19/02/2022
Mais mort ou vif...
Il y a des domaines dans lesquels la fidélité est encore plus parlante que dans le couple. En Art, par exemple, quand il s’agit de suivre la carrière d’un être dont on a connu les débuts. Voir comme il évolue, comme ses choix s’affirment, varient, s’épuisent, parfois. Il y a des chanteurs ou des chanteuses que j’ai vus des dizaines de fois depuis près de quarante ans et dont je ne me suis jamais lassé : Jean-Louis Murat, Stephan Eicher, le Voyage de Noz ; d’autres que j’ai lâchés après des années de route commune, pour des raisons différentes : Miossec, Kent. Il y a ceux qui m’ont quitté alors que je les aurais bien côtoyés encore : Barbara, Bashung. Ceux que j’aurais pu ne jamais voir avant qu’ils partent : Ferré, Trénet, les deux dans le même écrin qui accueillait Benjamin Biolay hier, en régional de l’étape, à l’Auditorium Maurice Ravel. Un lieu qui ne bouge pas, dans son architecture post-sovietique et son acoustique à tout rompre. Biolay, chanteur-crooner de variétés, accompagné par l’Orchestre National de Lyon, c’était un rendez-vous qui promettait, rappelait des moments importants de la chanson française, Sanson ou Sheller en symphonique, par exemple. À 20h pétantes, après ces moments privilégiés où le spectateur voit s’assoir, s’organiser et s’accorder quatre-vingt musiciens très hiérarchisés, première violoniste en tête, Philippe Delon, chef d’orchestre flamboyant en sus. Biolay, en smoking César, intimidé, limitera son jeu de scène à sa façon d’arpenter, comme toujours, les quinze mètres qui le séparent, à sa droite, de Pierre Jaconelli, son guitariste et à sa gauche de Philippe Almosino, son autre guitariste, en faisant mine de vouloir en découdre. Serrant ses deux mains sur son cœur pour remercier ses fidèles de lui offrir une vie comme ça, et la possibilité d’avoir derrière lui ces musiciens millimétrés qui ne lui laisseront pas la liberté qu’il a sur une scène rock, mais inscriront ses mélodies dans la part de Sacré qu’elles révèlent. L’entrée sur « Négatif » et son crescendo laisse imaginer bien des choses, des envolées lyriques et, dans la salle, le public est essentiellement féminin et déjà en transe. Qu’il enchaîne sur Lyon presqu’île est quasiment un dû, ici, et, si ça fonctionne, il manque un petit quelque chose qui fait que ça ne décollera jamais vraiment : des morceaux (forcément) bien interprétés, mais qui retombent vite, trop vite, comme les mythiques « Cerfs Volants » ou le sublississime « Ton Héritage », la chanson dont chacun est persuadé qu’elle a été écrite pour son fifils ou sa fifille. Il y a tous les ingrédients, mais l’interprétation est presque contrainte, sans doute liée à la structure réglée des morceaux rendus classiques. BB, qui n’a jamais vraiment su quoi faire de son corps sur scène, bat le rythme de la main et colle un peu trop aux feuilles de son pupitre : on finira par lui reprocher. La réception est complexe, également : un concert assis, un public sélect à qui Lennon aurait demandé de secouer ses bijoux, on projette davantage l’incendie qu’on le vit réellement. Mais ça marche quand même parce que les chansons sont belles et qu’on les découvre sous des formes inédites : « Comment est ta peine » fait se pâmer les femmes, les hommes qui les accompagnent aussi, et il y a – quand même – deux faits d’armes auxquels on pouvait s’attendre, au vu de leur construction : « À l’origine », long tableau post-apocalyptique, se termine en hallali musicale, et « la Superbe », chef-d’œuvre éponyme de l’album du même acabit, est sans doute le morceau qui justifie depuis quinze ans, qu’on accompagne un jour cet homme et ses chansons de la façon dont ils le méritent : avec cette organisation politique hypra-structurée qu’est un orchestre symphonique. Sans doute a-t-il, pour cette première, mesuré le chemin parcouru, sans doute a-t-il été un peu impressionné ? Ceux qui le verront ce soir le diront. Moi, je continuerai de le croiser sur le quai de Bosc, devant Monoprix, ou sur le stand d’Olivia, à la brocante. Et d’aller le voir sur scène cet été, sans doute. Après le Voyage de Noz à À Thou Bout d’chant, puisque j’ai appris hier que Pétrier et sa bande allaient y jouer début juin. Pétrier, qui n’aime pas Biolay, qui aimerait certainement Pétrier, s’il le connaissait. On y croisera peut-être Thaïs Té, chanteuse croix-roussienne, que BB a invitée à chanter « Brandt Rhapsody », en lieu et place de Jeanne Chéral et « la Ballade du mois de juin » en remplaçant Chiara. Rien que ça. Mais bon, BB s’est bien pris, le temps d’un récital, pour Sinatra (« It was a very good year », dans un anglais, euh…) et pour Luis Mariano (« C’est magnifique ») : ça n’était pas les Beatles au Palais d’hiver, en 65 – private joke – mais c’était important d’y être, je crois.
13:18 Publié dans Blog | Lien permanent
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