20/05/2011
"Trop pas!" - Chroniques - 10
Qu’on prête à Olivier Gailly l’affectueux sobriquet de « Monseigneur » n’est sans doute pas si innocent que l’humour potache d’une équipe enfermée dix heures par jour en studio le laisse paraître. S’il est un musicien qui attire la lumière tout en cherchant à s’en éloigner, c’est bien lui et sur ce point, les voies de la Création (musicale) sont tout aussi impénétrables que les autres. Olivier, repéré chez Valeria Pacella, est aussi discret que son violoncelle est céleste. L’accord (parfait) entre sa timidité modianesque et l’harmonie qui se dégage de son jeu est un réel mystère, mais le résultat est éloquent. L’homme ne tarde pas à se mettre en jeu, c’est dans ce seul élément qu’il semble pouvoir naviguer. A vue, parfois : l’érudit musical qu’il est doit s’étouffer de quelques mesures aléatoirement relevées ou du contre contre-temps d’un piano, il s’adapte, ne termine pas ses phrases (Modiano, je vous dis), les ponctue de « enfin… », de « non, mais… » s’excuse de devoir corriger. Il se parle plus à lui-même qu’autre chose, se positionne, propose. Ses lignes sont terribles en émotion : quand son violoncelle rencontre l’accordina de Quing sur «Alex & Esther », c’est impossible de s’en remettre, je vous préviens. Je pense à cet instant au pouvoir qu’ont eu certains des mots que j’ai écrits sur ceux à qui ils étaient destinés, je pense ironiquement que la damnation se retourne contre moi. A mon plus grand plaisir. Olivier est immensément frêle, son visage semble se crisper sur les mannes qu’il sollicite, il est d’un autre monde. Je regarde ses mains, l’archet qui coulisse, la main gauche qui virevolte. Un prodige, un instrument magnifique, un son prodigieux. Eric et moi sommes bouche bée, nous qui avions déjà eu notre compte en émotion. Eric est revenu pour Olivier, néanmoins, j’ai libéré ma journée, de mon côté : le soliste se sait attendu, toujours, mais cet homme est d’une telle humanité qu’il laisserait l’instrument parler à sa place, s’il le pouvait. Enfin, c’est ce que nous pensons nous. Parce que dans le monde unique d’un tel musicien, c’est bel et bien ce qui se passe. « L’Echelle de Richter », le deuxième morceau sur lequel il intervient, lui donne carte blanche, on efface des pistes anciennement envisagées, on fait place nette : une guitare acoustique, un violoncelle, pizzicati pour commencer, partie soliste, partie en réponse, ad lib et un surnom qui se justifie. Il a trouvé sa place, fait part d’un humour pince-sans-rire mais avec cordes, polka à l’appui. Improvise quelques pistes classiques, sa formation, entre deux prises, avoue une admiration sans bornes pour Jacqueline du Pré sans savoir que de notre fauteuil rouge, on n’est pas loin de lui vouer la même. Sa partie saisie, l’homme qui murmurait à l’oreille des octaves redescend faire un sort au plat de pâtes, preuve supplémentaire que l’épreuve en est une, puis repart improviser avec une danseuse dont on espère qu’elle mesure la chance qu’elle a.
C’était le dernier jour des prises de son à la Casa. Le travail de Xav’ et de Fred commence aujourd’hui, sans retard ni angoisse : il n’y a pas grand chose à nettoyer dans l’ensemble. En juillet, il y aura huit jours de prises de voix. Pauline viendra sceller le sort de cette belle histoire. On aura demandé avant quelques pistes instrumentales, même non mixées, à écouter : cette histoire a des griffes, on sait, en rentrant (tard), Eric & moi, qu’elle sera notre chef d’œuvre et que le plus beau, paradoxe à part, c’est qu’on ne pourra en revendiquer la paternité qu’en adoptant tous ceux qui y ont participé. La procédure est très avancée.
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