20/07/2017
B.
Appelons-le B. Ses parents doivent être effondrés de douleur et je ne veux pas qu’une quelconque appropriation, même pour un temps, la décuple, si tant est que ce fût possible. B. a l’âge de mon fils et de ses copains, d’ailleurs, à eux tous, ils commencent déjà à avoir une certaine expérience de l’amitié et du bel âge. Ils ont fabriqué un radeau, ont descendu le Rhône, recréé l’auberge espagnole à Barcelone, ils ont passé des réveillons ensemble, se sont sans doute juré fidélité. Pour la vie. Mais B. restera ad vitam aeternam celui de tous dont le visage restera figé à l’âge de 21 ans, ce qui l’empêchera singulièrement de vieillir mais plongera pour le reste de leur vie tous ses amis dans le pincement au cœur. Celui qu’on a tous ressenti un jour ou l’autre et qui se ravive, sans prévenir, quand on passe quelque part ou qu’on entend un air, à la radio. Tous ses copains seront là samedi, interrompant leurs vacances, s’apprêtant à entrer de plein pied dans l’héritage mémoriel de l’injustice. 21 ans, le bel âge, oui – plus de considérations nizaniennes – mais pas pour mourir. B., je ne l’ai vu qu’une ou deux fois, j’en parle avec distance et pourtant, par assimilation, depuis ce matin, je pleure autant que ceux qui le pleurent intimement. Parce qu’il est le fils de ceux qui pourraient être moi et sa mère, parce que le chagrin est communicatif et parce que la maladie frappe qui elle veut quand elle veut, sans rien respecter. Parce qu’il était beau et doux, un peu décalé dans ses options, visant l’audiovisuel, de mémoire, sans trop y connaître, à l’époque. B., c’est le copain qu’on rêve d’avoir quand on est jeune, celui qui ne pose de problèmes à personne, qui est toujours partant. Qui contrecarre un peu les exaltations des quelques autres, tout en s’en nourrissant. B., c’est un visage souriant, un peu mélancolique comme si quelque chose en lui, déjà, s’excusait du mauvais tour qu’il va leur jouer. Du manque insupportable. Lancinant. B., c’est à lui seul tous les deuils qui reviennent, la haine des absents, ce sont les vies qui défilent sous nos yeux et nous font dire que la nôtre se construit là-dessus, parce qu’on n’a pas le choix. C’est la relativité qu’on oublie de donner à l’ordre naturel des choses, trop occupés que nous sommes à penser que rien ne doit et ne peut changer. B., sa vie qui s’achève si rapidement, celle de ses parents qui n’a plus de sens, d’un coup. Ce sont des larmes qui ne s’arrêtent pas et qu’on voudrait voir couler jusqu’à la fin, de peur qu’on l’oublie. Mais B., c’est aussi une sacrée figure qui rentre dans l’intemporalité, qui renforce un peu plus encore le lien d’amitié, interdit tout compromis avec le serment. Ses amis, dont mon fils, se rappelleront toute leur vie à eux où ils étaient, ce qu’ils faisaient, quand B. les a quittés. Ils ont une sacrée responsabilité, maintenant, mais nul doute qu’ils en sont conscients, tous : c’est par eux que B. continuera de vivre et que la douleur s’atténuera. Un peu. « D’avance, on a tous perdu », entends-je, de là où je me trouve. C’est sûr. B. en a pris une sérieuse, d’avance. À eux de comprendre que ceux qui restent sont parfois condamnés à vivre.
16:40 Publié dans Blog | Lien permanent
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