22/02/2024
JOURDOTHÈQUE (2/10)
On se met à rêver, en ressortant la Littérature sans estomac de la pile à (re)lire, d’une édition actualisée, comme on le dit maintenant. Où il s’avèrerait que des auteurs dont Jourde prédisait l’oubli, en 2002, comme Pascale Roze, Prix Goncourt en 1996 pour le Chasseur zéro, ont effectivement été engloutis par les livres qu’ils ont écrits et que d’autres ont continué dans un succès important en terme d’audience – Houellebecq, Angot, Beigbeder, Delerm – accentuant la dichotomie entre une littérature exigeante et une autre de grande consommation. L’énorme atout de Pierre Jourde, quand il sort cette étude - deux ans avant de sortir un brûlot avec son éditeur de l’Esprit des Péninsules (le Jourde & Naulleau, précis de Littérature du XXI°s., pastiche potache du Lagarde & Michard) – c’est d’abord qu’il sait ce qu’il dit quand il parle de littérature. Pas seulement parce qu’il est Professeur d’Université quand il reçoit pour ce livre le prix de l’Académie française ( !) – la réception en est faite dans le Voyage du Canapé-lit– mais parce qu’il les a (tous) lus, ces livres, sans se contenter de ce qu’on en dit dans des magazines complaisants, et même dans des revues dites pointues, dans le domaine. Il sait que la littérature est faite pour définir un horizon d’attenteet que la manie littéraire de son époque, c’est de fournir une image de la littérature, voire de l’écrivain lui-même. Dans une activité littéraire atomisée, où les éditeurs n’ont plus de critères de jugement mais montent des coups, Jourde veut d’abord opposer le travail de la langue à la littérature de l’épate, démontre par l’exemple à quel point les problèmes de couple, de corps, le jardin secret est devenu sujet et, en cela, ne se distingue guère, si la langue ne suit pas, des éditoriaux de Marie-Claire ou du courrier du cœur de n’importe quelle revue féminine (on est en 2002, on ne lui tombera pas dessus à ce sujet). L’apparence de l’audace, la violence et le sexe – avec des exceptions, comme Catherine Millet et sa vie sexuelle, dont le sujet fait sens puisqu’il est sujet lui-même – crée un nouveau théâtre d’illusions dans la vie littéraire, et puisque les pamphlets – voire les duels – ont laissé place à des polémiques télévisées, puisqu’on part désormais du principe que la critique négative est du temps perdu, il ne reste plus rien, dit-il, de la responsabilité de l’écrivain, à qui l’on est en droit de demander des comptes puisqu’il atteint, dans la société, un degré – divers – de visibilité ou de démarque. Puisqu’on ne peut plus dire d’un livre qu’il est mauvais sans que tombe sur l’auteur de la remarque des accusations de rage envieuse ou d’aigreur, eh bien Jourde le fait, et nommément, prétextant qu’on peut critiquer une œuvre sans s’attaquer à la personne. Ainsi, pour lui, Camille Laurens se prostitue à sa notoriété, par exemple. Jourde va dissocier sa vision de la littérature en deux couleurs (la blanche - parataxe voyante, minimalisme syntaxique, lexical et rhétorique - et la rouge – syntaxe complexe, métaphores flamboyantes, énumérations) et une nuance (l’écrue, petits objets du quotidien, gens de peu, prose poétique, effets stylistiques discrets mais repérables). Les deux (et demi) n’étant pas toujours en opposition. Jourde, qui doit s’appuyer sur son passé de boxeur (le livre n’est-il pas dédié à son frère, qui connaît la bagarre ?)va d’abord s’attaquer au Monde des Livres, pourtant – toujours – sacralisé, au triumvirat, il y a 20 ans, Sollers-Savigneau-Forrester, ces grands intellectuels qui, respectivement, tiennent des formules parfois grotesques (retenez-moi ou je pense) jusqu’à confondre son Éloge de l’infini en Illustration du bredouillis (c’est drôle), voire Mickey contre les Rapetout ; ne parleront que des auteurs qui leur plaisent, pas leurs livres ; iront jusqu’à panthéoniser, pour la dernière, un auteur atrocement médiocre (après tout, étymologiquement, ça n’est pas insultant), Madeleine Chapsal, encore, dont Jourde dira avoir tout lu, quitte à cacher les ouvrages sous de fausses couvertures. Pierre Jourde est érudit, ça lui confère le coup d’avance sur ceux qui voudraient lui faire ravaler ses paroles, situe l’ambiguïté dans la vision qu’on a gardée du romantisme (le mouvement), par exemple, puis sort la sulfateuse, extraits à l’appui, en démonstration : la technique du collage, l’usage de la répétition chez Christine Angot, des trucs qu’on pourrait déballer à table mais qu’il est plus opportun de faire sur 200 pages chez Stock ; le langage parlé dans la prose écrite, les calembours – Toto qui écrit un roman – et le pipi caca prout zizi popo chez Beigbeder ; la colossale finesse de Marie Darrieusecq, ses métaphores éculées de parolière de Johnny ou de Bruel (on dirait un documentaire de Walt Disney) ; les jongleries syntaxiques d’Olivier Rollin, sa bonne vieille figure romantique de l’écrivain et, plus gênant, les efforts qu’on voit qu’il fait ; le nouveau roman rose de Darrieusecq, tour à tour cochonne - dans son Truismes – durassienne, freudolacanique. Des livres qui ne manquent pas toujours d’intérêt, tient-il à préciser – sauf ceux d’une étonnante stupidité – qu’il aligne, même si, souvent, c’est la jaquette – attention, talent ! – qui doit le rappeler, au cas où on ne l’aurait pas remarqué. On passera sur les Bovary modernes, nourries à Marie-Claire ou Biba, sur Christian Bobin, le ravi de la crèche, qui continue de s’émerveiller depuis qu’il a découvert le verbe. Jourde a beau solliciter Heidegger, Genette ou Deleuze pour expliquer certains travers de ses contemporains, la philosophie de comptoir de Pierre Autin-Grenier atteint à peine les brèves de Jean-Marie Gourio, et les petits riens de François de Cornière ou de Philippe Delerm ont beau se revendiquer de Perec, ils ne relèvent, souvent, que de la rhétorique agaçante du joli.
Pour qui s’est déjà offusqué des saillies drolatiques d’Éric Chevillard, il y a deux ans, aux Automn’Halles, contre ses cibles favorites (Alexandre Jardin, Éric-Emmanuel Schmidt, Yasmina Khadra), la lecture d’un livre déjà ancien pourra passer pour de la méchanceté gratuite. C’est là où Jourde contrecarre l’impression puisque, s’il a aligné les auteurs susdits, il prend le risque, dans la dernière partie de l’ouvrage, intitulée Écrivains, de défendre ceux dont il pense que leur travail vaut la peine de s’inscrire dans la lignée de ce qu’est la littérature, pour répondre à la question sartrienne : Gérard Guégan, dans le roman policier, Valère Novarina, qui se sauve par l’intermédiaire d’une œuvre où rien n’est sauvé, et… Éric Chevillard, pour son œuvre anthume, au risque qu’on lui renvoie les accusations de copinage qui ponctuent son argumentaire. Il lui consacre son texte le plus long, peut-être, démontre comment, dans l’acrobatie verbale de l’auteur, en s’appuyant sur l’ubiquité de la Girafe – on connaît le bestiaire du diariste – l’être, chez lui, n’est jamais qu’une position particulière, toujours instable et paradoxale.
Ce livre est une bénédiction pour celui qui voit de mauvais livres remporter du succès pour de mauvaises raisons, même si la morale a pris le dessus, en vingt ans. On est souvent obligé de se taire et de regarder des auteurs jouer aux écrivains sans, souvent, rien avoir à dire sur la littérature elle-même. On sait que Christine Angot lui en veut encore, comme Khadra cherchait partout Chevillard, lors d’un salon du livre. On pourra toujours, d’ailleurs, attaquer le Jourde romancier, il y a de la matière. Mais il va falloir s’y coller, en terme d’analyse littéraire : en face, il y a du client.
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21/02/2024
JOURDOTHÈQUE (1/10)
Pierre Jourde continue son travail d’analyste de la littérature en étudiant, après Perec, les choses ou plutôt, dira-t-il, le peuple obtus de ces objets qui cachent, sous leur apparente neutralité, des histoires comme lui en raffole, parce qu’elles sont – ou devraient être - le véritable sujet de la matière littéraire. Ici, c’est le canapé-lit de sa grand-mère, une femme globalement détestable, qu’il véhicule, dans un Jumper de location, de la banlieue parisienne jusqu’à la maison familiale d’Auvergne, celle de Pays perdu et de la Première pierre – on reviendra sur ce doublé. Dans ses Choses à lui, le canapé incarne tout ce qu’il aurait fallu jeter à la benne mais qu’on va garder et mener loin, parce que ça fait des économies – bon sens commerçant rapidement démenti par un simple décompte – et parce que comme ça, on continue l’histoire, même si l’histoire n’a jamais été celle qu’on s’est imaginée. Ça ira bien en Auvergne, c’est le prétexte à un road-movie – à chacun sa Road 66, ironise-t-il – à huis-clos, forcément, entre l’auteur-narrateur-sujet du livre, son frère Bernard et sa belle-sœur Martine. Les deux Jourde refont l’histoire familiale à grands renforts de leurs frasques respectives, et Pierre Jourde – le vrai, l’auteur, enfin l’autre, puisqu’il y en a d’autres – se corrigera de lui-même (au sens raclée) en laissant Martine, in fine, lui balancer à la figure une autofiction (l’épidémie de la confidence) qu’il a toujours vomie. Sans se dédouaner pour autant, il en fait la matière du roman, assimile le canapé-lit au corps du père qu’ils ont un jour véhiculé de la même manière, alignant les communes profondes de France tout en remontant leurs voyages respectifs, leur expédition au Tibet (prochaine note), leurs aventures au Canada, sa courante à Chichicastenago etc. Puisque tous les thèmes sont compatibles avec la littérature, l’auteur de celle sans estomac (à venir) manie, comme à son habitude, l’ironie et la digression d’un côté, l’analyse – souvent proustienne – de l’autre : cite Zénon d’Élée pour prévenir que son aporie n’a pas d’autre but que d’apporter un (moche) canapé quelque part, mais que la distance et le temps d’un voyage peuvent être abolies d’elles-mêmes si l’on en considére les incidences. Ainsi la grand-mère deviendra-t-elle un non grand-mère et sa forme d’autarcie narrative, s’appuyant sur des inversions du sujet accolées à des verbes (d’action) inventés – gloglotter, almanachvermoter, groumer… - tiennent le lecteur (il n’y en a qu’un, qui s’enfuit vite, dit-il, puis revient, curieux) en haleine, même quand il aborde la question vomitoire du bastingage. Dans sa confusion volontaire, Jourde aborde la question des héritages culturels, avec des failles qu’on image liées à une condition, ou à l’accession à une condition : ainsi cette grand-mère aux allures extérieures de Mamie Nova a—t-elle été capable de ne pas vendre la maison de son enfance à sa propre fille parce qu’elle lui en offrait 10M (d’anciens francs) quand elle en attendait 12. A-t-elle stipulé sur testament qu’elle ne voulait pas que cette même fille soit enterrée auprès d’elle. On en connaît plus d’un qui aurait benné le canapé au premier virage, mais il fallait cette catharsis du voyage pour que les langues se délient, qu’il expérimente sa facticité, dit-il, évoquant Sartre. L’enfance, l’homosexualité, les origines paysannes, tout y passe, dans un récit sans cesse cabossé, mâtiné d’autant d’humour que de fuite du récit lui-même. Comme tout Jourde s’imbrique, il parle également de ses livres – Pays perdu, la première pierre, Festins secrets, l’heure et l’ombre, son préféré (à venir aussi) – fait ses coucous habituels à Éric Chevillard (deux fois, ça va se voir) et aligne ses cibles préférées, même s’il sait que les livres qui parlent d’écrivains et de littérature sont rasoirs. Angot en tête en prend pour son grade (depuis la Littérature sans estomac), avec un jubilatoire On peut lire même si on ne sait pas écrire ; Haenel, l’ampoulé de service ; un Du Rabelais fatigué, toujours mieux que du Djian en pleine forme ; le cheptel cacochyme de l’Académie française, qui lui décerne un prix alors qu’il cherche les toilettes. Ça pourrait être gratuit, ça ne l’est jamais, d’abord parce que l’auteur est sans concessions (sur lui-même) quand il s’interroge sur l’enfant qu’il était et l’auteur qu’il est devenu, ensuite ; sa prétendue méchanceté quand la vraie, il l’a vécue dans sa chair quand les gens de Luisaud ont essayé de le lyncher. Dans son analysobus – proposition fraternelle – on étudie l’idéalisme petit-bourgeois d’écrivains en virée en Salons (du livre), on aborde une histoire de France par le prisme bougnat et on se recentre sur les objets – mythiques ou maléfiques – qui provoquent la phénoménologie. Il n’y a rien de meilleur, néanmoins, dans un Jourde, que ces moments où la langue (pas seulement les figures de rhétorique et les subjonctifs imparfaits qu’il offre aux professeurs de français) et le sujet se rejoignent, comme dans la fin de l’ouvrage où la mort (de la mère, cette fois), la bonté du père, le retour sur la vie qu’ils ont menée, le constat sur ce qu’on leur a inculqué (ils ont travaillé dur pour tout excuser) montrent à quel point ce canapé-lit a pu être, en soi, dévastateur, puisque c’est le titre du chapitre. Les habitants de Montargis et les amateurs de St Pourçain -c’est un peu comme la confiture de nouilles chère à Pierre Dac – n’aimeront pas ce livre, d’autres non plus, mais c’est un voyage qu’on peut faire. À peu de frais et sans appréhension : sauf peut-être de le recevoir en rencontre littéraire et d’avoir à lui dire D’habitude, il y a plus de monde.
PS : mon cœur s’est arrêté quand j’ai cru qu’il parlait d’une rencontre à la Maison Vieille, avec trois personnes, dont deux qui n’ont rien compris, et un sourd. Mais ça n’était pas celle-ci, à laquelle j’ai assisté et pour laquelle, effectivement, il y avait plus de monde. Dont moi.
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19/02/2024
Un livre de plus?
Pour moi, pour ceux qui recevront l'information, aussi, c'est un livre de plus, oui. Un de ceux dont on se demande, une fois qu'on les a écrits, s'ils vont plaire et rencontrer un public. Ma Cantate (au titre initial, déraisonnable, de "Quelle petite Cantate pour piano noir au fond de l'Écluse?") est un roman intermédiaire, dans lequel j'ai plongé pour sortir une grosse nouvelle, fouillée, documentée, dont Bernard Lonjon, en préface - une première pour moi, qui n'aime pas ça - écrit qu'elle est travaillée jusqu’à l’os, comme un certain petit guidon de vélo chromé perecquien. Rien n’est superflu. Rien n’est hasardeux. Le travail au scalpel est d’une redoutable efficacité. Tout est vrai, ou presque". En soi, c'est déjà une bonne raison de le lire, pour vous, de m'en réjouir, pour moi. Et c'est ma première participation aux éditions Sinope; dont la moindre des choses est de dire que la directrice est pugnace. Pour moi qui suis d'une fidélité maladive à mes éditeurs - le travail du premier va s'effacer, c'est une source de réflexion - il fallait au moins ça.
Sortie en mars - vente en ligne fin février.
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11/02/2024
À mesure que le temps passe.
On ne sait jamais vraiment ce qu’on attend des artistes sur scène quand on va les voir plusieurs fois, depuis tant d’années. Depuis ses débuts - en Co Plateau de Cat Power aux Nuits de Fourvière ou pour son premier Transbordeur époque « la Superbe », concernant Benjamin Biolay. Le local de l’époque au Radiant de Caluire, la salle où se produisent les artistes qui n’ont plus de salles pour se produire à Lyon. Il est régional d’adoption et la salle - pleine à craquer - regorge de Caladois (« pas seulement mes cousins ») ou d’ex de St Ex. La tournée court depuis trois ans et je restais sur une impression très mitigée de ses deux concerts à Sète, son autre chez lui, cet été, quand tout le monde a cru que St Clair, son dernier album, aurait une résonance particulière en bas de chez lui, alors même qu’il a superbement clos le concert d’hier! Ouvert sur « belle comme une voiture volée », histoire de satisfaire le fan-club, mais en trompe l’œil, heureusement: la set-list est plus exigeante que cet été et le spectre sonore, ainsi que le fond de scène, donnent beaucoup plus d’envergure au show lui-même, et à ses musiciens. S2: la superbe bassiste de BB s'appelle Nathy Cabrera et son acolyte (aux claviers) Sheba et Nathy pour la touche latino, Almosnino et Jaconelli aux guitares, un nouveau et jeune batteur pour servir une rythmique forte et scandée, Biolay joue des morceaux moins faciles - « rythmés, mais aux paroles neurasthéniques, sinon ça ne serait pas drôle » (Miss Miss)- jusqu’aux Cerfs-Volants, pour lesquels il présente son premier producteur, celui qui a osé le signer et qui a dit « on fonce » quand il a demandé un sample de Maryline Monroe en pont musical. C’était il y a une demi-éternité mais c’est un morceau qui a tellement compté dans l’histoire de la chanson française - et de nos vies propres - qu’on est déjà sous le charme quand il la passe bien. Il est ému, Biolay, tracqueux comme il l’avoue d’entrée, on se méfie tellement des artistes qui disent que telle date est importante - jurisprudence Sète - qu’on est parfois tout surpris quand c’est le cas. Même « Los Angeles », qui avait paru bien fade au théâtre de la mer fait bouger les rangs assis. Qui mettront du temps, mais donneront de leur personne. Pas sur « Ton héritage », chef d’œuvre absolu sur lequel Almosnino reprend la basse, mais après, quand il slappe sur le bien-nommé et judicieux « Lyon presqu’île », qui embarque tout le monde. Biolay, c’est un jeu de scène minimal, trois pas de danse, des poings aux mitaines levés et des « Merci, merci, merci » répétés. Des passages au piano pour donner de l’ampleur à la reprise d’un morceau, pour qu’il dure plus longtemps. Un « comment est ta peine » spectral, au son enfin lâché, un « à chaque fois c’est mieux! » pour dresser le propre bilan de ses concerts lyonnais. Il y a eu un « Padam Padam » d’anthologie, un « la Superbe » qui en est une à elle seule, d’anthologie. Et Ste Rita en fond - avant le générique de fin, une grande première en concert pour moi - pour une montée sur « six heures et des poussières », pas loin de chez moi. Mon autre chez moi, puisqu’hier j’étais aussi chez moi. Comme lui. Peut-être un jour ces chemins parallèles finiront-ils par se croiser: c’est quand on ne demande rien que les choses arrivent. Reste que c’est vraiment en salle que je retournerai voir BB, les prochaines fois. Et que je le remercierai de ponctuer mon passage. Comment va ma vie? Elle va bien, merci.
PS: à se demander si la chemise Mao bleue qu’il portait n’a pas été achetée sur une place de Sète, quand les forains l’occupaient…
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04/02/2024
la Beauté du Gynécée.
J’ai eu ponctuellement, dans mon parcours, l’occasion de vivre en plein la vie d’artiste, en tournée, comme pour Lettres-Frontière il y a longtemps, ou avec « Littérature & Musique », il y a dix ans. Et quelques mois. De L&M, il est resté des souvenirs, un disque et un lien indéfectible. Comme celui que j’ai gardé avec Clara, qui n’avait pas 18 ans, à l’époque, mais qui avait déjà le culot de celle qui savait ce qu’elle ferait de son violoncelle. Dix ans plus tard, après nous être retrouvés cet été, on a imaginé qu’elle pourrait être là pour la sortie d’Aurelia Kreit, les jardins d’Ellington, puis après des rencontres classiques enjolivées de ses morceaux, qu’on pourrait monter un vrai duo, puis un vrai spectacle, autour de trois figures féminines marquantes, Camille (Claudel), Clara (Ville ou Védèche ?) & Aurelia. On l’a rodé en Alsace, en décembre, puis donné hier et avant-hier, à Sète et à Montpellier. Vendredi dans la belle librairie Kailiash de Raj de Condappa et hier dans l’E.S Art FACTORY d’Etienne Schwarz. Deux rencontres suivies par le même nombre de personnes à chaque fois, une trentaine, et dans un silence impressionnant, celui du classique, celui qui va avec la musique. Deux ambiances et deux sonorités différentes, mais la même impression que quelque chose se joue, dans notre dualité, moi à la grande carcasse qui assène ses vérités en faisant mine qu’elles sont légères et Clara dans tout ce qu’elle a d’irradiant, littéralement. De fascination, lui disais-je encore hier soir, devant un cheese Naan. Clara et son instrument du XVIII°s., comme un gage de transmission. Le spectacle, on l’a rodé, écrit – pas assez – on a pu « entrer » à Sète, pas à Montpellier, on ne sait pas encore sortir mais ça viendra. C’est elle qui ouvre avec un prélude de Bach, puis je parle de Camille, resitue Valse Claudel dans mon parcours – ma première édition au Réalgar, qui ressortira en juillet avec une préface de Christian Chavassieux et la possibilité moderne de scanner en QR Code les deux versions de Camille, de Stéphane Pétrier et de Jean-Jacques Blondeau et de la valse idoine de Sandro Secci, dont Clara joue quelques mesures après que j’ai lu un extrait – une époque aussi, sans portable, devant le musée Rodin, rue de Varenne. Nouveauté, on intègre deux « chansons », réécrites pour violoncelle, et la première, c’est « Au-dessus des eaux & des plaines », texte mythique pour moi, et dont la mélodie créée pour « Littérature & Musique » reste longtemps en tête. Je parle d’Aurelia, conscient qu’il me faudrait trois jours pour le faire et que je n’ai que trois minutes, pour enchaîner. Aurelia, sa genèse, l’exil, la judéité, l’ukrainité, je ne pourrai jamais assez signifier l’importance que cette héroïne a eu dans ma vie d’homme, et il faudra, à l’avenir, que je la relie à l’âme slave et que je fasse le lien avec la pièce de Silvestrov, compositeur ukrainien, que Clara entame : huit minutes d’un In Memoriam à J.S.Bach, un moment exigeant, hors du temps, une rythmique assénée, clinique, entre deux envolées, un parcours d’une quasi-souffrance sur le visage de la musicienne pour atteindre le sublime. Et un final à son image, avec une lente remontée, décomposée, de l’archet, deux minutes d’après la musique pour rester dans la musique. On ne l’entend pas tourner la partition, très doucement, et revenir à du léger, ou presque. Du facile, pour elle, « le Square », dernier morceau que j’ai écrit avec Éric Hostettler : une berceuse, dira-t-elle, une fausse bluette à l’écrit, des thèmes empruntés à Valse, Claudel, encore – Je me souviens de toi accélérant le pas Sur ces tout derniers mètres te reliant à moi – et cette sentence, directement empruntée à Camille elle-même : Toujours ce quelque chose d’absent qui me tourmente. Que j’ai faite rimer avec Diabolo Menthe, je m’en excuse, et ça fait rire le public. Ça tombe bien, c’est le moment de lui faire croire – et ce n’est pas gagné – que j’ai aussi une veine comique, comme auteur : à Sète, nous refaisons ce qui nous a sauvés au Baratin, à St Etienne, un duo sur l’Orchestre symphonique, qui se moque un peu des chefs d’orchestre et des premiers violons ; à Montpellier, on le remplace de suite par la lecture d’une scène de Pôle Emploi, un des trois pièces de Trois-Huit, et ça fonctionne parfaitement, depuis dix ans que je le lis (seul pour les deux voix, ou à deux). Chez Étienne, ça permet une pose, également, occupée par la belle voix de mon invité, Michael Glück, qui fait la transition dans le choix de ses extraits, justifiés par mon univers, celui d’Aurelia, surtout : le voyage, obligé, l’identité. Le pays, se demande-t-il à répétition. C’est un très beau moment, un croisement de nos univers, ça ressemble parfaitement à l’endroit, aussi. On peut revenir doucement, sans être jamais partis, et reprendre avec Clara Ville, avec le jeu des Portraits, un autre pan de mon travail d’écriture. Je fais le parallèle entre Aurelia – 440 pages pour dix ans d’existence – et ma Girafe lymphatique – 80 pour 36- raconte son histoire et la damnation de son père, contraint, pour que son passé ne le rattrape pas, à s’enfermer dans le Clair de lune de Debussy, que Clara entonne dès que je cite Verlaine : votre âme est un paysage choisi. C’est un temps suspendu pendant lequel la mise en abyme fonctionne : les écrits parlent de la musique en train de se jouer - Qu’est-ce qui se joue, dans le troisième mouvement de la suite bergamasque, sinon un Ré b majeur propre à la nuit et aux eaux dormantes ? Je ne regrette pas d’avoir convaincu Clara de le jouer pour violoncelle solo, sans piano, c’est ahurissant de beauté, quand elle termine et personne, pas même moi, n’en sortira indemne. Ça nous permet de clore notre récit-récital sur notre fait d’armes, un Camille, dont je ne sais toujours pas d’où il m’est sorti, il y a longtemps, adapté sur la 1ère suite de Bach, avec toutes les tonalités possibles et les repères qu’on s’est fixés, jusqu’à la fin, organique, quasi brutale, Je sais qu’ils te demandent, quand approche le soir De raconter un peu comment tu engendras Une union divine qui fait que le matin Une ombre va griffer le buste de Rodin, et la dernière mesure de la partition. On pourrait finir par ça, il faudra qu’on le fasse, d’ailleurs, mais j’ai voulu que le public finisse avec Clara, ou l’inverse, je ne sais pas. À l’E.S Art Factory, j’ai redemandé à Michael Glück de lire un dernier texte, il a l’intelligence d’en faire un très court, sur les billets de train qui coûtaient moins cher quand on les payait directement au contrôleur, à l’époque. Véridique, nous dit-il. Et Clara termine sur le pépiement du Chant des oiseaux, de Pablo Casals, la sonnerie de téléphone de Marie-Ange et le morceau-culte de Pedro, venu avec Christine, parmi les – rares – visages amis venus composer l’assemblée. C’est toujours un étalon-mesure, quand d’autres viennent vous voir jouer. On vérifiera ça le 26 avril, puisque le projet a séduit la médiathèque de Florensac. Avant de venir poser nos basques à Lyon – a minima – et à Saint-Étienne, autrement. On a le temps : Camille & Aurelia savent attendre, elles l’ont montré. Mes deux Clara, elles, se mettront au diapason. Avec délice.
photo: Patrick Grin©
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01/02/2024
À tutoyer les anges.
Une heure de récit-récital sous forme inédite avec Clara Védèche au violoncelle et Laurent Cachard au récit, autour de trois grandes figures féminines : Camille Claudel, Clara V. & Aurelia Kreit, l’égérie de l’Ukraine du début du XXe. Des chansons originales, des pièces musicales qui font écho aux textes, d'autres qui se suffisent à elles-mêmes, un mano a mano artistique dans une complicité qui ne se dément jamais (Inclus Bach, Schubert, Silvestrov, Debussy, Casals, compositions originales...).
C'est demain à la librairie Kaliash, à Sète, et samedi à l'E.S Art Factory, à Montpellier.
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