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21/11/2009

Tétralogie.

Claudie Gallay, 48 ans, chemine à la Hague et, en entomologiste, donne sens aux secrets et silences.

Un peu de Prévert, sur nos cœurs  endoloris

-GALLAY©.jpgClaudie Gallay n’a rien vu venir. Elle qui habite le Sud mais a, dit-elle, « besoin du Nord », cherchait un lieu où se ressourcer : elle venait d’arriver dans le Finistère nord, elle a poussé jusqu’à un endroit où elle était sûre de ne trouver aucun touriste, aucune agitation. Elle a débarqué à La Hague, qu’on ne connaît que par sa centrale nucléaire, qu’on imagine moins livrée aux éléments qui sont partie prenante de l’existence des gens de là-bas. Son roman, « les Déferlantes », le seul livre à ma connaissance dont le titre et l’effet de bouche-à-oreille sont conjugués, grand succès public de l’année 2009, commence avec Prévert et continue avec des gens comme lui. Des vrais gens, dirait Kent, à qui j’ai déjà piqué le titre de cet article. Prévert aimait se promener, à deux pas de sa maison, dans le petit vallon de Saint-Germain-des-Vaux, peut-être, dans quelques années, des curieux viendront y retrouver les lieux dans lesquels s’est installée la narratrice des Déferlantes, une femme sans nom et entre deux âges venue franchir les différentes étapes d’un deuil. Une femme qui observe et se nourrit de la Beauté de la nature, sans que ce soit en rien un cliché : employée au Centre ornithologique, elle contemple autant les oiseaux qu’elle remarque les « petites fleurs bleues qui poussaient sur le muret d’enceinte », les grands arbres et les lieux « de mousse et de fougère », voire  les ânes, ceux qui reviennent « toujours, avec les beaux jours » et qui «allaient rester là tout l’été et qui un jour repartiraient. Qu’ils feraient ça sans prévenir ». Pas facile, quand même, cette écriture d’entomologiste, dans cet « espace sans lumière », cette brume qui monte de la mer et ne laisse à personne la possibilité de composer avec d’autres volontés que la Sienne. Celle de cette Valkyrie qui décide du sort de ceux qui la travaillent. Qui les avale tous, et les relâche les uns après les autres. Par pudeur, là-bas, on dit de ceux qui ne sont pas rentrés qu’Elle les a gardés. On n’en dit rien de plus, d’ailleurs : les personnages de Claudie Gallay sont taiseux, les secrets du village, les histoires enfouies ne se restituent qu’à force de patience et de pointillisme. Exactement comme on approche des pluviers. En se mêlant d’abord à la terre meuble, en n’attendant rien d’autre que ce que la Nature veut bien donner. Le roman de Claudie Gallay est une apologie du silence et, en cela, elle le rejoint, Prévert, quand il assénait son « un mot de plus et tout est perdu ». Lambert, par exemple, pour ne pas avoir à demander à la narratrice de rester pose incidemment la question : « et ça arrive souvent que des oiseaux qui pensaient migrer changent d’avis ? », avant d’enfoncer ses mains au fond de ses poches et de ruminer sur la façon dont il n’a pas tué Théo.

« Les personnages sont taiseux, les secrets du village, les histoires enfouies ne se restituent qu’à force de patience et de pointillisme. Exactement comme on approche des pluviers. »

La Hague, nous dit le personnage, vomit les gens qu’elle ne souhaite pas voir rester ; les autres, elle les garde, parfois définitivement. Elle n’est que de passage, mais comme pour Lambert, on perçoit que ce qu’elle est venue chercher burine son âme autant que son visage, mais la renforce, la reconstruit. Les dialogues de Gallay sont ciselés, quand l’un demande, pour en finir avec le silence, si justement « le silence ne vous gêne pas ? », l’autre « fait non avec la tête », point. Dans ce roman, il est question de lande, de terre et de mer mêlées puisque quand on se plaque le ventre contre la terre, on entend la mer, apprend-on encore. C’est donc un roman de la sensation, que Claudie Gallay a perçu dans la continuité de ce qu’elle a déjà écrit, notamment dans la solitude de Venise. La brume est un élément essentiel de ses promenades, elle symbolise l’état des non-dits et des secrets qui finissent par nous composer. Ce qu’il y a entre Théo et Lambert, ce que la vieille Nan ne dit pas, ce qu’on a dit d’elle, ce qui s’est passé dans la nuit parce que « tout se fait de nuit ici, c’est comme ça », toute ce qui ne s’est jamais dissipé s’éclaire à la lecture desDéferlantes autant qu’à la lumière du phare, qu’on n’a jamais éteinte. « Les nuits dans le phare, personne ne peut comprendre », dit Théo. Il faut cette inconnue pour trouver dans le roman de Claudie Gallay les raisons d’un renouveau, pour dépasser les damnations – la scène de la vieille qui vient cracher sur la tombe de sa rivale – se réjouir, comme à la Griffue, d’une heure de soleil même si le soleil ne dure qu’une heure.

La narratrice garde ses secrets, elle est aussi sensitive que l’est son auteur face à la beauté d’un lieu ou d’un instant. Claudie dit qu’elle peut trouver une humanité époustouflante dans le regard d’une vache ou – encore – d’un âne, qu’elle peut désormais se passer des élèves qu’elle avait dans sa classe d’institutrice, mais qu’elle ne se passerait pas pour écrire du chat qui vient se blottir contre elle quand elle travaille. Pas étonnant alors que les Déferlantes aient déferlé, quand tout dans la vie actuelle des hommes les empêche d’aller vers le vrai, quand on se dit qu’à l’instar de Michel, on peut n’avoir existé pour personne. Sauf que Michel, on l’apprendra, avait deux ans quand il est mort et que la narratrice – qui pourrait être nous – a une vie derrière elle, qu’il lui faut valider pour que naisse celle devant soi. Pas étonnant que les lecteurs aient été touchés, pas étonnant que le regret, toujours, « de ne pas aimer suffisamment », se rappelle à chacun de nous sans que, face à l’océan, on n’ait plus la possibilité de se mentir. 250 000 personnes (plus de trois Stade de France !) se sont attachées au destin de cette femme, qui s’est régénérée, dans toutes les acceptions du terme, dans des lieux sur lesquels elle se promet de revenir, quand elle les quitte. Avec, dans ses bagages, la même vertu que celle des femmes de marins. LC

Photo : Laurent Giraudou

« Les déferlantes», Editions du Rouergue

ISBN 9-782841-569342

Prochain numéro : « Dans un ciel de février», de Julie Delaloye.

 

 

 

19:04 Publié dans Blog | Lien permanent

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