06/05/2014
Because The Night.
J'aurai donc tout fait ici que je ne fais pas chez moi. Finir la soirée sur Times Square, au Hard Rock Café, à m'émerveiller, toujours, de la basse Hoffner de Mister Paul, à surveiller, du coin de l'œil, l'écran géant qui diffuse un match de Playoffs opposant les Clippers, qui ne gagnaient pas un match à l'époque où je jouais au basket, aux Thunders de je ne sais même pas quelle ville. Il m'a juste manqué une adresse, de l'audace et de la compagnie pour jouer la scène du comptoir américain, du poète que je n'assume pas d'être, mais je m'en fous un peu, à cette heure. Mes Margaritas sont meilleures que les leurs, et mes Buddies du bar sont moins avenants que ceux du métro, mais je m'offre, pour 20 dollars et un shot de Tequila supplémentaire - pour dire qu'on n'est pas que des peintres, en France - une scène hors du temps. Et puisqu'ici, c'est l'Amérique, on m'offre, en sus, Johnny Cash qui chante "One", ultime cadeau d'anniversaire. Je suis seul au bar, la boucle est bouclée, once again, pour ceux qui connaissent: Sisters, Brothers... Je vais sagement redescendre vers ma 31th rue, n'avouer à personne que je me suis trompé de sens et que c'est vers l'Union Square, plus combatif, que je voulais me diriger. Mais après tout, puisque j'y suis, pour quelques heures, encore, et que tout un tas d'énergies toxiques ne m'incitent pas à la hâte de rentrer, je vais trainer encore, une ou deux heures dans la nuit sans étoiles, à écouter sur Broadway des chansons que j'aime et qui n'y passeront jamais. That's entertainment.
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05/05/2014
The Hands that build America.
Ellis Island, c'est la porte du paradis pour eux qui ont fui la misère et l'exploitation de leurs pays d'origine, pour un pays neuf dont l'idée était que quoi on ait fait à l'origine, seul comptait ce qu'on allait y faire. Il fallait un minimum de cinq dollars pour y entrer, à une époque où en gagner vingt-cinq pouvait prendre deux ou trois ans. Le Musée de l'immigration, sur l'île, c'est l'ambiguïté de l'Amérique qui permet autant qu'elle empêche, qui s'est fondée sur l'accueil après qu'elle a oppressé des peuples entiers pour se construire. Intéressant de voir le public des visiteurs, également: nonobstant les indécrottables Francais beaufs et resquilleurs de queue, beaucoup d'asiatiques, de Noirs-Américains venus, puisque c'est possible, consulter les registres pour vérifier si un de leurs ancêtres n'a pas fait le voyage, n'a pas patienté des heures pour un entretien où l'important, une fois encore, n'est pas ce qu'on a fait avant, mais de ne pas mentir sur ce qu'on a fait, une visite médicale qui traque la maladie des immigrés en scrutant le fond de leur yeux, avec l'angoisse permanente à chaque mouvement des policiers pour ceux qui, dans leur pays d'origine, les varient capables de leur couper la tête. "Comment se fait-il qu'ils sachent mon nom, je ne suis jamais venue?", s'écrie une vieille russe à sa fille. Combien d'entre eux sont morts pour l'Amérique, le film ne le dit pas. Mais au vu des quartiers traversés pour rentrer, Chinatown d'abord, avec un massage des pieds qui a fait un bien fou, Little Italy ensuite, on sait par contre que ceux qui s'étaient promis de ne jamais rentrer ont fait leur chemin, depuis. Ah, oui, j'oubliais, avant Ellis Island, on visite la Statue de la Liberté, émouvante quand on s'en approche, pour le symbole, éprouvante quand on subit ses visiteurs. Plume d'or à un Français, une fois de plus, qui s'arrête de photographier depuis le bateau et avoue à sa compagne " faudrait peut-être que je la regarde!". Aux dernières nouvelles, ils l'ont quand même laissé rentrer, lui: les services d'immigration ne sont plus ce qu'ils étaient.
23:21 Publié dans Blog | Lien permanent
Peter, par cœur.
J'écris ces lignes en rescapé: je voulais me jeter du 86ème étage de l'Empire State Building, pas par dépression, mais par excitation, puisque l'Amérique m'a bouleversé au point que j'ai moi-même, rohmérien invétéré, insisté pour vivre l'expérience ethnologique du cinéma d'action au pays de ceux qui le font. Et Spiderman en 3D, avec Pop Corn au jus de beurre (!) et Coca en hectolitre, on a beau dire, c'est une véritable aventure que j'ai vécue, avec le souci - ethnologique, je vous dis! - de ne rien juger en hiérarchisant, ce qui m'a permis de sourire de choses que je supporterais pas une seule seconde chez moi: des mères de famille avec des bébés de quelques mois dans une salle dont le son est explosif, des enfants en bas âge pour un film plutôt sombre, nonobstant une touche très New-Yorkaise d'ironie et d'humour décalé (quelques répliques superbes sur le crime à Londres), des allers-et-venues incessants vers la source (de nourriture) et les toilettes, de fait. C'est drôle de voir dans le film qu'on regarde les rues et les places par lesquelles on est passé pour venir le voir. Une expérience In situ que je raconterai à mes petits-enfants si j'en ai. À défaut, je la raconterai à Antonin Frémiot puisqu'il a longtemps cru que j'étais le frère de l'homme araignée et que ça le fascinait: oui, je choisis moi-même les enseignes que je raconte aux enfants, ça m'évite de passer par Disney. Spiderman, belle allégorie de l'Amérique qui échoue désormais dans l'Art de sauver tout le monde, qui raconte les catastrophes pour mieux les exorciser, et véritable héros, ici, puisque tout est toujours tourné dans Big Apple, si tant est qu'on finit par y croire. Après tout, il est des religions plus austères. Comme Paul? Non, Brooklyn, c'est pour mardi.
05:59 Publié dans Blog | Lien permanent
04/05/2014
Met It Be.
C'est le miracle américain. On s'impose une ou deux galeries d'Art Grec et Égyptien, le temps de constater son manque inouï de culture ou de mémoire, et on tombe, à l'étage, sur une vieille connaissance, une salle des marbres de Rodin, sous bonne protection et sous couvert de l'oubli de son histoire, des dégâts qu'il a commis, des influences, surtout, qu'il n'a pas référencées. Bref. La Manneporte, de Monet, curieux rappel d'émotions anciennes et ravivées l'été dernier. Au Met, l'avantage, c'est que les salles sont plus grandes qu'au MoMA, ce qui rend la visite moins douloureuse. J'ai l'habitude de slalomer entre les œuvres, dans les musées, ne me concentrer que sur celles que personne ne regarde. J'ai les informations en direct, par connexion, je suis décidément un anachronique de son époque. Le Met est un foutoir organisé, un condensé de culture et de curiosité. Je souris parce que j'ai vu les vrais nénuphars dans le Parc de Giverny, snobisme oblige: je me demande ce que mes amis asiatiques ont fait des 21678190 photos qu'ils en ont pris, mais le sujet n'est pas là. Le portrait de Murer, par Renoir, m'impressionne : tant de vie dans ce regard! J'aime les petits formats dans les grandes salles et tout le XIXème semble contenu dans ce portrait, jonction entre le temps, la nature, l'amour et la mort. Qu'en pense le vieil Huo, rodinisé? J'irai lui demander tout à l'heure, dans la salle d'à côté. Pour l'instant, seul dans une petite galerie adjacente, je suis saisi par la Danse Espagnole de Degas, petite sculpture, formidable mouvement des âmes, là aussi. Delacroix, Courbet, la monumentale Fête des Chevaux de Rosa Bonheur, je grappille, la Graziella de Lamartine par J.J Lefebvre m'incite à penser que la mélancolie européenne doit être un vrai mystère pour les Américains. Je repasse, curiosité morbide, par Orphée et Eurydice, mais Rodin ne me parle plus, bizarre. Tant pis, je passe saluer les Goya et Velasquez, parce que c'est un peu ça, quand on vient de loin, on est tous un peu cousins, on en a déjà fait, des fêtes de famille, au Prado et ailleurs. Une petite salle sur le Paris du début du XVIII° m'offre le repos et le silence, c'est priceless. Dans ces musées géants, il faut aller à contre-courant, repérer les groupes, les précéder d'une ou deux salles ou attendre qu'ils soient passés. Un gardien me demande gentiment si j'ai besoin d'aide, je souris, réponds que non, je suis bien, je regarde, il n'insiste pas mais j'ai contribué au mystère sus-cité. On parle français tout autour de moi, dans tout New-York, d'ailleurs, et c'est déplaisant. Je m'enfuis, une fois de plus, vais voir un Botticelli, pour penser à mon fils, que j'aurais aimé avoir avec moi mais qui rentre tout juste de Firenze. Oh, il n'y sera sans doute pas retourné, aux Offices, lui qui à six-sept ans, je ne sais plus, avait reconnu "la naissance de Vénus", étudié à l'école. Mon dernier Italien sera un Francesco Guardi, le grand Canal au-dessus du Rialto, en 1760: une petite merveille d'équilibre et de sens du détail. Je repasse dans le monde contemporain, dans les salles du fond, au premier étage, celle des Picasso et Miró (beau Cheval de manège), du regard de Gala Eluard par Ernst, est remplie d'espagnols, preuve qu'on va souvent chercher ce qu'on connait déjà, en Art comme ailleurs. Moins de monde dans l'aile contemporaine, c'est agréable aussi, en fin de visite, quand les jambes se font lourdes. Madrid, Barcelone, c'est tellement proche, à l'échelle d'ici, que tous mes voyages se refondent en un seul, avec son cortège de souvenirs et de regrets. C'est quand on en a trop fait qu'il faut quitter un musée. Quatre heures après, c'est une belle visite que je me suis accordée, même si je maintiens qu'il faudrait pouvoir rentrer gratuitement dans les musées pour ne s'intéresser qu'à une œuvre, ou plusieurs, mais l'une après l'autre. Je sors, sur une dernière émotion, le portrait d'Annette, sa femme, dans la salle des Giacometti: une posture claudelienne, vers la fin. La boucle est donc bouclée, le Met est made, je peux redevenir un piéton, comme tout le monde.
19:58 Publié dans Blog | Lien permanent
Cortex & The City.
Dans la ville qui ne dort jamais, le soir, il vaut mieux ne pas avoir trop marché la journée, ou être assez fortuné pour aller dîner dans des endroits chics. Le cas échéant, on peut trainer encore un peu dans les rues, s'imprégner de ces moments dont on ne sait jamais s'ils reviendront, s'abrutir du bruit perpétuel qui fera passer celui de Lyon pour une agitation fugace à Trifouillis-les-oies. Chercher un peu de sens à tout ça, en revenir à la carte: ceux qui l'ont, ceux qui ne l'ont pas, ceux qui y prétendent et ceux qui se demandent si tout cela en vaut la peine. Se dire que cette ville fait de moi un peu des quatre, pas plus avancé pour autant. Mais plus riche de quelques livres, des vrais, des lourds, glanés dans une librairie alternative, au rayon Dylan grand comme le Pentagone. Mini journée off, aujourd'hui, un croisement entre deux rues du East-Village pour que ma nièce s'en souvienne toute sa vie, quelques Margaritas partagées avec ma sœur pour que je m'en souvienne le reste de la mienne, une volte-face avant Little Italy, pour cause de pluie subite, après le soleil radieux, et de livres trop lourds à porter. Je commence à saisir l'essence de cette ville, qu'on doit aimer quitter, aussi: c'est pour ne pas se l'avouer qu'on s'en émerveille jusqu'à plus soif. Ah, à New-York, sur les places, il y a des chaises, pour qu'on s'arrête quand tout tourne autour. On peut y écrire, aussi: personne, jamais, ne viendra vous demander des comptes
04:47 Publié dans Blog | Lien permanent
03/05/2014
Worth A Difference.
Rester huit jours dans une ville, fût-elle immense, permet d'éviter les pièges des guides touristiques genre "N.Y en 3jours". Rien de condescendant, juste le prix d'une liberté toute relative quand on est partagé entre l'envie, viscérale, de voir autre chose que tout le monde et la fatalité de ne pas rater ce que tout le monde a vu. Ce matin, promenade dans le quartier chic et résidentiel de Chelsea, et sa voie verte, High Line, une ancienne voie de chemin de fer réhabilitée en promenade, avec un parcours botanique splendide, si ce n'est qu'on a vite l'impression d'être à Johannesburg au milieu des 80's. Quartier chic veut dire blanc, ici, en tout cas, en regardant autour de soi, la mixité New-yorkaise ne saute pas aux yeux. Le brunch est copieux, upper-classed, là aussi: demain, j'irai prendre des pancakes chez un Chinois, ça fera l'équilibre alimentaire et ethnologique. La nuit courte et la marche démesurée d'hier pèse sur les jambes, on réorganise les jours à venir, l'après-midi à suivre. L'objectif de l'après-midi, retrouver un magasin d'affiches de cinéma, rêver de la version américaine du Hamlet de Kenneth Branagh, de dos, dans mon prochain appartement. Et flâner, encore, entrer dans des épiceries et constater le grand effort entre les tonnes de junk-food vendues et l'obsession de la ligne à garder, sentir un peu la vibe et faire la queue, ce soir, à l'Empire State Building, pour voir le monde à ses pieds et accessoirement, tenter de reconnaître, d'en haut, sa chambre d'hôtel. "Je suis abasourdi par ces gens qui veulent parcourir l'univers alors qu'il est déjà compliqué de trouver son chemin dans Chinatown", disait Woody. Je ne sais pas, j'ai prévu de m'y perdre lundi.
20:50 Publié dans Blog | Lien permanent
I think you've seen me before.
J'ai toujours pensé que les plus beaux rendez-vous étaient ceux qui incluaient un temps de latence entre eux, mais Barbara l'a beaucoup mieux écrit que je le fais. J'étais d'ailleurs aux siens, le temps qu'elle m'a laissé le faire. Mais j'étais même au premier que m'a fixé Suzanne avant d'aller la voir elle. Je l'ai écrit, c'était au tout début de décembre 1987, le premier jour de mon permis de conduire. C'était à 150m de là d'où je déménage bientôt, à 6145,47 kilomètres de là où je suis donc allé la retrouver ce soir, ou hier, ou au milieu de la nuit pour ceux qui suivent de France. Le Bell House est une toute petite salle de concert, genre Ninkasi KO et les sièges accentuent la proximité. Je m'assieds au 2ème rang, juste devant son guitariste de génie, sur la droite de Suzanne. Je suis un étranger dans la salle, j'ai dû demander deux fois mon chemin dans le métro, mais je jubile. Après Lyon, deux fois, Vence, c'est à New-York que je retrouve celle que je préfèrerai toujours à toutes les autres folk-singers de l'histoire, quelles qu'elles soient. Je la vois chez elle, me nourrit, une demi-heure avant le concert, au moment où j'écris, des habitudes locales de son public, bière et hamburgers à tous les étages, mais le contact facile, et l'anglais tolérant. J'achète un vinyl que je n'écouterai pas, faute de matériel, mais qui sera ma plus belle marque de séjour, quand je serai rentré. Davantage encore que la tâche invisible que les Américains ont inventée pour qu'on puisse aller et venir sans souci. C'est l'heure qu'elle arrive, il n'y aura pas de chronique en direct cette fois-ci. Pas envie de rater une seconde de ce combo entre le roux (des cheveux) et le bleu (des yeux) qui me rappelle quelque chose, même ici. Permettez, je profite. D'abord de la première partie, chose rare. Hari Est, un homme grand, jeune et beau, que je devrais détester, mais qui installe la soirée New-yorkaise que des bases plus qu'élevées, qui me font comprendre, déjà, des choses que Gérard me dit depuis des années mais que je n'entendais pas: les Américains ne disent pas qu'ils font de la musique, ils la font. Et là, guitare, compo, chant et INTERPRETATION, le gamin s'amuse, mais joue juste, terriblement juste. Son premier album est produit par le guitariste de Suzanne Vega, celui qui l'accompagne, seul, avec un jeu de pédales monstrueux, des boucles à n'en plus finir, toujours avec finesse: une touche anglo-saxonne de l'autre côté de l'Atlantique, à laquelle n'échappe pas la Dame en noir, l'autre, qui arrive. Moi, je reviens, tout à l'heure. À une heure du matin, avec un vinyl signé et ma photo avec Suzanne. Qui m'aura juste fait l'ironie de ne pas jouer Horizon, nouvel hymne de la vie, dont la formule duo, visiblement, ne la satisfait pas. Le même duo qu'elle emmène partout, qui revient, dit-elle, d'une tournée en Asie, complètement décalée, notre deuxième point commun, avec les chansons que nous connaissons par cœur tous les deux, moi en yaourt et elle en New-Yorkaise heureuse d'être à la maison, détendue comme jamais, souriant de petits plantages impromptus de son funambule de guitariste, Gerry Leonard. Le set commence comme le concert à la salle Molière il y a quoi, cinq ans, par Marlene et Caramel, les morceaux du dernier album sont intégrés petit à petit,et la salle qui s'est remplie, bar compris, réagit à l'Americaine, avec un enthousiasme marqué. Suzanne raconte les anecdotes qui ont marqué sa vie, dont la première colonie qu'elle a animée avec un beau moniteur de Liverpool, peintre dadaïste à ses heures, à qui, trente cinq ans plus tard, elle dédie toujours deux chansons, et dont elle a gardé le bandana, même si elle ne le met pas. Elle raconte, rit de bon cœur, en prêt sa bandoulière sur Don t uncork, une chanson qu'elle dit avoir écrite sous l'effet de l'alcool , elle à qui il en faut peu. Elle danse, quand elle ne joue pas, Gerry , lunaire, réussit à foirer l'entrée de Luka, la chanson que tout le monde connait et qu'elle a renoncé à ne pas jouer. Elle offre "Blood makes noise" à Brooklyn, termine par les deux chansons que la salle a demandées, "Liverpool", donc, et Rosemary. Pas par la mienne, tant pis: je me suis fixé depuis longtemps la règle d'or de laisser les artistes faire comme ils veulent. C'était un excellent concert, doublé d'un stand-up so New-Yorker... Un rendez-vous réussi, amoureux. De ces amours qui durent parce qu'on se quitte. Je réussis quand même à lui dire que je viens de loin, à lui donner rendez-vous au Palais du Facteur Cheval. Dans trois mois. Plus le décalage horaire.
07:25 Publié dans Blog | Lien permanent
02/05/2014
Over troubled Water.
Grande traversée de Broadway, pour cette deuxième journée, avec la descente sur The Greenwitch Village, et Soho, histoire d'aller vérifier, de bon matin, que cette ville a l'âme qu'on lui donne. Une belle diagonale jusqu'au bout de l'Avenue des Amériques, à travers celle qui laisse celle des autres travailler le matin, dans toutes les langues possibles, les trappes ouvertes sur les caves des bars et restaurants, dans des conditions assez surréalistes pour le Nouveau Monde. On traverse les quartiers résidentiels, aux belles façades bigarrées, on voit plus de chiens qu'on en trouvera partout ailleurs, à New-York. De ceux qu'on promène, parfois collectivement, puisque ce métier existe, ici. Le petit déjeuner se prend en plein Soho, dans une petite tarterie très chic, Once Upon A Tart, au bon goût français puisqu'il s'avère que le patron en est un. Pas sa femme, très jolie, qui garnit la banque de cookies, de scones et autres tartes maison, loin de la junk-food habituelle. Ça ne l'empêchera pas de servir le thé dans un gobelet plastique, mais c'est ainsi: ici, plus que partout ailleurs où la mode a suivi, on marche dans la rue d'un pas allègre en tirant nerveusement sur la paille de son café glacé, de son thé ou de son soda. Le téléphone dans l'autre main, au cas où. C'est drôle parce que risible, triste pour la même raison. On descend, toujours, on arrive sur les lieux de l'événement de l'histoire récente des États-Unis, celle qui lui a fait comprendre qu'il y en avait une autre, et que le monde n'était pas perçu unilatéralement. Une forme d'obligation, un passage rituel, avec un cérémonial et des méthodes d'attente qui m'ont rappelé le tour du Vatican pour la Chapelle Sixtine, sans le résultat au bout: l'émotion ne se commande pas, je me souviens juste, comme tout le monde, de ce que je faisais ce jour-là, de la sortie du dernier Noir Désir, du "Grand incendie" prémonitoire, des premières personnes que j'ai appelées, pour leur dire. Sur place, j'ai le regard d'Anton, mon personnage d'Aurélia Kreit, qui souffre d'inhibition chronique et m'intéresse au mouvement hydraulique du bassin des victimes, pas ma faute. Le temps que les filles magazinent, c'est le Pont de Brooklyn qui s'offre, beau de loin, décevant dessus. Loin des images, encore, même si la Skyline et, plus loin, Lady Liberty rappellent qu'on y est. Il faudra que je me perde dans le métro et que mon cerveau ajoute un cent à la 31th rue recherchée pour que je me retrouve en plein Harlem, côté Amérique des Autres, justement. C'est terrifiant, mais ça vaut le détour. Qu'on se rappelle qu'on y est aussi. Dans deux heures, je repars, pour mon rendez-vous avec Suzanne, dans cette ville qui ne dort jamais (et moi non plus).
23:31 Publié dans Blog | Lien permanent