25/03/2024
Les bonnes fées - une chronique sur Aurelia Kreit.
J'ai souvent évoqué ici cette prédiction elliptique de Laurence Tardieu dans sa lettre de remise de prix, en 2012. Elle me souhaitait d'être accompagné, ponctuellement, par des bonnes fées qui se pencheraient sur mon parcours. J'ai vécu des émotions dans la littérature que bon nombre d'auteurs bien mieux diffusés que moi ne vivront jamais, je suis très clair là-dessus. Mais s'il m'arrive parfois de céder au découragement, ma bonne étoile - tiens, c'est un des sujets d'Aurelia - se rappelle à moi. Ici, sous la plume d'Alain Rollat, qui fut directeur-adjoint du Monde et qui oeuvre désormais pour Dis-leur, ce journal en ligne dont je parlerai bientôt dans le deuxième volume de mes Figures Singulières. En attendant, voilà un article complet, référencé, qui témoigne d'une lecture poussée, exigeante. Je le disais, Alain Rollat a aimé Aurelia et Aurelia - qui n'est pas facile d'accès - l'aime en retour, assurément.
l'article en intégralité ICI.
10:23 Publié dans Blog | Lien permanent
10/03/2024
La Cantate et l'Écluse.
22:05 Publié dans Blog | Lien permanent
La Cantate et l'Écluse.
21:43 Publié dans Blog | Lien permanent
07/03/2024
JOURDOTHÈQUE (5/10)
Avec Paradis noirs, Pierre Jourde explore le terrain du souvenir d’enfance et des mésaventures d’école via une réminiscence qui touche un jour son double de papier, l’écrivain qu’on invite à une résidence dans une ville qui abrita le théâtre de sa scolarité de jeunesse, dans l’Institution catholique locale, avec les religieux à soutane qui dominent le pandémonium, semblables à de gris fonctionnaires des enfers occupés à dénombrer les damnés. Il le fait via deux visions troublantes, la première, celle d’une petite fille qui fut sa meilleure amie quand elle était petite, l’autre avec l’apparition spectrale de qui lui semble être François, revenu de l’oubli pour exiger de moi la mémoire. Problème, la première est morte noyée à neuf ans et le second, il ne l’a pas revu depuis la Fac de Lettres. Et à 60 ans – pour la deuxième salve - l’âge du narrateur, ça date. Parce que François, il l’apercevra deux fois, à vingt ans d’intervalle. Suffisamment pour que revienne la genèse de leur relation au moment de cet adieu à l’enfance qu’est le collège, que remonte une histoire, d’abord vieille de vingt-sept ans, la trilogie François, Serge et lui à laquelle s’ajoutera Boris, le seul qu’il ait gardé et qu’il vient visiter. Lui a vécu une vie normale et ne s’est pas attaché aux souvenirs. Mais le narrateur voit réapparaître, tour à tour, comme s’ils s’incarnaient, des figures d’abord pittoresques, le Surgé Goering, Napoléon, le directeur aux six doigts, puis comme une faille qui ne cesse de se rouvrir, la raillerie, la vie de la victime vécue comme un enfer, dans les hurlements du Père Anselme. Et la victime, ce sera Serge, promis au sacrifice. Ce spectre ferroviaire, c’est l’allégorie de la violence, celle qu’on fait vivre aux autres et celle qu’on s’impose à soi-même, dira François. C’est un souvenir d’enfance qui n’a rien de joli et qu’on a tu longtemps, tellement qu’il revient de lui-même. Tout enfant finit par se défaire, pense le narrateur, tandis que Chloé - celle qui a aimé François et que le narrateur a pensé, un soir, supplanter - dit l’inverse, quand, s’appuyant sur une enfance passée sur les tombes, elle avance tout le passé m’est présent. Dans cette vie campagnarde que Jourde dépeint avec un réalisme parfois glaçant, il y a la double énonciation – me dit Chloé que François lui a dit – qui met de côté, pour le coup, celui de l’action. Paradis noirsmet en avant la fascination des enfants pour la violence, leur avidité de débusquer toute espèce de sentiment pour blesser, regarder saigner et mourir. Comme le crapaud de l’aïeule que François aura massacré sans raison, comme les jeux de récréation d’époque, les partisans contre les SS dans la cour. Avec des tortures à la limite de la comédie, jusqu’à la cruauté ultime, doublé d’un sadisme certain, le piège qui se referme sur Serge. Les habitants du passé sont fragiles, glisse Jourde, dans une cacophonie qui rappelle le dénouement du Prisonnier – se succèdent (…) l’Ouverture de Guillaume Tell, les premières mesures de la cinquième symphonie de Beethoven, l’appel du héron en rut, la marche d’Aïda, le début de Yellow Submarine des Beatles, un pépiement de canari, le vrombissement d’une formule 1, le sifflet d’une locomotive à vapeur, « le Printemps » de Vivaldi et le rire de Woody Woodpecker – et le roman recrée la confrérie initiatique qui aura perdu Serge, les légendes des habitants secrets et du frère oublié dans une atmosphère fantasmatique, les trois épreuves qu’il a dû subir –raconter quelque chose dont il avait honte, montrer sa soumission en torpillant son trimestre et signer une lettre ordurière qui provoquera son renvoi après une ultime humiliation. La culpabilité que les deux autres chasseront chacun à leur façon – l’un en voulant faire le grand écrivain, qui dépeint mieux que les autres les ambiances de résidence et de rencontres littéraires – l’autre en devenant, dans ses rêves de gamin fasciné par la Wehrmacht, le parangon du salaud et du paumé, qui passera par les groupuscules fascistes jusqu’à, dit-on, trouver une mort mystérieuse de Barbouze en Angola. Dans une irréalité définitive, puisque le narrateur raconte leurs retrouvailles comme s’il était là, puisqu’ il le voit, partout. Lui s’intéresse aux recoins sales des vieilles maisons et si c’est une juste métaphore, c’est aussi la réalité naturaliste – du Maupassant, du Zola, le berger qui a engrossé la fille de ferme – de la dernière partie du roman, qui remonte à la fin du 2nde Empire dans le Cantal, dans ces histoires de familles qui se ressemblent toutes. Le/les fantôme(s) qui hante(nt) le narrateur en veu(len)t aux vivants – quelle affaire ! – de n’être que de leur temps et non leur éternité. C’est pourtant sa propre damnation - c’était il y a de ça vingt ans. Depuis ce temps je ne dors plus guère – qu’il expie dans ce discours de l’ombre, dans la vie retracée de l’aïeule, les quelques explications données au comportement de François, son inexplicable antipathie avec Serge. Les paradis noirs, ce sont ceux dans lesquels il a été élevé, par manque d’électricité, d’abord, et ensuite parce qu’il ne fallait pas tout savoir, de ces petites pièces qui recèlent de lourds secrets. Ça n’est pas François, finalement, qu’il entr’aperçoit, c’est le double qu’il a longtemps dénié, la tristesse d’être mort, d’avoir passé nos vies l’un sans l’autre : c’est plus pratique de prétendre être différent de celui qu’on a été, ça peut même parfois aller au bout. Sauf qu’il suffit d’un rien pour que le souvenir apparaisse, s’il y en a un qui le sait, c’est bien Jourde. Un roman suffocant, mais salvateur.
19:46 Publié dans Blog | Lien permanent
LC&L'E.
La Cantate & l'Écluse, qui sortira le 18 mars en librairie, est disponible en pré-commande à cette adresse.
Objectivement, ça devient de plus en plus compliqué, sans armada commerciale, de solliciter des personnes, comme si la curiosité - de la poursuite d'une oeuvre? - s'était tarie, de façon générale. Le sujet, qui m'a toujours tenu à coeur, et l'éditrice, pugnace, me donnent pourtant envie de me battre, encore, si on m'en donne les moyens, mais je n'échappe pas au gros coup de mou et à l'aquoibonisme ambiant. Peut-être l'interlocuteur qui me lira ira-t-il plus loin cette fois, qui sait? En tout cas, si vous aimez Barbara, il vous faut cet ouvrage. Je crois.
19:22 Publié dans Blog | Lien permanent
05/03/2024
JOURDOTHÈQUE (4/10)
Il y a mille raisons de ne pas lire un livre au moment de sa sortie : le manque d’information, de temps, la défiance par rapport à son sujet, aussi. Quand Winter is coming a paru, en 2017, peut-être étais-je moi-même dans d’autres préoccupations, mais Jourde pose la question d’emblée : je n’ai jamais été capable de lire les romans qui parlent de la mort de l’enfant. Et de citer Philippe Forest, Marie Darrieussecq ou Jean-Michel Béquié, dont le Charles, dit-il, avait continué à travailler longtemps dans l’esprit. Comment imaginer que Gabriel, Gazou, n’en fasse pas autant, après un récit d’une telle force ? Winter is coming – le titre d’un morceau qu’a composé Black Soul puis Kid Atlaas, compositeur électro reconnu de ses pairs- est peut-être inspiré par les références (à Game of Thrones) de son âge (il ne lit pas, et encore moins les livres de son père), mais c’est le titre allégorique d’une agonie qu’on n’a pas vue venir, le livre sur un enfant qui va bientôt mourir, atteint d’un cancer du rein dont la forme est tellement rare – un carcinome médullaire – qu’il n’y en a que deux en France, réunis à la Salpétrière (à laquelle on n’échappe pas comme ça). Jourde, qui ne masque rien de la réalité, est un auteur reconnu, son fils – un des trois qu’il a eus – on ne le connaît que parce qu’à 11 ans, des autochtones ont voulu le lapider, en Auvergne. C’est le Gabriel de Pays perdu – les prémices du malheur ?- il a maintenant 19 ans, est lumineux et promis à un bel avenir, comme on dit, mais la maladie le rattrape, et les secousses sont nombreuses. L’auteur s’interroge d’abord sur la pseudo-humanisation des rapports entre malade et thérapeute, les interprétations qu’on fait de la moindre annonce – il ne va pas mourir tout de suite – la façon dont, dans un déni généralisé, on commence par rassurer. Parmi l’infinité des mondes, nous habitions celui où il ne mourait pas. Il énumère les disparitions qui ont ponctué son existence, se souvient avoir été substitué, à deux ans, à l’enfant disparu d’un couple d’amis de ses propres parents. Quand il parle à Gabriel, il dit : tu es vivant malgré la conscience que j’ai de ta mort, s’interroge sur le non-être qui se renverse en être (et cela s’appelle Dieu) sans trop y croire. Sur la culpabilité qui vient quand c’est trop tard – on n’a jamais beaucoup parlé dans cette famille de taiseux – sur son départ quand il était encore enfant, sur son sourire magique quand il venait le chercher à l’école. La maladie – euphémisme – on la voit grandir dans le regard de sa grand-mère qui ne le reconnaît (presque) pas, dans la relation avec Margot, sa chérie, à qui il a demandé de ne plus venir – avant que sa belle-mère, Hélène, le convainque qu’il faisait une erreur, dans l’ennui qu’un père réussit à éprouver dans la chambre de son fils menacé de disparaître. L’injustice, Jourde la retranscrit dans la machine administrative hospitalière, ses lenteurs, ses ratés, les 13h passés aux Urgences, dans la rixe qu’il manque de provoquer lors d’un contrôle de police ou avec des ambulanciers qui ont bloqué le passage ; par réaction, par contraste, aussi : il est atrabilaire et bagarreur, l’a prouvé à maintes reprises, quand Gazou, lui, se glisse dans le monde discrètement, avec son sourire, et c’est ainsi qu’il arrive à ses fins. Il retranscrit les câlins qu’il peut enfin, de nouveau, faire à son fils, les plaisirs qu’il lui crée rien que pour entendre, encore, un Merci Papa qui le convainc qu’ils sont en vie. Le père est aveugle à la maladie, qui gronde et qui ordonne de ne plus le voir reparaître, ou quasiment, le papa dur qui l’a un jour giflé pour une broutille. C’est une réflexion sur la façon dont les médecins perçoivent l’impuissance de la médecine, également (quand il a une mauvaise nouvelle à vous annoncer, le professeur Chaudier a l’air de vous reprocher quelque chose), sur l’impact qu’a le drame sur l’entourage, les amis. Sur le regret, les et dire que, les a-apostérioris. Sur l’œuvre, enfin – une obsession paternelle – célébrée en interne par des articles pêchés sur Internet – Bref, Gabriel Jourde n’était pas le genre de promesses qu’on voulait voir disparaître aussi rapidement - des sentences – ta musique restera éternelle – ou une note d’Éric Chevillard. Sur l’indicible : le patient et ses proches ne demandent pas, c’est qu’ils ne veulent pas entendre ce qu’il y avait à dire. On pousse avec Gazou, pris d’affection pour cet ange – au sens réel, pas tout à fait de ce monde – on espère, même, bêtement, le miracle après la (courte) rémission, on le porte comme son père le fait à la Martinique – j’ai mon bébé de 20 ans sur mon dos – et puis on s’efface, non sans larmes, devant l’instant, le dernier, qu’il faut leur laisser, la dernière histoire qu’il lui racontera, celle d’un héritage et d’un ordre naturel qui n’auront jamais lieu, une dernière Pietà avec la mère quand le père s’en veut de vouloir faire l’esthète et l’amateur d’art avant de se dire que les anciens savaient déjà.
Le livre est bouleversant, on s’en veut presque d’écrire une telle formule. Les mots ont dû coûter à l’auteur, mais c’est un des plus beaux textes, un des plus justes, qui ait jamais été écrit sur le deuil et l’amour paternel. Celui qu’il faut sans cesse réinventer ; en cela, Gazou et son père sont à jamais réunis : nul besoin de photos pour ça.
20:00 Publié dans Blog | Lien permanent
04/03/2024
JOURDOTHÈQUE (3/10)
Pierre Jourde fait trop souvent référence à « l’heure et l’ombre», un roman qu’il a publié en 2006 – juste après Festins secrets, sur lequel je reviendrai – et qu’il établit comme son préféré. Il faut toujours, à la fois, se fier et se mé-fier au/du choix des écrivains, dans leur bibliographie : parfois, ils sont aveuglés par la reconnaissance ou par le manque d’intérêt qu’on a consacré à leur travail, un temps, et les deux peuvent fausser le jugement. Pourtant, on comprend pourquoi « l’heure et l’ombre » lui tient à cœur, tant il comprend les thèmes sur lesquels toute son œuvre s’est fondée. Les récits enchâssés, la présentation d’un pays ou d’un arrière-pays (perdu), le lien qui se fait avec l’enfance et l’impression. L’histoire commence comme un mauvais roman, un road-movie improvisé avec une femme fugacement croisée dans des soirées mondaines. Jusqu’à St Savin. On sait trop, et heureusement, qu’on n’en restera pas là, avec Jourde et déjà, dans les deux récits qu’ils font l’un et l’autre – la narration change, il faut suivre les accords – de ce qu’ils ont vécu là-bas, en leur temps (elle y a été médecin de campagne, il y a des souvenirs d’enfance, et je pèse chacun des mots), on retrouve la vision de contrées dont on tait la façon de vivre – des gens censés exister mais qu’on ne voit plus – des ombres errantes, des secrets de famille ou de village. Dans l’histoire que Denise raconte, il y a des spectres, des légendes de disparition et de sacrifices. Ils arrivent au matin à destination, après s’être perdus une partie de la nuit, on pourrait s’attendre à une concrétisation amoureuse mais 1) c’est mal connaître l’auteur et 2) il ne pourrait y avoir de confiance ni d’abandon avec cette femme qui a ses propres mystères et qui n’est en somme qu’un épigone de celle qu’il y a laissée, des années auparavant, qu’il croit reconnaître, indirectement, par ce que Denise dit d’un homme mystérieux qui pourrait être – les histoires parallèles et le conditionnel déclenchent l’anamnèse du narrateur – le beau-père de Sylvie, cette petite fille qu’il a connue quand il avait 4 ans, qu’il a observée en se cachant dans la haie à 12 – à chaque fois, la même joie qu’une naissance, inépuisable – et à laquelle il s’est déclarée sans rien dire à 27, quand il l’a retrouvée, encore. Cette fois, il est accompagné d’un alter-ego – il aurait pu être moi – en plus héroïque, qu’il voit un temps à sa place auprès de Sylvie (comme Denise, gouvernée par la lune), avant qu’il se passe, entre eux, un pacte comme il ne s’en passe qu’entre des hommes qui savent qu’aimer une femme, c’est entrer vraiment dans son intimité – dans la maison, pas celle du fond – cesser de ressentir la souffrance de ne pas le faire. Entre Sylvie & lui, laissés libres, le modus vivendi, c’est de ne rien exprimer, ressentir le paradoxe (J’avais lu des descriptions détaillées de cet état dans Proust, mais oui, on a beau être un jeune médecin, on peut avoir lu Proust) de préférer ne pas vivre les choses plutôt que de les avoir dépassées. Quitte à imaginer supprimer la femme qu’il aime –des pulsions qu’il demande au lecteur d’assumer – tant la violence de (son) désir en rendait invraisemblable la réalisation. Le personnage-narrateur va jusqu’à la poursuivre à Tours, dans une rue dont il ne connaît pas le numéro, croire la retrouver, la perdre de nouveau. Jusqu’à des rebondissements dont aucun n’est superflu, ni mal construit, jusqu’au dernier, à la dernière énonciation, Deus ex machina Il y a du Jourde qu’on reconnaît, dans la description clinique des douches de camping, son amour (sic) des enfants, l’administration, quelques insertions – on ne se refait pas – sur la littérature, la poésie. On s’amuse à composer avec Julien – il m’a arrêté dans mes excuses sur cet abandon de quinze ans – comme le potentiel Jourde que Jourde aurait pu devenir, écrivain-ermite revenu de la littérature telle qu’on la conçoit – au mieux une survivance culturelle, une marque de standing – si les vies se définissaient comme la somme des choix qu’on n'a pas faits ou devant lesquels on s’est dérobé, par peur ou par paresse. Il y a récurrence, dans tout le roman, entre le monde réel et la manière dont on (les gens) se le représente(nt), les impressions qu’on en garde. Son double, celui qu’il a chargé de vivre à sa place, va jusqu’à dire au narrateur qu’il a perdu Sylvie – qui l’aimait – parce qu’il l’aimait comme une abstraction, trop amoureux de l’amour. C’est un livre sur la culpabilité de n’être que soi – jusqu’à l’unique solution qui consiste à n’être rien – sur le passé – un emboitement de fantasmagories – et sur la permanence, avec une fin qui laisse le lecteur exsangue, jusqu’à l’excipit.
Pierre Jourde, l’Heure & l’ombre, l’Esprit des Péninsules, 2006
20:29 Publié dans Blog | Lien permanent