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21/08/2015

Putain de toi.

setebraspano.jpgOn ne s’attend jamais à ce qu’un classique vous remue encore. Qui plus est quand le cadre se prête davantage à l’opportunisme qu’à l’émotion. Autant dire qu’un concert de chansons de Brassens, sur le parvis de l’hôtel de ville de Sète, donc à une dizaine de mètres de mon balcon, pour les fêtes de la Saint-Louis, entre deux joutes, rien n’incitait le misanthrope que je suis plus encore que Georges à descendre pour aller l’écouter autrement que perché dans ma loge. Mais la voix, si juste, et qui ne cherchait pas à reproduire, plus un accompagnement manouche dont le niveau m’a plus que surpris m’ont fait descendre et me retrouver en pleine messe païenne, touchante à plus d’un titre : combien sont-ils, les artistes dont un public de trois générations chante les textes, plutôt pointus, à tue-tête et par cœur, comme si les mots ne les avaient jamais quittés depuis que leur grand-père, leur père, ou d’autres, les chantaient ? Combien sont-ils à pouvoir placer un imparfait du subjonctif dans un texte populaire, sans que personne ne cille ? A faire twister du Hugo sur un « Dieu voulut que ses coups frappassent les amants par Satan liés », double octosyllabe à mourir de rage envieuse ? Brassens est un génie méconnu du grand public, qui ne garde que ses standards et oublie des merveilles libertaires, des élégies aux suppliques. Jusqu’à ce matin, je me protégeais des chansons trop entendues, des compilations visant à le faire passer pour le grand-père idéal, pipe au coin du feu et chansons pour tous. Je détestais « l’Auvergnat » et « les Copains d’abord », pour tout dire, leur préférant, largement « le nombril des femmes d’agents », « les deux oncles » ou « Saturne ». Entre douze mille autres, dont « Supplique pour être enterré sur la plage de Sète », que j’ai même interprétée sur scène lors d’un « Littérature & Musique » à Fleury-la-montagne. Sans trace, heureusement. Cet été, j’aurai donc entendu Paco Ibanez, dans le sublime Odéon de Fourvière, chanter « le parapluie » pour son public français, entendu mon fils la reprendre sans savoir où il l’avait apprise, et découvert le duo (pour l’occasion) « les amis de Brassens », composé de Bruno Granier au chant et Philippe Lafon à l’accompagnement : banjo, Mandoline, guitares diverses, avec un immense talent. Bluffant. Jazzy, manouche, folk : on sait que, chez Brassens, on passe de la pompe à la subtilité de l'aller retour - l'index, le majeur et l'annulaire qui grattent quand la main descend, le pouce quand la main remonte - doublé du pouce qui continue de jouer sur les grosses cordes. Enfin, on le sait quand on se dit que c’est facile jusqu’à ce qu’on essaie de le jouer. Là, les musiciens sont excellents, réellement, et servent le texte sur un plateau. Le reste se passe entre les passants et les passantes qui se sentent chez eux le temps d’un concert, entre les locaux qui s’enorgueillissent de l’avoir compté parmi eux (mettant de côté, un temps, « les imbéciles heureux qui sont nés quelque part »). Bruno Granier a ce côté revêche des chanteurs à qui on ne la fait pas, dans la lignée des Gilles Servat ou du Paco évoqué plus haut : la place, de fait, n’est pas usurpée. Et même « les Copains d’abord » m’a plu : à force de ne plus vouloir l’écouter, j’avais oublié la force métaphysique d’un vers simple et complexe à la fois, « quand l’un d’entre eux manquait à bord, c’est qu’il était mort ». Qu’en eût-il pensé, Brassens, de cette communion populaire, trente-cinq Saint-Louis après sa dernière ? Pas impossible qu’il ait vu ça avec la même émotion que quand il demandait à Trenet de chanter « Petit oiseau dans la campagne ». Celle-ci aussi, je l’ai chantée à Fleury : mais n’insistez pas, il n’y aura pas de vidéo ». Les moments se vivent, ou se racontent : le reste est de la pâle copie.

Photo: Karine Hermet, pour les amis de Brassens©

13:58 Publié dans Blog | Lien permanent

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