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20/11/2009

Décalogue, Episode III.

 

Delphine Bertholon, 33 ans, remonte l’écheveau de l’enlèvement de Madison Etchart, de sa mère dans l’antre de la folie et de l’inconnue de S.

La complainte de la psycho-killer

db.jpgDelphine Bertholon est une jeune femme avenante, dont Christian Chavassieux a pourtant dit qu’elle lui avait parue intimidante. L’auteur de « Twist », le coup de cœur de Lettres-Frontière en Rhône-Alpes (après qu’il aura été, successivement, vanté par Michel Field, prix Ciné du roman Carte noire et récompensé par un succès public important), dont l’écriture « oblige à réfléchir sur soi », fait l’expérience de sa propre liberté en donnant à Madison, 11 ans, la petit fille enlevée, les cahiers dont elle a besoin pour supporter sa captivité et réinventer une liberté qu’elle éprouve davantage que ceux qui n’en sont pas privés. Le sujet est posé, la polémique n’est pas loin quand on relie la fiction à une actualité régie par l’émotion. Dutroux, Kampusch & autres, « un sujet qui fout les jetons », pas besoin, entend-on en amont, que le roman en ajoute, voire en profite. Sauf que Madison, dans le journal qu’elle tient dans ce livre multi-livres, fait le portrait d’un ravisseur qui s’attache progressivement à l’homme qui la prive de liberté. Elle reconnaît qu’il a tellement manqué d’amour qu’il a fini par la choisir elle comme élément de substitution. Syndrôme de Stockolm basique, alors ? Non. Madison fait plutôt le lien entre ce que R. éprouve et de ce qu’elle a éprouvé pour S. avant d’être privée de sa vie d’avant, comme si elle ne pouvait qu’accepter qu’un autre l’aimât comme elle aurait aimé. Alors, dans son quotidien, elle continue d’affirmer un caractère un peu frondeur, raille, moque, revendique mais, parfois, s’inquiète aussi. Pour lui. Elle essaie de reconstituer des repères temporels, comme tout prisonnier, des visions de jardins, de crayons Hello Kitty et de Converse arc-en-ciel aux initiales de Stanislas, son professeur de tennis. C’est Madison qui mène le bal, qui a l’emprise sur celui qui la séquestre. Parfois, R.  râle en retour, « comme quoi il en avait plein le dos de m’entendre me plaindre », elle trouve ça juste « poilant ». Ce que Bertholon a trouvé de juste dans le récit, c’est qu’elle raccroche en permanence la jeune fille à la vie d’une jeune fille normale, qui sera juste déterminée par l’expérience qu’elle est en train de vivre. En parallèle, les lettres que sa mère lui écrit sont des complaintes, des désolations, pourtant nourries d’espoir puisque l’instinct maternel lui dit qu’elle est vivante. On subit, dans les changements d’écriture, ces perceptions différentes au point qu’il nous paraît que la même histoire est vue de différentes façons : apologie de l’ordre médiatique, refus par celui qui ne l’a pas vécu que l’horreur soit parfois d’une normalité confondante…

« Je sais aussi que je suis en train de vivre une expérience hors du commun qui fait que je ne serai plus jamais une fille comme les autres. »

Dans « la complainte du psycho-killer », superbe chanson d’un superbe album* resté quasiment inconnu, Bertrand Betsch faisait dire au pervers qui torturait ses victimes : « si tu savais combien ça me coûte ».  L’homme « à la Volvo noire », à qui ce roman choral ne donne pas de voix, ne fait aucun mal à Madison ; c’est sans doute elle qui lui en fait le plus dans l’impossibilité qu’elle aura à l’aimer en retour. C’est le dernier récit enchâssé, celui de Stanislas, qui ravive le fantasme sadien de vierges sodomisées, mais ce n’est que pour un mémoire de maîtrise, qu’il délaisse, d’ailleurs, pour d’autres expériences tout aussi sensuelles. De quoi désespérer Madi, déjà heurtée par l’existence de A. sans qu’elle ait à s’inquiéter de celle de L. pour S. Quand R. lui demande « de quoi tu te plains ? », quand elle décide de « faire comme s’il était une table de chevet », Madison esquisse le portrait des vies misérables passées à attendre qu’il arrive quelque chose. Elle, elle a déjà, à onze ans, à douze ans, à « treize ans et deux mois », à quatorze ans etc. la sensation que ce quelque chose d’extraordinaire lui est déjà arrivé et qu’elle en tirera profit : « je sais aussi que je suis en train de vivre une expérience hors du commun qui fait que je ne serai plus jamais une fille comme les autres. » C’est la puissance de vie de Madison, doublée des histoires d’amour entremêlées, qui donne à Twist – « deux cents fois elle » - la force romanesque du dépassement, de la résistance. Delphine Bertholon dit qu’elle a écrit un roman sur l’apparition, plus que sur la disparition. On sait depuis Pérec que l’élément disparu devient le plus présent ; c’est sans doute pour cela que Madison se dédouble, au dénouement, en jeune fille immobile qui se voit agir pour sa survie sans qu’elle ait l’impression d’esquisser le moindre geste. Elle s’échappe, Madison, se réapproprie son existence juste parce qu’il était temps de le faire. « La jeune fille immobile », c’est un des nombreux poèmes qui ponctuent les carnets de Madison et, de facto, le roman de Delphine Bertholon : une écriture « de fille » - m’a dit un libraire, sans que ce soit péjoratif mais sans que j’ose lui demander ce que ça signifiait : peut-être les images des poèmes, cette façon - fait dire Desplechin à un de ses personnages de « Rois et Reine » - de passer d’une bulle de vie à une autre quand les hommes, dont Stanislas, qui renonce à l’écriture quand le livre se referme, sont programmés pour mourir. C’est en cela que Delphine Berholon a plu à ceux qui l’ont lue : parce qu’à 33 ans, elle a encore quelque chose de l’innocence d’une Madison puisqu’il est dit que Madison aura plus appris que n’importe qui d’autre. Elle sait maintenant dispenser des « baisers de marbre », mais continue, tout de même, « d’adorer trop » … Elle reste en équilibre, alors. Tout en évitant de marcher sur les lignes de service sur un court de tennis : ça porte malheur. LC


« Twist», JC Lattès, 2008

ISBN 9 782709-629942

Prochain numéro : « Les déferlantes», de Claudie Gallay.

 

* « La soupe à la grimace », EMI, 1997

13:04 Publié dans Blog | Lien permanent

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