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20/08/2021

133.

IMG_0400.jpgIl faut remercier les deux jeunes filles qui se sont enfuies au quatrième morceau du concert des Amis de Brassens, hier, au Roquerols, à l’occasion d’un centenaire qui n’en finit pas de s’étirer. Parce qu’elles m’évitent, de fait, l’hagiographie – il y en a au moins deux à qui ça n’a pas plu – et la jalousie liée au fait que, comme d’autres, ce groupe fait qu’à chaque fois que je les vois, je les chronique et qu’à chaque fois que je les chronique, j’ai encore plus envie de les voir. Hier, c’était la grande scène devant le bateau-phare qui leur était offerte, et le public était très nombreux, au point que j’ai cru devoir passer le concert debout, jusqu’à ce que ces jeunes filles libèrent deux places au tout premier rang, sous les pédales de Philippe Lafon, quasiment. Lequel Pilou, n’étant pas de la dernière session à l'Hôtel de Paris, le 21 juin, avait obligé les deux membres restants à reconfigurer répertoire et arrangements pour du classique guitare/Contrebasse, comme Tonton Georges. Là, il n’allait pas manquer ça, Pilou, et reprendre le manche, qu’il tient à droite parce qu’il est gaucher. Dobro, mandoline, folk, son jeu est multiple et les versions pour dobro, la part Blues que le trio a accentuée encore hier, resteront longtemps dans les mémoires, comme un supplément d’âme : à ce titre, l’introduction de « Brave Margot » est juste extraordinaire, et j’ai eu l’impression d’entendre Dylan – le vrai – lancer « Blowin’ in the wind », en hommage à la tram’ qui s’est levée hier, menaçante, mais que l’hommage à Georges a aussitôt calmé. Ça fait du bien d’entendre du Brassens réinventé musicalement, sans fioritures, juste en accentuant les racines revendiquées de sa musique, du manouche de Django au swing de Trénet, et l’idée de jouer, dans ce marathon de plus de deux heures, les chansons de son enfance, celles qu’il ne s’est jamais lassé d’écouter, a permis de se faire une idée moins injuste que celle qui continue de courir, comme quoi sa musique est sommaire. Une confusion avec son ami de Pézenas, qui sait, mais les imbécillités ont ceci de supérieur à la culture qu’elles touchent plus de monde et durent plus longtemps. Un jour, je l’ai entendu et répété, Brel a répondu à quelqu’un qui insinuait ça que si Sidney Bechet reprenait du Brassens, ça n’était pas pour les paroles. Hier, ramené par son petit cousin – juste en face de son reflet en plus jeune, menaçant de lui fracasser sa guitare sur la tête s’il le trahissait, Bruno Granier & ses hommes ont encore emporté le morceau, enchainant les classiques comme les morceaux plus rares, parlant peu mais bien, sur les blessures du poète, son rapport au texte et à la musique, insérant avec brio du Hugo, du Paul Fort, du Antoine Pol, du Verlaine… Du Mireille, du Trénet, du Paul Misraki, avec ce sublime « petit bateau de pêche » - paroles de André Hornez -  qui fera ma joie le reste de ma vie, puisque je ne la connaissais pas encore, hier seulement. Ça swingue chez les Zazous, Laurent Clain – dont je reparlerai ici bientôt – accompagne tout cela, (beaucoup) moins cheval de fleuve que Pierre Nicolas, mais tout aussi prégnant, jusqu’au contrechant des sublimes « Passantes ». J’ai déjà tout dit sur les amis de Brassens, mais il faut imaginer l’effet qu’ils font sur le public, qui s’écrie « Ah ! » à chaque chanson qu’il reconnaît, c’est-à-dire les neuf dixièmes. Qui chante dans sa barbe, ou fort et faux, mais qui chante. Remue son popotin, un peu sclérosé par l’arthrose, mais quand même. Bruno va chercher dans sa moustache ces morceaux qu’il connait par cœur, qui lui échappent parfois un peu, comme pour souligner que son travail, c’est d’abord de la mémoire. Pas seulement pour chanter, mais pour recréer une atmosphère, une ambiance tellement archaïque dans sa langue (passé simple, subjonctif imparfait, conditionnel passé) qu’on ne peut que se battre, avec lui, pour qu’elle perdure. Qu’on voie encore, sur le pont du Roquerols, une jeune serveuse prendre sa pause et chanter avec tous ceux qui étaient là, hier. À Sète, le soir où le centenaire a pris son sens absolu. On aimerait dire que dans cent ans encore, coquin de sort, on chantera encore. C’est une autre question. Mais lui, d’où qu’il soit, dira Bruno avec émotion, il a dû retenir une petite larme, vite réfrénée. On ne parle pas de Brassens sans pudeur.

00:16 Publié dans Blog | Lien permanent

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