30/10/2019
Seule et le coeur en croix.
Vous connaissez le principe de la part de gâteau qui reste, qui introduit chez les convives une telle impossibilité de la prendre pour soi qui fait qu’elle finit par rester sur le buffet, à la fin ? C’est la seule image que j’utiliserai pour faire part de la petite vexation liée à la rencontre hier, à la Nouvelle Librairie Sétoise, qui importe peu – sauf en nombre de livres potentiels écoulés – au regard du côté bonne franquette, un peu subi, de la date, pas annoncée sur le site, concédée avec un poil de condescendance, mais c’est le lot des auteurs dont on dit qu’ils sont mal distribués. Je me suis promis de longue date de ne plus en prendre ombrage, quel que soit le profil d’un auteur dont, subséquemment, on ne sait rien quand on l’invite. J’ai ravivé la phrase de Talleyrand, « Quand je m’observe, je m’inquiète. Quand je me compare, je me rassure » pour renvoyer dans leurs vingt-deux (mètres) ceux que mon anonymat comblerait. Elle était belle, malgré mon énervement de départ, cette rencontre, vive, chaleureuse et menée avec maestria par Jocelyne. Qui n’est pas la dernière – litote – à vouloir me titiller, mais que la lecture de « Aurelia Kreit » a comblée, dans son exigence – la somme, les thèmes – et son écriture. Elle veut gérer la rencontre, la genèse du roman, sa construction, les nombreux sujets abordés : l’Ukrainité, la judéité, le féminisme etc. Elle a plus envie d’en dire du bien, de ce roman, que d’en solliciter l’auteur, j’apprécie, autant que l’analogie avec Stendhal, dès le départ ; je reprends un peu la main, sens le public intrigué, au minimum, j’en reviens à la tranquillité, au théorème de Mégevette que personne, ici, ne connaît : j’apprécie la venue de ceux qui sont là sans m’attarder sur ceux qui ne sont pas venus, la règle est classique, mais il faut la rappeler. Joce, qui m’interrogea sur la place l’année dernière, a travaillé l’entretien, c’est la seule à en être à deux lectures d’Aurelia quand j’attends, encore, le retour de la première de certains, allez je lâche, dont la spécialité est le déni : à ne pas vouloir savoir que j’ai écrit ce livre, ils continueront de penser que la seule littérature qu’ils considèrent est celle qu’ils connaissent, celle qui ne leur fait pas peur et ne les met pas – les mots sont réels – en face de leur propre inculture. J’ai trop vécu « Littérature & Musique » pour ne pas percevoir les énergies d’un auditoire, et celui d’hier – de tout à l’heure – était attentif, captivé, même. Ces gens qui viennent sont l’antithèse de nos propres lâchetés, mais dans la nuit qui suit le non-événement, on me parle de cet « immense labyrinthe, impressionnant, à ciel ouvert, duquel tu sembles être sorti plus ou moins vivant » ; d’un « bel échange, vif, profondément philosophique ». À elle seule, le personnage d’Aurelia mettrait KO les trois quarts de la production contemporaine, mais je ne peux que l’avancer discrètement, en me regardant les ongles, en bon nizanien. Je lui prédis, bien au-delà de moi, une existence du type de celle de « Tébessa, 1956 ». Une de celles qui vous échappent. C’est ce qu’il peut arriver de mieux à un écrivain, je crois. Ma vie d’auteur, je l’ai redit ce soir, je ne l’échangerais pour rien au monde contre celle d’un mieux distribué. Qu’on aurait annoncé sur le site, sans doute. Rendez-vous au final de l’œuvre, hein! Le reste, la chute, tu la connais, ami lecteur, elle est dans « la vie d’artiste » de Léo Ferré : tu leur diras que je m’en fiche.
Photo: Serge Tribouillois.
00:21 Publié dans Blog | Lien permanent
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