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11/11/2019

Balaise*

IMG_5721.jpgIl n’y a que dans le roman qu’Aurelia Kreit, en débarquant à Paris avec toute sa tribu, pense qu’elle conquerra la ville sans souci, avant de viser plus loin, encore, et passer de l’enfance - l’In fans, celui qui ne sait rien et ne parle pas - au statut d’égérie du pays qu’elle a fui. Dans la Halle des Blancs manteaux, en plein Marais, Aurelia Kreit ne concourait qu’au titre du roman le plus gros - le plus lourd, diront les passants, sans préjuger du style, heureusement - et le plus rouge, mais ce verdict-là ne sera jamais rendu; l’autre, si, qui m’a vu vendre peu, et exclusivement des Girafe lymphatique et des Paco. J’écrivais hier qu’il était important, pour un auteur, d’avoir des livres identifiés - Tébessa, hier, Paco aujourd’hui - pour surmonter une offre pléthorique et une demande en berne. C’est un bel endroit, les Blancs Manteaux, en plus ça évoque des choses fascinantes pour moi, une chanson de Sartre que Gréco a perdue, par inadvertance. C’est un bel endroit qui croule, quatre jours durant, sous les étals des éditeurs dits indépendants ou petits, selon qu’ils se considèrent. La table du Réalgar est petite, et comble: à raison de quasiment dix éditions par an, entre la collection de poésie, les nouvelles illustrées et les romans, la maison stéphanoise est à l’étroit dans les travées, et l’on se serre derrière les présentoirs. Frédérique Germanaud, dont on dit le plus grand bien, vient présenter « Dos au soleil », un roman qui chronique l’exil des déportés d’Algérie - puisque rapatrié n’est pas le bon terme - à compter de l’Indépendance, un livre - j’en reparlerai vite - qui fait écho à mon Tébessa, 1956. Dont je retrouve l’éditeur avec grand plaisir, après un temps trop long de silence et de report. Claude Raisky a été un homme essentiel dans mon parcours d’écrivain, avec qui j’ai vécu l’illusion du succès et son corollaire, mais j’ai aimé le moment où, dans ce café-librairie, nous avons remonté le temps, jusqu’en janvier 1998 et une restitution d’un travail sur « Humanité, différences & inégalités » dont je pourrais redire les moindres termes, aujourd’hui. Tébessa et d’autres sont sur le stand « Raison & Passions », ça me fait drôle de ne pas être derrière et les défendre. Mais l’édition passe, toujours, et ici comme ailleurs, il y a d’autres auteurs qui vous ont succédé et qui pensent sans doute que vous avez fait votre temps: je souhaite à leurs livres le même parcours que le mien et reviens à mon roman rouge, que je présente à qui veut bien l’entendre, sans suffisamment, je le concède, de motivation pour l’exercice. En salon, il faut se battre, sans racoler. Se mettre debout, entamer une conversation, défendre une vision de la littérature autant que l’histoire qu’on présente. Le dimanche, quand rien ne se parle, je l’explique à Isabelle Flaten, qu’on vient pourtant trouver sans qu’elle demande rien. Je lui dis « viens, on se donne une demi-heure pour vendre des livres! ». Ironie ou démonstration, dans les cinq minutes, deux jeunes femmes repartent avec une Girafe chacune, qu’elles n’ont pas voulu partager. Un homme, poète africain, se laisse convaincre par l’histoire d’Aurelia puis finit par le prendre en photo... On offre des Tagada, la Flaten’s touch, et on discute: au moins le temps passe. Il y a le livre de Vitas*, Céphalées, sur la table, sans que son auteur l’ait touché, encore. Ceux des auteurs-monstres du Réalgar, dont le parcours et le réseau font qu’on en parle et qu’on les connaît. Parfois, les passants sont un peu maladroits, dans les gestes ou les propos, mais c’est de bonne guerre, la guerre lasse. Le samedi soir, à la galerie l’Amour de l’Art, quelqu’un qui avait déjà le roman m’a dit que ma façon d’en parler lui avait donné envie d’y plonger, toutes affaires cessantes. C’est hélas la quadrature du cercle: il faut parler de ces romans-là pour convaincre les lecteurs potentiels, mais l’espace public est saturé, y compris par de très mauvais livres. Même l’espace privé se tarit, ou souffre de la concurrence: le réseau russe que j’espérais n’est pas venu rue de Seine, et si la soirée fut belle, elle démontra aussi qu’il n’est pas toujours conseillé de revenir là où l’on a réussi… Même si le théorème du coup de pied de l’âne se transformant, des générations après, en cancer des testicules ne m’a pas échappé, au moment où je retrouve ce qui rééquilibre ma vie et rend tout dérisoire, finalement, le Tout - absolu - et le relatif. Et comme aux dieux mon offrande suprême, La scintillation sereine sème Sur l’altitude un dédain souverain : je préfèrerai toujours le cimetière marin au cimetière des illusions.

* dont les mots sur AK ont fait mouche, hier soir : « J’ai eu quelques difficultés, liées à la fatigue, à rentrer dans ce roman, peut-être aussi par anticipation du chemin à parcourir devant le format plus long que mes lectures habituelles -je sais l’importance de ces dix ans d’écriture et de doute pour son auteur- ; autant de difficultés à en sortir une fois familiarisé avec les personnages. Au delà de la trame historique, du contexte documenté, c’est l’humanité de ces personnages qui m’a happé. Chacun, creusé par sa vie, questionne par ses actes son identité et son appartenance et les engagements qu’elles impliquent. Des êtres vrais, comme j’en attends en littérature.
Le chemin est long, me laisse l’agréable illusion de mieux comprendre l’âme slave, loin de la fierté de trouver un clin d’œil à une de mes chansons (quelques mots au milieu de 430 pages qui m’auront dévié de ce parcours dans un sourire) l’humilité de voir mes 70 petites pages sortir dans quelques semaines dans la même collection. »

09:14 Publié dans Blog | Lien permanent

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