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24/02/2019

Animal, on est mal.

guillo.jpgGuillo entame donc son « De profundis clamavi », à son tour, quelques millénaires après la Bible et cent-cinquante ans après la dernière édition autorisée des « Fleurs du Mal », un an après la mort de leur auteur. On dit souvent que du chant d’espérance religieux, Baudelaire a fait un chant de désespoir. À quelques exceptions près, ce pourrait être le credo du chanteur des Landes, qui ouvre son « Macadam Animal » - 3ème opus – par un imparfait, « Nous aimions la Terre », mode majeur d’un disque sombre et étrangement fataliste, quand on connaît la nature du bonhomme. Un réquisitoire sans faille, « un pieu en plein coeur » contre l’espèce humaine, la seule qui se soit jamais auto-détruite. Il y a ce constat, qu’il aborde dans un genre musical différent, avec une voix souvent codée, derrière, voire dénaturée – comme dans « Tout baigne », antiphrase assumée et bashungienne dans ses finales traînantes et ses allitérations : « des habits sales s’amoncellent sur le sol ». Pour en finir avec cette image de gros dur à la voix douce ou pour souligner un mixage différent des deux premiers album, avec des cordes quasi-symphoniques et des emprunts à l’électro ? « Le chant du cygne », « Le paradis perdu », « la noirceur », les occurrences sont nombreuses qui disent que l’homme a dépassé l’esthétique rapport proustien de la première chanson, quand il regarde les maisons blanches « s’éloigner », « s’estomper jusqu’à disparaître ». Pas celle de son enfance, « au parfum des jours de fêtes », bel et bien vendue*. La basse est ronde et les violons équilibrés ; pas de pathos, juste ce procès, entêtant, et anachronique : le monde se revêt lui-même de son linceul (rapport capillotracté avec « la neige », dont on se demande – un coup de griffe pour trois caresses – si elle n’est pas un peu étrangère à cet album-là ?) et le Mal commence tôt. Dans la notion de Progrès, qu’il répète (trois fois) sans rien ajouter, comme pour en démontrer l’absurdité. Celui-ci n’est valable que s’il est partagé par tous et Guillo va chercher les Indiens de son enfance pour un manifeste de la Terre et le refus de son appropriation, « sans fusils, sans or, sans trains ». Voilà l’Histoire des hommes telle qu’elle s’est écrite, contre certains d’entre eux, ces « indigènes » oubliés qu’il ramène ici, dans son immense naïveté – au sens rimbaldien. Ces oubliés qui se réfugieront, des siècles après, dans la violence et le fanatisme, iront tuer d’autres hommes au nom de Dieux auxquels eux-mêmes, s’ils avaient écouté leur coeur, n’auraient pas cru. Aborder les attentats de Paris sous l’angle de celui qui les a commis est un acte d’humanité – « Ô mon petit frère », Cantat & Cohen, Albert, mêlés - et d’amour, une notion que Guillo défend malgré tout, malgré des conditionnels passés (« Des regrets à la pelle ») auxquels il ne nous avait pas habitué : dans l’héritage de sa grand-mère, ses racines nord-africaines, celui, aussi, de la femme qu’il aime plus que celle qu’il aime, à qui il le dit, qui plus est : « Elle est un peu comme toi, en plus jeune ». Goujat, Guillo ? Il faut quelques secondes pour comprendre que, de Nikita à Cendrillon, c’est de leur lien commun, « la somme », qu’il s’agit, celle pour qui il se battra, avec ses armes, l’amour et la Beauté. Tout sublimer, c’est le sens que je donne au finale de l’album, apocalyptique « Bruit des Balles ». C’est le bilan, paradoxal, de l’artiste, qui fait de la noirceur du monde un révélateur de sa Beauté possible. Perdue, peut-être, mais ce qui est perdu, par définition – proustienne, toujours – peut encore être retrouvé. L’espèce de loup-Minotaure qui symbolise, dans le visuel de l’album, l’humanité égarée, l’état de Nature – les peintures rupestres du Pont d’Arc - à la recherche de son essence perdue, manque de renoncer, de jeter la pierre philosophale (« mémoire de caillou ») à la mer. Avant qu’on le convainque, in extremis, de reprendre le combat, la guitare en bandoulière : liquide est la vie, mais jamais linéaire : Guillo sait ça depuis long fleuve.

Musicalement, la force de « Macadam Animal » est d’avoir renouvelé l’identité de l’artiste : une voix moins en avant, moins douce, des ingrédients qu’on retrouve des albums précédents (le banjo, un certain type de percussions) adaptés à la tonalité de l’album. Là encore, l’artiste revendique son côté archaïque : qui s’intéresse encore à un album entier, aujourd’hui, à l’heure des playlists numériques ? « Macadam » est un animal aristotélicien, doué de raison, et il peut encore la faire entendre aux égarés : il suffit d’entendre le spectre musical monter au fur et à mesure que les titres s’enchaînent pour être pris. La force de cet album, j’en suis sûr, c’est d’être moins abordable que les autres : c’est pour ça qu’il durera plus longtemps. 

* un titre qui fait écho à la chance d’avoir vu la sienne rachetée par sa propre soeur.

13:32 Publié dans Blog | Lien permanent

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