, même si l'heure tourne et qu'il fait froid. J'appelle Lettres Frontière, je dis à Émilie Pellissier que je serai en retard, que je n'assisterai pas à la cérémonie à la mairie, que j'irai directement au repas. Elle me dit que Virginie Ollagnier est dans la même galère que moi, à la gare de Culoz. Mes oreilles sont engourdies par le froid, j'entends mal, Émilie me dit que Virginie est rousse, mais mon cerveau dérape: après avoir abordé les quatre rousses de la gare de Culoz en leur demandant si elles étaient Véronique Ovaldé, j'ai peur de passer pour un satyre et renonce. Le car nous promène dans les montagnes, arrive à Bellegarde et là, c'est le deuxième TER qui prend 20mn de retard. Peu importe: peut-être est la réminiscence des voyages passés à relire le manuscrit de "la partie de cache-cache" en allant parler de "Tébessa", mais je tombe un chapitre de "Aurélia Kreit", soupire devant le travail de recherches et de vérification qui m'attend, mais je redeviens écrivain. J'aurai mis cinq heures pile pour relier Lyon et Thonon, je suis un peu épuisé mais déjà, dans la salle des Ursulines, défilent les visages connus, prennent corps les rendez-vous pris: Marielle, Delphine, Thomas. Je suis présenté à Virginie Ollagnier, nous partageons le même secret: il y a eu les amants de Vérone, il y aura les écrivains de Culoz. L'ambiance est un peu feutrée dans la salle des fêtes, à l'inverse des éclairages crus. Nous faisons une table d'auteurs, on négocie des bouteilles pour ne pas se lever trop souvent chercher des verres, on participe à la mythologie des auteurs. Delphine Bertholon me fait penser à cette phrase mythique du "Jules&Jim" de Henri-Pierre Roché : "elle tenait le coup dans les cafés, mieux que les poètes". La bonne nouvelle, c'est que personne ne se prend au sérieux, et qu'on rigole beaucoup. Qu'on plaint un peu les comédiens qui lisent des extraits des coups de cœur des vingt sélections: les conditions ne sont pas très bonnes, l'écoute non plus. Il fait chaud, comme prévu, nous sortons régulièrement pour des pauses-cigarettes que j'accompagne. On parle de la condition des salonnards, des différents lieux où nous sommes passés, pour Lettres-Frontière. On regrette un peu que cet anniversaire manque un peu de joie et de lâcher-prise. Appelés à monter sur scène pour nous montrer, on s'exécute, mais le côté comice agricole m'agace. Je prends le micro, demande à mes confrères si quelqu'un veut dire un mot, personne, je sais que je vais regretter mon côté cabotin très à l'aise à l'oral, mais je parle, je dis le plaisir de la saison, des rencontres dans des contrées plus qu'éloignées, la chance pour des auteurs peu connus d'être mis sur le même plan que des auteurs de renom. Même si la chose est blessante de ne pas trouver ses livres sur l'étal d'un libraire qui prend mal qu'on le lui fasse remarquer. On peut regretter que sa collègue qui suivait les rencontres LF au moment où je les ai faites n'ait pas assuré l'achalandage: dans l'esprit, et dans la lettre, la diversité était mieux assurée. On parle d'elle avec Philippe Fusaro, de ses lasagnes, de "Jules & Jim", encore. Le repas se termine sans le champagne attendu, la journée complète des bénévoles de Lettres-Frontière les a sans doute achevés, les tables se vident et se rangent. Thomas Sandoz s'en va, on s'embrasse avec amitié: j'ai pu lancer à la table que "la Fanée" est sans doute un des meilleurs romans que j'ai lus dans ma vie. L'hôtel est à côté, on s'assure, Delphine et moi, un after avec la bande de Gilly, on alterne les blagues de potaches et les réflexions sur l'écriture. Je distribue des "Camille", puisque je n'ai pas de cartes de visite. Delphine rend Grâce (il fallait la faire!), il est près de 2h, on rejoint nos chambres respectives, avec vue sur le lac. 9h plus tard, je termine cette note, dans le TER, sans suicidé, cette fois-ci. Trois rangs devant, Fusaro répond à une interview, parle de ses voyages à Tanger, en Turquie, de son livre à paraître. Et de "Jules & Jim".
11:35 Publié dans Blog | Lien permanent
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