26/11/2023
AKII, CRITIK1.
Elle vient de Yves Izard, ancien grand reporter sur Radio France, qui m'a interviewé à Sète le 17.11 et a rassemblé ses notes en une critique pleine et enthousiaste, ici.
« Aurélia Kreït -Les jardins d'Ellington » est le deuxième tome d'Aurélia. Après avoir fuit les pogroms avec sa famille depuis l'Ukraine jusqu'à Saint Étienne, Aurélia désormais jeune fille se retrouve au cœur de la Première guerre mondiale. Et très vite elle plonge dans « les champs d'horreur », là où il n'y a pas de place pour les rêveries… « dans ce camp médical où les éclats d'obus dominaient : rien de propre, des plaies souillées la gangrène gazeuse qui progressait, avec son lot de morts en deuxième cession, comme on les appelait là-bas. Au front, il n'y a qu'un enchevêtrement de corps suppliciés, de râles constants et d'ordres froids, ceux des médecins, des infirmiers.. qui devenaient des bêtes de guerre en triant ceux qui pourraient survivre. Avec parfois cette lucidité désespérée : « Ce qui me choque le plus moi, c'est ce qu'on renvoie, nous, dans les yeux des garçons quand ils arrivent avec leur gueule tordue. C'est qu'on a beau faire semblant ça transpire dans leurs yeux qu'on ne les regarde pas comme les gars qu'ils ont été et que toute leur vie ce sera comme ça.» c'est Suzanne qui le dit, l'une des trois de « la Manu » qu’Aurélia a retrouvées embarquées dans cette grande boucherie. Elle sont une branche de sa famille qu'elle va pourtant devoir quitter à nouveau pour une mission vitale, retrouver son frère Igor disparu; « sauf que retrouver un blessé de guerre relevait du parcours du combattant.»
On renoue ainsi dans ce deuxième tome, avec la nécessité d'expéditions où l'on risque sa vie, dans un contexte historique qui va mener nos personnages sur le front de l'est, au plus près de « la furie teutonne". Mais désormais, Aurélia n'est plus une victime expiatoire qui fuit la haine raciste, elle prend l'initiative et relève le défi d’une mission impossible, tout comme son père Anton joue de son côté une partie d'échec avec le diable, ce Von Koehler qui lui met le marché entre les mains : « si vous voulez vivre, il vous faudra tuer Igor » l'humanité touchait le fond à cet instant.
A mesure que les familles se reconstituent dans le drame, Laurent Cachard va nous projeter dans une histoire peu connue de cette guerre, celle du Corps expéditionnaire russe. Une des périodes rarement évoquée jusqu’à la mutinerie de la COURTINE en 1917. On va découvrir ces soldats qui, pour une compagnie,sont partis de Russie via la Chine, pour voguer vers Singapour, Djibouti à bord de «L' Himalaya » ou du « Latouche-Tréville » et rallier Marseille ou Brest pour se retrouver dans ce que les Français appelaient « le Grand Est…ce qui faisaient sourire les Russes qu'ils étaient ». C'est avec l'attelage ukrainien de la Première saga historique qu’on va vivre le drame de ces soldats désaccordés « ces hommes échangés par la Russie contre du matériel de guerre de la France, et qui très vite vont déranger et n'auront plus qu'un désir irrépressible: Retourner au pays en pleine révolution. Car ce qui se passe en Russie concerne au plus haut point la famille d'Aurelia, à commencer par Vladi qui veut venger son père Nikolai assassiné parce qu'il était juif. Vladislav éternel exilé, Russe vrai quand il est appelé à Moscou par Sacha , à défaut d'un vrai Russe, Ukrainien alors qu'il ne l'est plus, qui a été enrôlé très tôt dans « l'organisation » pour défendre les ouvriers juifs en Russie. Et qui désormais se retrouve envoyé spécial dans ce fameux camp de la Courtine pour prendre le poul de la mutinerie en cours et de l'affrontement qui vient entre les Rouges et les Blancs , les partisans de la Révolution bolchevique avec Globa, le représentant du Soviet et les russes Blancs qui continuent à soutenir le Tsar déchu . Le corps expéditionnaire ne sait plus qui commande, l’état major français n'a plus d'autorité et de toute façon après l’hécatombe du "chemin des dames", "les mêmes êtres n'ont plus aucun lien avec ce qu'ils étaient..le combat les a tués à eux-mêmes, et pour la plupart d'entre eux, il est désormais impossible d'obéir à nouveau."
On croise ainsi dans ce roman des figures historiques comme Globa qui rêve d'un monde plus juste. On se trouve confronté aux mêmes questions essentielles que se posent ces personnages de fiction comme Vladi sur le sens de la vengeance : Il faut tuer Medvedenko pour ne pas laisser le meurtre d'un juif s'installer dans la normalité mais comment s'y prendre sans s'abaisser au rang de celui qui avait tué son père ? On suit Aurélia qui a grandi depuis qu'elle disait, enfant, qu'elle voulait être Présidente de la République d'Ukraine, qui a plongé dans cette guerre comme une évidence. Deviendra-t-elle ce que sa mère avait prédit : Le symbole de cette identité ukrainienne. Dans sa course dans la France occupée, elle a su imposer qu'elle n’était pas une espionne mais une exilée iconique dans ce monde en plein bouleversement. Elle sait comme Vladi que « l' Ukraine est niée dans sa langue et sa culture au profit des Polonais à l'occident du Russe à l'orient, laissée dans une forme de ruralité inculte à leur dialecte de petit Russe » Même si le très grand Afanasie Petrovitch Globa ne l'a pas vraiment vraiment convaincu que l'Ukraine ne sera pas la grande oubliée de la Révolution bolchevique, Aurélia a aimé son rêve des « jardins d'Ellington » et sait que pour répondre au son des canons de l'ultimatum, il a ordonné à ses hommes qu'on joue la Marseillaise en Russe, et la Marche funèbre de Chopin exclusivement en mode mineur « avant le déluge de feu .
11:11 Publié dans Blog | Lien permanent
23/11/2023
Un entretien avec Gaele Beaussier (Lyon Demain).
Aurelia Kreit est le nom d’un groupe de rock néo punk des années 80 mais aussi celui d’une héroïne de papier. La destinée de cette jeune femme a été formalisée par le romancier Laurent Cachard dans un premier volume en 2018. Pour écouter l’itw qu’il nous avait accordée à l’époque c’est ici. Dans le premier roman, enfant, elle traverse l’Europe avec sa famille. Dans le second « Les jardins d’Ellington » parut cet automne aux éditions Le Réalgar , elle s’engage au plus prêt des combats en 1914. L’auteur nous propose de voyager dans le temps avec ce personnage attachant et déterminée. Nous avons pris plaisir à retrouver cet auteur né à Lyon très attaché à son territoire. (Lyon Demain)
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22/11/2023
Journal de bord.
Quand ils arrivèrent à Dalian, après l’interminable transsibérienne, les hommes ne surent pas à quel saint se vouer : l’Empire avait loué les environs de la Baie, l’avait reliée à la zone du chemin de fer, mais cette ville chinoise sous contrôle japonais tolèrerait seulement leur transfert vers les bateaux français qui les attendaient là. Le Latouche-Tréville , un croiseur cuirassé connu pour avoir provoqué, quelques années avant, la démission d’un Ministre de la Marine , et l’Himalaya, un paquebot-mixte de 136 mètres et de 3300 chevaux. D’autres, pour embarquer les 8942 hommes qui allaient découvrir la Cité phocéenne, au printemps. De quoi oublier que c’est justement l’hiver rigoureux qui les empêchait de prendre la route maritime nordique, d’Arkhangelsk jusqu’à l’Hexagone, de la mer de Barents jusqu’à la mer du Nord, en longeant la Péninsule scandinave. Las, ils devraient longer, une fois la mer de Chine dépassée, les côtes du Vietnam, s’infiltrer entre la Malaisie et l’Indonésie, prendre les mers des Laquedives et d’Arabie, atteindre Aden et la mer Rouge, débarquer en Égypte pour une courte traversée, s’engager en Méditerranée, entr’apercevoir les côtes de la Sardaigne pour remonter, enfin. Onze mille milles marins, quatre mille lieues sur les mers. Deux mois à bord, dans la promiscuité et les tensions qui montent, au fur et à mesure que l’étau se resserre. Sans y être préparés : Maurice Paléologue, Ambassadeur de France en Russie, écrit dans son journal que la gentillesse était une spécificité nationale du pays, sans instinct belliqueux et au cœur chaleureux, disait-il. Qui n’a jamais glorifié la guerre. Si on ajoute à ça un mélange de religieux et de paganisme, un rapport nébuleux au Tsar et une confiance inébranlable qui lui fait considérer la peur autrement qu’on le fait ailleurs… Qu’en pensaient-ils, ces jeunes gens qui patientaient sur le quai avant d’embarquer, peu empressés de s’entasser dans des cabines minuscules. 2500 sur l’Himalaya, par grappes déjà fatiguées, rompues aux ordres les plus mécaniques. Averties de ce qui allait se passer une fois à bord : en mer, on évalue différemment la course du soleil le jour et celle des étoiles la nuit, quand les quarts rythment le cours de la journée. Et la litanie des jours et des semaines qui s’enchaînent se fait au détriment de toute raison, considérant les faits suivant le moment où ils se déroulent. Une fois à bord, ils devraient garder, souvent livrés à eux-mêmes, un rapport précis au temps, des repères pour en mesurer l’écoulement – le même qu’à terre – et la chronologie. Avec l’idée qu’une fois arrivés, ces hommes retrouveraient la fonction pour laquelle on les avait formés, la mer n’ayant été qu’un intermède obligé.
Extrait de Aurelia Kreit - les jardins d'Ellington (le Réalgar, 2023)
Montage photo : Jean-Renaud Cuaz
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18/11/2023
Médiathèque Mitterrand -Sète 17.11.2023
Je peux le dire maintenant, c’est un rendez-vous que j’appréhendais, la présentation d’Aurelia Kreit à la Médiathèque Mitterrand de Sète. Parce que nul n’est jamais prophète en son royaume, et que l’émotion ressentie à Lyon était tellement énorme que j’avais un peu peur d’être déçu. Un quart d’heure avant la rencontre, que nous avions prévu de commencer à l’heure, ils étaient trois ou quatre à attendre dans le hall, aussi ai-je (plus que) respiré quand j’ai vu la salle se remplir par grappes de personnes ininterrompues, jusqu’à la remplir, ou presque. Soixante, soixante-dix personnes, ça n’est pas Bercy, mais pour une rencontre littéraire d’un auteur inconnu, c’est déjà beaucoup et sur ce premier point, moi qui craignais une réaction – au sens littéral – d’un certain nombre de personnes, je suis rassuré. Marie, la directrice de la médiathèque, a le bon goût de préciser que si j’ai plusieurs casquettes dans cette ville, c’est au titre d’auteur qu’elles (avec Céline) m’ont invité, et Yves Izard peut commencer l’entretien sous un beau fond d’écran vidéoprojeté signé Jean-Renaud Cuaz. On y voit les deux couvertures du diptyque et, plus tard, le parcours retracé de l’attelage, dans les deux romans. Celui des troupes russes, également. On expose, sur un chevalet, le portrait géant de Nicolas Grosso, qui viendra faire l’interlude musicale. C’est le premier portrait des Figures singulières qu’on expose, il est en tirage limité, numéroté et signé. Yves a préparé l’entretien à sa façon, chronologique, j’ai parfois un peu l’impression qu’il en dit trop sur l’histoire, mais ça me semble fluide, et c’est confortable de répondre à des questions sur les thématiques, sur la guerre, sur l’identité sans avoir à les amener soi-même. La salle est attentive, réactive, on les soulage un quart d’heure avec la prestation de Nico, sublime guitariste, qui offre à ceux qui ne le savaient pas encore trois morceaux, dont un sublime texte sur Freddy, le Elvis Presley de Sète à l’accent pied-noir, qui lui a apporté beaucoup avant de disparaître récemment, d’un accident de voiture. Mais la chanson swingue, c’est son credo, à Nico. Il doit partir à un concert, il a juste le temps d’enchaîner sur un 3e titre dont j’ai écrit les paroles : c’est « C’était mieux demain* » - nostalgique, mais pas passéiste - le titre d’un album qui sortira quand il en aura envie, c’est clair, comme ça. On reprend l’entretien, sur les lieux, sur l’action, l’idée de vouloir retrouver un blessé dans les méandres administratifs de la 1ère guerre mondiale, sur l’exil. Sur l’ukrainité davantage que sur l’Ukraine. Je lâche l’idée d’un 3e volume qui commencerait le 22 février 2022 pour remonter, par analepse, à l’histoire d’Aurelia. Que je ne pourrai jamais lâcher en tant qu’auteur, c’est certain, maintenant. Peut-être n’était-ce pas le meilleur moment pour le faire, mais on lance la couverture des Figures singulières, la mosaïque des 23 visages (sur 25) qui composeront le recueil, dont la sortie a été avancée en janvier. On projette « Au pays d’Agadarago », le portrait de Matthieu Garcia, le jeune et prometteur volleyeur local. Et c’est déjà la fin, puisqu’il faut garder un temps de dédicaces. C’est passé vite, j’ai vu plein de visages que je ne connais que depuis peu, c’est une bonne chose, ça m’ancre un peu plus dans ce pour quoi je suis fait, définitivement. J’ai une pensée, à la fin, pour là où j’étais il y a sept mois, vite chassée par les rendez-vous à venir. Un cercle de lecture à Sète, Mulhouse et Thann, ensuite, pour décembre, un passage à l’ES Factory d’Etienne Schwarz mi-janvier (à définir), la Casa musicale au printemps. Elle est (si) belle, Aurelia, elle trouve ses lecteurs. Je sais qu’elle va me faire plonger dans son univers, et je l’attends, m’écrit-on, à la seconde. Un temps (seulement), je les envie.
*Une version pirate, à l'ancienne : un tout petit aperçu du talent du garçon.
Photo : Daniel Damart
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16/11/2023
Stéphane Pétrier/Christophe Navarro - concert acoustique aux Mangeurs d'étoiles (10.11.2023)
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14/11/2023
JYS
Évidemment, dans la vie, il y a des gens qui marquent davantage que d’autres. Il faudrait encore que je raconte la façon dont, très jeune enseignant, j’ai compris en le regardant faire, à quel point une veste bien portée et le verbe haut peuvent aider à mettre à distance n’importe quel impétrant, quel que soit son rang, quelle que soit sa fonction. Il était ainsi, JYS, cet ami dont j’ai serré la main longuement dimanche pour la dernière fois, capable de se faire instantanément détester – toujours pour de mauvaises raisons – mais prompt à défendre n’importe quelle cause, pourvu qu’elle lui paraisse juste. Et extrêmement fidèle en amitié, ça n’est pas donné à tout le monde. Il faut aussi dire que ce libraire-anarchiste, devenu professeur d’éducation socio-culturelle au lycée horticole de Dardilly – ne lui demandez pas où se trouvent les serres, il ne sait pas (pas plus que moi) – a su s’adapter au tournant politique de sa vie, quand il est devenu responsable de la sécurité de la ville de Lyon, juste avant les attentats de Charlie-Hebdo. Il faut savoir à quel point les rangs des pompiers ou des forces de l’ordre ont aimé travailler avec cet homme droit et efficace, jusqu’à venir, du plus simple au plus prestigieux d’entre eux, le visiter à l’hôpital, ces derniers mois. Le service a compté jusqu’à 25 visites par jour, paraît-il, et il ne s’en est jamais fatigué, jusqu’à la fin, jusqu’à dimanche pour moi, jusqu’à la nuit que son ami Daclin a passée à ses côtés, avec Vincent, sans doute, son fils. Qui ressemble pour beaucoup au JYS dont je veux me souvenir, aux avis tranchés – face aux connards – et à la culture rock inépuisable. Le vent politique l’ayant plus ou moins mis de côté ces dernières années, il s’est enfin consacré à l’écriture d’une bible Pop-music, un abécédaire exhaustif et grinçant, sa marque de fabrique pour qui se souvient que, sur son blog, les fans de Genesis s’étaient déchaînés quand il avait écrit qu’il assurait la sécurité du concert, mais pas leur intégrité musicale ! Il m’avait demandé d’ouvrir un pare-feu, en riant, je m’étais amusé à rajouter un peu d’huile dessus. Les élèves et étudiants qu’il a eus se souviennent de lui comme d’un monstre de culture et de références, pas toujours saisies. Il a gardé longtemps ses vieilles VHS, ses cours dactylographiés à l’en-tête à son nom. Je garderai ces rires partagés avec tout ce qui se prenait au sérieux dans le monde professionnel que nous avons partagé, les moments où je devais lui rappeler le nom d’un collègue pourtant dans l’établissement depuis plusieurs années, le concert d’Oscar D’Leon à Vic-Fézensac, pas très loin de chez sa maman à laquelle je pense intensément, aujourd’hui : elle a 102 ans, elle perd un fils qui était quelqu’un de bien. Tant pis pour ceux qui ne l’ont pas connu comme ça. De mon côté, j’ai dit à Vincent que trente ans après mes débuts, je savais exactement à quel moment, dans le milieu professionnel, il fallait faire du Sècheresse, comme pour imposer une évidence, avant même qu’elle soit formulée. Une marque d’autorité, en somme. Dans tous les sens du terme. Ciao, Jean-Yves : je n'ai jamais eu de maîtres - pas le genre de la maison - mais j’ai eu quelques modèles, et tu resteras l’un d’eux.
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11/11/2023
Aux Mangeurs d'étoiles - 10.11.2023
Il faudra un jour – j’en ai conscience – que les superlatifs cessent, mais j’aimerais une fois encore, une dernière, peut-être, qu’on me croie et qu’on essaie, simplement, de situer l’émotion et la beauté de la soirée que je viens de passer, aux Mangeurs d’étoiles, sublime librairie du 9e arrondissement tenue par Lionel, un ancien de l’édition, à la ligne directrice exigeante, engagée et éclectique. Lequel a bien fait de passer chez Ikea se fournir en chaises parce que les 50 de la boutique ont vite trouvé preneur et qu’il a fallu qu’une vingtaine de personnes se tiennent debout, des visages amis, des curieux, des venus pour les musiciens ou autres. J’appréhendais ce moment un peu plus que les autres parce qu’en ex-régional de l’étape, j’espérais secrètement que la librairie soit pleine, qu’on rende au libraire l’effort qu’il fait d’inviter un auteur inconnu. Avec toute la relativité du monde, parce qu’avec 30 réservations, il s’est bien demandé qui je pouvais être, ici, lui qui, dit-il d’entrée, n’est pas de Lyon. Moi j’en suis, comme mon personnage y a trouvé naissance sous la plume d’Aurelia Kreit, le groupe. On pensait que Lionel prendrait place sur la 3e chaise faisant face à l’assemblée, mais il disparaît, entre le restau d’en face, où il a réservé les tables de l’après-rencontre, et un retour par la réserve, qui laisse Daniel prendre en main l’entretien, comme il l’a fait deux jours avant. Il me fait parler – après avoir présenté les éditions du Réalgar - de la genèse, des thèmes essentiels, de la judéité, de l’identité, de l’exil, des elliptiques jardins d’Ellington, je suis évidemment intarissable sur Aurelia, son dessein, sa nature, sur la façon dont la suite s’est imposée d’elle-même, je ne croise que des regards intéressés, semble-t-il, il y a un temps suspendu pendant lequel je me dis c’est là, c’est maintenant qu’elle existe vraiment, mon héroïne. Pendant le temps, derrière, toujours un peu ailleurs, les musiciens patientent, je les présente, veut convaincre, encore, que pour moi, c’est comme si j’avais réuni Mc Cartney & Mick Jagger, trente ans (et des poussières) après, je rends à Tito, le créateur d’AK, la paternité du personnage, que je lui ai emprunté, seulement, sur lequel, par exemple, je n’ai aucun droit, surtout pas de le faire disparaître. Il s’est bien passé une heure de rencontre autour du livre, les questions passent vite, par timidité (souvent) et par envie de voir se réaliser ce que j’ai un jour, auprès d’eaux, souhaité de tous mes vœux. C’est Gérard Védèche, mon ami, mon frère, qui a endossé le costume de technicien pour apporter sono et matériel, installer les musiciens au mieux, lui pour lequel on œuvre, habituellement. Stéphane Petrier est le premier à venir, s’annonce comme intrus puisqu’il n’est pas d’AK, mais les parcours des deux groupes ne sont pas étrangers l’un à l’autre, et je lui ai demandé, spécifiquement, de venir jouer deux chansons, une du Voyage de Noz, le groupe des deux qui est resté, et il introduit le train, me sollicite là-dessus, moi qui ai filé derrière pour ne rien rater et je bafouille, n’ai rien d’autre à dire que le fait que j’aurais aimé écrire un texte pareil. S’il fallait le convaincre de ma sincérité, lui qui n’en doute pas, il y a un extrait de la chanson en dernière page du livre. Il chante, accompagné d’Eric Clapot, ancien historique des Noz, deux guitares en harmonie, ça joue bien, le texte est livré brut, avec les variations de voix pour seule progression. C’est (très) beau, ça touche comme jamais, ça y est, c’est là. Je compte sur les autres pour filmer, je ne veux même pas ciller les yeux pour ne rien rater. Il enchaine avec une surprise (pour les autres), un morceau de son futur album solo, chez Simplex Records, l’homme coupé en deux, un inédit, donc, sauf pour moi à qui il l’a envoyé quand j’étais à l’hôpital. Un morceau qui m’a porté dans ma volonté de m’en sortir et d’en débattre avec la vie, encore, dans ce qu’elle peut apporter de plus beau. Je pourrais pleurer toutes les larmes de mon corps si ce dernier ne me prévenait pas, une fois de plus, de tenir bon. Parce qu’après les deux versions du même morceau, le guitariste s’étant un poil mélangé les morceaux – prévenu la veille qu’il fallait jouer un ton en dessous – c’est Tito (Navarro) qui vient sur le tabouret pour chanter, pour la première en solo, accompagné de Nico, un clarinettiste (électrique) dont la formation classique a déjà sauté aux oreilles quand il a fait le finale des Beaux restes. Tito a toujours été en retenue, me remercie (moi ????) de lui avoir permis de faire ça et commence, d’entrée, par le cœur en croix. Les mélodies du violon sont faites à la clarinette, il a une voix moins haute qu’à l’origine, mais moins retenue qu’il y a quatre ans, je me demande si finalement, en écoutant cette chanson qu’ils m’ont dédiée à Rillieux, en 2019, si je suis vivant ou pas, si ça n’est pas une espèce de jubilé qui m’est donné. Les mots racontent Aurelia, finalement, ce que j’en ai dit après sont superflus. Il chante Refaire le trajet, le dernier morceau qu’a composé le groupe, il y a une éternité, on se demande comment une présence aussi hypnotique peut succéder à une autre aussi charismatique, mais c’est réel, je laisserai les autres le raconter, dans les années à venir. Il n’y aura eu que cinq morceaux, au total, pour ce qui était un accompagnement musical d’une rencontre – Clara ne m’en voudra pas de l’avoir mise de côté pour un soir – mais Tito confie son émotion de savoir que son héroïne à lui continue avec mes mots à moi et termine par les Jardins d’Ellington. Pour la 2e fois en quatre ans, j’ai fait se raccrocher deux pans d’une même existence à trente ans d’écart. Un peu plus, parfois, parmi les visages aimés que j’ai retrouvés. Surtout quand un faux-contact emmène Stephane à tenir le micro de Tito, et fredonner le refrain avec lui, comme en 1986, aux 24h de l'INSA... Forcément, quand on n'a pas assisté à ça, on est tenté de se demander si je n’exagère pas un peu, au final. Mais je m’en fous, je l’ai vécu, en plein, et je crois pouvoir dire que ça a été un privilège partagé. Puisque Lionel me demande un mot, encore, pour clore, je lis le passage où Aurelia et Afanasie Globa – chef du Soviet de la Courtine – échangent sur leur Ukraine natale et sur les espoirs de celui-ci de se libérer de la guerre pour rejoindre son aimée, à Ellington, en Angleterre. Peut-être sera-t-il temps pour un enfant, dit-il. Les mots de la chanson. On peut clore : j’ai vécu plus de vies que j’aurais jamais espéré en connaître.
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10/11/2023
Baratin - 9.11.2023
Il n’y a que de bons conseils, rétroactivement. Mais aborder une deuxième soirée dans un endroit complètement différent, le très convivial Baratin – bons vins, bons mets – de Zazou, comprenait sa part de risques, que nous avions anticipée : un public pas forcément là pour ça, une acoustique différente, une position à affirmer, d’entrée. Aussi Clara et moi avions décidé de commencer par la part savante – la présentation du livre, le morceau de Silvestrov en hommage à Bach – avant de laisser les convives boire et manger, et reprendre pour un deuxième temps plus impromptu, ce qui était un bon calcul en soi, mais a mal supporté une contextualisation mal emmenée (il eût fallu introduire l’intrusion littéraire dans un tel endroit) et un morceau technique qui s’accordait mal avec les chuchotements, à ma gauche, de la première table. Laquelle a un peu déstabilisé le binôme qui décide, pour la deuxième partie, de passer directement au jeu de ping-pong préparé l’après-midi : un texte ancien, écrit quand Clara s’est produite avec l’Orchestre des jeunes de l’Opéra de Lyon, à l’Auditorium Maurice Ravel, adapté suivant les dix ans qui se sont écoulés. Elle répond musicalement quand je parle de son effronterie supposée, singe les premiers violons dont je me moque, met du Bach quand je parle de Sacré, reproduit le son grave des contrebasses, imite une cacophonie, un sifflement, les repères sont bien calés, ça fonctionne très bien, le public est réceptif. Évidemment, après coup, on regrettera d’avoir supprimé, au dernier moment, le sublime Chant des oiseaux, alors même que le public était captivé. Mais c’était pour finir fort, sur un Camille dont la vidéo de la veille m’a moi-même impressionné. On est véritablement ensemble sur ce morceau (aussi), c’est un duo sur une musique que tout le monde connaît mais qui porte tellement ce texte intemporel (pour oublier que son édition a déjà dix ans, et qu’il en a beaucoup plus). La magie du spectacle, c’est qu’au fur et à mesure que je lis la première page, j’ai l’impression d’avoir perdu la deuxième, je ralentis, sans bafouiller, mais les repères ne sont plus exactement les mêmes que la veille et Clara doit un peu freiner, me récupérer, et me laisser finir, sur le dernier vers, là où la veille c’est elle qui terminait. Mais les applaudissements sont nourris, et la table revêche laisse s’exclamer des bravos ! Pas un livre ne sera vendu dans une soirée qui ne s’attendait pas à ce qu’un écrivain se confie (je le fais moi-même), mais l’essentiel est ailleurs, une fois encore, dans cette Beauté portée au pinacle, avec les encouragements épatés d’un certain nombre de gens présents. Tant mieux. Des spécialistes nous disent qu’il faut une trace de ce duo, on y réfléchira. Zazou (zélée), violoniste elle-même (désolé !) vient annoncer les prochains rendez-vous et a aimé que nous nous inscrivions dans son lieu. Ça tombe bien, je compte y revenir vite, en simple client, si bien reçu. Clara et moi attendons des signes du libraire de Mulhouse et de Thann, où nous devons nous produire en décembre. De Montpellier, où nous irons jouer à l’ES Factory. D’autres endroits, qui devraient s’intéresser de près à ce petit prodige qui m’oblige à m’élever, pour être à sa hauteur. C’est du bonheur pur. Demain, elle sera loin de moi, qui présenterai Aurelia aux Mangeurs d’étoiles, mais je serai bien accompagné aussi, par mes vieux rockers générationnels. Mais je la retrouverai vite, sur la route, parce qu’entre elle et moi, et depuis dix ans, il y a un chemin. Les photos du fantastique Valéry Girou – celles du studio l’après-midi, du concert le soir – seront un baume au cœur du souvenir. On vit pour ces intensités : je le vis décuplées depuis mon aventure avec la fin. Peut-être parce que je sais que celle-ci n'est pas encore programmée et que tout ce que l'on fait pour la repousser, par l'esthétique, nous inscrit dans l'intemporalité. Ça n'est pas mon ancien étudiant, devenu collègue (ex) qui dira le contraire: il se souvient encore de moi il y a trente ans, ça tombe bien. C'est Aurelia qui nous offre ça? On prend.
Photo : Magali Mastrosimone
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