Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

29/06/2011

Mon petit camarade

AVT_Paul-Nizan_2929.jpgJe me souviens être tombé sur Nizan à l’âge de dix-sept ans, alors que je cherchais chez Sartre de quoi nourrir mon anxiété. Je trouvai en Nizan mon petit camarade dans l’intemporalité, qui s’immisçait dans ma vie avec sa gracieuse insolence, le regard baissé sur ses ongles(1). Je l’avais trouvé seul, je me l’appropriai donc… Puis à entendre des personnes qui l’avaient connu avant moi, je compris que c’était à leur jeunesse que je me substituais. A l’Université, des professeurs souriaient de savoir qu’Il faisait encore son effet. L’un m’a conduit à mener un travail qui fut plus qu’une maîtrise : avant de l’appeler à l’aide, j’allais entrer dans la police, puisque « on rentre dans la police comme on se suicide. » (1) J’ai raté mon suicide : je ne suis jamais devenu policier. Claude Burgelin m’a convaincu que j’aurais plus à faire dans cette vie-là que dans une autre, usurpée. Il m’a permis de déduire que : Lange + Bloyé – Rosenthal / Antoine Bloyé = Nizan (2). Sans que, dix-neuf ans après, je me souvienne très bien pourquoi…

Dans ma vie d’homme, Nizan m’a accompagné, avec ironie parfois, quand j’ai dû, soixante ans après lui, muter à Bourg-en-Bresse … J’en déduis que Paul Nizan est une part de moi-même : nous cohabitons, en mêmes parties d’un tout, comme les androgynes d’Aristophane. Part manquante, mais présente en moi. C’est mon Nizan à moi.

Nizan, aujourd’hui, c’est pourtant le sentiment d’une réhabilitation, qui s’installe dans le temps, qui diffuse le sentiment nouveau de la tranquillité. Il arrive qu’elle nous explose à la figure : à Dan Franck qui présentait son Libertad !(3)place de la Comédie, à Montpellier, je fis remarquer qu’il manquait quelqu’un dans son index des intellectuels engagés dans la Guerre d’Espagne … De mon côté, j’écris des romans, dont Une soirée à Somosierra (jamais paru) parce que je déteste, comme tout le monde, que la vraie se soit perdue. Et un autre (à paraître) qui traite du basket-ball, du mythe d’Epiméthée et d’une initiation dans les mêmes cols! (4) J’ai fait de Nizan un élément récurrent de mes écrits, pour rappeler qu’on se trahit plus en devenant des carcasses qu’en mourant tragiquement… J’ai étudié le syllogisme d’Aragon (quelqu'un qui écrit sur les traîtres ne peut être qu'un traître lui-même), cherché les acceptions du temps détruit (5)dont parle Nizan à Henriette… Je sais que ce qui lui préside importe plus que l’œuvre elle-même : on peut trouver ces romans surannés. Mais l’homme, la démarche resteront. Un jour, peut-être, je ne ressentirai plus la nécessité de démanteler le monde ; je n’aurai plus une conscience aussi aiguë de la mort. Ce jour-là, je me rendrai compte que je n’étais pas aussi damné que lui, qui l’était doublement. D’abord parce qu’on ne se moque pas impunément de l’ordre humain ; ensuite parce qu’on ne se détache jamais de la mort qu’on porte en soi : c’est une règle. Mais bon, ce jour-là n’est pas encore arrivé : s’est-on déjà demandé, en lisant Jules et Jim si l’amour s’était tari ? Quand on relit Nizan, nous non plus nous ne louchons plus.

(1)    Jean-Paul Sartre, préface à Aden Arabie, mars 1960, Ed. La Découverte, p°8

(2)    La trahison et ses dérivés dans l’œuvre romanesque de Paul Nizan, conclusion, p°75

(3)     Grasset, 2004 ; dédicacé : « pour Laurent, admirateur de Nizan… Comme il a raison ! »

(4)     Le poignet d’Alain Larrouquis (2011), chap.11, p°85

(5)    Lettre aux Armées, fin 1939. In Paul Nizan, intellectuel communiste, Petite collection Maspero, 1979

 

 

14:15 Publié dans Blog | Lien permanent

24/06/2011

Sine Die.

larrouquis-a-roanne.jpgC'est donc officiel maintenant, "le Poignet d'Alain Larrouquis" ne sortira pas en juin comme prévu. Juillet et août étant consacrés aux livres de plage (pour ma part, les mille pages du "2666" de Bolaño!), c'est en septembre, dans l'anonymat d'une rentrée littéraire qu'on devrait appeler le cimetière des (dernières) illusions que le PAL ira donc supplicier les quelques lecteurs qui resteront. A la condition que l'accord sur l'utilisation du nom soit envoyé à l'éditeur. Sinon, il me faudra trouver un autre nom au personnage, un autre titre au roman. Ce serait dommage. 

L'Inoxydable de service, toujours à l'affût, m'a signalé le transfert de Thomas Larrouquis*, fils de (une belle ironie, au regard de l'histoire!) à la Chorale de Roanne. Et suggère qu'un auteur roannais de mes amis s'attelle au "Poignet de Thomas Larrouquis". Une bonne idée.

*photo L'Equipe©

12:05 Publié dans Blog | Lien permanent

21/06/2011

Additerratum

J'aurai donc juré qu'Yveline Loiseur était de Roanne, au regard des photos qu'elle en a pris. Je n'ai pas poussé plus loin la démarche épistémologique, Christian a rectifié de lui-même. L'artiste est lyonnaise, je le saurai, et pose son regard sur chacune des villes qu'elle traverse. Le texte d'hier est donc caduc, ou ne vaut que pour le texte des "plis sinueux". Quoique... On ne doit photographier que ce qu'on a fini par aimer, sans doute. Vais demander à Frémiot, ça m'évitera de faire des bourdes.

08:14 Publié dans Blog | Lien permanent

20/06/2011

Diérèse roannaise

IMG_0067.JPGJe connais la difficulté d'écrire "sur" des photographies, une antiphrase tellement répandue qu'on a fini, comme souvent, par paresse, par l'accepter. On n'écrit pas sur, on propose à celui qui regarde déjà une autre lecture en filigrane de ce que le photographe a déjà dit. Christian Chavassieux a accompagné le regard qu'velyne Loiseur a posé sur la ville de Roanne, qu'ils aiment tous les deux et dans laquelle ils vivent. Dans un long dépliant joliment intitulé, je vous en avais parlé, "Dans les plis sinueux des vieilles capitales", Yvelyne Loiseur alterne les portraits (d'enfants, d'adolescents, d'adultes un peu défaits), des plans de nature et des espaces en friche, à moins que ce ne fût l'inverse. On s'arrête, pour une fois, dans cette ville de passage dont un mur décati rappelle les services journaliers desservant Lyon et St Étienne. Les parents riches. Ça dit tout de la ville, quand on en vient à envier St Étienne... Et pourtant, ici comme ailleurs, on n'est pas d'un pays mais on est d'une ville, et pas seulement pour les imbéciles heureux : Yvelyne Loiseur nous montre l'humanité là où elle est restée, et Chavassieux la suit. Il a choisi l'écriture syncopée, faussement automatique, lui qui dans le même temps, je le sais, écrit un roman historique consacré à la même ville. La bande grise en dessous des photos propose un cadavre exquis dans lequel il commente, phrases nominales, syntaxe libre, énumérations de noms ou d'adjectifs,  puis assène, entre parenthèses, quelques pistes de son ressenti personnel, un peu de son histoire,  les traces de ses enfants, une énonciation qui se dévoile ("où je t'ai attendue, une fois"). "Satin à peu de choses", dit-il avec l'élégance de ceux qui vous présentent un intérieur moins cossu que le vôtre mais qui ne l'échangeraient pour rien au monde. Le sourire éclatant, en fin de parcours, de cette dame entre deux âges témoigne de la réussite de ce qu'a entrepris Yvelyne Loiseur: la bonneterie fantaisie a beau avoir tiré le rideau, il reste des forces vives à Roanne, "Peindre" l'ayant démontré il n'y a pas si longtemps. Il faut remercier Jean-Pierre Huguet, également, pour ce type d'édition, absconse et embrassante, au sens propre. Et souhaiter qu'un tel objet, puisque c'en est un, passe de mains en mains et ce, comme ce fut le cas, jusqu'à Lyon ou ailleurs. Sans services journaliers.

21:33 Publié dans Blog | Lien permanent

19/06/2011

Arrêter la poésie.

Il ne porte pas le nom qui lui siérait. Parce qu’il a entrepris de faire de sa vie le support de son œuvre poétique, et que les thèmes qu’il porte aspirent à tout sauf à la simplicité : dans « Je serai maudit », Je est hors de portée. De la société, en premier lieu, celle qui vulgarise tant qu’il ne peut plus voir son obscénité en peinture. Du temps aussi : en conséquence directe du premier point, Je s’est désincarné, installé dans un anachronisme typographique (il tape ses poèmes à la machine) et stylistique : les élans – et les éthers - sont baudelairiens, incontestablement, et comme toujours, il n’est jamais meilleur que quand il s’en sort. Quand il revient à un enfermement qu’on devine mi-contraint mi-consenti (« prisonnier d’un mal que je croyais mortel »), le temps d’une méta-scrutation (les visages, indéfinis, reviennent en récurrence), quand il recherche à ciseler par le mot la couleur la plus froide (« un ciel de février comme aujourd’hui pesant et bas »). Parce que si les thèmes sont hélas rebattus, c’est la justesse de l’écriture qui contrecarre la complaisance inhérente à l’exercice : entre le vers libre et la systémique inconsciente à l’hémistiche, S. s’installe dans son XIX°s. à lui et décline l’insatisfaction de sa vie à l’étalon d’autres mondes à venir (« comme le mal terrassé par la présence de la mort Cette promesse éclatante d’une autre vie »). On ne sait ce que donnerait cette écriture-là dans un genre littéraire différent : lui nous dit qu’il écrit un roman qu’il envisage « comme une poursuite de la Recherche ». Rien que ça. Il faut dire que l’individu déroute : l’allure bukowskienne est soignée et dérangeante, c’est ce qu’il cherchait ; l’entretien au féminin l’éloigne un peu de son désintéressement : Je n’est plus raccord avec son « espérance du Génie » et c’est Tartuffe, par moments, qu’on rencontre. Il reste qu’après avoir épuisé les obscures revues de poésie, S.S (à l’allitération) entend bien, maintenant, faire entendre sa voix : les copies sont faites, les éditeurs prévenus. Mais édite-t-on encore de la poésie post-XIX° au XXI° ? Puisque lui ne donne pas dans la poésie de combat, puisque Je est l’individu célinien revêtant le manteau de Baudelaire, il risque bien de rester seul longtemps. Absolument silencieux et seul. Mais peu lui importe : c’est dans la solitude que les mots se répondent aux autres et font sens, ou pas. C’est dans l’exiguïté de son antre lyonnaise que S. choisira, selon ses termes, « d’arrêter la poésie », ou pas. Certains devraient arrêter avant même d’avoir l’idée d’en faire ; que lui gagne ou non la malédiction qu’il recherche, il aura au moins réussi à arrêter après en avoir fait. C’est déjà bien. 

08:01 Publié dans Blog | Lien permanent

16/06/2011

Vau-l'eau

J'ai espéré jusqu'au bout que le petit miracle de juin 2009 se reproduise, un mail qui arriverait pour me prévenir du choix de "la partie de cache-cache" dans une de ces sélections de lecteurs qui permettent aux petits auteurs et éditeurs d'exister encore. Puis je suis allé consulter celle de l'année, j'y ai retrouvé deux de ceux qui furent un temps mes petits camarades de jeu, qui ne sont plus dans la même cour, maintenant. Ainsi que deux livres que j'ai chroniqués, qui ne m'avaient pas paru essentiels. Mais pas le mien. On mettra ça sur le compte de l'aigreur et on aura tort. C'est juste un réveil tardif, de deux ans d'âge: j'ai cru que j'allais exister, c'est cette illusion qui nourrit ma déception, rien de plus. Autant le dire tout de suite, puisque des rumeurs m'avaient averti de la pré-sélection de "cache-cache" pour le Prix Rhône-Alpes du Livre, il n'est même pas envisageable que ce soit (voire fût) vrai, ni même que ça m'arrive un jour. Ces perdants magnifiques qu'on destine à l'oubli.

15:11 Publié dans Blog | Lien permanent

15/06/2011

Neuf ans et demi.

Image 1.pngAdèle H.

J’ai trouvé dans le fond d’un verre de Manzanille

l’amertume des soirs passés à m’imprégner

des couleurs de la lune qui pour nous deux brillait

à distance légale d’émois partis en vrille ;

il ne me reste rien de cette cantilène,

c’est l’état d’abandon et puis de décalages,

une atrophie des sens, comme pour un retour d’âge,

la torpeur d’être en face d’une vie qui fut sienne

J’ai tant de souvenirs, ma mémoire en est pleine

sur l’écran Adèle H. rechausse ses lunettes :

je voudrais être en face d’une âme souveraine

délestée de tout ce qu’un beau soir on regrette

Plaza de España, j’ai attendu des heures

voir à Séville sombra prendre le pas sur sol,

fuyant tous les humains, réfutant les écoles,

priant pour que le temps concordât à mon cœur

Il me reste le vide, dans lequel je m’installe,

décidé à pallier toutes les parts manquantes

le vide est une vie dont on décore l’étal

[ un étal d’où dévale l’étendue d’eau régale

et qui parfois attire jusqu’au pas des passantes

J’ai tant de souvenirs, ma mémoire est espiègle,

 elle accole Adèle H. à mes amours défaites

bien qu’à la table rase plus que jamais je tienne,

qu’à l’issue de l’oubli lentement je m’apprête

Ici une lumière a recentré la ville,

tous ces lieux qui ravivent m’ont fait me retrouver

au fond du fond du verre glacé de Manzanille,

in fine du fino jaillit la vérité.

Va ! née sabéenne, ma reine est sévillane 

je griffonne une Ode sur le coin d’une table :

l’encre noire dessine sur le papier de sable

d’inédits aphorismes aux ambitions profanes

Alors à Triana je vais la rechercher,

 mon Adèle isolée du reste de sa vie,

près du Guadalquivir je vais déambuler

à mon bras une muse que jamais on ne vit

 

ad lib « Los balcones se cierran

Para enjaular los besos

!Oh cuanta estrella

cuanta estrella ! »*

*Federico Garcia Lorca « Ocaso de feria »,1921

20:22 Publié dans Blog | Lien permanent

11/06/2011

Alexandrin.

Quand je rentrerai chez moi, j'aurai dans ma boîte le dernier ouvrage de Christian Chavassieux dont le titre, déjà, est sublime : " Dans les plis sinueux des vieilles capitales".

11:58 Publié dans Blog | Lien permanent