29/06/2024
Autres Figures.
les Figures Singulières, tome 2, sortiront en novembre aux Éditions l'An Demain. En avant-première, sur le site de l'éditeur, les portraits de Delphine Le Sausse & André Cervera.
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28/06/2024
Danse & dense.
C’est très étrange, un – premier – concert de Eddy de Pretto, dans le cadre de mon Farewell Live Tour qui me verra, si tout va bien, pour moi comme pour eux, faire mes derniers tours de piste avec Sanson, Mc Cartney en décembre, Springsteen fin mai, après que Murat, Higelin, Arno ont anticipé la rupture. Tous ces artistes qui ont marqué ma vie de leurs chansons, je n’en verrai plus que quelques-uns, encore, comme Eicher ou le Voyage de Noz, lequel devrait m’enterrer, si tout va (encore) bien. Alors hier, au théâtre de la Mer, voir des techniciens s’affairer, lors du changement de plateau, sur autre chose que des instruments, ça a un poil perturbé mes quarante années de concerts (depuis Tears for Fears à la Bulle Tony Garnier). Il fallait finaliser une espèce de plateau suspendu, une passerelle, derrière laquelle un écran géant montre des musiciens filmés, en bande-son, devant lesquels l’artiste, qui arrive dans son Marcel blanc classique, commence à chanter, en les présentant, comme s’il était avec eux. D’ailleurs, si j’ai bien compris, il y a un morceau qu’on le voie jouer avec eux : il a quitté la scène côté cour, est réapparu sur l’écran, dans la salle de musique, avec le même débardeur. C’est donc un spectacle écrit au cordeau, à la seconde près, et un immense niveau d’interprétation, d’effets et de rapport au public. Avec des apparitions stroboscopiques (les Rimbaud, Verlaine, Genet, Elton, Freddy et Cie, un fond de flammes, d’électro, puisqu’il a délaissé les montagnes pour la mer du théâtre du même nom. Des chansons que je ne connais pas, mais qui sont, là aussi, un écrin pour exprimer la solitude (personne pour l’hiver, magnifique), l’anormalité qu’on nous affecte, dans l’apparence, les désirs etc. Il faut voir ce garçon se démener sur une bande son en athlète, en danseur, en pro de la caméra (un mini drone, un face à face à terre, à même les planches). J’ai été surpris qu’il annonce une heure ensemble, ravi qu’il tienne davantage, qu’il fasse danser le public, l’intègre à sa catharsis. A sa thérapie. Love n’Tendresse,finalement, c’est ce qu’il nous reste. La fête de trop clôt le spectacle, atypique, je la reconnais et l’envoie à mon enfant, il s’y reconnaîtra. On ne peut qu’aimer ce garçon sur scène, se dire qu’il faudrait revoir ce spectacle – puisque c’en est un – en indoor, avec un light show encore plus impressionnant. C’est un chorégraphe de haut niveau, dont les textes, qui plus est, sont nourris, complexes à chanter : c’est danse et dense. Bon, les musiciens virtuels, c’est dur pour un quinquagénaire qui a applaudi l’arrivée du piano de Véro à Fourvière en 1998 comme à Sète, deux jours avant Eddy de Pretto. Il faut vivre avec son temps, quitte à ce qu’il soit celui des autres.
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25/06/2024
Cette petit voix qui sourd et gronde.
J’ai bien cru que ma – récente – malédiction des concerts allait me poursuivre quand, au changement de plateau, une pluie d’été et de gros nuages noirs se sont immiscés au théâtre de la mer, après, c’est ballot, une superbe journée. Deux fois les techniciens ont bâché et débâché les instruments, puis profitant d’une accalmie, on a entendu, dans les premiers rangs, « on y va » et seuls les premiers morceaux ont eu lieu sous le crachin. Sans trop de dégâts : les concerts de Véronique Sanson commencent souvent par du dispensable, soit des créations récentes (qui se souvient du Hasta luego d’il y a deux ans ?) ou, là, ce soir, par Undestructible, un des plus mauvais textes qu’elle a jamais écrits. Parce que c’est ça, Sanson, le pire et le meilleur. Mais quand le pire (des textes, je répète) permet d’exposer, au sens scénique, les musiciens démentiels qui l’accompagnent, on lui pardonne tout. De toute manière, les fans de Sanson, qui ont rempli le fort Vauban, lui pardonnent tout, tout le temps, les excès qu’elle a connus, qui ont failli la perdre, ses résurrections permanentes, jusqu’à ces dernières années où sa voix l’a sauvée, elle par qui elle s’est tellement manquée, chante-t-elle. Je me suis pardonnée, se termine la chanson, que j’ai tellement écoutée chez Fred Vanneyre, dans son petit studio de Bourg-en-Bresse qui sentait l’humidité. C’était sans doute mon dernier rendez-vous avec elle, j’ai fait l’effort physique d’être tout devant – on ne m’a jamais autant reproché d’être grand ! – pour la voir de (très) près, ce tout petit bout de femme qui fait bien son âge, maintenant, mais qui aura équivalu bien des chanteurs de blues, en somme, avec son vibrato et sa façon de modeler son timbre. C’est un festival, elle jouera un peu moins qu’en tournée, alors elle y va, vite, il y a encore le grand bassiste (à 5 cordes de la dernière tournée) mais son guitariste perclus d’arthrose a dû jeter l’éponge, remplacé par un type avec un t-shirt de la Linea, aux manches relevées, comme on n’en fait plus depuis les 70’s. Des cuivres (3), un batteur fou (et bon), un percussionniste bon (et fou), qui tiendra un solo de timbal’ qui aurait sa place à Vic-Fézensac. Deux choristes, qui la tiennent, parfois littéralement. Un clavier. Il y a du Higelin dans sa façon de faire reprendre le Il est nulle part de Bernard’s Song, puis elle s’absente pour se refaire une beauté pendant que ses musiciens tiennent la scène et continuent Rien que de l’eau pendant dix bonnes minutes. Elle enflamme le théâtre avec le dansant Chanson pour une drôle de vie, la sienne. Qui aura tenu plus longtemps qu’on l’aurait cru, plus longtemps que la nôtre, qui sait. Ce qui est bien, chez Sanson, et qui me serre le cœur, un peu, c’est qu’il y a tellement de gens qui se sont reconnus en elle et se sont approprié ses chansons qu’on les voit pleurer ou faire un cœur avec les doigts, à un âge certain. Mes deux jeunes voisines s’embrassent sur Bahia – et je t’aime, caresse-moi - je ne peux m’empêcher de penser qu’on va vers des zones sombres, socialement, et que si je devais me battre pour elles, que je ne connais pas, je le ferais. Elle a chanté Amoureuse assez vite dans la set-list, et quand les musiciens la laissent pour la traditionnelle session piano-voix, on se prend à rêver de ce qu’elle joua au Corum, la dernière fois. Mais la nuit avançait, et la dame a son âge, désormais. Exeunt Seras-tu là, Toi & Moi – tant mieux, c’est ma préférée, donc celle que je redoutais le plus, dans la réminiscence – Visiteur & voyageur. Mais le silence de plomb sur le qui sourd – c’est elle qui m’a appris l’usage du verbe sourdre – et gronde que je suis seule au monde de Ma révérence valait à lui seul le déplacement. Et le Bahia final, chanté par le public, permet de rentrer chez soi et de s’endormir avec cet air dans la tête. À minuit (ou un peu plus) je suis dans mon lit, et ce n’est pas à Vancouver. Mais dans un autre port où Véro a fait escale. Il y en aura de moins en moins.
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18/06/2024
Les passantes.
Le jour de mon Bac de philosophie, je suis tombé amoureux de la fille à deux rangs de moi, à gauche, et j'ai passé l'essentiel de ma dissert' à la regarder. Nous ne nous connaissions pas, mais elle a capté mon regard, a un peu souri, s'est replongée dans sa réflexion. Quoi, une semaine, deux, après, je retombe sur elle au concert de Simple Minds au Palais des Sports. Nous nous reconnaissons, nous parlons un peu, suivons le concert ensemble: nous nous prenons la main, nous nous embrassons et... nous nous quittons bons amis, sans chercher à se revoir. Ça n'est pas un "Conte d'hiver" de plus, c'est toute une époque, il y a trente-huit ans. La même année, j'ai fait un stage de terminale comme prof d'anglais dans un lycée (privé) croix-roussien. Parmi les élèves, il y en eut une pour m'accueillir très gentiment. J'en ai fait un portrait à l'aveugle (avec son nom quand même). Peut-être se reconnaîtra-t-elle?
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15/06/2024
Les Noz et les nazes (du vendredi).
Les voilà qui auront encore réussi à diffracter le temps, eux qu’on annonçait, jeudi et vendredi, pour la dernière de la Casa, cet endroit qui sollicite tant de souvenirs dans ma vie, des concerts de Valeria Pacella – et ma rencontre avec Sandro - pour voir jouer Herr Direktor, aux 17 jours d’enregistrement de Trop Pas, des claviers timides d’Olivier Castan aux guitares assurées de Gérard Védèche, le Stéphanois qui débarquait en BX. En passant par les descentes d’escalier, sur la rampe, de Kenji (Boufedji), les voix de Evelyne Gallet, Stéphane Jardin, le violoncelle de Monseigneur Gailly et, bien entendu, les voix et compositions de Pauline & Eric Hostettler. Le son et le mixage du Maître Jedi Xavier Desprat. Les concerts, dans le même lieu, de Deuce, les plus grands rassemblements d’assureurs et, de fait, les records d’audience. L’accueil d’Éric et Lyne, les maîtres du lieu, devenus des amis chers. Et puis les Noz, dont l’histoire avec le lieu commence par Bonne-Espérance, de mémoire, peu après que je les ai retrouvés, sur ma route. Une soirée de (non) écoute, un concert avec juste les nouveaux titres, s’était presque excusé Stéphane, sans savoir – encore – que moi ça m’allait bien qu’il bouscule les habitudes de son fan-club. Et depuis, les liens aidant, l’association Noz-Casa se faisait, à chaque sortie d’album, et j’y allais. Comme je me suis dit que je ne pouvais pas ne pas faire le voyage, hier, pour ce qui sera – peut-être – le dernier concert des Noz là-bas, puisqu’Éric & Lyne vont bientôt partir pour d’autres horizons. Peut-être, parce que la maison n’est pas encore vendue et qu’ils savent pouvoir rassembler du monde, encore et toujours, sur ce Voyage et son never ending Tour. Des amis, surtout, parce qu’à l’âge du géant vert et de sa compagne, on se défait un peu des contingences et des prétentions. Jeudi et hier, c’était donc les deux derniers, mais que penser d’un groupe qui confond la fin et le début jusque dans ses albums ? Un florilège, des chansons qui viennent de loin – de l’homme le plus heureux du monde, avec Une vie ordinaire et, plus tard, une histoire de cul – jusqu’à leur dernier, ISQLAF, son plan B et son stratosphérique titre éponyme. Il y a du Bon Espérance – le secret – deux chansons inédites et la question récurrente : les nazes du vendredi pourront-ils dépasser en intensité le public surexcité de la veille, lance l’homme au t-shirt de la Boum (histoire d’assumer l’intemporalité) ? Il y a beaucoup de visages connus, d’autres qui découvrent le lieu, un grand qui filme de A à (No)Z – le nez collé à l’écran et son gros cul sur sa chaise ? - et m’oblige à des contorsions, dans ce très petit lieu. Les monstrueux singles – en soi – du Début, la fin, le début, Nous n’avons rien vu venir, son mantra final hurlé l’index tendu demain le soleil reviendra, je sais qu’on essaiera encore (et encore, et encore) et Juste avant la fin du monde, puisque l’auteur-compositeur a une sérieuse propension à la dystopie. Bien sûr que les flammes étaient hautes, bien sûr que le vent soufflait fort. Mais promis, comme la veille, il ne parlera ni d’Eric Ciotti, ni de Jordan Bardella, puisque le temps est suspendu, la mélancolie omniprésente, même si on fait comme si. Si jamais… Son Altesse dédie le Train à sa Grandeur, c’est bien, ça me rappelle que quelques lignes de ce texte closent l’édition de mon Aurelia Kreit. AK, tiens, après une belle discussion avec Jérôme dans le patio – devant les meilleures brochettes du monde ! – je découvre que David (Ranaldi, producteur et factotum du Voyage) en était, dans sa jeunesse. Que Stéphane Thabouret – qui s’est marié, tiens, récemment, et dont le témoin est en pleine dépression depuis que Stéphane (Pétrier) lui a confié que ce n’était pas la peine qu’il construisît sa vie autour du Cimetière d’Orville, puisqu’il a tout inventé – jouait de la basse pour attirer les filles. De mon premier concert du Voyage au Vaisseau public le 10 février 1987- j’aime bien insister – il n’y a plus qu’Alexandre (Perrin) et Stéphane de la formation initiale, qui n’a plus que quelques années à tenir pour que les 40 ans de scène soient atteints. Nathalie, Pedro, Marc, Eric (3e) jamais bien loin, en seront, on reverra Manu, sans doute, un jour. C’est un projet qui ne s’arrête pas, voire qui devient de plus en plus foisonnant. Même les tubesques Cameron Diaz et Attache-moi (je ferai un jour un relevé de toutes les références cinématographiques de l’auteur) - pendant lesquels le chanteur à succès s’aventure dans le public mais ne trouve (plus) personne de suffisamment valide pour le porter - ne m'agacent pas, cette fois. Il y aura des verres partagés, jusqu’au bout de la nuit, les trucs qu’on se raconte à chaque fois pour se rassurer. Un débat sur l’autofiction et l’abus des phrases nominales, c’est dire. Et un retour initiatique dans une Fiat 500, sous une pluie battante, dans les phares d’un accident spectaculaire. Encore deux qui auraient mieux fait d’aller à la Casa : c’est loin, mais c’est beau, rempli de souvenirs et de catharsis. Je n’ai aucun scrupule à me démentir : s’ils y reviennent, les Noz, j’y serai également. J’irai les voir ailleurs, aussi, puisqu’il va bien falloir qu’ils y jouent. L’évidence ne sera plus topologique, mais il restera la musique, c’est le sujet d’un des nouveaux titres. Et puis j’ai expérimenté, de mon lit d’hôpital il y a un peu plus d’un an, l’idée de n’en être plus. Ça ne m’a pas plu.
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13/06/2024
Puisque tu t'en vas avant moi.
C’est toujours difficile de voir s’effilocher ses repères, les liens qu’on a avec son enfance, son adolescence et, par effet-miroir, le temps qu’on ne rattrapera jamais. Depuis que je suis parti vivre ailleurs que là où j’ai grandi, j’ai perdu des êtres chers, proches, dans ma famille ou ailleurs, mais j’ai aussi perdu des êtres qui me composèrent, par ce qu’ils ont écrit, dit ou chanté. J’ai sans doute assimilé, dans ma jeunesse, tellement de mots qui disaient ce que je n'arrivais pas à dire que je les ai un jour lâchés, sans plus jamais les chercher. Ils sont devenus ma vie, moi qui la cherchais. Le décompte ne se fera qu’à la fin, mais je sais déjà que je ne les aurai pas trompés, et que je ne me serai pas tout à fait perdu. Juste un peu, comme me le conseillait Laurence Tardieu, à Grignan… J’ai pleuré comme un gosse à la mort d’Higelin, me suis enfui pour me cacher quand Jean-Louis Murat est passé ad patres, je suis moins marqué par la disparition de Françoise Hardy, parce qu’elle était annoncée et qu’elle intervient, visiblement, comme une libération. La seule question valable, pour tous, restant : était-elle entourée des siens, dans ses derniers instants ? Ça a été le cas, voilà. Mais en dehors de l’anachronisme, par-delà le fait que j’ai été éperdument amoureux, adolescent, d’une icône qui n’était pas de mon époque – et qui a sans doute déterminé ma vie d’homme, sur ce terrain – c’est surtout sur la disparition tout court qu’on pleure en laissant partir Françoise, dont les bluettes, à commencer par « Tous les garçons et les filles » adoubée par Annie Lennox (strike !) ont ponctué mon parcours. « La question », chantée en playback dans « la dernière séance », avec André Pousse, Mitchell & Dutronc autour d’une table, usée jusqu'à la corde de ma vieille VHS. « Un peau d’eau », plus récente, mais qui fut contemporaine de beaucoup de mes atermoiements. « l’Amitié », chantée par tous, mais récemment par Renaud, étonnamment, dans un dernier élan. La version un peu électro du superbe « Tu ressembles à tous ceux qui ont eu du chagrin », qu’on a tous pris pour soi, à un moment de nos vies. Même le trop attendu « Il n’y a pas d’amour heureux », a fait taire, un temps seulement, mes saillies anti-Aragon, même si je lui préfère le dub-mix de Ranger (& Kerenn Ann). C’est dire le pouvoir que cette femme avait sur moi. Elle n’est plus, peut-être, mais ça concerne les siens, d’abord. Moi, je me dis qu’elle m’a laissé – à moi, à d’autres, peu importe – cette faculté d’intégrer tout ce que la mélancolie peut restituer de Beau, voire de joyeux, c’est un paradoxe. Celui du désespoir du singe. Farewell, Françoise!
EDIT : ma soeur et moi, toujours étonnamment synchrones, avons choisi, par effet de mise en abyme, le Large, pour nos funérailles, sans nous concerter. Ce sera donc au premier qui y passera qu'il reviendra de le prendre. Sans tristesse.
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09/06/2024
Éclats de faire.
J'arrive au bout du deuxième volume de mes Figures Singulières. Il y aura le temps de la relecture et des corrections mais ce sont 25+ 1 portraits supplémentaires qui vont s'agréger à une galerie interdite mais déjà conséquente. Je ne remercierai jamais assez la dernière page de "Libé" qui m'a toujours inspiré et cette pulsion, il y a 21 ans, qui m'a poussé à en faire un, deux, puis cent, puis cent-six, avec Clara Ville. Dont je donne ici lecture des 6 fois auxquelles, pour des raisons décevantes, peu de gens ont eu accès. Il s'agissait de continuer - une fois n'est pas coutume - la vie d'un personnage, celui de la Girafe lymphatique, l'emmener au bout. C'est consultable en Flip-book, ici.
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04/06/2024
You can't teach monkey tricks.
Si ça continue, il va falloir que cela cesse : ce blog – poétique et critique, c’est écrit dessus – n’a pas vocation à devenir une espèce de surstephanepetrierlolo.com : j’ai une vie, une œuvre et très peu de propension à les effacer au profit de celles des autres. Mais je lis, j’écoute, je vais voir et, souvent, je restitue. Quand il m’a confié son nouvel opus, Stéphane Pétrier, j’ai éprouvé, immédiatement, les mêmes réserves que celles énoncées à la réception de Kill The Dog, mais elles ne concernaient, de prime abord, que l’édition elle-même, la mise en page et les difficultés de lecture afférentes. C’est l’auteur de deux romans de 400 pages en caractère 11 qui vous parle, autant dire qu’on peut tout à fait balayer mes réserves d’un revers de main. Ainsi donc, dans la même veine, Pétrier ressort-il, 6 ans (quand même !) après son premier roman, une réédite des aventures de son avatar (Stéphane, à ne pas confondre avec la remarquable figure féminine du même prénom, en référence à Stéphane Audran, dont les romanciers ne parlent pas suffisamment). Kiss The Monkey après Kill The Dog, on est au moins dans l’anamorphose animalière, et il se pourrait que Marguerite, la vache philosophe, ait pris une option sur le 3e volume. Blague à part, l’auteur file sa métaphore dystopique et place ses personnages improbables dans une société à la Mad Max – c’est revendiqué - où la guerre civile bat son plein, les Français Libres, par antiphrase, contre ceux qui essaient de préserver un minimum leurs acquis. Ainsi, l’assez agaçant personnage central, à l’aquabonisme revendiqué qui n’empêche pas d’avoir envie de lui mettre des baffes – au contraire d’un Simon Polaris chez Dubois, par exemple – traîne sa misère d’une vie riche et ratée à Lyon, d’un handicap de la paternité à une soirée parisienne branchouille où, à défaut d’y rencontrer Robert Smith, il croise le regard et l’existence d’une chanteuse de variétés au surnom grotesque, Cindyrella, qui a au moins le mérite de le préserver de son traumatisme enfantin, Alice au Pays des merveilles (dommage, le roman de l’homme aux huit salades est remarquable). Puisqu’elle tweete contre ces ploucs endettés et décérébrés de la France libre qui ont fait annuler un de ses directs, et qu’elle leur balance par la fenêtre le seau de pisse et d’exécréments de son singe fêtiche, Brad Pitt, ils sont condamnés à prendre la fuite (mais pas à Varennes) dans la clandestinité, à bord d’une mini rose, avec son copain gay et son compagnon, pour finir dans une ferme de survivalistes qui voient enfin leur prophétie de fin du monde se réaliser. Ouf, c’est bon, on est dans la fatrasie la plus absurde et Pétrier y va fort, s’appuie sur les trois derniers albums qu’il a écrits et composés (seul ou avec son Voyage de Noz) pour théâtraliser le désastre. Si, si, j’ai vérifié, entre les flammes hautes de l’incipit (ou presque), l’énumération des dérives bio et bobo du Bagdad Disco Club, de la zone libre et du van (mais pas jaune, pour le coup) de ISQLF, jusqu’à la petite pute que serait la vie de l’Homme coupé en deux, l’auteur a lâché les vannes de ses névroses et ses obsessions. S’acoquine, son grand dada, à vomir partout, à parler cul, bite et couilles (de Jésus), sortir de l’image qu’on peut avoir de lui, qui a lassé son avatar. L’euphémisme dira que je ne suis pas fan des dialogues, plus efficaces quand ils sont resserrés (comme aux p°109-110). Sinon, il y a un autre bestiaire, politique celui-là, puisqu’on trouve un Giscard tatoué dans le dos d’un molosse, Mitterrand (et Mazarine) de ci de là, Bayrou (créature inoffensive, insipide et flasque) mais aussi Nadine Morano. Les références propres à l’auteur, Baudelaire, Lautréamont, Billie Holliday, Depeche Mode ou Starsky & Hutch. De belles pages, comme dans le premier, sur l’enfance, la sienne, celle de son fils qu’il n’a pas su intégrer. Sur la perte du père, les moments (de nage) partagés. Et des souvenirs scolaires sur les boums, les humiliations. L’intervention d’une dénommée Séverine qu’il n’avait pas calculée et qui met fin avec courage au supplice d’un souffre-douleur, quand lui se tait et se cache dans la meute. Pour faire appel à son courage, il faut d’abord avoir peur. Séverine n’avait pas eu peur, écrit-il. C’est juste et c’est beau, et ça me parle davantage que la mascarade – le mot est de l’auteur – que vit l’attelage improbable. Le roman s’achève dans sa construction cyclique, sur une forme de rédemption, sur fond de Beatles – on ne pouvait pas y échapper - et c’est bien. Finalement, la seule faute de goût, pour l’auteur d’un contrit Saint-Étienne sur son dernier disque, ça aura été de nous replacer la métaphore Beau comme un coup-franc de Juninho*, sans comprendre qu’il faisait, là aussi, référence à un temps passé et corrompu. C’est fini, tout ça. C’est lui qui le dit.
*vraisemblablement imposé, sous la contrainte, par celui qui, dans le cas contraire, ne serait pas devenu son producteur musical !
17:10 Publié dans Blog | Lien permanent