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23/06/2021

191.

IMG_0036.jpgLa temporalité, c’est se souvenir de sa première Saint-Louis, ici, il y a six ans, quand un concert des amis de Brassens en-dessous de mon balcon ne m’avait pas empêché d’aller nager, tant j’aime Brassens et tant je crains les reprises qu’on en fait. Et, heureusement, de me raviser, en rentrant de la plage, en entendant de mon balcon les notes manouches de Philippe Lafon, et le timbre gémellaire de Bruno Granier, petit-cousin de Georges, qui a sublimé, disais-je, l’hérédité jusqu’à en reproduire, dans les tics de moustache, l’air pas commode de son glorieux ainé et, faut-il le définir, le tiers manquant entre l’accent et le chuitement, jusqu’au trouble absolu. J’écrivis, il y a six ans, un article dont je n’avais pas anticipé l’impact, dans une petite ville comme Sète. Et Bruno, Philippe et Laurent, depuis, ne m’ont jamais déçu, dans le projet Brassens – qu’on voit finalement peu – comme dans le Django Dingo, qui joue du feu de Dieu, mais dans lequel je reconnais moins Bruno, quand même. En tout cas pas comme ce soir, six ans après, avec un parallélisme troublant puisque si Laurent, le contrebassiste, manquait à l’appel en 2015, c’est Philippe, le guitariste, qui n’était pas là ce soir, laissant ses compères dans une configuration purement brassenssienne, guitare Favino et contrebasse, comme au temps de Georges et Pierre (Nicolas). C’était dans un temps différent, à l’Hôtel de Paris, où ils jouent régulièrement, au cœur du cœur d’une ville prise dans la frénésie de son débilitante qu’on appelle désormais Fête de la musique. Ici, sur le cadre royal, une barquette embarque deux DJ et des fans enivrés, déjà, et les oreilles n’en peuvent déjà plus ; là, dans le patio de l’HDP, on a effectivement une moyenne d’âge qu’on ne peut pas nier, mais qui retombe en enfance quand il s’agit de chanter des chansons qu’on a l’impression d’avoir toujours connues, puisqu’elles ont passé le cap des générations, puisque Brassens a 100 ans cette année et puisque – n’en déplaise à mon ami Bernard, génial organisateur de cet anniversaire – il n’est pas la peine de le fêter puisque Brassens n’a jamais demandé d’autre qu’un instant entre amis ou inconnus et un homme capable de le jouer. Dans le subtil décalage qui fait sa musique et dans la métrique particulière qui est la sienne, entre les e démuétisés de fin de vers et la scansion décalée qui fait son charme. Le reste, le duo s’en occupe, Bruno dans un mimétisme qui n’est pas travaillé – ce serait le pire – Laurent, allongé sur son instrument, dans le tiers sursis de sa rythmique. Vérifiez, quand des spectateurs s’avisent de taper dans leurs mains, ils tombent toujours faux. Après, ça enchaîne, et ce doit être drôle, de leur point de vue, de voir des lèvres souffler le texte que, de toute manière, Bruno connaît par cœur, comme s’il l’avait écrit. Après tout, c’est une part de lui qui en est l’auteur, mais il sait que chaque chanson de Brassens correspond à une étape de la vie de chacun, dans le public, de « l’orage » à « Brave Margot », en passant par « la supplique », qu’il ne pouvait pas ne pas chanter, ici, aujourd’hui. Le duo a joué deux fois 1h10, ce sont les contraintes de l’événement, de ce qui en découle, mais ça suffit pour avoir rajeuni de quarante ans, ou de six, alors, c’est selon. Il faudrait pouvoir expliquer à chaque fois son Brassens, dire pourquoi le « petit cheval » a traumatisé, dans sa prime enfance, dire la question restée en suspens dans le dernier vers de « Saturne » (« et la petite pisseuse d’en face peut bien aller se rhabiller »), expliquer pourquoi la misogynie de Georges est jubilatoire, en cette époque de culs-serrés (« pour l'amour on ne demande pasAux filles d'avoir inventé la poudre ») et pourquoi, quand on l’interdira, on continuera de le chanter à tue-tête. Et s’il en est un qui a la légitimité et l’enthousiasme, toujours, de le faire, c’est bien Bruno Granier, à un, à deux, à trois. Il s’est (encore) passé quelque chose, dans le patio de l’HDP, et c’était bel et bien un privilège que d’en être. L’événement n’est pas toujours là où on l’annonce.

 

05:15 Publié dans Blog | Lien permanent

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