Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

27/01/2017

NIE FERGESSEN (1/4).

Elle s’est dit qu’elle allait monter. Qu’il était temps, deux ans après, d’aller vérifier la théorie selon laquelle les lieux s’imprègnent de ce qu’on y a laissés et qu’il est possible, parfois, qu’on retrouve tout tel quel, les endroits comme les énergies. Deux ans auparavant, elle était rentrée le cœur et l’esprit chamboulés, sans savoir dans quel ordre, ni pourquoi. Sans savoir si les mots de ceux qu’elle était venue écouter avaient généré la rencontre ou s’ils l’avaient accompagnée, seulement. Si de tous ceux qui avaient convergé vers cette scène improbable - gageure et apogée de trois années de concerts incessants - l’homme dont elle avait saisi le regard était celui qu’elle était destinée à rencontrer. Qui allait combler ses désirs d’intensité, inscrire ses pas sur les siens et ceux des deux qu’elle suivait partout où elle pouvait aller. Cet homme, dans le hall d’entrée de l’hôtel, pas tout à fait à l’aise dans le barnum artistique, le bal des suiveurs, elle avait lu ses chroniques de résidence, s’était délectée des épisodes qu’il livrait quotidiennement, pour installer l’ambiance et faire monter l’envie. Il lui avait semblé, pendant quatre jours, qu’elle était parmi l’équipe, les techniciens dont il dressait le portrait, les artistes eux-mêmes dont il parlait en focalisation interne, en se mettant dans la tête de chaque élément du duo, dans ce qu’il recevait et donnait à l’autre dans le même temps… Elle avait lu ces longues chroniques, médium d’un autre temps, celui de la lenteur, de l’installation dans un lieu, dans les coulisses d’un spectacle à venir. Etait-ce l’écriture elle-même, ou sa régularité, était-ce parce qu’il disait ce qu’elle voulait entendre d’eux, mais elle s’était piquée au jeu, avait voulu voir à quoi ressemblait cet homme qui repoussait des limites physiques dans l’exercice, était tombée sur son visage. De belles photos, professionnelles, d’un être ordinaire. Pas du genre à provoquer des émois, des histoires projetées. Une force de la nature, imposant, inquiétant, peut-être. En tout cas, dans le hall de l’hôtel, dans la frénésie des départs, le lendemain du concert - ces moments qu’on prolonge pour éviter la retombée trop brutale - elle les avait reconnus, lui et son air d’être là sans y être. Il est possible que pour raconter aussi justement un instant, on doive s’en extraire au moment où on le vit. N’était-ce pas ce dont elle souffrait elle aussi, finalement ? N’était-ce pas cette mélancolie que sollicitaient chez elle les chansons du duo, dût-elle, à tel acmé du concert, fondre en larmes sur des vers tristes, ceux des amours délitées. Elle était venue lui parler, comme on aborde quelqu’un qu’on connaît, sauf qu’ils ne se connaissaient pas. En inspirant un bon coup, elle avait donné un immense élan naturel à quelque chose qui ne l’était pas : ils auraient à évoquer, tout de suite, des choses qui les reliaient, ce n’est pas ainsi, socialement, qu’on fait connaissance. Ils seraient dans la connivence, tout de suite, ne pourraient rien cacher de leurs failles, puisque les chansons qu’ils allaient évoquer les palliaient toutes, à leur façon. Il fallait qu’elle maquille cet abandon par un sourire, un charme. Qu’ils soient à égalité, puisqu’elle l’avait lu. Une rencontre, théoriquement, c’est une jonction, là, elle faisait se relier les quatre jours qu’ils avaient vécus ensemble mais séparément. En avait-il seulement conscience, lui, des histoires qui se jouaient quand il les racontait chez lui, seul – peut-être – pris au piège d’une fiction plus complète que pourrait l’être la réalité ? Dans tout ce qu’elle avait lu de ce qu’il avait écrit du duo, elle n’avait rien trouvé sur « Des amours », sa chanson, ça lui donnait un temps d’avance dans l’abord : quand on provoque une rencontre, on n’en devine jamais les incidences. Elle avait vérifié ça tant de fois dans sa vie récente, celle d’après la fin de l’histoire, celle à laquelle on croit jusqu’à ce qu’on en fasse le deuil. Avant qu’on en termine, souvent, dans une agonie qui pousse les romantiques à jurer qu’ils lui substitueront l’intensité, jusqu’au bout. S’ils étaient là, c’est qu’ils étaient pareils. Qu’ils correspondaient. Que le duo qu’ils étaient venus voir présiderait la naissance du leur. D’un coup de palpitant.

16:01 Publié dans Blog | Lien permanent

Les commentaires sont fermés.