10/03/2011
Je ne sais rien.
Dans ce village reculé du Berry, accoudé au zinc de l'épicerie-bar du coin, un homme jeune, beau quoique marqué par la fatigue et les nuits chargées, pose le bleu de ses yeux sur sa bière. Il ne sait même pas encore s'il va manger là ou s'il va sauter un repas et retourner à l'atelier. On ne saura rien de ce qu'il a fait avant, ni même s'il y eut un avant. Un avant quoi, au fait? Ce qu'on apprend de la bouche d'un autre, parce que lui n'aurait rien dit s'il ne lui avait pas fallu reprendre celui qui a parlé, c'est qu'il est merrandier, qu'il fabrique les pièces qui constituent les tonneaux et les barriques, qu'il fend les merrains (qui ne se coupent pas), appelés aussi douelles. On lit ici et là, à l'ombre des dictionnaires, qu'un tel artisan doit savoir lire le bois, qu'il évitera tout ce qui pourrait altérer le vin (les noeuds, les picots, les queues de vache) et qu'une fois le merrain fendu, il le délignera, le rabotera selon sa courbe pour que la douelle ait la même épaisseur sur toute sa longueur. Le merrain séchera dehors pendant trois ans: ce sont les intempéries qu'il aura subies qui détermineront les arômes du bois, puis ceux du vin qu'il abritera. On prend quelques notes absconses et hésitantes, orthographiquement, puis on rentre hébété de savoir, pour finir, que cet homme crée un tonneau par journée de travail qu'il s'impose. Ce qui est énorme pour un homme, mais risible au regard des trente tonneaux par jour qui peuvent être fabriqués industriellement. Pourtant, pourtant, quand on poursuit la visite par une dégustation, chez Teillier, de ce Mlle T. qui devra figurer, d'une façon ou d'une autre, dans un roman qu'on écrira, et qu'on apprend là-bas que ceux qui aiment le vin lui commandent des tonneaux, qu'il y aura peut-être un jour (vu qu'ils dureront beaucoup plus longtemps) davantage de ses pièces dans la cave que d'autres d'inconnus, alors on se dit qu'on a encore un peu de temps devant soi. Et qu'il faudra, la fois prochaine, faire un signe au serveur, qu'il lui remette une bière avant qu'il reparte travailler.
19:04 Publié dans Blog | Lien permanent
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