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16/04/2022

Va, ma mémoire est inflammable.

IMG_0908.jpgÀ force d’avoir laissé le temps passer par derrière – en vision sartrienne – on a fini par oublier que ça fera bientôt 30 ans de scène partagée avec Jean-Louis Murat. Je m’entends : je suis toujours resté sagement à ma place, dans la fosse comme hier, aux Abattoirs de Bourgoin-Jallieu, 10 ans après que je l’ai vu là-bas, déjà, comme partout ailleurs, principalement dans les petites salles de la couronne lyonnaise, les Transbordeur et autres Salle Rameau n’étant plus qu’un vieux souvenir pour lui et son public de sexagénaires ou presque. Jean-Louis Murat, je l’ai dit souvent, c’est l’histoire d’une anomalie musicale, depuis longtemps : un premier 45t mythique, au titre prometteur (« Suicidez-vous, le peuple est mort ») et puis ensuite, la volonté des maisons de disque d’en faire un concurrent à Julien Clerc, à base de chansons qu’elles n’ont pas comprises et de zooms sur les yeux bleu délavé, et la moue boudeuse. Ensuite il y eut la phase provocation permanente et outrance à foison. Jusqu’à ce que, depuis une petite dizaine d’années, il décide de ne plus faire que ce qu’il sait faire, jouer avec ses potes, sur scène comme à la maison. Ne plus se soucier du public qu’en lui donnant ce qu’il est venu chercher, de la musique. Pas celle qu’il s’attend forcément à entendre, mais ça, c’est lui qui décide. Et l’homme étant prolifique, et guère porté sur la nostalgie, on ne s’illusionne plus depuis longtemps d’entendre les vieux titres que les fans portent comme d’imbéciles privilèges, parce qu’ils les ont entendus. Je le sais, j’en suis. Pour autant, hier, aux Abattoirs, c’est en quatuor que le Bougnat s’est présenté, avec les fidèles Denis Clavaizolle aux claviers, Fred Jimenez à la basse et, nouveauté de la tournée, Yann, fils du premier nommé, à la batterie, en lieu et place – ce qui ne veut rien dire, en musique – de Stéphane Reynaud. Clavaizolle (Denis) de retour, c’est plus de nappes, forcément, et un léger recul de Jimenez, revenu de Johnny (et pour cause), mais c’est une session rythmique qui pose des spectres gros comme ça avant que le patron, dont on se demande s’il ne lance pas des accords de guitare avant même de savoir ce qu’il va jouer. Une fois les intros posées et le groupe en place, il extrait de son pupitre les textes qui paraissent secondaires, et fondés, en refrain, sur les Ouh Ouh Ouh et les Yeah de tout Bluesman qui se respecte. Voix plaintive ou de tête, Bergheaud chante son dernier album, la vraie vie de John Buck, et remonte quelques titres de ceux d’avant, de Baby Love à Morituri. Presque enjoué, sifflotant et esquissant quelques chorégraphies assises, il enchaîne sans parler, les trois musiciens jouent des chœurs réguliers et féminins, on passe du Blues trainant (Jean Bizarre, La Princesse of the Cool, Cine vox…) à des morceaux presque dansants, comme le tubesque Chacun sa façon ou le gervaisien Franckie et quand on connaît l’énergumène, on se laisse aller à croire qu’il est bien, là. Qui change même l’ordre de la set-list en disant qu’on a l’air sympa et qu’on va leur jouer quelque chose de cool. Un temps, le cœur s’arrête et on se dit qu’il va sortir un Troupeau, ou l’Irrégulière, histoire de boucler une boucle de vingt-cinq ans et d’un week-end pascal. Apprends à t’aimer, chante-il, a capella d’abord, puis repris par la troupe. Clavaizolle se positionne au piano solo, et ramène, de Taormina, le sublime Chemin des poneys, ou bien ma mémoire a-t-elle confondu des titres, et ramené le peine d’amour, peine toujours, peine de cœur à la surface. Peu importe, il arrive toujours ce moment où l’on regarde Jean-Louis et qu’on se dit qu’on a toujours eu besoin de lui et que si j’ai toujours combattu l’espèce de béatitude qui règne chez ses fans, il pourrait bien chanter le bottin, me glisse l’ami Olivier retrouvé là-bas, ça ferait l’affaire, encore et encore. Je me revois me morfondre sur l’anthologique Maîtresse du live de 93, et là, trente ans après, c’est un très beau septuagénaire aux éternelles allures d’ange déchu (yeux fermés, sourcils nourris, taille affinée, beau t-shirt Budapest) qui se risque – après un long Battlefield -  à « plomber la soirée » en chantant, toujours en piano-voix, le sublissime Arc-en-Ciel, son refrain qui perfore : Je suis devenu un coucher de soleil Je parle comme les feuilles d'avril Je vis enfin dans chaque voix sincère Avec les oiseaux je vis le chant subtil. Murat, ça n’est pas la madeleine, c’est l’étal complet du boulanger. Il peut finir sur un Taormina (le titre) dantesque, comme il finissait jadis par le jour du jaguar ou, plus en avant encore, la fin du parcours, étalant le morceau et ses reprises jusqu’au bout de la nuit berjallienne. Bergheaudienne. En quittant les Abattoirs, je me demande s’il y sera encore en 2032, si je serai dans la fosse, encore. Pour plus de précautions, je serai à Montpellier, en septembre. Après chaque accident – fût-il phénoménologique – il faut se palper, vérifier qu’on est bien en vie toujours. C’est à ça que me sert un concert de Murat, tous les ans ou presque : la pharmacienne d’Yvetot ne saurait rien me prescrire de mieux.

01:18 Publié dans Blog | Lien permanent

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