30/09/2013
Le der d'Houdaer.
Tant que les poètes sont vivants, il faudrait continuer de leur demander leurs papiers. Ceux de Frédérick Houdaer sont en règle, nonobstant une certaine belgitude, dont tout le monde s’accommode à dire qu’on en règlera le cas une fois celui des Roms bouclé. J’ai vérifié l’ordre de ces choses deux fois en trois jours, vendredi à la librairie « Points d’encrage », à Lyon, dimanche, entre autres, au Cabaret Poétique dont il est l’instigateur, l’animateur et, quelquefois, l’un des invités. Il défend, en ce moment, son dernier recueil « Fire Notice », dont on ne sait s’il emprunte à Bradbury son envie de brûler des livres plutôt que d’en écrire, ou s’il n’est là que dans l’optique de foutre le feu aux caciques, un exercice qu’il affectionne. Allez l’écouter, vous l’entendrez tour à tour et fort à propos dézinguer le Prix Roger-Kowalski, Yves Bonnefoi – à qui il préfère Jimmy Page, cité en exergue du recueil – l’Education Nationale et les SMS en pleine lecture de Serge Pey. Sa poésie, déjà éprouvée par une première trilogie, est fondée, comme Bukowski qu’il adore, sur des petits morceaux de quotidien qu’il sublime par une métaphysique fataliste et mordante : après les scènes de banquière dans « Engeances », on trouve dans « Fire Notice », entre autres, du linoléum, des Nutelleries, un lecteur de CD et des catalogues, des Trois Suisses ou de la Redoute. Sur le même plan, on trouve des références, marquées, à Castaneda, à Léon Bloy ou Aleister Crowley. Comme dans les « Je me souviens », il faudrait un renvoi à chacune des références, qu’elle soit noble ou pas : sur la même ligne, Houdaer met les bébés et les beuveries, pas seulement pour l’assonance ou l’allitération. Ce sont les préoccupations de ses contemporains qui l’interpellent et le consternent, souvent, au travers d’un poème en 4X3 sur l’autoroute, si mauvais qu’il frôle l’accident, ou le mythe entretenu de tel chanteur mort, dont un philosophe israélien défenestré dans la plus totale indifférence. Houdaer, je l’en soupçonne, fait appel à une esthétique, celle d’un or perdu, d’une juste conduite : toutes les contingences qu’on prend pour des nécessités, ce qu’on établit comme essentiel alors que c’est secondaire, il les relève, conseille au lecteur de les faire cuire, les faire réduire, généreusement. En s’appuyant sur des procédés que la poésie contemporaine ne maitrise pas toujours mais qu’il sait utiliser, il suspend la lecture, laisse le temps au lecteur de deviner le mot qui va suivre : on reconnaît un bon poète quand le mot qu’on attend n’est pas celui qui vient. Houdaer joue de l’italique, de l’espace laissé, de l’anaphore, des effets, à l’oral, heureusement contrecarrés par l’impavidité du visage, et la fonction référentielle. Il ne ressent pas la peur de la chute parce qu’il est sûr de l’effet du mot, pas de son artifice. L’inquiétude que j’éprouve – sans qu’elle m’ait rien demandé – pour la poésie contemporaine, en mode public, c’est le grand écart que j’entends entre le pathétique convoqué et la déclamation. Ou quand les deux se mêlent, en parfaite dissonance. Dans ce que j’ai entendu, puis lu (dans cet ordre, c’est mieux), rien de cela : les interstices sont sauvegardés, les moments de réel alternent avec une vraie métaphysique, dont la question de l’enfance, celle des femmes aussi, Muse (découpée en morceaux, néanmoins) et Circé à la fois. Son réel fait sens et poésie, le lecteur est pris entre la connivence et la souricière : on ne sort jamais indemne d’une interpellation. C’est un bon recueil d’un bon poète, « Fire Notice », mais son titre est mensonger. Pas besoin de notice, au final ; les pompiers et les pyromanes le savent déjà : c’est l’appel d’(Houd)aer qui fait l’incendie.
NB: "Fire Notice" est paru aux Editions du Pont du Change, dirigées par l'exigeant Jean-Jacques Nuel. En écoutant ses auteurs, dont lui, l'autre jour, j'ai aussi entendu un excellent travail sur les "Ressources humaines", par Christian Cottet-Emard. Que je vais m'empresser de découvrir.
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29/09/2013
Moins une.
Il arrive qu’on arrive essoufflé au rendez-vous quotidien, in extremis, parce qu’on s’est laissé porter, d’abord, par la fragilité d’un ou deux poètes, parce que la vie émet elle-même l’ordre des priorités et parce qu’il n’y a de désir que s’il y a de secret(s). Fabienne Bergery et Frédérick Houdaer, au Cabaret Poétique, ce soir, auraient suffi à mon bonheur, mais, dirait-elle, on ne peut pas suffire à son bonheur sans être suffisant. Alors je me tais, je me recoiffe et je te l’offre, celle-ci, bougnat.
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28/09/2013
Aurélia, je suis comme toi.
Elle est toujours là, derrière moi. Mais elle n’est pas impatiente, ne m’en veut pas de fureter ailleurs, m’amuser, au sens littéral, avec d’autres. Elle sait que je vais revenir à elle bientôt, qu’elle sera celle de mes cinquante ans, un peu avant, sans doute. Déjà, elle m’a vu imprimer les premiers feuillets, les relire, trouver ça plutôt pas mal, puis m’effondrer à l’idée du travail de vérification. Mais elle me connaît bien, oui, elle sait que je n’ai pas d’autre choix qu’elle. On s’apprivoise.
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27/09/2013
En filigrane.
Le problème des êtres complexes, c’est que, souvent, leurs qualités sont également leurs défauts et que leur face cachée est, à l’identique, celle qui peut les mettre en pleine lumière. Sachant, de fait, que leur passé, normalement, conditionne leur avenir, lui-même déterminé par ce qu’ils ont vécu, qu’ils ont l’habitude d’aller à Sète à trois mais pas l’inverse, il est à peu près compréhensible qu’on marque une hésitation lorsqu’un d’entre eux se présente à vous.
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26/09/2013
Bile et Boule.
M’intimer, même gentiment, l’ordre de visiter un blog qui se veut exhaustif et qui remercie Wikipédia comme source de recherche aurait vite tendance à me ramener à ma misanthropie.
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25/09/2013
Dans les transports en commun.
Je prends le métro et le bus tous les jours, désormais, sans aucune impression d'être relégué, socialement: j'ai gagné une heure vingt de lecture par jour - le dernier Mingarelli m'a pris quatre voyages - et j'ai dans les oreilles (concession obligatoire) des musiques qui me transportent, ou des chansons que, parfois, j'ai moi-même écrites. On fait pire.
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24/09/2013
Crimes et achattiments.
Dans "Souvenirs de la Maison des Morts", Dostoïevski démontre que, quoi qu’il ait fait, un assassin est toujours un homme. Dans ses morts à lui, qu’il met en scène dans "l’A. des V.", Christian C., toujours lui, finit par démontrer, avec les deux derniers personnages qui survivent à sa fresque naturaliste, que les vivants sont redevables des morts autant que l’inverse. Si un roman russe me vient en analogie, immédiatement, c’est parce que le choc de la lecture fut rude. D’abord par son privilège, et son support : lire, à sa demande, le manuscrit d’un ami écrivain avant la parution du livre, est une belle marque de confiance. Que j’ai failli trahir. Il y a quelques mois, je n’en avais ni le courage, ni la capacité, et l’histoire naissante, qui s’annonce exhaustive dès les premières lignes, de Charlemagne – oui – dans une campagne qu’on situera entre Roanne et Lyon, en plein XIX° siècle, m’a un peu effrayé, je dois concéder. Jusqu’au moment où je m’y suis plongé, sans pouvoir la lâcher, retardant, comme l’auteur – comme il l’écrit lui-même au lecteur, concluant un cycle d’insères récurrentes – la fin de l’histoire. Qui lâche Charlemagne, sa famille de pauvres hères faibles et dégénérés à peu près à sa moitié, quand on s’imagine qu’il va durer tout du long. Quand le récit se clôt, je l’ai dit, sur les deux derniers vivants, les deux rescapés, un de la vie qu’il s’est créée, l’autre de celle qu’il a subie. Je ne raconterai rien, puisque le livre s’offrira au public bientôt ; j’ai même préempté l’animation de la rencontre au Tramway, sur proposition de Romain, intrigué par mon enthousiasme. Parce que l’affaire des vivants, selon moi, est d’abord un grand livre par sa grande qualité d’écriture : voilà, en plein XXI° et résurgence de l’autofictif, un auteur qui va mêler les analyses sociétales naturalistes aux meilleures descriptions des univers qu’il dépeint. Puisque Charlemagne naît dans une ferme défréchie, c’est la campagne profonde, ses rites et ses saletés que l’auteur va décrire ; puisqu’il s’élève très rapidement à la force de ses bras et de son intelligence mêlés, c’est le monde de l’industrie, des premières toiles cirées, du commerce du tissu et de la bourgeoisie qu’il restitue. Les descriptions sont profondes, précises et permanentes : quand Joseph-Antoine Pajaud se présente à la boutique, ce n’est pas Alma – future parti de Charlemagne – sur laquelle on focalise, mais l’uniforme de celui-ci. Dont on se doute, au fur et à mesure qu’on nous en présente la coupe rectiligne, que celui qui l’habite ne l’est pas autant. Une scène et voilà convoquées tous les misérables petits tas de secrets que sont les hommes en conquête ressurgissent. Magnifiquement mises en abyme : les plus misérables ne sont pas ceux que l’on montre comme tels, même si la société et la justice des hommes finissent toujours par les désigner. Dans « l’A. des v. », on trouve des termes obsolètes, « plicaturé », « déjetaient » ou précis « arbres raffaux », « algides »… « Chitine », « cilices », « hétaïre », qui renvoient le lecteur à son élévation (dictionnaire) ou sa paresse (canapé). Ou au lexique en fin d’ouvrage, qui éclaire les « copurchic » et le désormais fameux « achatti » - qui aime les douceurs, comme les chats – qu’il nous demande de faire circuler. Chose faite. Dans le même temps, puisqu’une telle entreprise ne saurait être verbeuse, on recrée à l’identique, à l’écrit, le parcours des visiteurs de l’Exposition Universelle de Lyon, en 1872 ou celui des clients d’un bordel découvrant leur première négresse (mot remis dans le contexte en index, moins péjoratif, dit Littré, que noire). On suit l’évolution des personnages, le lien ou celui qu’ils ne formulent pas, la transmission, on continue in abstentia avec de belles personnes qu’on ne voit pas ou plus – Louis, et surtout Jeanne, qui m’a émue – on croise l’épigone de Louise Michel puis Louise Michel elle-même, on traverse les guerres – à chaque génération la sienne et la façon d’en revenir – les conquêtes et les déchéances, les procès, l’homosexualité, la naissance de l’automobile. A la lecture, je pense au « Dans la marche du temps », de Daniel Rondeau, remarquable roman du XX° fondé sur les mémoires d’un père très âgé et de son fils d’une cinquantaine d’années, qui retrace plusieurs conquêtes, révoltes et acquis sociaux de haute lutte (la révolte des vignerons en 1911 pour commencer). Ici, moins de lyrisme, même dans le parcours remarquable de Charlemagne : la rudesse n’est jamais loin, autant ne pas s’y attarder, mais une précision, comme toujours chez C., un sens du détail entomologique. Si j’avais à trouver une nuance, je dirais que Charlemagne disparu, le roman retombe un peu (un peu), mais ce n’est même pas un reproche, puisque c’est lié à la personnalité, velléitaire, d’un personnage qui n’a pas – ni dans l’histoire, ni dans sa narration – son charisme. La fin lui vient en aide, néanmoins, par la surprise qu'elle réserve.
Si ce livre m’a coupé le souffle, à sa lecture, c’est aussi parce qu’il est dans la tonalité et la démarche que je cherche encore pour mon « Aurélia Kreit ». Parce que c’est un roman russe de Mérives. Le livre d’un auteur dans sa pleine maturité. L’avantage, avec lui, c’est que je n’ai pas le temps de le jalouser, tant je suis heureux de chacune de ses pépites. Après « J’habitais Roanne », dont l’écriture a dû l’aider pour celui-ci, c’est la nouvelle démonstration que l’écriture n’est pas toujours là où on nous dit qu’elle est. Une diffusion nationale de « l’A. des V. » est totalement méritée, et attendue : il faut espérer que le public ne paressera pas.
PS : dans nos parcours parallèles et réversibles, je trouve cet amour de Hugo. Dont nous avons tous deux déclamé « A Villequier », un jour. Ironiquement, je trouve dans ce roman des références, une connivence récurrente au Grand Homme, les mêmes dont j’ai usé dans les premières pages de mon roman russe à moi. Celui qui verra peut-être le jour quand je serai prêt, dont l’importance m’apparaît plus encore depuis que la voie m’a été montrée.
NB: cette note a été éditée, titre et nom de l'auteur ont disparu. Ils reviendront vite, promis, quand le livre sortira. Dans ce milieu, il faut être prudent, et un poil superstitieux.
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23/09/2013
Alcibiade mineur.
J’explique les passions de l’âme à mon fils, qui regimbe (mais prend des notes, pas folle, la guêpe!). Pas parce qu’il ne comprend pas, mais parce qu’il sait que chaque minute passée avec un philosophe le compromet davantage encore sur le chemin de la connaissance et, qu’à choisir, il reprendrait un peu d’ignorance. La vraie, la douce, la protectrice, celle dont on se convainc qu’elle est une bonne compagne, pas la plus belle du lycée, mais une de celles qui durent, quoi. Raté.
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